Des cernes jusqu’en bas d’un visage qui s’affaissaient sur lui-même surplombaient un corps mou et des épaules toutes aussi flasques. Les yeux vides, Senri acquiesçait mécaniquement la tête devant la réceptionniste des thermes et son discours. S’il avait été dans son état normal, il lui aurait demandé d’abréger, mais là, il sentait que s’il ouvrait les lèvres ne serait-ce que d’un centimètre, un filet de bave allait couler de sa bouche tant son état de fatigue était alarmant.

La raison de cette drôle de situation, c’était le premier jour de cours de Senri à Terrae. Le cocktail d’excitation et de stress à l’idée de découvrir un nouvel environnement scolaire avait réussi à l’empêcher de passer une nuit correcte. Il avait fermé l’œil trente minutes avant que son réveil ne sonne. Ça ne manqua pas ; il arriva en retard à son premier cours en baillant à s’en arracher la mâchoire et encore plus susceptible que d’ordinaire. Malgré tout, il était décidé à changer cette année, voilà donc pourquoi, il s’était donné à fond pour suivre le cours. Malheureusement, cette décision aurait dû être prise au moment où on lui avait donné les notions à rattraper avant la reprise des cours.

Chose qu’il n’avait pas faite. Mais voulant tout de même montrer de la bonne volonté, il s’était tué à la tâche tout en gardant son calme un maximum -bien qu’il ait cassé la moitié de ses fournitures de bureau, il était allé jusqu’à emprunter des livres à la bibliothèque pour approfondir ses connaissances après les cours -alors qu’il n’avait pas encore lu ce qu’on lui avait donné pour combler ses lacunes. Il avait néanmoins trouvé le courage d’aller faire un tour à la salle d’entraînement où il avait croisé des camarades. Désireux de faire bonne impression, il s’était donné au maximum. Mais voilà, il s’était encore plus vidé de son énergie. Ses batteries étaient à plats, totalement. Comme s’il ressortait de l’un de ces rudes combats de boxe contre un adversaire trop mobiles ou l’un de ces interminables matches de volley où aucune équipe ne se décide à donner deux points décisifs à l’autre.

C’est en se souvenant qu’il était passé devant les thermes, il y a quelques jours, que la perspective de finir cette journée sur une note chaude et relaxante l’avait immédiatement séduite.

Pendant qu’il retraçait sa journée intérieurement, la réceptionniste avait terminé son exposé des diverses règles et indications concernant un bain dans cet établissement. Lorsqu’elle demanda à Senri s’il avait bien compris, il mentit bien évidemment en répondant oui. De toute façon, ça ne devait pas être sorcier.

Il se traîna à l’intérieur du bâtiment, se dirigea à un endroit où il récupéra un bac et des serviettes et alla se changer dans une cabine réservée à cet effet. Cabine qui lui parut assez intimiste et étroite pour des bains publics. Étaient-ils si peu fréquentés ? Il lui avait semblait voir un bassin plus grand en arrivant, pourtant. Bah, ça n’avait que peu d’importance. Senri tira le portail coulissant qui menait aux thermes pour découvrir un endroit idyllique.

Une eau limpide contenue dans un petit bassin de pierres noires joliment creusé, les roches formaient une sorte de toit au fond du bassin, dont le contour étaient lui-même décoré de petites fleurs poussant çà et là. Des cailloux polis par la chaleur sortaient parfois de l’eau pour que l’on puisse s’y adosser, sûrement. Il jeta ses serviettes sur le sol et pénétra dans l’eau. La douce chaleur l’envahit rapidement lui procurant rapidement un bien-être incroyable. N’ayant plus aucune notion de bienséance, il se laissa tomber dans l’eau et y flotta, un sourire d’imbécile sur le visage et des yeux mi-clos.

-C’t’endroit est trop cool, j’comprend pas pourquoi personne viens…

Même sa voix semblait s’être apaisée avec le bain et déjà, il sentait déjà ses forces se restaurer. Il ne voyait pas ce qu’il pouvait arriver de mal à présent.

Senri avait faillit cuir et s’évanouir avec la chaleur lorsqu’il avait fait la planche dans l’eau -chose au combien irrespectueuse mais personne n’avait pu le voir. Il s’était rapidement calé contre un rebord et avait laissé l’air frais faire contraste sur son visage avec la température élevée de l’eau. Se laissant de temps à autre, coulait jusqu’au nez et barbotant. Il avait, par mégarde, avalait de l’eau de travers quelques fois déjà, mais ça ne parvenait pas à entacher son bonheur. Il sentait avec plaisir ses muscles se détendre et reprendre du poil de la bête.

C’est à ce moment-là que la porte coulissa à nouveau. L’adolescent au crâne rasé releva la tête, arquant un sourcil, légèrement curieux de voir qui pouvait bien venir ici. Les yeux sombres du garçon s’écarquillèrent en voyant le corps mâte parfaitement sculpté de ce nouvel arrivant. La bouche sous l’eau à ce moment, il serra les dents et avala une nouvelle gorgée d’eau par inadvertance.

Il fut alors pris d’une violente quinte de toux, il se leva brusquement et remua l’eau, éclaboussant les rebords. Il tapa plusieurs fois contre son torse pour reprendre de sa contenance. Son visage déjà rougi par l’eau des thermes, tenait maintenant plus de la tomate que de l’humain. Il jeta un regard, aussi noir et intimidant que lui permettait son visage cramoisie, vers le nouvel arrivant. Ce dernier s’attelait à se doucher avec les petites douches mises à disposition. Mais… Pourquoi ? Si on allait dans le bain c’était pour se laver, non ? Pourquoi se laver avant ?

Senri resta planté ainsi dans le bassin, l’eau arrivant à son bas ventre, dont l’intégralité était découverte rappelons-le, pensif. Il tentait de convoquer sa mémoire, à quoi pouvait bien servir ses douches ? N’ayant jamais eut l’occasion de profiter d’un bain public, trop pauvre pour, il n'en connaissait pas les eusses et coutumes. Puis il se souvint de la phrase de la réceptionniste « douchez-vous avant de vous baigner ». Senri se sentit à la fois très honteux et affreusement vexé, qu’un étranger connaisse mieux le fonctionnement de quelque chose qui venait directement du japon, son pays, il ne pouvait le supporter ! Son patriotisme en prenait un coup.

-Tch.

Pourtant, il aurait paru logique à n’importe qui de faire comme si de rien n’était, se caler dans un coin et se relaxer tranquillement. Mais, Senri n’était pas n’importe qui. Il sortit du bassin, attrapa rapidement l’oreillette traductrice, il avait eut la présence d’esprit de séparer avant d’entrer dans le bain, et prit place à côté du jeune homme, roulant des mécaniques pour se donner une démarche qu’il avait vu dans des films de yakuza et faire ressortir ses muscles.

Car il y avait aussi de ça, ce gars qui venait d’entrer, se pavanait avec sa musculature parfaite mais il n’était pas le seul dans ce bassin à avoir un corps forgé à toute épreuve. La différence entre eux était néanmoins tangible, l’homme à la peau mâte avait une musculature harmonieuse, un parfait mélange de beauté et d’efficacité. Senri, lui, arborait une silhouette qui trasnpirait l'efficacité et seulement l'efficacité, dans le sens où, sa peau se serrait contre ses muscles. N’étant pas pourvu de beaucoup de tissus graisseux, son surplus de muscles s’entassait sous sa peau de manière chaotique, l’eau sublimé encore plus le tracé presque mécanique de ses deltoïdes lorsqu’il attrapait le pommeau pour se passer l’eau ainsi que les autres ustensiles de toilette. Les gouttes peinaient même à couler sur son torse, devant se frayer un chemin entre les renflements diverses et variées.

Il arborait en plus de ça, un visage sombre, menaçant. Il tourna la tête vers l’homme, alors que l’eau dégoulinait toujours de son visage cramoisie, il lança quelques mots sur un ton intimidant mais également ponctué par les bruits de l’eau qui tombait d’une lèvre à l’autre et envahissait parfois sa bouche.

-J’me lave pas parce que j’ai oublié. Mais parce que une légende raconte que quand t’étouffe dans un therme…

Il arrêta le jet d’eau, en plus d’être agaçant et inconfortable, ça n’avait pas du tout l’effet dramatique et ténébreux que Senri espérait.

-C’est que les défunts du thermes obstrue tes poumons. C’est pour ça qu’on a mis des douches dedans à l’origine. Pas pour l’hygiène. Mais pour l'exorcisme.

Il n’y avait pas d’excuse plus grossière et capillotractée. Néanmoins, Senri semblait croire dure comme fer à son histoire. Une boule venait même de naître dans son ventre, car, dans son esprit, ce qu’il venait de dire paraissait parfaitement logique et ainsi, ça l’effrayait.

Au moins, il ne se rendrait pas tout de suite compte qu’il passait pour une espèce d’imbécile aux yeux de l’homme à ses côtés.

D’un geste sec, Senri ferma le robinet. Son corps s’était crispé en même temps qu’un sourire jaune s’était inscrit sur son visage. Son interlocuteur l’avait, ouvertement, insulter. Senri serra dents, poings et fesses. Ce n’était pas pour contenir la perte de ses moyens, mais plutôt par effarement. L’attaque verbale avait été si violente qu’elle l’avait cloué sur place. Lorsque l’adolescent sentit les yeux dorés se poser sur lui, une boule se créa dans son ventre. Il détestait qu’on le regarde. Surtout avec autant d’intensité. Le regard neutre et l’aspect bienveillant du jeune homme à la peau mâte ne purent être assimilés par Senri, trop occupé à alimenter une colère sourde pour combattre sa honte. Pourtant, il restait cloué là, sans savoir quoi faire.

Ce qui permit au brun aux yeux d’or de se lever et de tranquillement se diriger vers le bassin. Senri le suivit du regard. Les muscles du cou de l’adolescent étaient si crispés qu’on aurait presque pu entendre un grincement accompagner le mouvement saccadé de sa tête. Il n’en revenait pas. Après l’avoir insulté comme ça, il entrait tranquillement dans le bassin !

Enfin, le corps de Senri parvint à bouger. Il se jeta en avant et élança sa main vers l’épaule du brun.

-Qui tu traites d’idiot ?!

Mais au moment où la paume pâle de Senri allait toucher la peau sombre de l’Apolon, la paume de ce dernier s’embrasa. C’était une flamme relativement petite, mais, qui sortait de nul part. Pour être plus exact, elle sortait de la peau de l’homme. Dans un réflexe de survie qui l’impressionna lui-même, Senri tira son bras vers lui et fit un bond en arrière.

-Woh ! C’était bien du feu ?

La colère avait laissé place à un mélange d’étonnement, de peur, mais aussi de jalousie et d’admiration sur le visage de Senri. La peur s’exprimait par la contraction de la bouche du garçon, l’étonnement, par ses yeux et sourcils écarquillés et les deux derniers sentiments, par les yeux brillants du jeune chauve.

Senri avait entendu parler des pouvoir de Terrae, mais simplement en théorie. Il avait toujours pensé que ça ne serait que de petits avantages, pas vraiment spectaculaire. Mais c’est vrai qu’on lui avait parlé d’élément. Néanmoins, l’adolescent n’arrivait pas à croire à ce qu’il voyait. Il se redressa et tenta néanmoins de reprendre contenance. Bombant légèrement le torse, il s’approcha du bassin et y entra.

La chaleur autour du faiseur de flamme garçon était légèrement plus élevé, mais Senri n’en laissa rien paraître. Il prit une grande inspiration et s’avança dans l’eau brûlante. Toujours debout, mais en contrebas par rapport à son interlocuteur, Senri se tourna vers lui et lui lança un regard dont ne pouvait se détacher un soupçon d’intimidation et de défi.

-C’est ça tes pouvoirs à Terrae ? Tu les as depuis longtemps ?

La voix de Senri, bien qu’elle fût toujours teintée de cette insolence et de ce ton grossier qui caractériser Senri, elle trahissait d'une forte excitation quant à l’optique d’en apprendre plus sur ces fameux pouvoirs.

Une veine commençait doucement à apparaître sur le front de Senri. De plus en plus, la présence de l’homme en face de lui l’énervait. Le ton qu’il employait, la manière dont il traitait Senri avec ses sarcasmes… Lorsque le brun intima à Senri de s’asseoir, ce dernier croisa les bras contre son torse jetant un regard aussi brûlant que les flammes du brun.

-Y a peu de chance que je glisse d’une quelconque manière. Je m’assois juste, car j’ai peu froid, okay ?!

Après avoir dit ça, il fléchit les jambes pour s’asseoir en tailleur au milieu du bassin. L’eau lui arriver à mi-poitrine. Ses longues mains étaient posées sur ses genoux et il se tenait bien droit. Il avait les yeux rivés sur le « feu « . Il faisait virevolter une petite flamme autour de lui et parlait tranquillement. Senri ne pouvait s'empêcher de déceler du mépris dans chacune des phrases de son interlocuteur.

La boule de colère perpétuellement présente dans le ventre de Senri se manifestait avec plus d'engouement face au brun. Malgré tout, les dernières paroles du feu, bien qu'ayant heurté l'égo de Senri, éveillèrent cet instinct de compétition naît de son évident complexe d'infériorité. Un rictus mauvais se figea sur la face du chauve.

-Tu penses que tes pouvoirs te rendent fort, c'est ça ?

Certes, Senri n'avait pas oublié la surprise et la crainte que le feu du brun avait fait naître chez lui. Néanmoins, il choisit de ne pas la mentionner. Ignorer ce détail pour le faire tomber dans l'oubli.

-J'imagine qu'on obtient nos pouvoirs après un certain temps passé ici, vu ce que tu me racontes.

Senri s'était relevé pour aller attraper une serviette sur le rebord du bain et essuyer son front tournant le dos au basané. Les gouttes qui s'écoulaient sur son dos dessinaient les traits saillants et épais de ses muscles. Le dessin des omoplates contractées de l'adolescent accentuait le caractère imposant de son dos. Encore une bonne occasion de se la péter. Une fois qu'il eut chassé l'excédent de sueur sur son front, Senri jeta un regard brillant à son interlocuteur.

-T'es pas une crevette non plus, tu m'diras.

Il se tourna et s'adossa contre le rebord, les mains sur ce dernier. Les bras et épaules contractées annonçaient les intentions belliqueuses du garçon.

-J'suis curieux de voir si c'est pas devenu de la gonflette pour aller avec ton visage « parfait », maintenant que tu te reposes sur tes « super »-pouvoirs.

Notons les progrès en matière de bienséance et d’étiquette de Senri ; il demandait poliment la permission de faire jouer de ses poings. Avant, il l'aurait demandé aussi certes, mais après avoir écrasé son poing dans le nez de son interlocuteur. Il avait aussi fait preuve d'un soupçon de repartie. Digne d'un collégien, cependant.

C'était néanmoins un progrès en soi.

Une nouvelle route… C’était ce que ce jeune homme avait dit pour parler de ce son pouvoir lui avait apporté. Senri avait arqué un sourcil, laissant un « Ah... » aussi silencieux que déçu sortir de ses lèvres. Il ne pensait pas que les pouvoirs étaient si décevant. Est-ce que ça avait un réel intérêt, finalement ? Senri n’eut pas vraiment le loisir de penser à cette question. Son attention se reporta très vite sur son interlocuteur.

La veine sur son front s’intensifia. Sa lèvre supérieure se tordit dans un rictus colérique, laissant entrevoir ses dents serrées à l’extrême. Elles étaient si serrées qu’elles donnaient l’impression de pouvoir se rompre les unes contre les autres.

Le basané avait réagi à la provocation du japonais de la pire manière qui soit, il l’avait repoussé. Senri se sentait comme ces personnages dans les shojos qu’il lisait, -dévorer serait plus exact comme terme. Bafoué et humilié. Le brun avait pris une posture différente, se prélassant sur le rebord. Puis il commença à parler. Chaque nouveau mot nourissait le monstre colérique au fond du ventre de Senri. Il grondait, se débattait, il voulait sortir. Lentement, les bras trop musclés du chauve quittèrent le rebord pour retomber contre le corps du garçon. Son dos se décolla aussi du rebord.

Senri ne souriait plus, il se contentait de froncer les sourcils, de fusiller d’un regard opaque son interlocuteur et de contrôler, tant bien que mal, les tremblements réguliers causés par son rictus colérique.

-Tu te prends pour qui à donner des leçons comme ça, « roi » ? T’as cru que j’étais un de tes sujets ?

Il avait mimé les guillemets avec ses doigts tout en faisant quelques pas vers le jeune homme. Avec cette démarche de voyou qui devenait beaucoup trop instinctive et naturelle.

-Qui t’as dis que tu étais plus fort que moi ? Au point de pouvoir me « recommander » ? Tu penses vraiment que j’ai besoin de les apprendre, ces « deux trois trucs » ?

Bon, là. Senri était de mauvaise de foi. Il irait sûrement rencontrer cette Elwynn pour se faire casser le visage et en redemanderait. Cela étant, dans l’instant présent, sa fierté avait été beaucoup trop agressée pour qu’il puisse retenir ses paroles et ses actes. Senri arriva à un demi-pas de son interlocuteur, étant donné la position de ce dernier, le crâne chauve du tas de muscle stupide arrivait à la hauteur du crâne brun.

-T’es pas le seul à t’être toujours battu. Tu m’fais penser à ces gars qui me prenaient pour de la merde, en primaire. Ils étaient plus fort et plus nombreux, au début. À la fin…

Il marqua une pause, plongeant son regard dans celui de son interlocuteur.

-Ils avaient même plus assez de dent pour la bouffer, leur merde.

La colère de Senri était palpable. Ça se sentait, car la crédibilité de ses paroles avait encore baissé d’un cran. Néanmoins, ça avait eut le mérite de le calmer un peu. Il se détendit lentement, expirant longuement et détournant les yeux par la même occasion.

-De toute façon, j’vois pas l’intérêt de me battre contre quelqu’un d’effrayer au point de me conseiller quelqu’un de plus fort que lui pour me battre.

On pouvait distinguer un soupçon de mépris dans le regard de Senri. Soupçon, car il n’arrivait pas encore bien à faire disparaître son rictus de colère et affichait une autre émotion que celle-ci.

En réponse à la non-réaction de son interlocuteur, Senri alla s’asseoir à l’opposée du bassin. S’asseyant en tailleur et croisant les bras. Une moue à la fois outrée et colérique sur le visage. Même lui, avait conscience que dans la « confrontation » - qu’il avait créé et qu’il perpétrait, il avait le rôle du perdant et de l’imbécile. C’était pour ça qu’il s’emportait si facilement ; il n’arrivait jamais à réagir comme ce garçon en face de lui dans ce genre de situation.

Avec calme, en restant parfaitement serein face aux provocations. Le pire, c’est que même en essayant de se mettre à la place du brun, il ne comprenait pas comment cela lui était possible. Non, la colère embuait bien trop l’esprit du garçon. Et voilà qu’un silence gênant – seulement pour Senri – s’était installé. Ce bellâtre si fichait de lui, c’était sûr ! Il le voyait ricanait pernicieusement sous son air stoïque et impassible. On ne le trompait pas !

Cela étant, la honte et la peur d’être à nouveau ridiculisé l’empêchaient de faire quoique ce soit. Ou plutôt de se décider sur quoi faire. Il avait bien compris que frapper ce garçon n’était pas une bonne idée. Il savait de toute façon, que frappait les gens était rarement une riche idée, malgré ce que ses actes laissaient penser.

Ainsi, même s’il avait assez envie de mouler les dents avant de l’homme en face de lui, sur le rebord du bain, Senri se retenait. Il devait se retenir. Il inspira longuement, et expira de la même façon. Profitant du calme, de la chaleur du bain. Oui, c’était clairement ça qu’il fallait faire. Oublier la présence de l’autre, se laisser aller.

-Raaaaah ! C’est trop bizarre de rester là sans rien dire après ce qu’on vient de dire !

La puce traductrice du brun aurait du mal à traduire cette phrase.

Senri avait accompagné ses mots en tapant dans l’eau avec son poing gauche. Il avait maintenant sur le visage, un air plus agacé que colérique. La nuance était mince, certes, mais il donnait un peu moins l’impression de vouloir étriper l’autre baigneur.

-Puisque t’as l’air infiniment plus intelligent que moi… Tu pourrais m’expliquer un peu la vie quand… on a des pouvoirs ? Dans mon dortoir, y a que des gens normaux, je crois…

Si Senri parvenait à prendre autant sur lui, c’était aussi parce que, au fond de lui, il était toujours intrigué par les flammes qui avait volé autour du garçon. La lueur curieuse de ses yeux avait été éclipsée par celle de sa colère. Cela dit, maintenant qu’il tentait de rester calme, sa curiosité était un peu plus évidente.

Senri était étonnamment attentif aux dires de son camarade de baignade. Oubliant, le temps de la discussion sa colère. Le jeune homme ne s’était jamais rendu compte – en presque dix-huit ans de vie – que se concentrer sur autre chose avait le don de l’apaiser.

Il avait ramené ses genoux contre son torse et acquiesçait ponctuellement avec verve pour montrer qu’il avait enregistré les informations. Son visage se crispait parfois, à l’entente de certains propos. S’il ne ressentait plus de colère, ça n’empêchait pas cette dernière de déformer son visage et ses traits. Néanmoins, la curiosité continuait d’illuminer le regard du jeune Yamada.

Plusieurs questions apparaissaient dans l’esprit de ce dernier à mesure que l’exposé de son camarade de baignade continuait. Il prit son mal en patience, trop avide de connaissance pour couper la parole au brun. Cela dit, quand la différence qu’impliquait les pouvoirs et le traitement des forts avec les faibles furent mentionnés, Senri ne put garder un silence complet.

-Tch.

Ce n’était qu’une très discrète preuve de son agacement, mais qui en disait long. Sa bouche s’était crispée et ses dents serrées, il avait dans le même temps détourné le regard. Comme s’il chassait mentalement quelque chose. Son complexe d’infériorité, peut-être ?

Il reporta rapidement son regard curieux sur le bellâtre, ses traits s’adoucissant légèrement à la mention des Masters. Le fait qu’ils soient présentés comme des concentrés de puissance alimentait certes la combativité du tas du muscles sans cervelle, mais, attisait également son admiration. Il devait les rencontrer !

-Ils ont l’air super cool, ces masters ! Cette Elwynn dont tu as parlé, elle l’est aussi ?

Se rendant compte qu’il était beaucoup trop enthousiaste en présence de cet homme, il fit disparaître son sourire d’excitation et adopta un visage plus distant. Détournant le regard et se crispant dans une moue qui transpirait la gêne malgré lui.

-J’dis pas ça parce que tu m’as conseillé d’aller la voir, hein. C’est juste que t’as dis qu’elle était forte. Donc… Voilà quoi.

Il devait vite enchaîner sur autre chose pour se sortir de cette situation bien trop gênante à son goût.

-Et comment on peut être sûr qu’on va avoir des pouvoirs ? Je veux dire, j’ai jamais eu l’impression d’être différent des autres gens. Fin, pas comme dans les comics ou les mangas, quoi. Mais c’est pas pour ça que j’suis pas comme tout le monde, hein !

En plus de rendre son discours incohérent, sa dernière phrase avait été dite avec un ton outré. Comme s’il se défendait du possible jugement de l’autre homme.

-Hum, donc on devient Master avec le temps ? Genre, comme si on faisait pousser une plante ? Et le terreau, l’eau et tout ça, c’est notre pouvoir ? Ou le contraire… Tch. J’aime pas les métaphores.

Il se gratta compulsivement la tête en baissant le regard vers l'eau. La phrase du garçon en face de lui l’avait réellement intrigué. Accéder à un tel degré de puissance était tentant, mais combien de temps cela lui prendrait-il ? Il avait mit tellement de temps à perfectionner son corps alors, sa patience serait au rendez-vous, néanmoins, il craignait que des gens ayant simplement atteint le rang de master soit à un degrés de puissance bien supérieur au sien, malgré son acharnement.

Néanmoins, il étouffa cette crainte et continua d’écouter le discours de son camarade de baignade. Il ne releva pas la pique faîte à Spider-Man, ni ce « ce serait mauvais pour toi » qui lui fit néanmoins grincer des dents et grogner. S’il arrivait autant à se contenir, c’est parce qu’il était rassuré sur un point ; il allait avoir des pouvoirs. Sa convocation à Terrae n’était pas faîte au hasard selon son interlocuteur. Chacun avait un rôle à jouer.

Notion que Senri ne comprenait pas encore tout à fait. Ces histoires de pouvoir, de réhabilitation, de place, rôles… Terrae donnait beaucoup pour finalement, ne pas recevoir grand-chose.

-Mais, juste en venant à Terrae, on a le droit à tout ça ? Ils attendent quoi en retour ? Ce rôle… on peut le refuser ou c’est comme signer, genre, un contrat ?

Il se gratta la tête, tandis que son regard se perdit à nouveau dans l’eau clair. Il finit par relever les yeux sur le jeune homme, les sourcils légèrement froncés, comme d’habitude.

-Pourquoi t’es venue ici toi, du coup ?

L’intrusion dans la vie privée de son interlocuteur était relativement innocente. Senri voulait juste essayer d’en savoir plus sur le « potentiel » qu’avaient les habitants de Terrae en commun.