Elle fait la gueule, et j'm'en fous. J'lui sers ce qu'il lui faut, je lui pose un verre d'eau, et elle répond à ma question con par une réponse con. Je souris en coin et me mets à me tortiller - c'est une parade nuptiale wesh, la parade du canard.

—J'suis toujours sexy, meuf, t'as la mémoire courte.

Cette fois, je lui pose sa cuillère et je me pose à côté, tête sur les bras, pour la regarder faire. Un téléphone sonne. J'réponds pas.

—Essaie de manger, ça te fera du bien. J'te fais l'strip tease que si t'as mangé au moins la moitié !

NON.
Putain.
J’ai pas la mémoire courte.
Surtout que maintenant j’suis voyante.
C’est qui ce bel homme totalement torché qui commence à envoyer voler sa chemise ?
C’est qui ?
C’EST AARON.
Il est en train d’faire un strip-tease.
C’est beau.
J’m’en souviens pas.
Pourtant j’suis là en train de danser avec lui.
Merde.
Non mais j’suis en train de twerker les gars.
J’ai le droit de dire merde.
J’avais un joli déhanché.
Putain.
Au moins ça m’a changé les idées.

« Tu viens d’m’en faire un. »
Il n’y a pas que des désavantages à être voyants…
J’porte une cuillère à ma bouche, mon estomac se serre.
Trop tôt.
Beaucoup trop tôt.
« Ronron ? On va enfin pouvoir savoir ce qu’il s’est passé la nuit où on a trouvé… Blobby ! »
J’ai besoin de détourner son attention.
J’arriverais pas à manger.

Comment ça j'viens de lui en faire un ? J'lui ai jamais fait de strip-tease de ma vie, elle fabule. Ou alors c'est du futur ? Ou alors c'est……. du passé qu'on aurait voulu oublier ? Nan, j'veux pas savoir, omg omg omg.

Un flash violent d'un ado qu'on balance dans l'aquarium où vivait visiblement Blobby. Ah.

Ouais.
Non.

—Nan mais y a des trucs qu'on a dit qu'on tairait à jamais, c'est pas pour que ce pouvoir de merde nous mette les images, en fait-…

Déjà y a trop de photos qui trainent sur mon ordi et ça m'va pas du tout.
J'fixe Ipiu qui a pas l'air de manger.

—Tu as besoin d'un truc pour ton estomac ?

Laisse tomber j'abandonnerai pas.

« Voir c’est pas en parler... »

Non mais merde, qu’il ne fasse pas genre. On veut pas savoir parce qu’on a fait de la merde, mais franchement… J’pense qu’on est assez grands pour savoir hein ? PUIS C’EST PAS COMME SI JE POUVAIS SORTIR LES IMAGES POUR SON MARIAGE.

OMG LOU EST TELLEMENT CANON EN ROBE DE MARIEE. OU EST LOTTIE ? BLBLBLBLLBLBLBLBLBLBLBLLB. C’est quand même vachement plus sympa comme visi… WAIT. C’est qui ce petit garçon chatain aux yeux violets ? WAIT.

Des images défilent. Une vie. Un enfant. Qui grandit. JE VEUX QUE CA S’ARRETE.

« STOP ! »

Inspire. Expire.

« Ouai de la vodka et d’la forte. »

J’ai envie de vomir.

—Voir, c'est carrément pire qu'en parler, sérieux.

T'avais zappé que j'étais un faible ou ça s'passe comment ? J'veux pas savoir. J'attrape une fourchette pour piocher dans son assiette (ouais elle va quasi rien bouffer et le lard me fait d'l'oeil, j'ai TELLEMENT faim, vous pensez c'est les hormones ?). D'un coup, elle hurle et j'me demande si c'est parce que je viens d'engloutir le lard. Je m'arrête dans mon mouvement de mâchage, un bout de viande qui dépasse de la bouche, puis décide de l'avaler. Déso.

—Déso, tu voulais la bacon ? Il te reste une tranche-

Ah, elle parlait pas d'ça. Je fais la moue, me lève, ouvre une fenêtre ; le téléphone sonne PUTAIN D'ENCORE mais ferme ta gueule le téléphone, en fait ? Je vais fouiller dans des placards, prends un verre et lui pose devant elle… rempli d'eau, plus un médoc pour l'estomac et un truc pour le mal de crâne, au cas où.

—Sûrement pas.

J'me réinstalle, un peu plus sévère mais inquiet, détaillant ses expressions. Elle est dans un piteux état. Et ça empire de jour en jour.

—Tu sais qu'il va quand même falloir qu'on en parle ?

J'parle pas du gamin.

« Ouai bon on a couché ensemble, c’bon j’croyais tu voulais pas qu’on parle de cette soirée. »

Non mais.
Merde.
Il a réellement cru qu’on allait en parler ?
MAIS LOL.
TU VAS LA FERMER PUTAIN DE TELEPHONE.

Senri.
Afya.
What ?
Attends ils sont en train de se marier où ?
Attends ils se galochent ?
Attends pourquoi j’me bidonne en arrière plan ?
Oh samer.

« Aaron j’crois faut décrocher. C'est important. »

Oui DOUBLE CHANGEMENT DE SUJET.
Non je ne veux pas en parler.
Et j’veux pas boire ta saloperie.
Et tu peux manger le reste du bacon si tu veux.
J’m’en balance.
Je veux ma vodka.
J’profiterais qu’il soit au téléphone pour boire mon putain de verre.
J’en ai BESOIN.

J'm'étouffe à demi avec ma salive.

—Mais non, je parlais pas de ça ! Et comment ça on- Nan, laisse tomber : je veux vraiment pas savoir !

Le téléphone sonne encore et c'est en train de me taper sur les nerfs. Quand Ipiu me dit que c'est sûrement important, je lui lance un regard un peu saoulé et me lève de ma chaise pour décrocher. C'est Senri… Senri ? Mais putain !! Je décroche avec un magnifique "QUOI ?".

- ALLO MADAME IPIU ON EST COINCES À L'HÔPITAL MAIS C'EST TROP DES TOCARDS ON COMPRENDS RIEN VOUS POUVEZ VENIR NOUS CHERCHER ?
—What mais PUTAIN SENRI ARRÊTE DE GUEULER ! Coincé à l'hôpital ? Qu'est-ce que t'as encore fait ?!
- MADAME IPIU ? Vous avez une drôle de voix. Vous aussi vous avez bu ?! Et on est l'hôpital... mais je sais pas lequel c'est... En tout cas, ce n'est pas le casino, mais le vrai hôpital hein !! Et c'est parce que... euh... j'me suis cassé le nez tout à l'heure en me téléportant. Ouais. Il est genre à l'intérieur de mon visage.

Bu. Il a. Bu. Mais. Quoi. Quoi. Hôpital ??? Il est SERIEUX ?

—.... Nan c'est Aaron. C'est quoi cette histoire de picole ? … Attends, attends, attends. Casino ? Vous êtes où ?
- AH SENSEI. Je vous avais pas reconnu !! Bah, euh... On est à Los Angeles, j'crois.

J'me balance vers Ipiu, clairement, clairement vénère, vu que je commence à faire le lien entre la cuite de l'un, et les problèmes de l'autre pour chuchoter pendant qu'il finit de parler :

—Mais qu'est-ce qu'ils foutent à Los Angeles ?!
- Dans un hôpital, continue Senri. Mais avant, on était dans un hôtel bizarre. Parce qu'on s'est peut-être, un peu marié. Mais sans faire exprès, quoi.
—............ Sans faire ex-... Non mais j'y crois pas... J'veux le nom de l'hôpital et l'adresse, Senri. Et vous bougez pas !!
- OUI MONSIEUR. Pardon. J'peux vous l'envoyer par message ? Je crois que me crâne recommence à couler, ça va tuer mon portable si ça continue.
—Fais ce que tu veux, mais envoie-moi cette fichue adres-

Et il raccroche. J'VAIS BUTER CE GOSSE J'EN PEUX PLUS. J'inspire et expire lentement, me retourne vers Ipiu. … Et lui arrache son verre des mains après avoir eu une vision flash, les yeux lançant des éclairs métaphoriques.

—C'est pas de l'eau, ça, je siffle.

Ouais, là j'suis bien saoulé.

« Bah quoi ? T’es voyant, toi aussi tu peux sav… »

Ok alors jusqu’à ce point précis d’la conversation j’avais balancé ça juste pour qu’il me foute la paix avec l’alcool…. Là j’ai eu un flash. Putain. Il me faut ce putain de verre.

Diversion réussie. Merci Senri.

J’aimerais dire que j’me lève pour m’servir un verre mais vous savez très bien que j’peux pas. Des souvenirs de la soirée de la veille se mêlent aux visions. Genre c’était une bonne soirée. C’est toujours hyper fun les mariages, surtout quand c’est pas le mien. NOOOOOON. JE NE VEUX PAS DE FLASH. OH PUTAIN CA A MARCHE J’AI PAS EU DE FLASH LALALA.

Aaron prend le verre que je viens de me servir et le vide dans l’évier PUTAIN.

« Bah non c’est pas de l’eau, Afya et Senri se sont mariés, j’ai un fils de huit ans qui à fait ses classes dans la réputée école du Centre, j’crois qu’on peut boire un coup pour fêter ça ? »

Il va me tuer. C’est sûr.

La discussion avec Senri m'a un peu foutu sur les nerfs, surtout parce que j'ai pas tardé à comprendre (et à voir) qu'Ipiu est liée à cette histoire. Elle a emmené un mineur boire à Vegas !!! Et il s'est marié ! Non mais je rêve ! C'est complètement inconscient ! Je veux dire, ça nous est déjà arrivé d'entraîner un jeune dans nos conneries, et le fait que ce soit déjà arrivé devrait être un argument suffisant pour que ça se reproduise plus ! Rrrrah !!

Je vide le verre et le repose aussi délicatement que possible sur la table compte tenu de mon état d'énervement, c'est à dire que je ne l'ai juste pas explosé.

—Non, on ne peut pas ! je réponds d'une voix ferme. Tu vois, c'est exactement de ça que je voulais parler !

Je me retiens fort de lui balancer à la gueule qu'elle a jamais eu besoin d'excuses pour se bourrer la gueule jusqu'ici, visiblement, mais ce serait dégueulasse et contre-productif. À la place, j'essaie de respirer.

—Ecoute, je commence, un peu moins doucement que je voudrais. Je sais que c'est une situation à chier. Que c'est pas facile. Par contre, c'est pas en picolant que tu vas résoudre tes problèmes. Je te rappelle que c'est toi qui me l'a appris.

Parce que j'me souviens de cette fois où tu m'as ramassé par terre. Ca m'a marqué à vie, cette connerie, ok. Et après j'ai mon gamin qui a failli crever d'une overdose parce qu'il voulait pas se faire soigner. Mitsu qui est partie en sucette avec des cristaux de sensitif. Juste. S'te plaît. M'oblige pas à vivre ça, là, maintenant, putain.

Ouai je sais qu’il a raison ? J’le sais ouai. Je sais qu’il pense à Nico, à Mitsu, à tout l’monde et qu’ il se prend littéralement toute la misère de Terrae dans la gueule depuis quelques années. C’est bon j’ai compris pas besoin d’être sensitive pour capter. J’le connais juste trop. C’est pas ses mots qui font mal, c’est son regard.

En vrai j’ai envie de jouer à la plus conne et d’lui dire que je vois pas de quoi il parle. Sauf que je vois et que c’est Aaron, et que je l’aime. C’est relou. J’voudrais juste être une petite garce irresponsable, j’ai pas le droit ? Non. Ok. Bon tant pis.

« Mais du coup j’suis censée faire quoi? »

Ok, là je suis particulièrement injuste. Non parce que si boire ça arrange rien, ça aide quand même à faire passer la pilule. Là en gros j’suis censée faire quoi ? Genre j’continue à avancer comment ? S’il a une idée j’suis preneuse. Même une nulle

J'inspire et j'me repose sur une chaise à côté d'elle, lui reposant son verre avec de l'eau dedans juste devant elle.

—Parles-en à quelqu'un, pour commencer. Pour l'alcool, je veux dire. Est-ce que tu l'as déjà fait ?

La question a l'air un peu teubée, mais elle est réelle. En parler, c'est déjà se rendre compte, au moins un peu. Meuf je sais que c'est pas facile. Je sais que t'as pas envie. Je sais ce que l'alcool aide à combler, pas combler, oublier, annihiler. J'essaie de garder un ton neutre et réellement questionnant, pour comprendre d'où ça vient, et ce que ça lui fait. En bien, en mal.

—Là, tout de suite, j'ai pas de solution miracle, parce que je sais pas ce que tu cherches exactement en buvant. En quoi ça t'aide ? Ca te procure quoi ?

Putain je déteste parler de ça. Je déteste ce rôle. Je déteste, déteste, déteste ça. Ca me rappelle trop de mauvais souvenirs. Ca m'rappelle mes pires périodes, jeune, et à Terrae. Ca m'rappelle la drogue, l'alcool, ça m'rappelle mon ex mort violent, ça m'rappelle Nico et son overdose, ça m'rappelle le coma éthylique que j'ai manqué de faire y a des années. J'ai pas envie de parler de ça, mais j'le fais parce que je tiens à elle.
Ca m'saoule putain.

« On ne va pas faire ça Aaron. »

Clairement t’en as pas envie et j’en ai pas envie non plus. C’est pas ton rôle, alors le prends pas.

« J’en parlerais mais pas à toi. »

Non parce que je sais ce que je cherche, et pourquoi je bois, et je sais que c’est un problème… Mais qu’ça soit clair, je le sais mais je continue. C’est un choix. Je sais que c’est mal, que j’devrais chercher à arrêter, que ça me niquera le foie, c’qui est avouons-le un des derniers organes qui fonctionne correctement chez moi. Je sais que ça m’isole et que je parle moins aux gens que j’aime, mais encore une fois c’est un choix. J’leur imposerais pas ça. J’leur imposerais pas moi dans cet état.

« Je sais que j’fais de la merde, mais je l’assume. »

Seulement, j’ai plus mes pouvoirs pour égaliser mes sentiments alors je les endors avec l’alcool. Là je peux pas tout gérer, franchement, l’alcool c’est le moindre des maux, ça m’aide à ne pas fondre un boulon, à ne pas m’éfondrer ou je sais pas quoi d’autre. J’sais pas ce qui serait pire, et clairement un verre ça me mettra pas en PLS. On se calme.

Ma mâchoire se serre, et un éclair de colère passe dans mes yeux.

—Et tu veux que je fasse quoi, là, du coup ? Que je te regarde faire ? Que je fasse semblant de rien ? Que j'ignore ?

Si tu ne veux pas m'en parler, alors ne me demande pas ce que t'es censée faire. Si tu ne veux pas m'en parler, alors va voir un putain de professionnel !

J'inspire. J'essaie de rester calme, reçois enfin le message de Senri et j'ai envie d'exploser cette saloperie de portable contre le mur. Via mon téléphone, j'envoie un message au premier Master téléporteur du moment auquel je pense, aka Ashton, en copiant l'adresse que m'a envoyée Senri. Il va être surpris.

—Si tu ne veux pas m'en parler, c'est ton choix et je le respecte. Mais parles-en à quelqu'un d'autre, je fais en essayant de ne pas poser brusquement le portable d'Ipiu sur la table, mais d'une voix ferme.

« J’en sais rien Ronron, mais je sais que c’est pas à toi de me tenir la main et de déguster en attendant que ça aille mieux. »

T’as d’jà trop donné, clairement. C’est bon okay j’vais pas bien. J’suis une adulte. J’vais m’en sortir ou pas mais c’est pas à toi d’t’en soucier. Clairement ça te saoule et j’suis pas ce genre de meuf qui se repose sur ceux ses amis. Désolée mec, mais c’est bon. Ca va aller. Ou pas. J’en sais rien. J’arrive pas à imaginer plus loin que ce putain de verre que tu ne veux pas que je prenne. Il me semble être la meilleure idée de l’univers.

Oh c’est bon je sais t’es en colère pas besoin de fracasser mon portable.

« Ce qui est cool c’est que ça fait 5 minutes que j’ai pas eu de vision. On progresse non ? »

Quoi c’est nul comme changement de sujet mais c’est mieux que rien.

Parce que tu crois que je déguste pas déjà, là ? C'est bon, j'suis rentré dedans, j'vais pas me bander les yeux et chanter lalalala jusqu'à ce que j'arrive à faire semblant d'oublier que tu vas pas bien. T'as l'air d'oublier un truc, Piu ; j'suis ton pote. Je déteste faire ça parce que j'aimerais juste pouvoir te faire aller mieux d'un coup de baguette magique.

—Ouais, c'est du progrès. Comme quoi, on s'y fait !

Lol. On s'amuse ici. Je reçois la confirmation d'Ashton, qui a l'air vénère. Il a toujours l'air vénère.

—Il faut vraiment qu'il apprenne à décompresser, celui-là, dis-donc !

Dis-je.