Je crois que j'ai presque rampé pour rentrer à la maison. J'aurais probablement dû attendre qu'Ys vienne me chercher, mais j'ai pas pu. Je ne pouvais pas rester là, en plein milieu du parc, où les gens commençaient à se chauffer, se disputer, ou alors à paniquer parce qu'ils n'avaient plus leur pouvoir... Ouais, j'pouvais pas. C'est assez incroyable, cette éclipse ; je ne pensais pas que quelque chose pouvait me retourner à ce point.

La porte s'ouvre, Balto fonce vers moi, plein de bons sentiments, et contre toute attente, ces sentiments-là que je reçois me font du bien. Je m'effondre dans le canapé et appelle Ys, espérant qu'il soit à la maison. Je sens que des larmes ont coulé sur mes joues et je les efface d'un coup de manche. Je replie mes jambes devant moi pour les enserrer de mes bras, me recroquevillant sur le canapé. J'enfouis mon visage entre mes cuisses et j'essaie de respirer calmement pour freiner les battements agités de mon coeur.

C'est fou. En soi, j'suis encore Tonnerre, et pourtant, je suis tellement attaquée par les sentiments de la Terre entière que j'ai l'impression qu'il n'y a plus la moindre électricité autour de moi. C'est tip top.

Ys me rejoint. Ys arrive rapidement, puis Ys s'arrête, me fixe, recule, hésite. Mon coeur se serre et je repose ma tête contre mes cuisses, endossant une nouvelle vague de sanglots. Les larmes ne se tarissent plus. Est-ce qu'il ne l'a pas ressentie ? Il n'a rien vu ? Rien senti ? Pourquoi est-ce qu'il n'ose pas m'approcher ? Pourquoi...

Je sombre. C'était la question que je redoutais. La question que j'attendais. Mais qui fait si mal. Mitsuki, est-ce que tu as pris quelque chose ?

Mon diaphragme se bloque alors que je manque d'air. Je lève des yeux embués de larmes sur mon compagnon et secoue maladroitement la tête en signe de négation.

-Ys, je...

Les mots se bloquent dans ma gorge. J'inspire, j'essaie d'évacuer pour réussir à articuler, mais tous ces sentiments me retournent encore et encore ; toutes ces personnes que j'ai croisées sur le chemin, toutes ces émotions, ce flux incessant d'émotion qui me bouscule et me perd toute entière.

Je ferme les yeux, expire.

-Je suis quelque chose.

Je rouvre les yeux. Ys finit par se rapprocher. Malgré tous les sentiments d'incertitude qui l'habitent en cet instant, et qui m'envahissent par la même occasion, je sens son énergie s'avancer. Son corps se baisse, il pose une main sur mon genou ; mon coeur fait un bond dans ma poitrine. Mon diaphragme se bloque à nouveau, mais je me dis que je finirais bien par m'y habituer, alors j'essaie de l'ignorer. Là, maintenant, tout de suite, ce n'est que de lui que j'ai besoin. Lui, ses bras protecteurs, sa voix rassurante, ses paroles réconfortantes...

Mais il ne peut pas encore être totalement Lui. Parce qu'il ne comprend pas. Et croiser ce regard rempli d'incompréhension, couplé de tous ces sentiments qui l'envahissent progressivement, c'est d'autant plus difficile.

Le pire, dans cette situation, c'est que je sais que je ne l'aide pas. Mon corps entier est bousculé par la crainte, le chagrin, la panique, l'anxiété, l'angoisse. Et mes émotions se confrontent aux siennes. L'incertitude, l'incompréhension, le doute, l'hésitation. Il n'a toujours pas compris.

Ou si. Il commence à comprendre. Un peu. Il pose les hypothèses. Est-ce que c'est vraiment ça ? Comment puis-je lui en vouloir. Qui aurait pu penser un jour que nos pouvoirs seraient inversés ? Foutue éclipse.

-Ys, non.

Dans un effort douloureux, je me redresse de ma position initiale. J'avance une main en avant, en direction d'Ys. Il ne doit pas sortir. C'est encore pire dehors. C'est...

-Nos... Nos pouvoirs ont été inversés. Je... Tu... Nous ne sommes plus Téléporteurs, nous sommes... Nous sommes...

Les mots se bloquent à nouveau. Je n'arriverais pas à finir cette phrase, alors tant pis. Je ne pourrais pas prononcer ce mot. Pas encore. C'est trop douloureux.

J'essuie difficilement mes larmes sur mon visage, déjà en manque de force. Cette longue journée d'entraînement, couplée aux conséquences de l'Eclipse, ont fini de m'achever. Peut-être qu'on a enfin trouvé un moyen de lutter contre mon hyperactivité, hé. Tch.

La main sur la poignée, Ys s'est arrêté. Il réalise enfin. La révélation fait mal, très mal. Je sens sa détresse envahir toute la pièce. Il refuse cet état de fait. Il refuse d'être privé de son être. Il est Téléporteur, pas Sensitif.

Je sens une larme rouler le long de ma joue. Téléporteuse. La seule chose peut-être qui me rendait fière actuellement. "Tu es une excellente Téléporteuse Mitsuki". Tsch. Dommage. C'est du passé maintenant.

Dois-je véritablement tirer un trait sur ma vie ? Renier ce que je suis ? Recommencer à nouveau ? Mais comment ? Comment, vraiment ? Je SUIS téléporteuse. Mon corps agit d'instinct. Mes sens se sont aiguisés simplement pour me permettre de réussir mes téléportations encore mieux. Je me déplace aux différents sons que j'entends, j'appréhende chaque espace avec un regard unique, anticipant toute disparition et réapparition ; tout n'a lieu d'être que parce que je suis Téléporteuse. Alors quoi ? Comment je vais faire maintenant ? Comment je vais réussir à survivre ?

Avec ce pouvoir dont je suis sensée me débarrasser pour toujours.

Ys se déplace. Il court chercher les cristaux de téléportation que nous avons gardé dans un tiroir, mais aucune énergie n'émane des pierres. Ca ne fonctionne plus. Je sens que tout s'effondre à l'intérieur d'Ys. Il perd pied lui aussi. Il sort une cigarette de son paquet en tremblant, la portant à ses lèvres. Ses paroles broient mon coeur. Se tenir... A l'écart des autres. De lui ? Je ne peux pas. S'il s'éloigne ce sera encore pire, je-

Je ne peux pas surmonter cette épreuve sans lui. Mon estomac se noue et les larmes coulent à nouveau sur mes joues. Je lève un regard larmoyant dans sa direction, babillant des mots incompréhensibles. Enfin, les mots se forment et je suis capable d'articuler.

-Ys, je...

Les mots se bloquent, encore, toujours. C'est lassant, épuisant.

-J'ai besoin de toi. Est-ce que tu peux venir, s'il te plaît ?

J'ai besoin de me serrer contre toi, sentir ton coeur qui bat contre mon oreille ; j'ai besoin de toi.

-Il faut... Il faut qu'on reste calme, hein ? Il le faut.

C'est ce qu'Hideko a dit. Il faut se calmer. Appréhender les situations. Ne pas aller trop vite. C'est si dur. J'ai tellement envie d'exploser. De me libérer de toutes ces émotions qui me pèsent si fort sur les épaules.

-J'ai besoin que tu m'aides à garder le contrôle. Je n'y arriverais pas toute seule.

Ma voix tremble. Ce serait si facile. Si simple. Un peu de baume au coeur. Le pouvoir de Sensitif est si proche. Chacune des cellules de mon corps vibre, appelant son aura pour me ramener au calme. Tout mon corps hurle à ce pouvoir maudit de l'apaiser, dissiper ses craintes, faire s'envoler cette colère qui gronde. Juste une fois, une seule. Un petit coup de pouce. C'est si simple...

Alors que mon coeur se gonfle, je hurle à l'intention de mon compagnon.

-Ys, j'y arrive pas, je peux pas, JE PEUX PAS, je-

Un battement de cil. Tout s'évapore ; la tristesse, la crainte, la panique. Je me sens bien, je me sens mieux. Je me sens si bien. Comme si ce jour n'existait pas, comme si rien n'était arrivé. Et même si c'était arrivé, après tout, pourquoi m'en plaindrais-je ? Pourquoi regretterais-je ce pouvoir de téléportation, alors que celui de Sensitif m'ouvre grand ses bras ? Il a toujours été là pour moi, ce pouvoir. A chaque fois que j'ai flanché, à chaque fois que je me suis écroulée ; qu'est-ce qu'une téléportation aurait pu m'apporter de plus, franchement ?

J'ai succombé.

Les larmes sèchent sur mes joues. Je me sens tellement mieux. C'est comme si rien n'avait jamais entravé mon bonheur. Comme si tout ce qu'il venait de se passer n'avait jamais existé - est-ce que ça avait réellement existé, d'ailleurs ?

Je sentis mon coeur se regonfler d'espoir, ses battements se faisant plus régulier - enfin. Mon diaphragme se souleva avec une délicatesse révoltante et ma respiration redevint régulière.

Peut-être que tout ça n'était que le destin ? Peut-être que j'étais finalement destinée à être Sensitive ; après tout, ne méritais-je pas cette paix intérieure si envoûtante ? Tout semblait à portée de main, je me sentais capable de tout ; j'étais si forte, si puissante.

Cette félicité fut pourtant interrompue par la voix d'Ys. Je levai un regard insipide dans sa direction, ne comprenant pas bien quelle pouvait bien être la raison de ces piaillements. Que lui arrivait-il ? Tout était arrangé, non ? Peut-être avait-il besoin que je partage avec lui cet instant précieux ?

Je le fixai, le regard pourtant vide, alors qu'il accourait dans ma direction, m'enserrait dans ses bras. Oh non, ciel, j'avais l'impression d'étouffer. Qu'est-ce qui lui arrivait ? Pourquoi se mettait-il dans cet état-là ? Et toute cette anxiété qu'il rejetait, c'était insupportable, il fallait qu'il se calme ! Son angoisse résonnait partout à l'intérieur de mon corps, et je devais me faire violence pour les repousser du mieux que je le pouvais. Il n'était absolument pas question qu'il entrave mon bonheur ainsi. Que lui prenait-il, très franchement ? Est-ce qu'il ne pouvait pas être heureux pour moi ? J'avais réussi à me débarrasser de tous ces affreux sentiments qui me clouaient au sol, je ne l'importunais plus avec toutes ces histoires absolument grotesques, et lui, il... paniquait ? Seigneur Dieu, il était temps qu'il redescende, ça en devenait presque fatigant.

Bloquée entre ses bras, j'absorbais tout ce désordre qui régnait en lui, sentant les effets de cette piqûre d'adrénaline commencer à perdre de son effet. Pourquoi est-ce qu'il m'infligeait ça ? Entre cette photo stupide où je m'étais ridiculisée pour lui plaire, ce fichu bal où j'avais accepté de faire l'andouille pour décrocher un sourire sur ses lèvres, toutes ces fois où...

Le masque se brise alors que j'aperçois cette larme solitaire qui roule sur sa joue. Je crois n'avoir jamais vu Ys pleurer. Pas une seule fois. C'est moi, la madeleine. C'est moi, celle qui pleure tout le temps, celle qui fait toujours tout foirer, celle qui a peur de le perdre, celle qui n'est pas sûre d'elle, qui tremble pour un rien, se roule en boule pour une broutille. Celle qui est si dépendante de lui.

Et pourtant elle est là. Cette larme déchirante. Son sourire se tord. Il se force. Toutes ses émotions se déversent en moi comme une vague se frotte à un rocher et le submerge. Je sens les battements de mon coeur reprendre leur course folle, faisant écho à ceux d'Ys. Mon estomac se noue à nouveau et mon diaphragme se contracte alors que mes yeux se perdent sur son visage affolé. Je lève une main tremblante et laisse mes doigts glisser le long de sa joue, essuyant cette larme téméraire. C'est à nouveau à mon tour de pleurer, et je sens déjà mes yeux s'embuer de larmes. Mon index dessine le contour de ses lèvres avec douceur, et je les fixe un instant avant de remonter mon regard pour l'ancrer dans le sien.

-Ys, je...

Et là, tout revient d'un coup. Si brutalement, si durement ; mon coeur est transpercé de mille aiguilles alors que le pansement se déchire. Plus de supercherie, plus de chute - tu ne dois plus succomber à la tentation Mitsuki.

-Tu dois rester avec moi. Il faut que tu me surveilles, que tu m'empêches de flancher... Que tu... Que tu...

Les mots de perdent et un silence s'installe. Quelques sanglots agitent ma poitrine et je ferme les yeux avant de coller ma joue contre son torse. Comment puis-je oser faire ça ? C'est comme si je le punissais ; je le force à faire quelque chose qui le rebute et le fait souffrir. Comment puis-je même imaginer avoir le droit de faire ça ?

Je passe mes mains autour de sa taille, serre son t-shirt entre mes doigts.

-C'est tellement... Dur. Rejeter toutes ces émotions. Ne pas se laisser prendre par la facilité. Résister. Combattre. J'y arriverais pas. Je n'en peux plus... Comment je vais faire ? Comment je vais faire, si je reste comme ça toute ma vie ? Est-ce que c'est possible ? Est-ce qu'on va vraiment rester bloqués en tant que Sensitif ? Ce pouvoir est si horrible. Si destructeur. Si... douloureux.

Je ferme les yeux, inspire doucement, me délectant de son odeur qui me sert de bouée de sauvetage.

-Et le pire dans tout ça, c'est que je te fais du mal. Parce que je ne suis pas capable de me contrôler. Et toutes ces choses continuent toujours et encore à tourner dans ma tête et... J'ai l'impression que je ne pourrais jamais en sortir. Alors ça sort. Et ça se répercute autour de moi. Et je continue à blesser tout le monde.

Ce hurlement déchirant de l'âme perdue qui me submerge.

HRP : Omg la phrase de fin, c'est SI CHOU.

Et une fois encore, Ys est là. Il me soutient, me serre contre lui, me réconforte. Ses mots calment un instant les battements de mon coeur. Instinctivement, je sens que mon pouvoir se bloque sur lui. En cet instant, seul lui compte. Les autres disparaissent et plus aucune autre émotion ne m'atteint. Il y a les siennes, et les miennes, que je ne peux malheureusement pas bloquer.

Je pense que le pire, avec ce pouvoir de Sensitif, c'est nos propres émotions. Ou peut-être juste les miennes ? Elles semblent si intenses, si fortes. Comme si leur intensité était décuplée. Et parmi mes propres émotions qui m'enchaînent, il y a celles des autres. Bien sûr, certains sont heureux, d'autres ne ressentent rien. Sauf qu'ils disparaissent vite sous le flot de toutes les autres émotions négatives qui s'éparpillent autour de moi. Alors, mon état ne me permettant pas de lutter, j'absorbe ; j'absorbe tout, toutes ces mauvaises pensées, tous ces cris de détresse, qui se mêlent aux miens et que je ne parviens plus à distinguer. Mon esprit s'évade et ma peur grandit. Parce que je ne parviens plus à différencier mes propres émotions de celles des autres. Alors je me perds. Je disparais, pour n'être plus qu'un réceptacle, incapable de gérer quoi que ce soit, incapable de rester moi.

J'essuie les nouvelles larmes qui ont coulé sur mes joues sur le t-shirt d'Ys (désolée), et essaie de respirer. Ys est là. Il est là, et je suis là, et personne d'autre n'est là. Et c'est si... apaisant. Je me retrouve. Je reprends pied ; un peu, légèrement. La peur du manque persiste mais devient plus supportable. Il ne faut juste pas que je flanche. Ce n'est pas si compliqué, si ?

Un mince sourire, encore hésitant, étire mes lèvres alors que je lève le regard vers Ys pour me perdre un instant dans ses yeux de braise. Mes doigts serrent un peu moins son t-shirt.

-Merci. Merci, d'être là. D'avoir toujours été là pour moi.

L'expérience d'aujourd'hui m'aura au moins démontré qu'être à ses côtés était désormais devenu vital pour moi.

-Et puis, si ça se trouve, tu vas super bien maîtriser ce nouveau pouvoir.

Petite nostalgie.

-Imagine si c'est toi qui devient mon maître ! Ce sera à toi de m'apprendre à gérer.

Sourire léger, mais moins tremblant. Les larmes se sont taries.

-Par contre, maintenant, tu n'auras plus jamais le droit de me lâcher. Je suis devenue trop dépendante de toi.

HRP> Le talent bb  

Il pouvait le ressentir dans chaque partie de son être jusqu'à la plus petite parcelle. Les émotions de Mitsuki s'étaient apaisés. Elle était encore inquiète et craintive mais plus calme. Du moins suffisamment pour pouvoir obtenir une conversation. Et surtout, elle était de nouveau elle même. Croisant son regard, Ys se contente juste d'un hochement de tête. Et dire qu'il devait tant qu'il lui était impossible de l'abandonner. Elle le remerciait d'une chose dont un jour c'était elle qui était à sa place. Et inversement.
Au moins sa remarque sur la possibilité d'être son sensei fit doucement sourire le garçon bien qu'il doute d'être à la hauteur de ces nouveaux pouvoirs.

"Si c'est le cas, j'espère que tu ne seras pas une élève aussi tyrannique que je l'ai été."

Portant sa main sur sa joue, il efface du pouce ces traces laissées par les larmes alors que son regard trouve de nouveau le sien. Ses paroles le touchent, bien plus qu'il ne l'aurait crus. Et un rictus en coin lui échappe tandis qu'il marque une courte pause.

"Ca m'arrange plutôt bien. Parce que j'avais pas l'intention de me détacher de toi."

Un sourire un peu plus sincère bien que futile lui échappe. Ils ont et resteront pour toujours des aimants. Ils avaient besoin l'un de l'autre. Il en a toujours été ainsi. Et malgré la mauvaise nouvelle de devoir supporter un tel pouvoir, un pouvoir qu'ils n'admettront probablement jamais, ce pouvoir leur avait permis de se découvrir autrement. D'en apprendre plus sur l'autre. De lire une face qu'ils ont toujours cherchés à cacher. Ce soir et surement pour toujours, ils ne pourront plus tricher.

Ses prunelles flamboyantes quittent cet océan lilas pour glisser sur ses lèvres. Il ne peut s'empêcher de l'embrasser comme s'il la redécouvrait.

"Excuses moi c'est juste que..."S'interrompit-il dans son élan, se rendant compte de cette précipitation."C'est juste que je réalise à quel point tu es forte. T'as été forte pour supporter ce truc."

Pas étonnant qu'elle est autant galéré à s'en séparer. De toutes les drogues, c'est probablement la plus indépendante.

Un sourire, faiblement désabusé, perce sur mes lèvres. Un élève aussi tyrannique ? Ys a souvent une image si négative de lui-même. Il bougeait sans cesse, il était impatient, mais enfin, "tyrannique", ce n'était pas un peu trop ? Parce que je me souviens aussi de certains entraînement, un peu plus physique, quand je l'emmenais courir et que lui râlait. Il n'était plus si tyrannique que ça, en cet instant.

Je me contente pourtant de hausser les épaules pour toute réponse, ne parvenant pas à aligner les mots dans mon esprit pour construire une phrase correcte.

Il lève une main vers mon visage et essuie les larmes qui ont trempé mes joues. Je lève un regard doux vers lui alors que ses yeux croisent les miens à nouveau. Mon coeur se réchauffe alors qu'il affirme n'avoir pas l'intention de se détacher de moi.

-Parfait, alors.

Léger sourire, et je me perds à nouveau dans ses prunelles. Qu'aurais-je fait, si Ys n'était pas là ? Comment aurais-je pu résister ? Je n'aurais pas résisté, en fait, je pense. Je n'en aurais pas été capable. J'aurais accepté ce pouvoir à bras ouverts, et j'aurais absorbé absolument toutes les émotions positives qui m'entouraient, vidant mon entourage, comme un vampire assoiffé de sang.

Je sursaute quand il s'approche assez soudainement de moi pour m'embrasser. Ce contact fait bondir mon coeur et les émotions vibrent en moi à une vitesse si folle que je sens mon propre corps se mettre à trembler. Je n'ai pas le temps de repousser Ys, brusquée par ce contact direct, qu'il se recule pour s'excuser.

Mon regard se voile un instant et mes yeux s'embuent de larmes alors que je réalise que ce contact, brutal, inattendu, a été complètement détruit par ce pouvoir de Sensitif maudit. Je tente de respirer pour calmer les battements agités de mon coeur, et essaie de me reconcentrer sur la conversation.

Je fixe Ys un long moment, ne comprenant pas bien pourquoi il me dit ça là, maintenant. Et puis je me rappelle que je suis maintenant Sensitive ; qu'il est Sensitif.

-Tu...

Mes mains se mettent à trembler et j'ai un mouvement de recul, honteuse.

-Tu l'as ressenti...?

Non. Je ne voulais pas qu'il ressente ça. C'était terriblement honteux. Ce manque, ce besoin de s'abreuver de Joie ; cette voix qui ne cessait jamais de gronder au fond de moi. Je me sentais sale, terriblement impuissante - Ys n'aurait jamais dû savoir ça.

-Je... Je suis pas forte. Je ne devrais pas ressentir ce manque, je... J'aurais jamais dû devenir dépendante. Aaron et Ipiu sont sensitifs et pourtant ils ne dépendent pas autant de leurs pouvoirs...

Ah oui vraiment ?

-T'aurais... T'aurais jamais dû ressentir ça, je suis désolée... Je suis vraiment désolée Ys...

Et si ça s'imprégnait en lui ? Et si ma dépendance faisait désormais partie de lui, et s'il se mettait à avoir envie de consommer ces cristaux pour son propre bonheur ? "Et si"...

Je suis encore un peu agitée alors qu'Ys reprend la parole pour me rassurer. Des compliments -encore des compliments. Comment peut-il me faire autant de compliment, alors que je ne suis qu'une ex-droguée qui n'a même pas encore terminé son sevrage ?

Malgré tout, ses paroles me touchent, autant qu'elles m'effraient. Il n'a pas tort sur ce point : nos pouvoirs vont nous permettre de tout partager à présent. Que ce soit volontaire ou non. Mais cela me gêne aussi, parce qu'il y a beaucoup de choses que je tais parce qu'elles me semblent futiles ; je n'ai pas à inquiéter mon entourage pour de pareilles broutilles, et pourtant je vais le faire automatiquement à présent, sans vraiment le commander. C'est probablement ce que je redoute le plus ; bien qu'Ys trouve ça... Bien. Parce qu'il verra ainsi une partie de moi que je cache selon lui pour protéger les autres.

Je me pinçai la lèvre inférieure, ma panique s'envolant petit à petit malgré mon malaise. Ses dernières paroles achevèrent de faire naître sur mes lèvres un sourire en coin. Je lui donnai un coup léger à l'aide de mon petit poing, rebondissant sur son torse.

-Patate.

Je fermai les yeux, et collai ma joue contre son torse, me laissant bercer par les battements de son coeur.

-Ce que tu ne comprends pas, c'est que je n'ai pas besoin d'expulser quoi que ce soit si tu es à mes côtés pour me protéger.

J'humai son parfum à plein poumons.

-Et j'essaie de beaucoup moins garder les choses pour moi, contrairement à ce que tu penses.

Je me reculai enfin de lui, posant un doigt à l'emplacement de son coeur.

-Toi par contre, il y a une colère qui a l'air de toujours dormir en toi. Est-ce que c'est à cause de ta greffe ?