Matthew avait semblé surpris par mes paroles, au début. Et puis, imperceptiblement, alors qu'il desserrait la couverture qui nous réchauffait tous les deux, je fus persuadée de voir un petit sourire pointer le bout de son nez sur ses lèvres. Je souris à mon tour, et pris enfin pleinement conscience de mon emportement de tout à l'heure. C'était vraiment rare que je m'exprime comme ça. J'avais terriblement changé depuis que j'étais à Terrae... De puis mon enlèvement, surtout.
Un peu gênée désormais d'avoir agi ainsi, je passai une main derrière ma nuque et regardai vers le bas. C'est à ce moment là qu'il déclara que j'étais officiellement la personne la plus étrange qu'il ait rencontrée. Il pouvait parler, tiens ! Enfin, je disais ça, mais sa remarque m'avait gêné encore un peu plus. Rah ! Je n'ai rien d'étrange... Si ? Vraiment ? Je veux dire, à part mes cheveux et mes yeux, je suis tout à fait normale...
Je relevai la tête vers lui lorsqu'il me remercia. Si j'étais étrange, lui était surprenant ! Il leva ensuite les yeux vers le ciel et ris légèrement avant de me dire que si je continuais, il pourrait attraper la grosse tête. Je ris à mon tour, et suivis son regard avant de le dériver sur la lune.

-Menteur, tu ne prendrais jamais la grosse tête.

Je fermai les yeux un instant, et laissai la brise caresser doucement mon visage, faisant voleter mes cheveux dans mon dos. Un petit sourire se fraya un passage jusqu'à mes lèvres, et je basculai lentement en arrière, posant mon dos sur le dossier du banc. Je rouvris les yeux et vis à cet instant là une étoile filante passée. Comme une enfant, je me levai d'un bond et la pointai du doigt. Je me tournai vers Matthew avec un grand sourire.

-Fais un voeu !

Reportant mon attention sur l'étoile qui disparaissait déjà, je fermai les yeux et priai fort fort fort pour un jour pouvoir revoir Maman et Papa.
Lorsque je rouvris les yeux, je me tournai vers Matthew, le visage aussi émerveillé que l'aurait été le visage d'une gamine à ma place. Je jetai un coup d'oeil à son bras, cherchant à voir s'il ne saignait pas trop.

-On va faire un tour ? Ou tu es trop fatigué ?

-Non ! m'exclamai-je automatiquement.

Craquante ? Non mais non !
Détournant le regard, je cachai mon visage à l'aide de mes cheveux. J'avais toujours eu un mal fou avec les compliments. Accepter ? Trop difficile ! J'avais beau parfois jouer la dure, ou bien la fille sûre d'elle... J'avais une image bien piètre de moi-même ! Si on me mettait devant une glace, je m'arrêtais et me regarder longuement, mais pas pour me dire "Je suis moche" ou alors "je suis belle" ou tout ce genre de réflexions débiles et puériles. Je me dis simplement... "Qui suis-je ?".
Je finis par secouer la tête pour me remettre les idées en place. Je relevai la tête et posai mes prunelles violines sur Matthew.

-Je ne suis pas "craquante" je suis juste idiote, à m'extasier pour un rien. Il y a une différence, tu sais !

Je lui adressai un sourire, tentant de faire passer ma réaction pour quelque chose de "naturel". Hahahah. Je suis convaincante... Je me sens convaincante !
Je suis ridicule... Et je ne me convaincs pas moi-même. Désespérante. Je suis désespérante !

-Bon, on va faire un tour alors ? A rester immobile je vais mourir de froid, et toi tu vas te vider de ton sang avant même d'avoir fait deux pas !

Je me rapprochai de lui. En fait, si jamais il s'évanouit parce qu'il a trop forcé, ce sera de ma faute, non ? Nan mais en vrai ! C'est dangereux ce que je lui fais faire ! Non ?! Je suis une criminelle quoi, je lui fais du mal !

-Hé, Matthew, en vrai, si ça va pas et que tu veux rentrer, tu me le dis, hein ? Ca sert à rien de faire le fier dans ces cas-là, hein ! Parce que si tu te mets à devenir immobile et tout violet, je vais super flipper moi.

Oui, l'hyperactivité. Parait que c'est un truc de Tonnerre. En général, moi, c'est quand je suis nerveuse. Genre quand on me fait un compliment...

Comment expliquer ça ? Toute ma vie, je n'ai jamais été proche d'un seul garçon, en excluant Allen, que je considère comme un frère étant donné que depuis que je suis née, je le connais. Alors... Les autres mecs que j'ai pu rencontrer ? Je m'étais forgé mon petit caractère, pour me défendre des moqueries sur mes cheveux, résultats, ces relations que j'avais avec la gente masculine étaient... très masculines également. Ce n'était pas pour rien que j'en étais venue à mettre les vêtements d'Allen. J'étais devenue... "leur pote". Et ça m'allait très bien !
Sauf qu'en arrivant à Terrae, tout d'abord, je n'ai plus vu personne qui m'a charié sur la couleur de mes cheveux, ou sur celle de mes yeux, mis à part Matthew (mais là encore, c'est terminé). Je me suis faite enlevée par les scientifiques... Et face à l'absence de mes parents, j'ai changé à nouveau. L'espèce de "guerrière" que j'étais devenue était repartie pour laisser place à l'enfant, ou plutôt la fille, la vraie, que j'étais lorsque j'étais petite. Alors maintenant, où j'en étais ?
Mes relations avec les garçons s'étaient arrêtés aux tapes sur les épaules pour se dire bonjour, et certainement pas à la proximité de quelque chose s'apparentant à un câlin ! Des copains ? Oui, j'en avais eu, alors n'allez pas me sortir le coup du "Comment ça, pas de câlins ?! T'as jamais eu de petit ami ?!". Si, j'en ai eu ! MAIS ! Le détail... C'est qu'ils ne faisaient jamais long feu. Bon, je n'ai jamais eu la masse non plus, une main me suffit pour les compter, et encore ! Mais je n'étais jamais très proche d'eux, et la mentalité japonaise aide énormément pour ça.
Alors là, vous voulez que je vous dise de quelle manière j'avais envie de réagir ? En prenant mes jambes à mon coup et en rentrant en courant le plus vite possible pour retourner dans ma chambre vite fait bien fait !
Dès qu'il avait posé son front contre le mien, plantant son regard azur dans le mien, j'avais senti mes joues passer d'un coup au rouge. Devenue pourpre, il avait fallu qu'il en rajoute ! Nan mais il pouvait pas se contenter de ça ? Non, il fallait en plus qu'il ajoute une main dans les cheveux ! Et bien j'ai beau aimer les papouilles dans les cheveux, ce n'est pas une raison ! Là, j'étais juste TERRIBLEMENT gênée ! Nan mais mince quoi ! Il abuse !

-Ben appelle moi "l'idiote" alors, parce que c'est ce que je suis !

J'avais réussi à aligner tous ces mots sans bafouiller, et je devais bien avouer que j'étais super fière ! En plus, je crois bien que je commençais à ré-rougir (si, si, ça se dit). Enfin... Je crois, hein...
Inspirant un grand coup, je réussis à garder mes yeux plantés dans ceux de Matthew sans me sentir obligée de détourner le regard. C'est que je progressais l'air de rien !

-Et sinon heu... C'est marrant, je me doutais que ce n'était pas la première fois que tu t'échappais en douce d'un hôpital !

En disant ça, genre "je détourne l'attention", je tentai en douce de m'éloigner de lui, décollant tout d'abord mon front de lui. Je penchai légèrement la tête pour que sa main glisse hors de mes cheveux, et je poursuivis :

-Tu avais l'air de connaître le truc, quand tu as retiré les fils de tes bras.

Je fus rassurée lorsqu'il cessa d'être trop proche de moi, ou plutôt lorsque je constatai qu'il ne cherchait pas à revenir, ou à me re-complimenter.
Au contraire, visiblement, j'avais réussi à le lâcher dans sa lancée. Il commença à me raconter les raisons pour lesquels on pouvait dire qu'il était "habitué" aux hôpitaux.
Je souris en l'écoutant en parler, voyant cet air nostalgique se peindre sur son visage, comme si ces moments dans les hôpitaux lui manquaient sur certains points. Je l'imaginais bien se moquer des infirmières qui lui courraient après.
Lorsqu'il me proposa de faire un jour des courses en fauteuil roulant, je le regardai d'abord avec un air surpris, avant de rire et de lancer d'un air enjoué :

-Ben oui, pourquoi pas !

Je n'avais jamais vraiment fini à l'hôpital... Je crois que c'est parce que Maman et Papa détestaient ça. Et puis en général, les fois où j'avais vraiment fini mal, Maman était finalement arrivé pour me tirer de là. Elle s'excusait ensuite pendant des heures, me serrant contre elle en pleurant. Elle disait que c'était de sa faute, que c'était à cause de son passé que les yankees "m'adoraient". Mouais. Je crois que ça aussi, j'en ai un souvenir enfoui, mais que je l'ai caché pour ne pas m'en souvenir volontairement. Comme la raison pour laquelle... Je n'ai pas de grand-parents maternels. Je secouai la tête pour me changer les idées et relevai le regard vers Matthew avec un sourire.

-C'est marrant, mais je t'imagine très bien en faire voir de toutes les couleurs aux infirmières, juste pour t'amuser parce que rester allongé tout la journée peut se révéler passablement agaçant. Tu as toujours été aussi casse-cou ?

En croisant son regard, je compris qu'y repenser le perturbait. Je l'écoutai pourtant sans sourciller, attentive. Je l'observai resserrer la couverture autour de lui avec un petit sourire. Alors il avait changé ? Il avait été "la victime" de tous, avant d'enfin décider à se révolter ? Ou comment expliquer le comportement de tous les durs à cuir. Tous. Ils ont tous été obligé un jour de se réveiller pour se défendre des autres. Il n'y a pas d'autres explications. C'est pourquoi dans le fond, personne n'est jamais méchant. Il y a toujours une cause à la conséquence. Toujours !
Il avait les yeux fixés sur le ciel, sur les étoiles ? Peu importe. Question non existentielle ! En tout cas, je me permettais du coup de le regarder, de fixer son visage, sans craindre qu'il ne le remarque et finisse par me demander "quoi, je suis défiguré ?"
Lorsqu'il termina ses dernières paroles, je lui attrapai le bras tant bien que mal à travers la couverture, et l'entraînai avec moi, vivement, mais faisant attention à ne pas le blesser sans faire attention.

-Allez, on va le faire notre petit tour ?

Je lui souris gaiement, et le tirai avec moi, commençant à marcher dans les chemins du parc avec un certain entrain.

-Quand j'étais petite, les gens me rejetaient parce que j'avais des cheveux et des yeux d'une couleur pas "normale". Alors, parce que je refusais qu'Allen prenne toujours ma défense, parce que je ne voulais plus le voir tout endurer pour moi, se battre, se mettre à dos une infinité de personnes qui auraient pu être amis avec lui si il ne m'avait jamais rencontré, j'ai décidé de changer. Je suis devenue la "petite rebelle" pendant un temps. Au collège, je traînais toujours avec Allen et ses amis. J'avais perdu la personne que j'étais lorsque j'étais enfant. Je n'étais plus une fille, je n'étais plus une enfant, je n'étais pas rien non plus ! J'étais juste... Ce que les gens avaient fait de moi.

Tournant la tête vers Matthew avec un sourire, je lui demandais :

-C'est ce que tu as fini par penser de toi, non ? Tu sentais, dans le fond, que tu étais différent. Mais tu ne cherchais plus à redevenir ce que tu avais été, parce que tu savais que ça ne servirait plus à rien, et que le seul moyen que tu avais d'avancer, c'était d'être cette personne qui arrivait à repousser les intrus qui t'empêchaient d'avancer, qui posaient des bûches sur ta route... N'est-ce pas ?

Pour une fois, j'étais fière de mon argument. Du moins, je l'étais là, parce qu'il n'avait pas encore répondu, et qu'il n'avait pas encore tout cassé dans ce fichu argumentaire. Et oui, pas encore de "T'as tout faux, petite." Peut-être qu'après, j'allais être encore plus déçue d'avoir raté mon coup...

Et voilà ! Comme prévu, ben... J'avais faux ! Enfin, tant pis, parce que mon raisonnement m'avait quand même plus, alors je vais lutter... Et et et je vais pas être déçue !
... Juste un peu. C'est vrai quoi, je suis définitivement nulle en analyse humaine ! Je suis incapable de cerner les gens ! Et pourtant, c'est pas faute de faire des efforts... Non mais je vous jure. C'est vraiment naze !
Enfin bon.
Passons !

-Tout ça pour dire que tu as changé quoi !

Frustrée parce que je suis incapable de le cerner ? Oh, mais nooon... Bon, d'accord. De toute façon, je ne comprends personne, alors ça ne change pas de d'habitude !

-Elle était comment ta mère ? Je veux dire... Son caractère, les petits détails qui la caractérisaient...?

Je me rendis compte que ce n'était peut-être pas forcément une question à poser, et je tournai vivement la tête vers lui.

-Enfin, si tu ne veux pas répondre, je comprendrais !

Je l'écoutai parler de sa mère avec un sourire qui ne semblait pas vouloir quitter mes lèvres. J'étais rassurée qu'il ne se soit pas énervé face à ma question, ou qu'il ne m'aie pas envoyer bouler en me faisant remarquer que ce n'était pas franchement le genre de sujet à aborder, d'autant plus que j'aurais dû le savoir. Non, au contraire, il m'en parlait en se remémorant lui-même tous les bons moments qu'il avait pu passer avec elle, et à chaque fois que je captai cette lueur dans son regard, je ne pouvais pas m'empêcher d'afficher un petit sourire. J'étais heureuse pour lui, parce que je me rendais compte que malgré la vie qu'il avait eu, qui avait commencé avec beaucoup de désavantages, c'est-à-dire un père en moins, il avait quand même eu la chance... d'avoir une mère là pour lui. Et puis, il avait vécu de bons moments, alors je ne pouvais qu'être heureuse pour lui, vraiment.
Continuant à marcher dans le parc en l'écoutant, je tentai de donner dans ma tête une apparence à la mère qu'il me décrivait. Je l'imaginais avec de longs cheveux châtains, toujours un peu décoiffé, signe qu'elle aurait passé sa journée à courir partout de peur d'oublier le chien chez le toiletteur, d'oublier d'acheter de quoi manger le soir, des petits cernes sous les yeux pas trop marqué, signe d'une nuit agité parce qu'elle aurait songé à son fils qui avait de nouveaux bleus... Je l'imaginais aussi avec de grand yeux bleus, comme lui, et un sourire qui éclairait toujours son visage. Je lui attribuai une peau claire, faisant ressortir ses yeux et de fines lèvres joliment dessinées... J'étais persuadée qu'elle avait deux sortes de rides : les petites rides des sourires, et celles de l'inquiétude. A peine marquée, car elle n'était pas du tout assez vieille pour que ça se voit !
Et puis, je la voyais aussi très bien avec des vêtements assez ample, loin d'être moulant. Je l'imaginais à la boulangerie en train de demander une baguette de pain avec un grand sourire chaleureux... Dans le fond, avec sa description et mon imagination... Je ne pouvais pas m'empêcher de me dire qu'elle devait être formidable. Et en me disant ça, je regrettais de ne l'avoir jamais rencontrée. Comme je regrettais pour Matthew d'avoir perdu une mère qui semblait aussi adorable... Mais malgré tout, ça avait beau être terriblement égoïste... Je ne pouvais pas m'empêcher de me dire... Que si elle n'était pas... morte. Matthew ne serait jamais là, à côté de moi, à arpenter les chemins du parc. Parce que je devais l'avouer... Malgré nos différents, nos "réconciliations", nos liens extrêmement ambigus... Je ne pouvais m'empêcher de penser qu'il était une des plus importante rencontre que j'avais faite à Terrae. Et puis, malgré tout, il restait une énigme à mes yeux. Je savais que je ne pourrais jamais le cerner complètement ! Et puis de toute façon, avec mon impossibilité à le faire... Je veux dire : je suis incapable de comprendre qui que ce soit.

-Elle te manque ?

Tournant la tête vers lui avec un visage étonnement calme venant de ma part, je plantai mon regard dans le sien.

-Est-ce qu'il y a quelque chose qui te fait encore penser à elle maintenant, dans les gens qui t'entourent, dans les gestes que tu fais, dans tes habitudes, dans les objets que tu possèdes...?