C'est un peu bizarre de me retrouver là. Dans ce gymnase, à observer de loin tous ces élèves qui reprennent leurs affaires à la fin de cette séance de combat. Des gens plus ou moins jeunes, certains que je reconnais, qui doivent régulièrement s'entrainer ici, avec Elwynn en maître ching chang. J'ai l'impression de me retrouver des années en arrière. Quand je venais de débarquer à Terrae. Il s'en est passé des choses depuis...

Adossé au mur, ne cherchant pas spécialement à être discret ni pour autant à être trop intrusif, je me contente de laisser tout le monde à ses petites habitudes. J'en salue quelques uns qui passent près de moi avant de sortir du gymnase, et ce n'est que lorsqu'il n'y a presque plus personne sur place que je m'approche finalement de celle que je suis venu voir.

- "Tu ne t'es jamais lassée de filer tous ces cours ?"

Une question qui a davantage vocation à servir de salutations moins banales qu'un simple "yo" qu'à réellement chercher une réponse, je m'arrête à quelques mètres d'elle. Je me souviens parfaitement de ce qui s'était passé dans cette même salle lorsqu'on s'est rencontrés la première fois, et il faut bien admettre qu'une bonne partie des mes a priori de l'époque sont aujourd'hui totalement tombés. D'ailleurs, la raison de ma présence en est bien la preuve.

Mais ça fait aussi un moment qu'on n'a pas vraiment discuté tous les deux. Et, je ne suis pas pressé.

Ca fait un moment qu'il est arrivé. Je l'ai vu rentrer dans le gymnase, se poser contre un mur. Je me suis d'abord demandé qui il attendait. Pas mal de candidats possibles pour ça. Y a des potes à lui dans mon cours, des meufs aussi, beaucoup. Je continue de surveiller les exercices, donner des conseils, pousser ceux qui en ont besoin. Après les événements de cet hiver j'ai eu une nouvelle vague d'arrivants, il y a une grosse demande. Depuis, je travaille à diversifier un maximum mes cours, je prépare des stages aussi, je voudrais diversifier tout ça. Proposer des choses en plus, sûrement payantes, parce que je planche dessus sec. Oh, rien de fou, je le gère toute seule. Jérémy m'aide parfois, mais avec la Cantina il est pas mal occupé et j'essaie de l'aider moi aussi. J'en parle régulièrement avec mes amis, avec Lou aussi qui m'encourage beaucoup.

Et puis le cours se termine, et personne ne rejoint vraiment Tiago, alors je comprends qu'il est venu pour moi. Pendant que tout le monde s'en va, je m'occupe à ranger les derniers tapis, fais la place pour les prochains qui utiliseront le gymnase, avec des mouvements qui sentent l'habitude. Je sens le Feu s'approcher, et je réponds en jetant le dernier tapis par dessus les autres.

Non. Pas encore en tout cas.

Je me tourne vers lui en tapant dans mes mains comme pour les nettoyer, avant de les poser sur mes hanches.

Et j'pense pas m'en lasser de ci-tôt, j'ai l'intention d'élargir un peu mon activité.

Je le dévisage un moment, il a l'air détendu, je me demande pourquoi il vient me voir. Souvent on vient pour me demander de combattre. C'est ce qui s'était passé d'ailleurs, il y a longtemps, quand il était venu seul pour me voir. Je n'étais pas la même qu'aujourd'hui, et lui non plus. On a vécu quelques petites aventures depuis.

Que me vaut l'honneur ?

Mon ton est neutre, pas particulièrement amical mais pas agressif. Je suis curieuse, ça fait longtemps qu'on a pas parlé. C'est marrant, je connais bien son corps pour de multiples raisons, je sais ce qu'il peut penser, et j'ai arrêté d'être ok avec lui quand il a participé à tout simplement traumatiser deux de mes potes. Mais depuis aussi il s'est passé des choses. Alors j'attends.

Je ne m'attendais pas vraiment à ce qu'Elwynn me réponde autre chose. Parce que même si ça devait la faire chier, je ne suis pas sûr que je sois la personne à qui elle le dirait. Non, bien sûr qu'elle prend son rôle de prof au sérieux. Et évidemment, elle ne se laisse pas prendre à cette petite intro beaucoup trop banale pour le peu d'échanges qu'on peut avoir récemment.

- "T'as l'air bien pressée de savoir !"

Je garde ce ton léger, comme s'il n'y avait rien d'important derrière tout ça.

- "Et puis, peut-être que je voulais juste prendre des nouvelles, discuter tranquillement. On ne se croise plus si souvent dernièrement."

La vérité, c'est qu'il y a peut-être bien quelque chose. Non, ce n'est pas tout à fait par hasard que je me trouve ici, où je savais que j'allais la voir. Sauf que comme toujours, si je me suis dit que ça pourrait être une bonne idée de venir voir Elwynn, je n'ai pas réfléchit beaucoup plus loin. Et maintenant, je n'ai aucune idée de comment aborder le sujet. Ahah nop, pas question d'admettre directement ce qui m'occupe l'esprit depuis bien trop longtemps. "J'en ai marre de me sentir si faible, incapable d'être à la hauteur dès que je suis privé de mes pouvoirs. T'as pas des conseils ?" Lol. Jamais de la vie. Alors... J'improvise.

Tiago tourne autour du pot. Un classique, j'pourrai dire que c'est parce que c'est un gros lâche doublé d'un macho de merde qui se montrera vulnérable pour rien au monde, mais j'suis de bonne humeur alors on va dire qu'on va pas jeter la première pierre.

Un léger sourire s'invite sur mon visage alors que je réponds sur le même ton léger que le sien.

Oh c'mon, le teasing c'est pas dans ce domaine que j'aime bien.

Je me rapproche de lui, les mains sur les hanches. Je me demande pourquoi il crache pas le morceau, j'essaie de deviner, je commence à flipper qu'il vienne me demander des conseils genre comment gérer après une embrouille ou quoi. Parce que franchement je saurais pas qui répondre à part sûrement lui mettre un peu cher. Pas cool. Je hoche la tête simplement.

Hmhm, c'est vrai qu'on a moins l'occasion de se voir. Tu viens pas à mon cours et j'ai pas cherché à te joindre. Bon, tu veux qu'on fasse un point comme ça ici ? J'ai pas grand chose à raconter.

Je mets une pichenette à l'anneau argenté, presque blanc à mon bras sous mes tatouages. L'anneau de mon mariage.

A part ça, pas grand chose de nouveau pour moi. Et toi alors ? Comment vas ta fille ?

Je souris légèrement, et puis le tend la main droite sur le côté et la bouteille posée sur le bureau au fond de la salle vient jusqu'à elle, je bois quelques gorgées. J'ai l'air tranquille, il veut qu'on discute, on peut. Ma question était sincère, je me demande vraiment comment elle va, j'ai juste capté qu'il avait une petite, avec une meuf de l'Institut, mais je sais pas grand chose de plus.

Elwynn n'a pas l'air de vouloir perdre son temps, mais moi, j'ai bien besoin de ce petit temps de répit avant d'essayer d'aborder le sujet qui m'amène (et qui risque de toute façon de ne pas bien me plaire). Alors ouais, évidemment que je tente de temporiser un peu l'arrivée de cette conversation avec quelque chose de plus banal. Du moins, c'était le but de la manoeuvre, qu'elle contourne très habilement.

- "Ouah, on peut dire que tu sais comment couper court."

J'ai beau avoir passé le cap à ne plus me cacher d'avoir une fille, ce n'est pas non plus le sujet sur lequel j'aime m'étendre. Non pas que je ne l'aime pas ou que je n'en suis pas fier (au contraire) mais ce n'est pas comme si j'occupais réellement mon rôle de père alors, c'est toujours un peu compliqué de me positionner comme tel.

- "Mais bon, si tu veux vraiment savoir, elle va bien et grandi comme n'importe quelle gamine de son âge. Avec des pouvoirs mais, bon, ici c'est un détail. Et, je n'avais pas eu le temps de te féliciter pour ton mariage, alors, eh bien, félicitations. J't'avoue que j'ai eu du mal à croire que ça puisse être vrai quand j'ai appris la nouvelle !"

Parce qu'elle n'est clairement pas la première personne à laquelle j'aurais pensé en évoquant un engagement aussi fort que le mariage. Ce qui prouve encore une fois qu'elle est bien celle à qui je peux parler.

- "Tu pensais que tu pourrais en arriver là quand t'as débarqué à Terrae ? Être aussi proche de quelqu'un que t'en accepterai un anneau ?"

Ok, poser des questions est en fait beaucoup plus facile comme approche. Oui, voilà, ce sera très bien comme ça.

J'crois que j'ai touché juste, c'est presque Tiago me tire déjà sa mine saoulée, ça m'arrache un nouveau petit sourire, plus long cette fois. Je penche légèrement la tête sur le côté, goguenarde.

Ouais j'suis d'accord. Tu m'donnes pas de raison de pas le faire, mais si tu me dis que t'as vraiment juste envie de discuter on peut.

Suffit de me le dire. Oh, je sais que c'est un gros dur qui veut pas formuler ses besoins parce que vrai homme a pas de besoin, vrai homme a pas besoin d'aide. Vrai homme discute pas. Mais ça rend la chose encore plus délicieuse à déclencher. Mais j'suis sympa eh, j'ai tendu la perche.

Puis sur le sujet de sa fille, je me doute que ça doit être assez sensible, mais j'avoue être curieuse de ce qu'il a à en dire. Je la connais pas, je l'ai déjà à peine croisée, mais je lui ai jamais adressé la parole à cette petite. Alice doit la connaitre maintenant, comme elle connait quasiment tous les enfants de cet Institut, faudra que je lui demande. Lorsqu'il parle d'elle, mon visage devient sérieux de nouveau, concerné. Je suis sincèrement intéressée par ce qu'il dit.

Oh hm, je suis contente pour elle alors. J'espère que c'est pas trop galère à gérer les pouvoirs, j'ai cru comprendre avec d'autres que c'était pas si simple parfois.

A en juger les discussions qu'on a avec Lou et Aaron, qui parlent des enfants d'Hideko, de Huo et d'Aoi, ça a l'air d'être un joyeux bordel. J'ai hâte d'accueillir leurs enfants putain. Bref. Il me félicite pour mon mariage, avant d'ajouter qu'il avait du mal à y croire au début, je me marre ouvertement.

Pourquoi ça, parce que j'ai pas la tête d'une meuf qui se marie un jour ? Si c'est ça t'as pas totalement tord.

J'le sais, il a pas été le seul surpris. Je suis pas conventionnel, ceux qui m'ont connue au début à Terrae savent comment j'étais. Renfermée, je couchais avec qui me plaisait et j'étais pas la meuf la plus sympa du monde. Ca a pas taaant changé, juste j'suis un peu plus accessible, un peu plus sympa, et je couche avec les gens qui me plaisent si mon mec est ok. Mon mari. Mdr. Ca c'est toujours chelou. Il me pose une question qui me fait revenir sur Terre, mais n'efface pas mon sourire. Tout en parlant, je m'approche du petit bureau dans le coin, ferme le classeur de présence, range quelques affaires dans mon sac et le hisse sur mon épaule.

Non. Et j'aurais pas cru possible même si on me l'avait juré. J'suis jamais tombée amoureuse avant de l'être de Jérémy. J'ai jamais autant aimé qu'à Terrae, je savais pas trop qui j'étais. Enfin j'avais un bout de moi quoi, celle qui se bat, qui survit. J'avais pas la suite.

Je pouffe de rire pour moi-même.

J'avais pas la partie qui propose un anneau à un autre. Ni celle qui veut écrire le nom de ses proches sur des papiers pour leur dire qu'elle les aime. Ou celle qui pleure quand on lui propose d'être témoin.

Je souris à Tiago.

Autant j'ai jamais douté qu'aimer c'était pas une faiblesse. Autant aujourd'hui, je suis persuadée que je suis bien plus solide qu'à l'époque où je suis arrivée grâce à ça.

Regarde-toi tu parles comme Morgan Freeman putain.

Mais j'crois que y a des trucs que tu captes non ? Comment Terrae nous change hein.

Si je n'aime pas ce sujet de discussion qui concerne Shana, c'est bien parce que je n'ai pas franchement toutes ces réponses que je devrais pourtant détenir. Ca va, je me suis fait une raison, jamais elle ne me considérera réellement comme son père. Ce qui ne va pas m'empêcher de m'assurer qu'elle ne manque de rien. Mais accepter que, non, ça ne doit pas être si simple d'élever un gosse avec des pouvoirs sauf que eh, en vrai, j'en sais rien hein. Je ne l'ai jamais vu disparaitre de ma vue suite à une simple contrariété moi. Ni se téléporter ou foutre le feu à son berceau.

- "Apparemment ouais, c'est pas la partie la plus simple."

Surtout quand aucun des deux parents ne possède les mêmes pouvoirs. Pas facile de gérer les coupures de courant à répétition quand il n'y a pas de Tonnerres à domicile.

Quoi qu'il en soit, quand Elwynn accepte finalement ce changement de sujet, je suis plutôt soulagé. D'autant qu'elle n'a pas l'air de mal prendre cette remarque sur son nouveau statut de femme mariée. Alors quand elle me demande si c'est parce qu'elle n'a pas franchement la tête qui va avec, c'est un hochement d'épaules avec un petit air qui veut clairement dire quelque chose comme "bah ouais, pas trop..." qui arrive en guise de réponse.

Et si j'avais été étonné d'apprendre son mariage, je dois admettre que sa réponse à ma question a aussi de quoi me surprendre. Enfin, je ne m'attendais pas à entendre ce genre de propos aussi clairement énoncé. Parfaitement assumés, marquant une absence de doute totale. Je ne sais pas trop dire si je trouve ça bizarre ou carrément courageux. Un peu des deux sûrement.

- "Ouais, je crois que je vois. Pendant longtemps je me suis demandé si on changeait vraiment par choix ou, juste, si on était bien obligé de s'adapter. Au final, j'imagine que ça n'a pas d'importance, le résultat est le même. Quand on passe du temps ici, qu'on le veuille ou non, on fini par ne plus être les mêmes."

Pourtant, même si ses mots trouvent un certain écho en moi, je ne sais pas pourquoi, c'est comme si le résultat s'inversait chez moi. Le pire, c'est que je ne sais même pas comment le formuler vraiment. Cette impression qu'elle a de s'être trouvée à Terrae, j'aurais plutôt l'impression de perdre petit à petit tout ce que je connaissais de moi, jusqu'à douter de tout ce que j'ai toujours pris pour aquis. Cette façon de se sentir plus forte grâce à toutes ces nouvelles rencontres, je m'en sens seulement complètement affaibli.

- "Je ne t'ai jamais demandé. Comment est-ce que tu as apprit à te battre ?"

Je ne lui ai jamais demandé parce qu'on n'a jamais été assez proches pour ça. On n'atteint pas un tel niveau seulement par le biais d'un apprentissage safe et qui nous préserve des vrais dangers extérieurs, bien à l'abri dans un dojo. Pourtant, si ce que je peux imaginer sur elle s'avère vrai, alors... Non, décidément, je comprendrais encore moins comment elle peut réussir à me parler de cette façon qui respire seulement l'espoir.

Je vois bien que le sujet de sa fille lui plaît pas. Et je me doute qu'il a des raisons. Puis le connaissant, ça m'étonnerait pas qu'il assume pas ses responsabilités jusqu'au bout, mais j'ai l'impression qu'il y met du sien malgré tout. Je ris un peu quand il me dit que c'est pas la partie la plus simple, plus par empathie que par moquerie.

On finit par changer de sujet. Et je me marre d'autant plus quand il tire une tronche pas possible. Ouais c'était bien que ma tête fait pas femme mariée. En même temps, j'ressemble pas une à une femme mariée même si c'est le cas quoi. Il a l'air un peu surpris par ce que je lui dis, et j'crois que ça, ça me surprend un peu aussi. Parce qu'au final, s'il est surpris c'est que ça le touche un peu, quelque part. J'veux dire, il en a pas totalement rien à foutre. Il parle ensuite du changement. Ouais j'suis d'accord. Que tu veuilles ou pas, Terrae te change. Je souris un peu et je penche un peu la tête.

Ouais. Y a qu'à voir la gueule de mon gars.

Jérémy il partait de loin. De très, très loin. Bon bah voilà quoi. From Bonnet to Evrard Williams quoi. En vrai, moi aussi. Je faisais pas confiance, il m'a fallu du temps pour me lier vraiment. Il a fallu que je rencontre tellement différent de moi pour grandir. Alors bien sûr, j'ai beaucoup plus peur, et les dernières missions me l'ont confirmé. Je suis inquiète pour mes proches. J'ai beaucoup plus de stress. Mais j'ai aussi accès à des sentiments que je ne pouvais pas ressentir avant. Et la confiance, la tendresse, la sérénité, c'est pas comparable en fait. C'est tellement plus puissant que tout le reste.

Toi, t'as l'impression d'avoir changé ?

Il change de nouveau de sujet. Je fronce légèrement les sourcils, un peu surprise, avant de réajuster ma brassière, et de déclarer d'un ton tranquille.

Oh. Dans un dojo, avec mon Maître, d'abord. Depuis que j'ai des souvenirs j'apprends à me battre. Euh. Puis après, il est mort, il s'est fait tuer. Du coup, j'suis allée tuer le gars qui l'avait tué. Mais j'étais un peu trop jeune, et j'ai raté, du coup no m'a intégré au gang de force. Et j'ai continué d'apprendre à me battre.

Ca semble avoir peu d'importance quand je le dis. Ca en a, mais c'est genre. Ca, se battre, c'est moi. Depuis toujours, j'ai jamais rechigné particulièrement à apprendre, parce que j'aime bien. C'est moi. Ce qui fait mal, ce qui peut être dur, c'est pourquoi je me battais. Et pourquoi j'étais impitoyable. Mais tant qu'il demande pas plus, je m'épanche pas dessus, j'attends de voir jusqu'où va sa curiosité.

J'ai pas eu trop le choix quoi. Et toi Tiago ?

J'avais déjà mon idée, j'avais eu des échos, j'avais demandé à Alice, et je l'ai observé longtemps aussi. On se reconnait entre nous.

Je souris, amusé, quand Elwynn fait mention de son mec. C'est vrai que je ne le connais pas franchement, mais je vois bien à quoi il ressemble. Est-ce que je les image facilement ensemble ? Franchement, aucune idée, je ne suis pas très doué pour ça faut croire. Mais je suis en revanche certains qu'El n'est pas le genre de meuf qui va dire oui à un gars sans être certaine que c'est ce qu'elle veut. D'ailleurs, elle est même plutôt le genre de meuf à qui on dit oui en fait.

- "Ouais, bien sûr que j'ai changé. Genre, des fois ça m'arrive même d'avoir des regrets." Je ponctue cette déclaration par cet espèce de rire soufflé du nez, qui est bien plus ironique qu'autre chose. Parce que bien sûr ça me fait chier. "Juste, j'suis pas aussi sûr que toi d'apprécier ça."

Je ne sais pas trop pourquoi ça me parait moins compliqué d'évoque ce genre de sujet avec Elwynn qu'avec la majorité des autres personnes. Peut-être parce que dans le fond, je me suis toujours dit qu'elle aussi a du connaitre les envers les plus sombres de ce que peut réserver la vie sur terre.

Ce qu'elle me confirme assez facilement avec sa réponse qui n'a même pas l'air de l'émouvoir. Cette facilité qu'elle a de parler des actes les plus moralement répréhensibles me rappelle les conversations qui pouvaient avoir lieu quand j'étais encore en Colombie. Se contenter de faire le boulot sans être affecté de quoi que ce soit. Ou tout du moins, s'arranger pour que personne ne puisse remarquer le moindre trouble que tout le monde ressent malgré tout.

- "Moi... J'ai jamais vraiment appris. Enfin, j'imagine que mon frère m'a très vite filé quelques bonnes bases, mais, c'est comme le reste. Se battre, ça a toujours été la seule façon de régler ses problèmes. On n'a jamais trop parlé chez moi. Et pourtant des problèmes... Y en avait tout le temps. J'sais même pas quel âge j'avais la première fois qu'on m'a mis un gun entre les mains. J'ai juste appris sur le terrain, comme je pouvais."

Je sais que je n'ai jamais fait parti des plus forts. Loin de là. Que je dois tout à ma famille. D'ailleurs, même en grandissant, je n'ai jamais tenu très longtemps dans nos nombreuses rixes fraternelles. Et nos parents ne s'interposaient pas. Pourtant, c'est eux qui y sont restés.

- "T'as le temps de boire quelque chose ? J'ai de quoi faire chez moi, pas besoin d'aller jusqu'au village."

Ok, peut-être que je n'avais pas anticipé que ce serait aussi gênant malgré tout. J'aimerais vraiment être aussi à l'aise qu'elle, mais, clairement, j'en suis encore loin.

Je ricane avec lui quand il sous-entend avoir des regrets des fois. Et manque pas de le tailler.

Oh dis. On pourrait presque devenir potes.

Vénère. Mais ça pointe pas mal de trucs. Que je me rappelle ce qu'il a fait à mes potes. Que je sais c'qu'il fait avec les meufs. Que je me rappelle nos p'tites aventures aussi. Et que je peux passer outre. J'peux avancer sur ça. Pas méchant au final.

T'apprécies pas ? Pourquoi, ça te perd un peu genre ? T'as plus la sensation de te connaître ?

Je demande, parce que j'ai un peu vécu ça. Il a l'air étonnament à l'aise et s'ouvre à moi sans souci. Je le juge pas, je raille un peu peut-être mais c'est pas pour le plomber du tout. C'est limite pour qu'il se sente quand même pas trop bizarre à parler à quelqu'un. Juste j'l'écoute. Je me dis que je commence à l'avoir fait pour pas mal de mecs violents à Terrae. Officieusement c'est pas des gueules que j'pète, c'est des cerveaux. Et vive la thérapie. Mdr.

Il a pas l'air particulièrement surpris quand je lui dis un peu comment j'ai appris. Je rentre pas dans les détails, mais je peux s'il en a envie. Ce sera pas la première ni la dernière fois. Puis lui me parle un peu de son parcours. Il a pas appris. Ouais. C'était son quotidien, je comprends. Je hoche la tête sérieusement. J'ai pas l'air choquée ou peinée, juste, j'accueille.

Ahaha, ouais, c'est toujours quand y a le plus de problèmes qu'on parle le moins hein ?

J'ai un léger sourire amusé.

Vraiment une idée de merde ça. Mais bon, pas l'choix.

Pas l'choix. C'est comme ça que tu grandis, tu t'poses pas de question, tu fonces et puis basta. Ce qui me surprend plus, c'est qu'il avoue facilement ne pas être le meilleur. Y a une humilité que même Jérémy n'avait pas. C'est dire. Putain mon gars c'était un cas. Je l'écoute, et j'ajoute, un peu plus gravement, perdant un poil mon sourire.

Ouais. Jusqu'au jour où tu dois t'en servir pour de vrai et que y a des conséquences. Les guns c'est bien utile mais c'est bien de la merde.

Y a un truc qui s'installe, on se parle pour de vrai. C'était ça qu'il était venu chercher pas vrai ? J'vais pas le souligner, j'ai assez jouer dessus, et il me fait confiance. Suffisament pour m'inviter à boire un verre. Chez lui. Je hausse un sourcil, l'air ultra blasée, avant de sourire en coin.

Oh babe, t'as perdu tes manières, t'étais plus subtil avant non ?

J'vois bien qu'il est pas super à l'aise. Je lui fais un clin d'oeil avant de me mettre à rire. J'attrape la hanse de mon sac et la jette sur mon épaule, fourre mon t-shirt dedans, et pose ma main sur son épaule en souriant. Un vrai sourire sincère, je cherche pas particulièrement à être charmante. Au milieu de mes airs durs, mes ricanements, mes cicatrices et nos récits de vie de merde, je lui souris pour de vrai, peut-être pour la première fois, ou depuis longtemps en tout cas.

Avec plaisir Tiago.

J'ai un léger sourire quand Elwynn mentionne qu'on pourrait être presque potes. Je sais. Je sais que ça a beau pouvoir parfois bien se passer entre nous, il y a toujours cette espèce de tension. Tout ce passé entre nous. Oh je ne suis sûrement pas là pour lui présenter des excuses ou commencer à me morfondre sur ce que j'aurais pu faire hein. Faut pas déconner non plus. Non, c'est fait, c'est tout. Maintenant, elle ne m'envoie pas chier pour autant alors, j'en profite un peu c'est vrai.

En tout cas, ses questions font très étrangement échos à l'origine exacte du problème. Et j'avoue que je ne m'attendais pas à ce qu'elle tombe aussi juste. Ce n'est pourtant même pas une affirmation. Une simple question. Mais ça suffit à ce que je ne puisse cacher la surprise sur mon visage.

- "Heu, ouais, un truc un peu du genre j'imagine. C'est surtout... Bizarre d'agir différemment de ce que j'ai toujours fait. Tout en ayant conscience que, c'est pas ce qu'on m'a appris. Même pour ça on dirait que je n'suis plus très bon."

Je m'y perds complètement ouais, c'est exactement ça. Parce que finalement, toute ma vie je me suis contenté de faire ce qu'on me demandait sans avoir à décider de quoi que ce soit. Ma ligne de conduite a été dictée très jeune et, m'en éloigner petit à petit, sans aucune certitude que ce soit une bonne chose, c'est... Un peu flippant.

- "Vaut mieux agir pour régler ses problèmes que de perdre du temps à en parler. Ca m'avait pourtant toujours paru être plutôt légitime comme façon de faire."

Est-ce que j'aurais préféré entendre d'autres paroles ? Je n'en ai aucune idée. Tout comme dans le fond, je ne suis pas sûr que j'aurais souhaité ne rien connaitre de toute cette violence dans laquelle j'ai grandi. Ce n'était pas tous les jours faciles c'est vrai, mais je garde toujours de supers souvenirs de mon enfance. D'autres moins bons c'est vrai, mais, au final, même si ce n'était pas toujours facile, j'ai quand même eu la chance d'avoir une famille sur laquelle je pouvais compter dans les situations critiques. Et il y en a eu quelques unes. Jusqu'à ce que ça tourne mal. Alors, ouais, bien sûr que je comprends parfaitement ce qu'elle veut dire au sujet des armes à feu.

Et je crois que j'ai bien besoin de changer un peu d'environnement parce que mine de rien, les conversations un peu trop honnêtes, sérieuses, c'est pas trop mon fort non plus. Même si je sais que c'est important. J'essaie de comprendre. Et si je ne suis pas sûr qu'avoir un aperçu du point de vue d'Elwynn sur ces questions puisse vraiment m'aider, je n'ai pas beaucoup d'autres pistes actuellement.

Mais ouais, bien sûr, fallait s'attendre à ce que ma proposition de bouger dans ma chambre soit prise de cette façon. C'est bon, je sais très bien à quoi on pense en premier.

Pourtant, si j'espérais bien qu'elle accepte, je ne pensais pas que ça puisse me faire si plaisir. Quand nos regards se croisent c'est... Un peu étrange. Parce que oui, bien sûr que ces sujets sont assez durs à aborder, au moins sous cet angle, pour moi. Je préfère afficher mes certitudes que de laisser place au doute. Et, je vois bien qu'Elwynn a compris. Elle sait aussi. Et qu'elle accepte d'être, juste là. Pourtant, des raisons de refuser et de se barrer, elle en aurait un certain nombre.

- "Pff, c'est juste que je n'emploie pas exactement les mêmes méthodes avec les femmes mariées !"

Si je plaisante facilement, mon sourire vaut pour un merci. Parce que oui, bien sûr que je lui en suis reconnaissant. Et je lui suis aussi reconnaissant d'accepter de quitter le gymnase pour un endroit plus pos !

- "Et, par rapport à c'que tu disais... Peut-être que dans un monde idéal il vaudrait mieux ne pas avoir à se servir d'aucune arme, sauf que dans le notre, si on ne se bat pas, on se fait juste écraser. Et ce dont je suis sûr, c'est que je préfère largement assumer les conséquences que de me laisser faire."

Oui, ça au moins, ça n'a pas changé.

Ca l'fait marrer ma remarque. Bon après j'fais la maline, mais la dernière fois que j'ai fait ce genre de vanne à quelqu'un j'ai fini par l'épouser donc en vrai tout est possible. Pareil dans 2 mois on est potes, faut pas sous-estimer le futur.

Tiago a l'air surpris un instant, je me demande un peu pourquoi, puis je me dis que ouais, j'ai dû un peu capter dans quoi il est. Et j'comprends. Parce que j'ai eu ça aussi. Sûrement pas aussi violemment mais j'l'ai eu. Jérém' aussi, qui est peut-être une des personnes que je connais le mieux pour ce genre de problématique. Je penche la tête, l'air un peu pensive.

Hmmm j'crois que je vois. Peut-être que c'est l'occasion de te poser la question de ce que toi, t'as envie de faire. Pas comme on t'a appris. De voir ce que tu veux être de toi.

Je fais un petit sourire. Je sais que c'est difficile. Malgré mes grands airs et mes "J'ai décidé" plus nombreux les uns que les autres, je sais. Mais des fois, faut juste prendre son temps et puis un jour ça pop, tac comme ça. De nouveau, il m'explique un peu dans quoi il était. Les problèmes dont on parle pas. Parce qu'il faut agir pour les régler. Je ricane, ça se voit que ça me parle. Ca se voit que c'est une mentalité que j'ai déjà entendu, voire vécu, je le cache pas.

Yep, I get it. Mais pas parler, c'est rendre les choses réelles. Et pas parler des problèmes, parfois c'est faire comme s'ils existaient pas. Les rendre invisibles. Comment tu veux agir quand tu sais même pas qu'il y a un problème hm ? C'est bien beau de vouloir agir. Mais quitte à essayer de faire bien, autant le faire jusqu'au bout.

Ca va bien deux minutes d'être un guerrier warrior si y a pas de quoi se battre contre. Non mais c'est vrai, faut réfléchir deux secondes. J'sais que ça peut surprendre qu'une meuf comme moi pense ça, quand on me connait pas super intimement. Mais j'ai toujours pensé un peu ça. C'est pas parce qu'on parle pas du problème qu'il existe pas. Et quand la solution c'est de parler, et ça j'l'ai appris ici, guess what ça va carrément plus vite. Les économies d'énergie mon pote. Pfiouh.

Le Feu a l'air de vouloir continuer de parler, mais de bouger peut-être que ça va l'aider. J'ai envie de lui poser d'autres questions. Qui lui appris tout ça ? Comment elle était, sa famille, si j'comprends bien ? Et puis, tout ça, tous ces acquis. Ok. C'est important pour lui. C'est difficile de s'en défaire. Mais genre, il va donner quoi à sa fille du coup ? Parce que mine de rien, ça doit le travailler. Alors ouais, j'accepte sa proposition sans hésiter. J'crois que ça lui fait plaisir, il s'y attendait pas. Que j'fasse ça comme ça. Ahahaha mon pauvre, si tu savais, c'est pas la première. Il me vanne, et me sourit, un sourire franc, que j'aime voir sur son visage. Ok mec, on est sincères alors. Moi ça me va. J'éclate d'un rire tout aussi authentique, et serre son épaule gentiment avant de le relâcher.

Can't wait to see

On se met en route vers sa chambre, je marche à côté de lui tranquillement tout en réfléchissant à son affirmation.

Hm. J'imagine que, de là on vient tous les deux, c'est vrai. Mais tu sais, j'ai la sensation que c'est absolument pas une vérité absolue. J'veux dire. Les armes, on a pas tous les mêmes. Et si tu veux mon avis, y en a des plus efficaces que les matérielles.

Alice, Ariana, Asb, j'pense à vous bande gros tueurs à émotions là.

J'pense qu'il faut savoir se battre. Mais surtout choisir ses combats. Et puis, ouais. Connaître les conséquences.

Je lui jette un regard en biais.

Tu lui a dit, à ta fille par exemple ? Genre, t'es prêt à lui dire qu'il faudra qu'elle se batte, qu'elle s'arme ? C'est comme ça que t'as appris toi ?

Quand je me suis enfin décidé à venir voir Elwynn, j'avais quelques petits espoirs qu'on puisse maintenir une conversation a minima intéressante, mais je n'avais pas de grandes attentes non plus. C'était plus, comme, la dernière solution envisagée. Alors ouais, je suis carrément surpris par la tournure que ça prend. Et par sa facilité à cibler aussi clairement ce qui peut me travailler. Parce que, objectivement, on ne peut pas dire que je l'aide énormément. Et si ça pourrait me frustrer d'être si simple à comprendre, pour le coup, je ne sais pas bien pourquoi, ça me fait juste... Plaisir. Ou quelque chose qui s'en rapproche en tout cas.

- "Ouais... J'vais p't'être essayé d'y réfléchir."

Je me rends bien compte que dans le fond, elle a probablement raison. Mais moi ce que je vois surtout, ce sont tous les obstacles à franchir avant de réussir à tout remettre en question, faire du tri en quelques sortes, entre ce que je garde et ce que je jette. Presque repartir de zéro. J'suis pas prêt. Je crois. J'en sais rien, mais j'y réfléchirai. Plus tard. Ou en tout cas, pas ici.

Après m'avoir chambré (c'est legit ok) comme il se doit, Elwynn accepte malgré tout ma proposition de bouger vers ma chambre (sans aucun jeu de mot). Et en fait, ça me fait du bien, cette tournure que prend cet échange. Je ne sais pas comment elle fait pour trouver cet équilibre hyper dur à choper. Ne pas se montrer complaisant (parce que c'est relou), réussir à rester honnête parfois même tranchante, sérieuse dans ses propos et sa façon d'être, tout en étant capable d'une plus grande légèreté à certains moments. Mais je crois que cette ambiance qui s'installe entre nous est juste agréable.

Et je me sens un peu plus serein alors qu'on laisse derrière nous le gymnase et qu'on avance à travers les couloirs, direction l'aile des Feux, malgré la conversation reste toujours aussi sérieuse. Après tout, c'était bien l'objectif hein, mais j'avoue que je n'étais peut-être pas préparé à ce que Shana arrive au milieu de celle-ci. Un peu pris de court, je tourne la tête vers Elwynn avant de réfléchir à sa question.

- "Moi, j'ai appris en regardant les autres faire. La violence a toujours fait partie de mon environnement. J'ai commencé à me battre, sérieusement, à prendre part au business, quand les adultes ont décidé que j'étais suffisamment grand pour ça. Et j'étais content de pouvoir aider, même si ça impliquait parfois de revenir en mauvais état. Shana, ma fille, elle va grandir ici, dans une famille et un cadre plus... Equilibrés. Elle aura le choix, de se battre ou non."

On arrive (rapidement, ce n'est pas bien loin) devant ma chambre dont j'ouvre la porte. Je n'ai jamais fait de grands efforts de déco et les meubles présents dans la pièce sont pour le moins basiques. Une chambre qu'on pourrait très basiquement qualifiée de "chambre de mec". Jusqu'aux pornos sous le lit, ouais.

- "Et puis de toute façon, ce n'est pas comme si j'avais vraiment mon mot à dire. Son éducation n'est pas de mon ressort. C'est sûr que je l'encouragerais toujours à se défendre, à ne pas se laisser intimider, et à ne pas avoir peur de filer quelques baffes si elle pense que c'est ce qu'il faut. Pour le reste... Je n'essaierai probablement pas de la dissuader d'avoir recours à des armes, d'utiliser ses pouvoirs de façon plus agressive si c'est ce qu'elle décide. Evidemment, je ne l'y encouragerai pas spécialement non plus si je me rends compte que ça ne lui correspond pas. Mais, mon impact sur ses choix sera seulement celui qu'elle acceptera de prendre."

Et puisqu'on est désormais dans ma piaule, j'en profite pour sortir une clope du paquet toujours présent dans une de mes poches. C'est que mine de rien, ça met un peu sous pression toutes ces discussions ! Et comme j'ai quand même un minimum de savoir vivre, je tends la paquet à la miss pour qu'elle puisse en prendre une si elle le veut, allumant la mienne au passage.

Je suis pas certaine que Tiago s'attendait à ça quand il m'attendait avant la fin du cours. Je suis pas sûre non plus qu'il s'attendait à ma réaction face à toutes ses questions, à sa soudaine ouverture. C'est marrant parce que moi, ça me paraît évident, que j'fais ça depuiiiiis. Mais j'imagine que c'est les gens qui me connaissent bien pour qui c'est évident. Tiago lui, c'est que la première fois qu'il voit ça.

En attendant, ce que je lui dis, on dirait que ça le touche. Plus que prévu pour lui, moi j'm'en fous. Enfin, j'pense ce que je dis. Donc tant mieux, si ça peut l'aider quelque part. Pas de suite forcément. Ou même juste, le faire revenir vers moi pour qu'on en rediscute. J'sais pas s'il ferait ça, mais ça me dérangerait pas.

J'crois qu'on se plaît tous les deux dans la discussion, et j'en suis moi aussi surprise. Je décide de laisser aller et de voir où on va avec cette discussion dont il semble avoir besoin, et moi prête à lui répondre, à entendre ce qu'il a à dire. On se met en marche vers sa chambre tranquillement, et j'ai l'impression que ça le soulage un peu. Je note qu'il a peut-être envie d'être dans un endroit plus clos, et où il se sent plus en sécurité pour aborder ce genre de sujets. Je peux comprendre, même si c'est le genre de chose qui m'est complètement égal.

Je l'écoute me répondre, il lésine pas et m'explique un peu comment c'était pour lui petit. Ca a l'air pas si éloigné de ce qu j'ai pu vivre hein. Alors je lui lance des regards en biais régulièrement, j'ai l'air sérieuse, je me moque pas de lui du tout.

Hmm. Je vois.

Ca aussi, c'est pas pour faire joli. Je vois vraiment le genre d'environnement dont il parle.

Donc tu décides quand même d'offrir à ta fille un environnement équilibré. Pas comme le tien.

C'est pas rien comme décision. Parce que ouais, certes, sa fille elle grandit ici, mais il aurait très bien pu décider de partir. D'autant plus si Terrae le rend mal à l'aise ces derniers temps.

Puis mate la gueule de la famille.

Je fais un geste circulaire du doigt avec un air amusé, pour désigner la "famille" Terrae. Sacrée gueule quand même non ? On finit par arriver à sa chambre, je le laisse ouvrir la porte et le suis à l'intérieur avant de refermer derrière. Sa chambre est sobre, à peu près rangée. Y a rien qui déborde parce que y a rien à faire déborder. Je scanne le lieu rapidement, sans en avoir l'air tout en continuant de discuter tranquillement.

Je l'écoute parler de comment il voit l'éducation de sa fille, et je hoche la tête. J'ai pas grand chose à y dire, j'veux dire, tout le monde fait comme il peut non ? De ce que j'ai compris, il était pas prévu ce gosse. Mais la gamine est là alors, ouais, il va la soutenir à sa façon, comme il peut. Il m'explique ne pas avoir l'intention de l'éduquer plus que ça, que c'est pas son rôle. Je sais pas trop c'est quoi son rapport, ni même si la petite a un tuteur ou une tutrice.

Hm. Au final, tu vas voir ce qui te paraît le mieux en fonction de ce qu'elle devient si j'comprends bien. C'est cool. Après j'pense qu'on a pas le choix de n'avoir que l'impact qu'ils choisissent. 'Fin, les p'tits ils prennent tout. Après, quand on grandit, on choisit. J'pense.

Je refuse d'un sourire poli sa clope, mais j'affiche clairement ne pas être dérangée par le fait qu'il fume avec moi. Je m'avance dans la chambre avant de me retourner et de m'appuyer un peu contre la table.

Et tu réagirais comment si elle arrivait en te demandant ton avis à toi ? Si elle affirme qu'elle a besoin de toi ?

Je me tourne vers lui et plante mes yeux dans les siens. C'est une vraie question, c'est pas un piège. Peut-être une forme de curiosité mal placée aussi, parce que moi j'pourrai jamais faire ça avec mon propre père. Mais ça il le sait pas non plus.

Je laisse apparaitre un léger sourire quand Elwynn mentionne la "famille" au sens élargi du terme. Ce genre de sourire qui pourrait faire croire que je suis seulement dépité, mais, dans le fond, peut-être pas tant. Même si mes relations ici sont parfois houleuses (comme avec ma famille de sang en fait), je sais que c'est aussi ce qui m'a sauvé.

- "Tu sais, c'est pas moi qui en ai la garde alors, je n'ai pas grand chose à lui apporter réellement. J'essaie quand même d'être là au mieux pour elle, mais je sais que si pour l'instant c'est facile, parce qu'elle est petite, il y a quand même plus de chances pour que plus tard, elle m'en veuille assez pour refuser de m'adresser la parole, plutôt que de venir me parler de ses problèmes."

Mais bon, j'évite de trop penser à ce que ce sera ce plus tard, parce que j'ai déjà bien assez de mal à me démerder avec le présent pour ne pas en plus me prendre la tête avec le futur. Cela dit, Elwynn n'a pas tort. Je n'ai jamais eu l'intention de reproduire le schéma familial que j'ai connu. Pas depuis que ma famille n'est plus la même. Peut-être que le fait que ce soit une fille et non pas un garçon n'y est pas pour rien... Mais sur ce coup là, je vais sagement garder ce genre de réflexion pour moi.

J'allume ma clope en allant ouvrir la fenêtre (j'ai un minimum de manières quand je ne suis pas seul quand même) pendant que Elwynn me pose une question à laquelle j'ai bien du mal à trouver une réponse toute prête.

- "C'est difficile à dire. J'imagine que ça dépend de quoi il s'agit. S'il faut juste se bastonner à expliquer à quelques types qu'ils s'en prennent à la mauvaise personne, ça ne devrait pas poser trop de problèmes. Pour le reste... J'suis pas franchement hyper doué quand il s'agit de trouver les bons mots au bon moment. Evidemment que je lui donnerais mon avis sur la question, et la diplomatie n'a jamais été dans mes tops recommandations... Mais j'suis pas sûr qu'il soit toujours le meilleur à suivre."

Ce serait même plutôt l'inverse. Le nombre de fois où j'ai regretté avoir réagit comme un con, mais juste, sur le moment, c'est plus fort que moi, j'ai beau savoir que ce ne sont pas des choses à dire, ça sort quand même. Et après, c'est encore plus difficile à rattraper. Et si j'aimerais dire qu'avec ma fille ce sera différent, que je serai capable de plus de calme, de prendre sur moi et de mesurer mes paroles, la vérité, c'est que je n'en ai aucune idée.

- "Tu veux boire un truc ? Enfin j'dis ça, mais à part de l'eau ou du coca, j'crois que j'ai pas grand chose. De pas alcoolisé j'veux dire." Est-ce que c'était vraiment utile de le préciser ? "Et, te gêne pas, mets toi à l'aise hein."

Parce que je me rends bien compte que je lui suis un peu tombé dessus après une séance où elle a dû se donner. J'attrape au passage une boite dans laquelle trainent plusieurs paquets de bonbecs et biscuits diverses que je pose sur la table. Ouais, il n'y a pas grand chose de sain à consommer chez moi...