Est-ce que cette histoire de Morphes bourrés est une tentative pour me rassurer ? Non mais ça va, je ne flippe pas hein. Genre, s'il devait y avoir des trucs chelous dans la forêt eh bah j'les défonce et puis c'est tout ! Bref, il n'est de toute façon pas question que je fasse demi-tour, donc j'essaie de limiter mes envies de tout cramer à chaque nouvelle agression de la part de tous ces végétaux, pour suivre Afya.

- "Heu, ok."

Ouais d'accord, c'est bien joué. Évidemment que je ne vais pas refuser de la rattraper si elle venait à perdre l'équilibre ! Mais bon, avancer main dans la main, c'est quand même un peu bizarre non ? Pas beaucoup plus que cette façon de m'inviter à fermer les yeux en fait. Pourtant, j'accepte sans trop de difficultés sa demande, m’exécutant pour la laisser me conduire sur les derniers mètres. Sans pouvoir réprimer très longtemps l'évidence.

- "Fait gaffe avec ce genre de proposition quand même, ça pourrait presque ressembler à un plan drague !"

Nan mais ça va, il n'y a forcément pas que moi qui y pense ! Et puis mon sourire taquin qui accompagne ces paroles est de toute façon très vite effacé par la vue qui s'offre effectivement à moi à l'instant où j'ouvre de nouveau les yeux. Ok, c'est vachement cool. Et ce n'est clairement pas dans mes habitudes de me poser où que ce soit pour seulement observer le paysage, mais je dois reconnaitre qu'il y a un côté apaisant. Il me faut donc quelques secondes de silence avant que je ne trouve des mots correspondant à mon état d'esprit actuel.

- "Ouah. J'imaginais pas qu'un tel endroit existait à Terrae. C'est... Bluffant. Même si je me demande un peu comment t'en est venue à le découvrir !"

Et pour rendre ce moment encore meilleur, je sors un paquet de clopes de ma poche, en coinçant une entre mes lèvres, avant de le tendre à Afya pour l'inviter à en prendre une, me souvenant qu'elle en avait déjà pris la dernière fois. La seule différence étant que je n'ai désormais plus besoin de me trimballer avec un briquet !

- "En fait, c'est assez incroyable. Tu as vraiment une vie hyper... Droite. Enfin, c'est pas une critique ni même un reproche mais, t'as jamais eu envie de faire des choses plus excitantes ? Tu sais, de pouvoir ressentir ces frissons d'adrénaline."

Je refuse de croire que des gens peuvent vraiment se satisfaire d'un rythme de vie hyper sain et posé ! Pas avant d'avoir atteint la quarantaine à s'être transformé en vieux sage après avoir profité de tout ce que peut offrir la vie en tout cas !

Un petit rire brise le silence, un plan drague réellement ? Cela lui semblait tellement invraisemblable qu’elle n’avait pu le retenir. Elle regarda l’homme dans la pénombre. Il n’était pas laid, mais, elle ne se sentait nullement attiré par lui. Elle n’a cependant pas le temps de clarifier la situation car il a ouvert les yeux. Elle le laisse apprécier la vue qu’elle aime tant. Il a l’air stupéfait.

« Tout simplement, l’été il faisait chaud, je me suis réfugiée à l’ombre des arbres et m’y suis endormie, en me réveillant à la nuit tombée j’ai vu ça. »

Histoire simple, elle ne dit pas que si elle s’était autant enfoncée dans la forêt c’était car elle avait peur de croiser du monde. Finalement, quand elle s’éloignait un peu des sentiers, elle croisait parfois Akkiko et c’était toujours surprenant et plutôt agréable. Elle n’en dirait pas un mot, se saisissant de la cigarette que lui tendait le feu, elle la porta à ses lèvres et le laissa l’allumer avant d’en tirer une taffe.

« Je n’y ai jamais songé figures-toi. Je pense que je ne saurais même pas comment faire à vrai dire si je voulais changer quelque-chose. J’aime bien ma vie, elle est simple mais rarement ennuyante. »

C’était elle la fille ennuyante sans doute, mais ce n’était pas bien grave elle avait pleins d’amis géniaux et extravertis. Ils vivaient des histoires géniales et les lui racontaient, puis elle lisait pleins de récits d’aventuriers et cela lui suffisait.

« Et ce n’est pas un plan drague hein ? »

Oui, il fallait qu’elle le clarifie, parce que… Parce que ça devait être clair ! Elle de draguait pas Tiago, elle le faisait juste rentrer dans son univers. Peut-être pour qu’ils puissent se dire amis, plus que simples connaissances.

Ce serait mentir de dire que je ne ressens pas l'effet apaisant de l'endroit. Après... Bah je suis quand même assez nerveux de base hein, donc il va en falloir plus pour que j'ai l'impression d'être parfaitement détendu. Chose qui n'arrive pas sans aide de type psychotrope en fait. Mais la façon qu'a Afya de dire les choses réussi toujours autant à me donner l'impression d'être plus léger.

- "Ahah, nan, ok, pas de plan drague."

Non, Afya n'est clairement pas le genre de fille avec qui j'envisage de passer la nuit. Dans un lit. Pas qu'elle ne me plaise pas, physiquement elle a tout ce qu'il faut pour que je puisse m'intéresse à elle mais, j'ai bien eu le temps de comprendre qu'elle n'est pas de celles qui se laissent facilement tenter par un plan d'un soir. Et je ne suis pas particulièrement patient.

- "C'est un peu bizarre pour moi de passer du temps avec une fille juste, pour apprendre à la connaitre. Mais je dois admettre que c'est pas désagréable."

Et je suis plutôt honnête. Ce n'est clairement pas dans mes habitudes. Mais Afya n'est décidément pas comme les autres. Pas comme celles que je connais en tout cas. Et ce n'est pas plus mal.

- "Tu m'as fait découvrir beaucoup de choses ce soir. Alors, si ça te plait, je pourrais peut-être aussi te montrer certaines choses de mon monde. Des choses très différentes. Enfin, si tu es d'accord évidemment."

J'ai eu un léger moment de doutes. Est-ce que je lui propose vraiment de s'embarquer dans mes histoires ? Elle qui a l'habitude du calme et de la tranquillité. Elle qui n'a rien à voir avec tout ça. Ce n'est sûrement pas hyper responsable de ma part mais... Eh, ce n'est pas comme si j'étais le type le plus recommandable qui soit non plus !

- "Mais avant ça... T'as déjà fumé autre chose que des clopes ? Ou, acheté ?"

C'est à peu près le seul point d'accroche que je peux trouver actuellement. Je n'ai aucune idée de ses connaissances et habitudes vis à vis de ce genre de substance alors, autant commencer par là.

Non ce n’était pas un plan drague, et très sincèrement, si elle avait voulu que ça en soit un elle n’aurait pas su comment s’y prendre. Elle aurait été paralysée par le désir de bien faire les choses, et aurait tout fait de travers. Elle hausse les épaules, elle ne lui fera pas l’affront de demander quel genre de temps il passe avec les filles habituellement. Elle le devine très bien, malheureusement elle n’est pas de celles que l’on met dans son lit. Elle n’a pas le droit de se comporter comme ces femmes-là. Elle le sait, et si parfois en lisant elle se dit qu’elle aurait aimé plus de liberté de ce point de vue là, elle ne regrette finalement à l’usage de ne pas en avoir.

« Heureuse de ne point de mettre au supplice ! » dit-elle avec une bonne dose d’humour, comme si l’idée même de passer une soirée tranquille à se faire une amie pouvait être un supplice pour le jeune homme. La jeune femme ne fait que rarement des traits d’humour, et il faut avouer qu’elle se met directement à douter de celui-ci. Est-il bien dosé ? Sent-on l’ironie ? Et s’il le trouvait nul ? Elle aurait mieux fait de rester silencieuse !

Elle le regarde avec curiosité, que voudrait-il lui faire découvrir ? Si on suit le fil de la conversation, elle pourrait presque s’attendre à des avances. Elle se doutait cependant qu’il ne lui en ferait pas, alors elle lui offrit un sourire doux et lui répondit :

« Pourquoi pas ? »

Il serait toujours à temps de faire demi-tour plus tard s’il lui proposait quelque-chose d’inconcevable pour elle. Elle s’en laissait le droit en n’acceptant pas directement, ne le faisant que par une interrogative.

« Non, je ne fais pas partie de ces personnes à qui on va spontanément proposer un peu d’herbe, les gens s’étonnent déjà de me voir fumer… Et comme je n’ai pas spécialement ressenti l’envie de tester.... »

Je ne sais pas d'où ça vient, mais Afya a cette faculté de réussir à me faire sourire. D'un sourire simple. Pas d'éclat de rire franc, juste une réaction tout à fait mesurée. Parce que oui, c'est drôle, mais pas pour autant hilarant.

- "Ahah nan, cette soirée n'a rien d'un supplice ! Au contraire."

Ce moment de calme me fait étrangement du bien. Même si je serais bien incapable de faire ça tous les soirs, ce n'est pas désagréable. C'est qu'il faut admettre que mon rythme de vie est plus... Instable. Risqué peut-être aussi.

- "C'est vrai. Tu renvoies plutôt l'image d'une fille sage. Mais, c'est pas pour ça que tu ne peux pas t'amuser. Ou, tester toutes sortes de choses."

Et comme je suis plutôt pas mal ici quand même, je m'assois par terre, en tailleur (après avoir vérifié qu'il n'y avait pas de trucs trop chelous sur le sol quand même), pour sortir de quoi rouler un joint. Bah, c'est pas parce qu'elle n'a jamais testé que je vais me restreindre non plus.

- "J'imagine que ça ne va pas vraiment t'étonner si je te dis que mes soirées sont un peu plus agitées. Souvent, je traine au bar ou en boite et... Je ressors parfois à ces heures un peu abusées parce que, c'est nécessaire."

Je termine de rouler cette feuille et son contenu, avant de la porter à mes lèvres et d'en allumer son extrémité pour tirer dessus.

- "Je suis plutôt impliqué dans un autre type de milieu. Celui qui ne plait pas des masses aux autorités en général. Qui implique parfois de la violence et des relations sociales souvent un peu tendues. Mais, ça n'veux pas dire que je n'aime pas c'que j'fais hein ! Fournir à ces gens de quoi oublier momentanément leurs problèmes, parce que c'est pas évident pour tout le monde ici. De la drogue en gros. C'est plus facile à comprendre comme ça j'imagine."

Est-ce que c'est vraiment la bonne option de parler aussi franchement ? J'en sais rien du tout. C'est seulement que c'est encore l'option avec laquelle je suis le plus à l'aise. Et puis, ce n'est pas comme si je m'étais forgé une réputation de petit ange.

- "Est-ce que ça te fait peur ?"

Je sais. J'ai beau aimer me comporter comme un connard, ça n'empêche que dans le fond, Afya je l'aime bien. Alors, peut-être que si elle me dit maintenant qu'elle ne veut pas entendre parler de toutes ces histoires, je réfléchirai à un autre plan.

Elle le sait bien, mais au finale ne cherche pas toujours à faire de nouvelles expériences. Elle n’est pas la femme la plus aventureuse du monde. Elle ne manque pas pour autant de courage, mais elle préfère savoir ce qu’elle fait plutôt que de se jeter dans l’inconnu. Elle hausse les épaules et s’assoit à côté du feu. L’herbe est douce et tendre. Elle aime tellement cet endroit qui pour elle respire le calme et la sérénité. Elle le voit rouler un pétard, elle n’est pas ignorante au point de ne pas savoir ce qu’il fait. Elle n’est pas rigide au point de l’en empêcher, elle veut juste comprendre le lien de cause à effet entre ses précédentes paroles et celles qui suivent. Quand la fin du récit tombe le regard de l’eau ne s’est pas troublé mais il a changé.

« C’est toi qui a vendu à Baxter ce avec quoi il a failli se tuer ? »

On ne s’attendait pas à une déclaration d’amour pour la drogue de la part de l’ivoirienne, on ne s’attendait pas à grand-chose d’ailleurs. Quel pouvait être le rapport à la drogue d’une fille sage et mesurée comme elle ? Sans doute pas le meilleur, on lui avait appris que c’était mal et elle y avait cru. Sans doute pas le pire, elle était assez ouverte d’esprit sur le sujet… Ou plutôt elle avait du se le fracturer pour continuer d’apprécier son collègue et ami.

Elle avait un regard dur sur le feu, elle ne se demandait pas encore si elle regrettait de l’avoir emmené dans cet endroit qu’elle chérissait ou si elle jugeait péjorativement ses activités. Non. Tout ce qui comptait c’est qu’il lui dise qu’il n’y était pour rien. Après tout, il lui parlait de drogue mais il roulait de l’herbe là ? Ce n’était pas la même chose que l’héroïne et les saloperies que prenaient son ami non ? Elle espérait.

Eh bah. Au moins, ça a le mérite d'être direct comme réaction. Je ne sais pas trop quel genre de relation ils ont ces deux là, mais ce n'est pas compliqué de deviner que la rechute récente de Baxter n'est pas passée inaperçue auprès de la miss. Et que ça ne lui plait pas. Ça ne sert à rien de passer par quatre chemins.

Je tourne la tête vers Afya qui est désormais assise à côté de moi. Le regard plus sérieux que jusqu'à maintenant, je laisse tout de même planer cinq secondes de silence avant de lui répondre.

- "Ouais. C'est d'ma faute. Ça craint grave c'qui s'est passé, je sais. Je... Pensais vraiment pas qu'il irait jusque là. Qu'est ce que tu sais sur c'qu'il prend ?"

J'essaie de parler suffisamment vite pour ne pas lui laisser trop le temps de réagir. Bien sûr que ça me fait grave chier ce qui a pu se passer avec Baxter. De tous les types à qui je peux vendre de la merde, je n'imaginais pas que ce soit lui qui fasse l'overdose. Parce que lui n'est pas censé être un débutant. Mais il avait arrêté. Et à Terrae, tout est différent.

Je ne sais pas à quel point Afya connait Baxter et ce genre de problèmes. J'imagine très bien que la vérité ne doit pas faire partie des choses qu'elle doit avoir le plus envie d'entendre là tout de suite. Mais en même temps, elle a posé la question. Et je déteste m'empêtrer dans des mensonges. Parce qu'après, c'est relou à gérer. Puis elle n'est pas stupide. Elle ferait forcément le rapprochement à un moment.

Ce qu’il prend ? Elle réfléchit, essaie de se souvenir, a-t-elle noté le nom des substances que son ami s’injecte dans les veines en espérant trouver une dose de bonheur ? Non, elle n’a pas noté ce détail qui s’il n’en est pas un n’évoque rien pour elle. De la drogue, de l’héroïne, du crac, de la meth, de la morphine, du liquide vaisselle ? C’est un peu la même chose pou la néophyte, et ce qu’elle sait se résume au corps inanimé de l’américain qu’elle a retrouvé cet hiver avec Ramiel.

« Je sais qu’il a failli mourir, je sais qu’il n’arrive pas à arrêter. »

Elle sait qu’elle souffre à l’idée de perdre le tonnerre. Il est étrange de se rendre compte qu’une fille aussi rangée que l’ivoirienne ait des fréquentation semblables… Mais en réalité, elle semble attirer toutes ces personnes au vécu chaotique et les apaiser par son calme. Seulement, l’eau peut-elle rester calme quand la tempête souffle dans son cœur ? La voilà qui inspire et expire lentement, comme si dans ces simples mouvements elle pouvait retrouver la sérénité qui lui fait défaut.

« Pourquoi ? Si tu sais ce qui peut arriver pourquoi tu continues à faire ça ? »

Elle avait saisi l’hésitation du feu, il avait essayé d’évacuer ce qu’il avait sur le cœur rapidement. Avait-il saisi les poings de l’eau qui se fermaient sur l’herbe tendre et ses ongles qui rentraient dans ses paumes pour qu’elle garde contenance ? Pour que la surface ne reflète rien du tourbillon qui bouillonnait en elle ?

Elle ne savait pas elle-même ce qu’elle ressentait ? Colère ? Déception ? Elle savait qu’ils n’avaient pas la même vision du monde, qu’ils ne dansaient pas au même rythme, et pourtant elle lui avait fait confiance. Est-ce qu’elle faisait confiance trop vite ? Elle qui avait tant de mal à se lier, elle essayait toujours plus pourquoi ? Elle n’aurait su le dire. Ses mâchoires crispées ne lui permettaient pas de prononcer un mot de plus.

Est-ce qu'elle va préférer l'option insultes ou l'option fuite ? Faut dire que je n'ai pas mis beaucoup de formes dans cette révélation. Et comme je n'imagine pas Afya en fervente partisane des drogues ou autres substances psychotropes, je ne m'attends pas à ce qu'elle accueille cette nouvelle avec grand enthousiasme. Mais une fois encore, elle réussi à m'étonner.

Elle est toujours à côté de moi et elle répond même à ma question. A sa façon, évidemment. Ce qui me confirme assez facilement qu'elle n'y connait effectivement pas grand chose. Et sa façon d'en parler révèle que cet incident a dû la toucher assez fortement. Pourtant, elle continue à parler d'une voix maîtrisée. Je me contente de hocher la tête face à sa réponse. Je ne peux pas dire le contraire de toute façon.

Je sens bien la tension qui s'installe subitement entre nous. Ce n'est pas quelque chose qui m'est étranger et j'ai toujours très bien évolué de ces ambiances jugées désagréables par beaucoup. Mais il est vrai que ça m'ennuierait que Afya en vienne à choisir l'une des deux options énoncées. Alors quand sa question tombe, j'envisage d'y répondre sérieusement. Je déteste trouver des excuses à ce que je peux faire. Mais ce ne sont pas vraiment des excuses qu'elle attend non ?

- "Tu l'as dit. Il n'arrive pas à arrêter. Si c'est pas moi qui lui refile ses doses, il trouvera de toute façon quelqu'un d'autre."

Je tire une nouvelle latte comme si ça pouvait m'aider à avoir les idées plus claires. Non, c'est juste que ça me laisse un léger temps de réflexion.

- "Ce serait hypocrite de prétendre que ce n'est pas aussi en partie dû à l'argent. Enfin, pas vraiment avec Bax parce que, je l'apprécie mais, de façon générale, bien sûr que ça rapporte. Le truc c'est que...  Ouais, c'est dangereux, mais ça aide aussi à retrouver la notion de plaisir quand on a une vie merdique. Je n'pense pas que ce soit tout noir ou tout blanc. Je ne pense pas que ce soit seulement mal parce que certains veulent faire croire que c'est mal."

Pourtant, si je devais être parfaitement honnête, ce n'est pas exactement la bonne réponse à sa question.

- "Et puis... J'sais pas, c'est juste que... J'ai toujours fait ça."

Elle devait répondre, c’était une certitude et pourtant elle ne le faisait pas. La dresseuse de mots était maintenant silencieuse et dans la pénombre elle observait le visage du latino. Certains l’auraient targué d’impassibilité, mais c’était bien loin de la vérité. Elle réfléchissait, essayait juste de faire les bons choix, de tirer les bonnes conclusions.

Elle avait cru qu’elle en voulait à la personne qui avait failli tuer Baxter, même indirectement. C’était plus facile de trouver un coupable, mais il avait raison, son ami était assez débrouillard pour trouver toutes les drogues dont il avait besoin même sans le concours de Tiago. Il ne faisait que lui simplifier la tache… Et finalement, c’était peut-être mieux qu’il cherche l’oubli dans des substances peu licites que dans la mort. Elle avait cette crainte enkystée en elle, celle qu’on lui annonce un jour la mort d’un de ses proches. Ce n’était pas la question, elle écouta la suite.

Elle comprenait ce qu’il voulait dire, et peut-être qu’à certains moments de sa vie elle aurait aimé retrouvé du plaisir et de la joie facilement. Elle comprenait aussi que c’était une habitude. Il avait l’habitude de vendre de la drogue. Qui était-elle pour porter un jugement sur ses actions ? Elle qui tolérait de ses amis qu’ils aient volé, tué, blessé, et même parfois couché avec des personnes du même sexe. Pouvait-elle lui reprocher de vendre de la drogue ?

« Quand tu vendras, donneras, je sais pas, de la drogue à Bax en grande quantité, dis le moi s’il te plait. »

C’était sa seule conclusion. Elle ne pouvait pas changer le monde, mais elle pouvait être là pour ceux qu’elle aimait.

Cette discussion parait toujours tendue. Comme si tout pouvait prendre une toute autre tournure d'un instant à l'autre. Passer d'une soirée sympas entre potes à une fin chaotique où on en viendrait à ne plus s'adresser la parole. Pourtant, malgré la sensibilité du sujet, l'importance que cela peut avoir pour Afya, elle ne se montre pas désagréable, pas agressive, elle reste juste fidèle à elle-même. Calme et posée. Du moins, c'est comme ça que je le ressens.

Et finalement, sa réaction n'a rien à voir avec tout ce que j'aurais pu anticiper. Mais je me demande à quoi ça sert que j'essaie encore de savoir comment Afya va bien pouvoir réagir. Parce que je suis toujours à côté de la plaque. Après un court silence, je hoche la tête suite à sa demande.

- "Bien sûr. Je crois qu'il a besoin d'être entouré par des gens comme toi. Avec une bonne influence, une énergie positive, et la tête bien sur les épaules."

On ne va pas se mentir. Je n'ai jamais pu entrer dans le cercle de ceux qu'on qualifie par ces termes. Je n'ai jamais vraiment eu une bonne influence. Et là encore, ça se confirme.

- "Peut-être que... Tu pourrais servir d'intermédiaire ? Je veux dire, moi, il sait très bien que je lui fournirais tout ce qu'il me demande sans poser aucune question ni lui faire la morale. Parce que, j'ai aucune légitimité pour ça. Mais peut-être que de savoir que quelqu'un de sérieux et qui tient à lui, enfin j'sais pas trop ce qu'il y a entre vous mais j'imagine que vous êtes proches pour que tu me demandes ça, soit au courant de tout ce qu'il consomme, ça pourrait l'aider à ralentir. Ou au moins à prendre un peu plus conscience."

Est-ce que je suis vraiment horrible de lui faire une telle proposition ? Je ne sais pas. Au moins, elle pourra plus facilement se rapprocher de ce que vit Baxter. Parce que ça a l'air de la toucher un peu trop.

Il ne rejette pas sa proposition, pour intrusive qu’elle soit, ce qu’il aurait pu faire pour plein de raisons. Déjà dans ce genre de milieu il y a une certaine confidentialité, ensuite cela lui aurait pris du temps et enfin il pouvait juste ne pas en avoir envie. C’était des raisons variées mais toutes aussi valables, sans doute.

Bien entendu, elle ne comprend pas réellement la portée de ce qu’il lui demande, elle ne voit d’ailleurs pas vraiment le mal à ça. Le dilemme était grand et à la vérité, elle aurait préféré ne pas courir le risque de son ami sache qu’elle était au courant pour qu’il ne cherche pas à se tourner vers un autre fournisseur. Cela d’autant plus que Baxter lui avait déjà signifié qu’il ne voulait pas qu’elle soit là quand il se droguait et qu’elle prenne ses distances avec lui pour se préserver de ce genre de situations. Pourtant, elle savait que lui mentir serait pire, s’il apprenait par la suite qu’elle l’avait surveillé il lui en tiendrait certainement rigueur, elle ne voulait pas le perdre ainsi.

« D’accord, si ça peut l’aider, je devrais faire quoi ? »

S’il trouvait qu’elle en faisait trop il lui mettrait des limites, alors que si elle faisait les choses dans son dos il risquait de s’énerver et de lui en vouloir. Du moins c’était ainsi qu’elle pressentait les choses sans pour autant faire appel à son pouvoir pour en être certaine. Elle soupira. Cette soirée avait pris un tour, ou plutôt un détour, des plus surprenant...

En fait, je ne me sens pas si mal de cette proposition qui pourrait pourtant ne pas paraitre hyper morale. Parce que moi, je sais très bien ce que ça implique de poser ne serait-ce qu'un orteil dans ce genre de milieu. Et j'ai comme dans l'idée que Baxter risque de fortement m'en vouloir mais... Tant pis. Je devrais très bien vivre avec !

- "En fait, c'est très simple. Bax me demandera des consos, mais ce sera toi qui lui livrera les produits que je te donnerais. En fait, c'est assez courant dans le milieu que celui qui prépare ne soit pas le même que celui qui vend, ça ne devrait pas lui paraitre si bizarre. Enfin, si, ça lui paraitra bizarre que ce soit toi, mais c'est tout."

Le pire, c'est que je suis moi-même convaincu que ce n'est pas une si mauvaise idée. Ouais, je sais, inclure Afya dans ces magouilles n'est sûrement pas le truc le plus moral que j'ai fait, mais c'est pour une bonne cause ! Plus ou moins, ok.

- "Et, si tu n'veux pas qu'il trouve ça trop louche, j'pourrais peut-être t'inclure dans quelques autres transactions sans risques. Avec les horaires que tu fais, ce sera super simple. Enfin, j'te brieferai avant dans tous les cas. Je n'vais pas te laisser te débrouiller avec ce genre de cam."

Je n'suis peut-être pas le mec le plus intègre, mais je ne suis pas totalement inconscient non plus. Si elle devait vraiment accepter de prendre une certaine part à ces échanges pas super légaux, il n'est pas question que je la laisse faire sans m'assurer qu'elle ne risque rien.

- "Et, bien sûr, si ça t'intéresse, tu auras un pourcentage de ce que ça rapporte."

J'ai bien compris que l'aspect financier n'est pas forcément ce qui l'intéresse le plus, mais ça me parait quand même être un minimum en gage de respect.

Et voilà comment une gentille fille comme Afya mit les pieds dans le milieu du crime organisé. Toute personne saine d’esprit se serait dit qu’elle n’avait pas la carrure de l’emploi, bien trop morale, bien trop discrète. Elle n’était pas de ces personnes à faire des remous ou à attirer l’attention, elle le montrait depuis plusieurs années d’ailleurs à Terrae. C’était d’ailleurs ce qui en faisait une recrue de choix, discrète et intégrée, deux qualités que l’homme saurait mettre à profit.

Ne vous trompez pas pour autant, l’ivoirienne n’avait rien de la petite oie blanche que l’on arnaquerait. Elle se rendait compte que le choix qu’elle s’apprêtait à faire n’était pas le moins important de sa vie, elle savait ce que cela signifiait de traiter dans ce genre de milieux. L’appel en avait parfois été fort, quand l’argent n’entrait plus dans sa famille alors que certains de leurs voisins s’enrichissaient de ce commerce la main intraitable de leur mère avait été le seul rempart les empêchant de sombrer sa sœur et elle.

Elle savait que ce qu’elle s’apprêtait à faire était mal, et ce même si elle le faisait pour de bonnes raisons. Elle ferma les yeux, oserait-elle ? Oui. Elle se projeta dans le futur, suivit de loin les méandres de la voie qu’elle s’apprêtait à suivre, elle vit qu’elle ne serait pas toujours facile… Mais elle n’y vit pas l’élément qui perturbait ses nuits, Baxter ne semblait pas y mourir pour ce qu’elle y voyait, et cela la fit basculer.

« C’est d’accord. Je livrerais tes clients. Et bien entendu j’attends un pourcentage. »

Ce serait encore la meilleure façon de faire accepter son nouveau rôle à son ami. Si elle lui disait qu’elle avait besoin d’argent pour sa famille, elle ne mentirait pas. Elle n’en avait juste peut-être pas autant besoin que ça…

Un léger silence s'installe suite à ma proposition. Ce qui n'est pas vraiment étonnant. Bien sûr qu'une réponse positive ne serait pas anodine. Et même si Afya me parait souvent bien à côté de la plaque pour ce qui est des banalités occidentales, j'ai bien compris qu'elle n'est pas stupide pour autant. Ce que je lui propose, ce n'est pas tenir la buvette lors d'une rencontre sportive. Je ne dis rien de plus, la laissant réfléchir. Je n'ai pas non plus l'intention de lui forcer la main.

Et finalement, elle accepte. Ouais, c'est peut-être pas super honnête d'user de sa relation avec Baxter pour ça mais... Faut admettre que ça m'arrange bien et je ne pense pas qu'elle aurait accepté autrement. J'ai besoin de personnes comme elle. Qui n'attirent pas l'attention, et surtout pas celle des sources d'autorité de Terrae.

- "Ça marche. Je serais quand même avec toi les premières fois, le temps que tu vois comment ça fonctionne. Et quand tu sauras te débrouiller seule, je te laisserai gérer."

Je me relève finalement après cette conversation qui a totalement plombé l'ambiance (cela dit, ça n'a rien d'étonnant) époussetant rapidement mon pantalon pour enlever les brins d'herbe qui pourraient s'y être incrustés.

- "Mais je ne fais pas que ça de mes journées non plus hein ! Le reste du temps, je fais aussi des trucs supers classiques. Du style, passer du temps avec des potes, aller au ciné, au lac aussi. Je crois que la plage me manque un peu alors, je compense comme je peux !"

Est-ce que j'essaie de détendre un peu l'atmosphère ? Non, pas vraiment, ce n'est pas comme si ça me dérangeait d'évoluer dans cette ambiance pesante, mais ce n'est pas la peine d'aborder le sujet plus que nécessaire. Des fois qu'elle décide de faire marche arrière...