La journée de cours se termine enfin - comme d'habitude, longue et chiante. Pourtant j'aimais bien l'école, avant ; même si je faisais souvent le pitre pour amuser la galerie, dans le fond j'aimais aussi apprendre de nouvelles choses. Surtout quand il était question de math et de sciences (j'avoue que l'histoire/géo, ça n'a jamais été mon truc, urgh). Mais maintenant... Bah, sans vouloir faire la grosse tête, j'ai pas franchement l'impression d'apprendre grand chose ; les cours sont surtout des redites de tout ce qu'on nous a déjà bourré dans le crâne au Centre. En plus, je n'ai ni Liz, ni Aylan, ni même Lola avec qui discuter ou faire des âneries dans le fond de la classe, vu qu'ils sont dans l'année en dessous... Y'a bien Miguel avec qui je partage certains cours, mais, euh. Ouais. Depuis nos retrouvailles assez intenses (c'était pas très viril mais c'était l'émotion, ok), on ne s'est pas trop parlé. C'est pas que j'ai pas envie, c'est juste que... J'sais pas. Quoi lui dire. Comment me comporter avec lui maintenant qu'on n'a plus de cadre. Bref, tout ça, quoi. C'est possible que je l'évite un peu, j'avoue.

Je soupire en sortant de la classe, sac sur le dos. J'ai envie d'aller courir pour me dégourdir les jambes et le corps ; rester assis sur une chaise pendant toute la journée, comme ça, c'est vraiment l'enfer. L'ennui me bouffe carrément toute mon énergie, j'me sens amorphe et je déteste ça. Je sens bien que toute cette situation commence vraiment à me frustrer, mais j'sais pas quoi faire pour l'améliorer (à part sécher, mais après j'me tape des retenues, génial). J'ai bien essayé de discuter avec le prof référent pour passer mes examens en avance et avoir mon diplôme - mais le problème, c'est que je suis une grosse bille en japonais. Et sans ça, ça ne passera jamais... Donc voilà, j'suis coincé et ça me saoule.

Tête baissée et épaules voûtées, je tourne à l'angle d'un couloir - un peu trop brusquement et sans regarder où je vais - et me prends un mec de plein de fouet (ouais bon, si c'est une meuf, elle est grande et a les épaules carrées hein-). J'me retrouve évidemment sur le cul comme un con.

"Putain mais tu sais pas regarder où tu vas ??"

Je relève un regard hargneux vers... ... ... Haha. Ha. Lol. C'est Miguel. Bah évidemment.

"Désolé. Je t'avais pas vu."

Je déteste cette voix tendue qui sort de ma gorge. Je déteste ce mouvement de recul que mon corps effectue sans mon autorisation, mon regard qui se détourne. Je déteste que même ici, maintenant, après tout ça, un vague sentiment d'angoisse m'étreigne l'estomac.

Miguel soupire. Il grandit trop vite, ses vêtements sont déjà presque trop petits... Mais il faut bien qu'il fasse sa dernière course de la journée alors il se contentera de son jogging qui lui sert habituellement de pyjama et un marcel délavé qui le serre déjà. Sac à dos avec de l'eau, des barres protéinées et une orange, il était prêt... même si mentalement, il n'y était pas du tout. Miguel ne fait que bouger. S'il n'est pas en cours ou en train de faire ses devoirs, il a encore gardé ses habitudes militaires malgré le retour de toute sa bande auprès de lui... Il ne savait faire que ça. Aylan s'était adapté depuis un moment, les filles avaient trouvé des occupations et Brad... Miguel soupire encore...

Il croisait Brad en cours parfois. Miguel s'affalait sur sa table, ses bras encerclant son visage, pour pouvoir l'observer discrètement sur le côté : il avait l'air en forme... Il ne pouvait que se fier qu'à ce qu'il voyait car ils ne se parlaient pas. C'était plus facile avec les pequeños, mais Blondie, c'était différent. Entre leurs derniers moments au Centre et les retrouvailles qui l'ont complétement secoué, Miguel ne savait pas s'il pouvait lui parler et n'osait pas faire le premier pas. Est-ce qu'il était en colère ? Est-ce qu'il avait peur ?... Est-ce qu'il le haïssait ?... Trop de question que Miguel tentait de faire disparaître en courant pendant des heures ou en soulevant de la fonte, en continuant à lancer des couteaux, en allant à des cours qui ne lui servent à rien. Ça ne fonctionnait que trop rarement, ses réflexions revenant toujours à sa situation. Il était libre pour la première fois de sa vie, pourtant il ne s'est jamais senti aussi emprisonné dans son esprit.

Donc il n'est pas si étonné que ça de percuter quelqu'un au détour d'un couloir... Il est plus étonné par la voix. Et puis la réaction. Brad évite soigneusement son regard après avoir reculé. Ah... Évidemment. Miguel détourne le regard à son tour, évitant soigneusement d'exprimer une quelconque émotion, avant de retirer une main de ses poches et de la tendre, paume en avant, tout doucement, pour aider Brad à se relever. :

-Hm.

Yes ! Let's go queen ! Give us nothing ! :

-J'veux dire... excuse-moi aussi, j'avais la tête ailleurs.

Pause. Un coup d'œil de côté. :

-Tu as fini les cours ?

Je reste prostré au sol pendant quelques instants, jusqu'à ce que Miguel tende la main vers moi pour m'aider à me relever - il la tend tout doucement, comme pour ne pas m'effrayer. Et j'me rends compte que ouais, ce mouvement de recul instinctif, c'était effectivement de la peur. Et qu'il l'a bien remarqué, évidemment... Je prends sa main et m'en sers d'appui pour me remettre debout, le regard toujours détourné sur le côté. C'est finalement quand le brun s'excuse que j'ose poser mon regard sur son visage, les sourcils légèrement froncés. Je le scrute un moment, il a l'air... Mal à l'aise ? Au moins autant que moi - mais sûrement pas pour les mêmes raisons. Je me racle la gorge en me passant une main dans la nuque, baissant à nouveau les yeux.

"Ouais, c'est pas grave, j'étais distrait aussi."

Et puis quoi, maintenant ? J'le contourne et je continue mon chemin, comme si c'était juste un inconnu que je venais de bousculer ? Est-ce que c'est ça qu'on est devenu après tout ce temps, des inconnus ? Ma gorge se serre de façon désagréable à cette pensée, et j'ai du mal à interpréter cette réaction. Mais j'ai pas vraiment le temps d'y penser plus que ça, parce que Miguel reprend la parole pour me demander si j'ai fini les cours. Je hoche la tête.

"Ouais. C'était chiant. Je rentrais me changer pour aller courir un peu."

Il sait à quel point j'aime ça - juste courir. Et je sais que lui aussi. C'est un des rares trucs plaisants qu'on partageait tous les deux ; pas besoin de mots inutiles, pas besoin de penser non plus, juste du mouvement. Je relève finalement les yeux vers le Feu, vers sa tenue de sport. Je sais pas si c'est juste une impression parce que son marcel est vachement serré, mais il a l'air plus imposant qu'avant, plus large. Moins un ado, plus un homme. J'ai encore plus honte de mes bras trop longs et trop fins, d'un coup. J'suis resté silencieux à l'observer trop longtemps là, c'est chelou, faut que je dise un truc...

"Toi aussi ? Ou t'allais juste au gymnase ?"