Une tentative pour fuir le sujet ? Peut-être. Mais aussi une véritable inquiétude.

Est-ce que cette colère sommeille toujours en lui ? Est-ce qu'elle ne s'arrête jamais de gronder, est-ce qu'il doit la dompter chaque seconde de chaque jour ? Est-ce que ce n'est pas épuisant ? Est-ce que ce n'est pas un fardeau ? Est-ce que c'est pour ça qu'il s'énerve beaucoup plus rapidement que d'autres personnes ? Est-ce qu'il n'aurait pas besoin d'aide ?

Et pourquoi ne lui en a-t-il pas parlé ? Pourquoi est-ce qu'il s'en est caché ? Est-ce qu'il en a honte ? Est-ce qu'il juge ça bête ? Est-ce qu'il pense la protéger ainsi ? Est-ce qu'il s'y est tellement habitué que ce n'est plus rien pour lui ?

Tant de questions ; trop de questions. Et pas de réponse.
Si.

Ys reprend finalement la parole, il explique que le Dragon est toujours là, qu'il vit à travers lui, exprime ses sentiments ; il est indépendant, et possède lui aussi ses propres émotions. Alors avec ce pouvoir, est-ce que ça ne va pas être pire pour Ys ? Est-ce qu'il ne va pas ressentir tout de manière plus forte, plus dangereuse aussi ? Comment va-t-il pouvoir réussir à tenir, avec moi à ses côtés, si faible, si sensible ; je vais le tirer vers le bas, l'empêcher de rester stable. Encore une fois, je suis dangereuse pour lui, ne le suis-je pas ? Comment peut-il continuer à rester à mes côtés, encore, toujours, alors que je suis capable de lui faire tant de mal ?

Je me pinçai la lèvre, relevai le regard vers lui alors qu'il exprimait... Un regret. Et pas n'importe quel regret.

Je sentis mon coeur rater un battement. Je le dévisageai un instant, sans réussir à bien interpréter ce qu'il venait de dire. Ou peut-être l'interprétai-je bien, justement ?

-Regretter... Que je sois devenue Master ?

Je voulais lui poser d'autres questions. Lui demander comment je pouvais faire pour l'aider, le soutenir pour tenir le Dragon loin de tout ça. Lui demander si ce n'était pas trop épuisant, si je pouvais faire quoi que ce soit pour le soulager. Mais je restais bloquée. Il regrettait... Que je sois. Devenue... Master ?

Qu'est-ce que ça aurait changé...?

Je n'étais malheureusement pas Télépathe. Je n'étais que Sensitive.

Et là, mon angoisse était en train de resurgir, sans que je ne parvienne à calmer les battements de mon coeur.

J'étais si faible et si sensible que c'en était épuisant même pour moi. A chacune de mes angoisses se reflétait la peur d'Ys de mal faire les choses. Je le voyais -je le sentais - s'agiter pour essayer de trouver la solution, pour me calmer, me permettre d'aller mieux. J'étais une véritable bombe, sous forme humaine. Et le pire, c'est que maintenant que je savais que sa greffe réagissait aussi mal à ces pouvoirs, c'était encore pire, parce que si j'explosais, je pouvais littéralement être à l'origine de sa propre explosion.

Comme je le sentais s'agiter, la parole ne tarda pas à prendre le relais, et il s'empressa de me rassurer. Bien sûr que je dois être Master, je ne pourrais être rien d'autre. Non, ce qui l'embête, ce n'est pas ça, c'est autre chose. Ce qui l'embête, non, ce qui le gêne ? Ce qui lui fait si mal ? Pourquoi est-ce que je ressens autant de peur d'un coup ? Ce n'est pas la mienne, je commence un peu à faire la différence à force de n'être concentrée que sur lui, et ça, ce n'est pas moi. Non, c'est lui.

C'est lui, qui a si peur pour ma greffe. Et je crois que je n'aurais jamais imaginé que ma greffe puisse le faire autant souffrir. L'espace d'une seconde, si infime et pourtant si présente, je sentis mon coeur se gonfler d'effroi d'un coup. Il avait si... peur. Pourquoi est-ce qu'il ne m'avait jamais rien dit ? Ou alors peut-être que si. Peut-être que si, on en avait parlé, mais j'avais un peu passé sur ça, prétextant que de toute façon ce n'était pas pour tout de suite, et que oui, oui, j'allais faire attention, promis. Sauf qu'il n'y avait pas juste ça, pas juste cette promesse, ce "c'est pas encore maintenant". Il y a aussi une véritable peur derrière.

Je partirai, et lui restera. Et tout ça à cause de ma greffe.

Mon coeur se serra fort un instant avant de reprendre un rythme plus mesuré tandis qu'Ys reprenait la parole en s'éloignant vers la cuisine, cherchant à changer de sujet.

Je me levai alors rapidement du canapé pour essayer de le rattraper, attrapant sa main et serrant ses doigts dans les miens. Je le forçai un peu à se tourner pour me faire face, et les yeux au bord des larmes (va falloir s'y habituer), je laissai un faible sourire se voulant rassurant s'étirer sur mes lèvres.

-Je ferai tous les tests que tu veux. Je suis désolée de ne pas avoir pris ce... fardeau plus sérieusement. Je ne pensais pas que ça pouvait autant te blesser et... Et c'est vrai que lorsque ça me concerne, j'ai tendance à laisser couler et à m'en ficher. Mais ce n'est pas bien, parce que toi ça te met dans l'incertitude et... Et je suis désolée. Je suis vraiment désolée de ne pas avoir vu ça avant. Je ferai plus attention désormais.

Ne sachant pas encore si j'étais prête à accepter le contact de ses lèvres contre les miennes, je me contentai d'appuyer mon front quelques secondes sur son torse avant de me redresser avec un joli sourire sur les lèvres.

-Je vais essayer d'aller dormir, je pense. Je suis trop fatiguée après cette soirée, toutes ces émotions et... Et je pense qu'il faut que je profite du fait que tu as réussi à me calmer pour trouver le sommeil. Mais si tu ne viens pas dormir tout de suite, tu peux faire des panneaux que tu places tout autour de la maison où tu expliques que quiconque ressentant des émotions fortes qui entre dans ce périmètre le fait à ses risques et périls.

Si, j'y pouvais quelque chose. Je pouvais faire plus attention. Prendre davantage en considération ses inquiétudes. Accepter de passer tous les tests que Norah souhaitait me faire passer plutôt que faire la sourde oreille. Faire de vrais examens...

A commencer par celui qui m'indiquera si je suis capable d'avoir des enfants ou non. Pour Ys.

Je me mordis légèrement la lèvre inférieure, avant d'accorder un sourire tendre à mon compagnon. Je hochai doucement la tête alors qu'il m'invitait à aller me coucher pendant qu'il s'affairait à faire ces fameuses pancartes. Il n'y avait bien que lui pour faire ça.

Je me sentis cette fois moins brusquée lorsqu'il m'embrassa, et je savourai ce contact quelques secondes avant de prendre la direction de la chambre. Alors que je montais les escaliers, il m'interpella, et je me tournai vers lui, sentant mon coeur accélérer légèrement sa course sous ses mots délicieux. Je souris tendrement.

-Moi aussi, je t'aime, Ys.

Puis je rejoignis enfin mon lit. Malgré cette soirée agitée, je mis un certain temps avant de parvenir à trouver le sommeil, sentant Ys s'agiter au rez-de-chaussée. La nuit risquait d'être mouvementée, je le sentais. Imaginez si l'un de nous deux faisait un rêve un peu trop réaliste pour nous empêcher de contrôler nos émotions ? Mais n'allons pas jusque là Mitsuki. Courage. Demain est un nouveau jour. Et peut-être, avec un peu de chance, retrouverons-nous nos véritables pouvoirs au lendemain matin...

Doucereux espoir.