Inspirer. Expirer. Ralentir.

Moins vite.
J’implore.

Tout vacille.

Inspirer.

Il fait jour.

Expirer.

Il fait nuit.
Comprendre, j’essaie. Tout va trop vite. Les images plus rapides que des pensées.

Je vomis.

Erik ?????
Il ne répond pas.
Pas là.

Ou je n’ai pas parlé ?
Pas à la bonne époque.

Mon cœur se serre quand je la reconnais.
Ses boucles.
Ses fossettes.
Mes fossettes.
Maman.
Etrange.
Maman joue avec Tjay.
C’est un joli souvenir.
Ce n’est pas un souvenir.
C’est réel.
C’est en train de se passer.
Je sens l’odeur du lait sur le feu.
J’entends le vent dehors et le ronflement de papa à l’étage.
Je sais que c’est papa.
Pourtant j’avais oublié.
Je suis là.
Sur une chaise haute.
C’est doux.

Je souris.

Nuit.
Terrae.
Baxter ?
Qu’est-ce que tu fous là ?
Afya ?
Ramiel ?
Ah.
Je sais.
On me l’a raconté
Ce passé pue.

Présent.

Je crois ?

Il y a du vomi dans mon lit et je peine à m’en extraire. Saleté. C’est pire que quand j’me pisse dessus pendant la nuit par regorgement. Oui je sais ça ne devrait pas arriver et tout. Merde. J’ai le droit d’être irresponsable. Puis de boire trop. Puis. Osef je sors de mon lit et vire mes draps dégueulasses. Me fige. Sur mon fauteuil je me roule en boule.

Ses fossettes.
Mes fossettes.
Qui es-tu ?

[C'est un Speed-RP]


La réunion terminée, on s'est bien rendus à l'évidence : la situation pue bien plus que ce à quoi on s'attendait. Mais vraiment bien, bien plus. Bon, pour le moment, je le vis pas trop mal ; je suis un peu bloqué dans les visions que j'ai par moments, mais j'essaie de faire abstraction des trucs violents ou douloureux que je vois. J'me rends compte que tous les dossiers que je pensais réglés sont pas tous fermés ; mais c'est aussi une occasion d'en parler à ma psy. Au final, aujourd'hui, je me sens beaucoup moins instable qu'il y a plusieurs années. J'aurais sans doute pété les plombs. Mais là, ça va mieux, tout doucement. Ca prend du temps, mais j'y crois. Et j'me raccroche vraiment à ce joli futur que j'entrevoie, ce joli futur que j'aimerais voir arriver plus que tout. Même si je suis inquiet, ça me rassure suffisamment pour que je puisse continuer à mettre un pied devant l'autre et sourire. Quitte à passer pour le casse-couilles de service.

Mais tout n'est pas rose.

Ipiu n'est pas venue à la réunion, alors, sur le retour, je me dis que je vais passer. Quand j'y pense, j'me dis qu'elle doit douiller. J'vais sonner, j'attends tranquillement qu'elle m'ouvre. Vision d'elle recroquevillée sur son fauteuil. Mes sourcils se froncent, visage un peu tendu. Je resonne. J'veux pas la déranger, mais j'suis inquiet. J'la connais assez pour savoir que souvenirs + ipiu = potentiel de pls intense.

—Piu, c'est moi, je dis à travers la porte.

Peut-être que je suis juste pas assez patient. Elle se déplace pas à la vitesse de l'éclair…

Loin et proche.
Tu n’es pas.
Passé ou futur ?
Tu me ressembles.

Larmes sur les joues.
Joues sur les genoux.
Sanglots.

Il était là.
Tu était là.
Toi qui n’a pas de nom j’aurais pu saisir ta main.
Toi qui n’a pas de nom j’ai vu ton reflet.
Mon reflet.
Aucune trace de celui de Nath.
Passé.

Je serre mes genoux contre mon torse.

C’est Terrae ça ?
Vraiment ?
C’est quoi ce bordel ?
Pourquoi les tables sont renversées ?
Hm.
Non.
C’est Terrae, tout est normal.
Suffit qu’il y ait eu une étoilisation dans le coin.
Pourquoi ça me blase ?

Aaron ?
« Aaron ? »
Aaron ?
« AARON ? »
Je cris.

Elle répond pas, ça m'inquiète. J'respire tranquillement, du moins j'essaie ; c'est pas forcément toujours catastrophique. Pas forcément. Pas toujours. J'entends pas de bruit, dans un premier temps. Puis sa voix, je crois ; et le cri étouffé par la porte provoque immédiatement son écho dans ma tête, plus proche, plus fort. Je jure entre mes dents. Dans mon élan, je pose la main sur la poignée — la glace vient exploser la serrure dans un fracas explosif. J'paierai pour les réparations plus tard ; je me précipite à l'intérieur.

Gauche, droite ; j'la cherche dans toutes les pièces, j'la trouve recroquevillée dans un coin. Ca schlingue dans sa piaule. Mes lèvres se pincent, je m'approche et m'accroupis doucement près d'elle.

—Eh. Salut, je souris, très doucement.

J'essaie de pas la brusquer. J'sais pas trop pourquoi elle est dans cet état. Mais j'm'inquiète. J'ose pas poser ma main sur la sienne, je sais pas si elle risque de mal réagir.

—J'suis là, Piu. Tu te réveilles ?

Pantalon rouge.
Cours de math.
Voix.
Regard caché par des lunettes.
T’as toujours eu un beau cul.

Salut ?
Je crois.
Je me perds.
Je ne maitrise rien.
Ici.
Aaron.
Dans ma chambre ?
C’est pas la première fois.
C’est pas la dernière.

Elles défilent.
Il est là.
Toujours.

« Je dors pas ! »
Nos regards se croisent.
Nous sommes là.
Quelle heure est-il ?
Non.
Quel jour est-il ?
Je me redresse.
Les larmes coulent.
Les larmes inondent.
La pièce.
Pourquoi je pleure ?
Il est dans mes bras.
Lui dont je ne connais le nom.
Il est dans mes bras et je le serre tout contre moi.
Sur le fauteuil.
Cette scène n’a jamais eu lieu.

« Ronron. On est voyants ? »

Elle ne dort pas, et pourtant elle me donne pas l’impression d’être là. Je lui lance un sourire triste, mais un sourire quand même. Elle pleure, elle se redresse, on dirait qu’elle va chuter mais elle tient bon. Difficilement. Doucement, je pose ma main sur la sienne. Je la serre un peu, pour lui faire prendre conscience que la réalité est là, maintenant, tout de suite.

—On est voyants, j’acquiesce. Et ça pue.

Ca pue pour tout un tas de raisons diverses et variées, mais surtout parce qu’on a changé d’affinité et qu’elle a l’air de pas être là devant moi. Je presse de nouveau sa main, doucement. Je sais pas ce qu’elle a besoin que je dise, alors je lâche :

—On est en novembre, on est dans ta chambre, dans ta maison à Terrae. Tu es avec moi ? Ou tu es ailleurs ?

Le mot maison m'envoie des images d'un temps révolu, mélangées avec celles d'un temps que je connais pas encore. Mais ça aussi, ça passe.
Les images, c'est comme les émotions. On peut décider ou non de se laisser happer.

C’est aujourd’hui demain.
C’est demain.
Novembre.
Ce n’est pas aujourd’hui.
Ce n’est pas moi.
Ce n’est pas.
Je ferme les yeux.

Aaron ?
Il ne m’entend pas.
Je ne suis pas là.

« Aaron ? »
Je respire.
« J’crois que j’t’ai vu plus jeune, t’étais sexy de ouf ! »

C’est pas toi.
Pas toi que je vois.
C’est son sourire.
Mon sourire.
C’est lui.
C’est lui.

Je ferme les yeux.
Je suis voyante.
Je peux voir.
Je veux voir.
Les derniers instants.
La réponse à une question.

Un enfant de sept ans.
Lui.
Moi.

Je déglutis.
« Ronron… J’crois j’suis dans la merde. »

Elle est pas bien. Elle est pas là. Je presse ses mains dans les miennes, secoue presque ses bras pour la faire réatterrir.

—J'ai toujours été sexy, mais j'savais que tu m'croirais que si tu l'voyais de tes propres yeux, je lui lâche, souriant à moitié seulement.

Est-ce qu'elle revient ? Est-ce qu'elle m'entend réellement ? Qu'est-ce qu'elle voit ? Sa famille ? Son frère ? Ses parents ? J'essaie de l'encourager, d'une voix douce mais un peu haute, pour qu'elle m'entende, qu'elle me réponde.

—T'es souvent dans la merde, ma grande, mais j'avoue qu'il va me falloir plus de détails que ça… Il s'est passé quoi ? Il va se passer quoi ? Regarde-moi, Piu, s'te plaît.

Si elle panique, c'est que c'est grave.
Si elle dit qu'elle est dans la merde, ça concerne qu'à demi Terrae. Sinon elle dirait pas "je". Elle dirait "on". J'la connais. C'est personnel.
J'arrive pas à savoir. J'essaie juste de la forcer à planter ses yeux dans les miens.

Le futur et le passé.
Le futur est le passé.
Le présent est flou.
Je pleure encore.
Ronron.
C’pas folichon.
Faut que je te parle.
Faut que je te réconforte.
Faut que j’arrête de pleurer.
« Je crois que je suis maman. »
Présent, pas futur.
Non, avoir enfanté ne fait pas de moi une mère.
J’inspire.
Je reprends.
« Je crois que j’ai un enfant. »
J’lui ai dit pour le Centre.
Plus ou moins.
Sans doute moins.
J’lui ai parlé.
Je crois.
J’ai fui.
Beaucoup.

Et il me regarde.
De ses yeux sans innocense.
Qui es-tu ?
Où est-tu ?

J’ai froid.
Je dois me concentrer sur Aaron.
Le présent doit exister pour permettre le futur.
J’inspire.
Qu’est-ce que je vais faire ?
Qu’est-ce que je peux faire ?
Je crois qu’il est vivant.
J’ai peur.
Et mal.

Ma voix s'éteint dans ma gorge en même temps que mon souffle. C'est lourd, c'est difficile. J'arrive pas à sourire, je serre juste ses mains dans les miennes. Elle pleure encore. C'est la merde. Je comprends. Je baisse les yeux. Je les relève. Je fixe Piu. J'respire.

—J'suis désolé, Piu. On va gérer ça, ok ? Il faut que tu reviennes.

Regarde-moi. Reviens ici. Le passé est une pute et le présent aussi. Mais on peut juste le vivre. Si tu t'effaces, t'auras plus rien à vivre. Alors sois présente.

—On va trouver une solution. On va le retrouver. Pour le moment, il faut que tu reviennes. Si tu ne reviens pas, on ne pourra rien faire.

Je presse de nouveau ses mains dans les miennes.

—Je suis là.

Toi aussi, tu es là.

Gérer ça.
Ça.
Ça, quoi ?
Que j’sois mère ?
Qu’il soit vivant ?
J’sais même pas ce que « ça » signifie.
Alors comment le gérer…
« Oui on va gérer. »
Lol.
LOL.
J’ai pas envie de gérer.
J’ai envie d’être SENSITIVE PUTAIN.
Là je gère PAS BORDEL.
RESPIRE PUTAIN.

Il est là.
Je ne le suis pas.
Qui sont-ils ?

OK.
Non.
Juste non.
Présent.
Aaron.
Juste Aaron.
Je serre les dents.
« Bon. Par où on commence ? »
Non parce que là j’ai besoin d’action.
Besoin de faire quelque-chose.
De casser quelque-chose.

Ah.
Non ça j’y suis pour rien.
Les portes défoncées c’est la came de l’autre teubé de chauve.

On va gérer, ouais. Mon cul c'est du poulet farci, bonjour. Mes sourcils se froncent. Elle repart. Je secoue gentiment ses mains. Reste là.

—On commence par le truc le plus important.

J'me redresse et lui indique de me suivre jusqu'à la cuisine en tirant sur sa main. Si elle le fait pas, j'la pousserai moi-même, mais j'aimerais éviter.

—On va se préparer à bouffer et on va manger. Tu veux une omelettes ? Ou tu préfères les oeufs brouillés ?

Mon visage est assez fermé. J'sais qu'elle va rager, râler, tout ce que vous voulez. Maiss là, c'est pas le moment de prendre des décisions, elle est pas vraiment là. D'abord, qu'elle redescende.

« J’ai pas faim. »
J’ai jamais faim.
J’ai l’impression que si j’mange je vais vomir.
Alors non j’bouge pas.
Je ferais pas un geste dans sa direction.
J’ai pas faim j’ai dit !
Ok.
J’me comporte comme une enfant.
« Mais je peux te regarder manger. »
Ipiu.
Moi.
Tu dois manger.
Ma gueule.
C’était quand mon dernier repas ?
Je sais pas.
Fuck.
« Ok pour des œufs brouillés s’ils se réconcilient. »
J’disais quoi déjà ?
Awi : fermer sa gueule.
Au moins j’suis bien là.

Evidemment.
Putain.
C’est où ça ?
Non.
C’est quand plutôt ?

Osef ça sent les œufs au bacon.

—Mais si, t'as faim, je lâche, blasé, la poussant finalement, puisqu'elle n'est pas déterminée à bouger.

Arrivés dans la cuisine, je la laisse se débrouiller pour s'installer tranquillement, avant d'aller mettre ma tête dans le frigo et regarder s'ils ont des oeufs, du fromage… et plein de trucs à mettre dedans, en fait. Miam, du bacon. J'prends de quoi, je sors le sel, quelques épices, et je m'installe devant la poele.

—Promis, ils seront les meilleurs copains du monde ; mais seulement s'ils se retrouvent dans ton estomac. T'es essentielle à leur réconciliation, meuf.

Bientôt, ça embaume la cuisine. Je pose l'assiette devant Ipiu, m'assois sur la chaise à côté et souris en coin :

—Rassure-moi, dis-moi que j'dois pas te donner la cuillère…

Une enfant.

Ah j’crois c’est moi.
Relou.
J’avais vraiment les cheveux aussi longs ?
Hm.

Bref.
Aaron me donne l’impression que je suis une enfant.
Ça me saoule.
Genre.
Il me faut de l’alcool pour accompagner ces œufs.
Si c’est une bonne idée.

Ah peut-être pas.
J’ai vraiment l’air mal là.
C’est la même cuisine…
Les mêmes vêtements…
C’est dans combien de temps ?
Ok.
Autant pour l’alcool.
Ca m’aidera pas à aller mieux plus de trois quart d’heures.

« Si tu le fais d’une manière sexy j’dis pas non. »
Je force un sourire.
Ouai non, sourire aussi ça fait pas du bien.