Précédemment :

__–Aujourd’hui, Aylan était content. Il avait passé près de cinq heures pratiquement d’affilée sur Starcaft II, enchaîné les parties et peaufiné ses stratégies, sa microgestion et était sorti de sa séance intensive avec la satisfaction du devoir accompli… Et une faim importante.
__–Chrys était encore au travail, sa mère également, Pricie ne séchait pas les cours elle et quant à Nana, elle n’était pas chez elle. Il ne restait qu’Ariana à aller embêter. Aylan avait envie de sucre et de compagnie après autant de temps passé dans l’isolement de sa chambre et quelqu’un d’aussi énergique qu’elle serait, en vérité, une compagnonne parfaite. Peut-être était-elle en train de faire des travaux manuels ou la cuisine et il aurait pu l’aider ? Ou peut-être serait-elle tentée par jouer à nouveau avec ses pouvoirs de morphe ? Quoi qu’il en était, Aylan n’avait pas l’intention de venir les mains vides. Il s’était emparé d’une magnifique glace du frigo d’Ipiu et s’était allé, tout enthousiaste, direction d’Institut. Nul doute que quand elle le verrait ainsi débarquer avec cette offrande vanille-chocolat avec morceaux de caramel, la préfet oublierait la réticence qu’elle avait au sujet des enfants.
__–Ah, mais.
__–Était-elle seulement là ?
__–Arrivé devant sa porte, Aylan eut un doute. Il pouvait bien sûr entrer par effraction, mais elle le lui avait interdit. Ce qui impliquait que même pour vérifier si elle n’était pas chez elle, il ne pouvait pas entrer. Hmm… il ne lui restait plus qu’à coller son oreille à la porte et essayer de deviner quelque chose au travers.
__–Il entendit effectivement une voix. C’était curieux. Aylan se serait attendu à ce qu’elle fût seule. Il décida donc d’écouter tout le dialogue, pour savoir avec qui elle était et s’il était séant ou non de la déranger.
__–Sauf qu’Ariana parlait en vérité toute seule. Et que la teneur de ses propos avait figé le petit Air sur place.

__–Il se releva. Se tint là, droit, devant la porte. Toute pensée à l’intérieur de lui s’était évanouie, rien n’avait tenu face à l’omniprésence d’un seul mot, qui envahissait l’intégralité de sa tête.
__–Lola.
__–Aylan poussa la porte.
__–Ariana n’était plus dans la pièce ; elle venait de la quitter pour la salle de bain. Aylan s’avança. Observa le petit autel installé au sol un long instant. Ces photos vieillies. Elles étaient à la fois proches et lointaines de l’originale telle qu’il la gardait précieusement dans sa mémoire. Il ne l’avait pas connue aussi jeune, pourtant il se souvenait sans les avoir vues de chaque mèche, chaque teinte de ses cheveux et de sa peau, la position de chaque tache de rousseur, la courbure de chaque trait de son visage. Tout était étrangement familier ; comme voir une première épreuve d’une œuvre qu’on a contemplé et adoré mille et mille fois.
__–Quand Ariana revint, Aylan tourna la tête vers elle. Ses traits étaient d’une impassibilité irréelle. Ses extrémités froides et chaudes en même temps. Sa bouche crispée et détendue. Ses yeux la fixaient et voyaient flou. Il était au bord des larmes, mais qui seraient sèches. Il n’avait que trop pleuré.

__–« I͈̋l̟̈́ ͇̂f̞ͥͅȁ͎û̫͖̪ͥ͑t͙͙̍ͩ̈ͣ ̲̙͚͎ͫͧl̰̘͊ͧ̎ạ̞̈́ ͔̲̞̼̳̊ͬͩ́͋r͙̤ͩ͛̔é̬͋t̺͕̤͉͂̃r̠̦͈̼̆̇̓o̫̞̲̍̏u͙̠ͥv̘̅e̼͈͌ͩȓ̦̭̏.̪̋ͣ »

__–Aylan ne faisait que rarement cet usage de sa voix. Profonde et basse mais d’une aiguë clarté ; avec une gravité intense et une naïveté d’enfant ; d’outre-tombe et d’outre-espace à la fois. Elle lui était venue sans qu’il y pensât. L’heure n’était plus aux lamentations. Trop longtemps, Aylan avait cédé, abattu par sa perte et son irrévocabilité. Trop longtemps avait-il accepté ce qu’on l’avait forcé à croire : qu’elle était hors de sa portée et de son regard, à jamais. Qu’il ne pouvait rien y faire.
__–Pour lui aussi, le temps de la tristesse était passé et avait cédé la place à la colère ; lui aussi refusait de cesser de s’en vouloir, mais il avait quelque chose en plus, qui avait jusqu’ici été maintenu au fond de lui, enfoui, barricadé, rendu inaccessible : un moyen.
__–« Il faut aller voir les masters. Je sais où elle est. Enfin… Non je sais pas, mais je sais comment on peut la trouver. »
__–Elle avait sûrement beaucoup de questions, avant de commencer. Aylan était-il prêt à faire céder les années de conditionnement mental ? Était-il capable d’endurer la souffrance psychique que représenterait la divulgation d’informations critiques, alors que tout son être avait été formaté dans la douleur extrême à ne rien révéler, jamais, dans aucune circonstance ? Devant cette femme, qu’il ne connaissait en fin de compte qu’à peine ?
__–Et devant qui d’autre ?

L'eau sur son visage lui fait le plus grand bien. Elle n'efface ni sa peine, ni sa colère grandissante, qu'elle t'ait encore au fond d'elle. Elle prend le temps, car elle sait, elle pense qu'elle est seule. Elle a encore les yeux rougies par les larmes, et ses cheveux roux, sans artifice magique cette fois, y collent désagréablement. En se regardant dans le miroir, elle a l'impression de pouvoir y regarder Lola, comme un miroir magique qui lui montrerait une réalité lointaine. Elle pourrait se transformer en elle, essayer de la vieillir ; pour savoir à quoi elle ressemblerait plus tard, quand elle serait plus grande. Ou juste à douze ans. Juste aujourd'hui.

Si elle était courageuse, elle serait allée voire Tomoe depuis longtemps pour prendre des nouvelles, lui demander où elle est, et l'autorisation d'y aller. Ou alors au moins demander à Afya un cristal de voyant, afin de pouvoir la voir, s'assurer que... que quoi ? Qu'elle est plus heureuse sans elle ?

Mais explorer le temps, c'est aussi prendre le risque de voir des choses déplaisantes. Et elle a tout fait pour ignorer les visions d'un futur possible, qu'elle a pu entrevoir lorsque l'Eclipse a tout chamboulé...

C'est ce qu'elle se dit lorsqu'elle tombe sur Aylan, debout devant l'autel, près de la fenêtre. Il se tourne vers elle, et Ariana l'observe avec stupeur, le cœur au bord des lèvres. Il a vu ? Est-ce qu'il a vu ? Pourquoi a-t-il cette expression-là, cet air si puissamment indéchiffrable ? Pourquoi semble-t-il sur le point de pleurer ?

—Aylan, qu'est-ce que tu fais là ? Il s'est passé quelque chose ?

Elle parle très bas, comme un murmure. Malgré sa surprise, elle a cette douceur étrange, presque décalée venant d'elle. Pas d'agitation, pas un bruit de trop ; elle a sans doute l'air un peu éteinte, mais elle ne se sent jamais autant elle-même que lorsqu'elle s'autorise à ces émotions-là. C'est aussi elle, comme ça.

Et puis sa voix résonne, et elle se sent emprisonnée par sa volonté durant quelques instants. Il faut la retrouver. Ça résonne dans sa tête et dans son cœur, elle voudrait pouvoir le faire, mais elle ne sait pas comment.

Puis elle réalise : pourquoi Aylan lui dit-il une telle chose ?

Ses yeux s'ouvrent en grand, et courent d'Aylan aux photographies, puis font l'aller-retour. Elle respire un peu plus fort, elle a l'impression que tout l'air de la pièce s'en est allé. Vertige. Elle aimerait se mettre en colère, lui dire d'arrêter de se moquer d'elle. Mais il est trop sérieux, et elle trop surprise pour cela.

—De... de qui tu parles ? Pourquoi il faudrait aller voir les Masters ?

Elle n'arrive plus à réfléchir, refuse de comprendre. Il faut la retrouver. Pourquoi faudrait-il la retrouver ?

__–Par où commencer.
__–Aylan quitta le regard d’Ariana. Posa la glace sur la table, puis lui-même sur le canapé, dont il tapota le coussin à côté de lui.
__–« Viens. »
__–Il sentait son estomac vide et sa gorge sèche, comme après deux jours sans manger ni boire. Cela lui faisait cet effet à chaque fois qu’il était forcé de parler du Centre. Toute sa vie et son énergie quittait son corps, refusait de le faire accéder à ce pan de sa mémoire, luttait de toutes ses forces. Aylan devenait de plus en plus tendu à mesure qu’il essayait de parler. Mais il le devait. Il étouffait. Crevait de chaud. Commençait à transpirer. Ne sentait plus ses mains, tant la panique avait fait fuir le sang de ses doigts. Si un télépathe avait été présent, il aurait perçu un gouffre d’une profondeur infinie, sur les bords duquel des milliers de personnes jetaient des pelletées de terre pour tenter de le combler, mais plus on en versait, plus les bords s’effritaient et forçaient la foute à reculer. Si un sensitif avait tendu ses perceptions, il aurait vu une armée innombrable, où fourmillaient tours, échelles et canons, se précipiter contre les portes d’une forteresse d’airain, qui semblait resplendir un peu plus et s’élever du sol à chaque tentative d’abattre ses murailles.

__–Ç͎͍̅̎a̞̪̽̿ ̠̜ͦ͊s̞̱̐̓ů͉̟́f̣̠ͧͧf̞̤ͯ̈ĭ̲̟̃t͚͚ͤͩ.͚̪̎̿

__–Un volcan jaillit au milieu de la faille et vomit de la lave, jusqu’à combler chaque fissure. Un séisme fissura la terre et avala la citadelle, jusqu’à la dernière brique cuivrée.
__–Aylan se calma. Il ne savait pas combien de temps sa voix lui avait donné, mais il devait faire vite avant que son conditionnement ne reprenne le dessus.
__–« Je connais Lola depuis deux ans. Avant d’être à Terrae, j’étais dans un avion et avant j’étais dans une base dans le désert et avant j’étais dans une autre dans la jungle et — »
__–Trop d’un coup. Un violent mal de crâne le saisit. Voilà pourquoi il voulait aller voir les masters. Tout seul, c’était beaucoup trop difficile.
__–« Ta fille. Elle est Terre lunaire. Elle est pas du tout heureuse. Il faut qu’on aille la sauver. Je le sais parce que… »
__–Quelque impassibilité qu’il avait pu avoir maintenant s’était effondrée et c’était avec le visage dévoré par les larmes qui ne cessaient plus de couler, qu’il regardait Arian à présent. Il tenta de dire une autre phrase qui mourut à moitié dans sa bouche, pour sortir sous la forme d’un petit cri plaintif, à peine audible, d’animal blessé.
__–« C’est elle, mon amoureuse. »

Aylan a à nouveau cette expression de grand, cette expression que ne devrait pas avoir un enfant. Elle le sait parce que Nicolas avait parfois la même, le regard à la fois fixe et lointain, la posture d'adulte face à l'adulte, le ton rassurant quand c'est lui qui aurait eu besoin d'être rassuré. Elle a l'impression de trembler à l'intérieur d'elle, très très loin, elle aussi ; et machinalement, elle s'installe à côté du petit.

Ariana voit son visage se crisper, son rythme cardiaque s'accélérer ; il est tout blanc, d'un coup, semble presque sur le point de faire un malaise.

Doucement, elle lui prend la main, et la serre entre les siennes.

—Aylan ?

Aylan...


Il se met soudain à parler, et tout son monde s'effondre.

Bouche bée, Ariana écoute, mais elle essaie de rester cette ancre pour lui, malgré la tempête qui s'annonce en elle. Elle essaie de comprendre. C'est comme si les mots n'avaient pas de sens pour elle. Lola. Il ne peut pas connaître Lola, pas vrai ? Lola est avec ses parents, elle est heureuse. C'est forcément comme ça. Ça ne peut pas se passer autrement.

Une base. Une base ?

Il y a quelque chose qui se fissure en elle, puis qui se brise. Une partie d'elle veut dire à Aylan de se taire, se taire maintenant, parce qu'il ment. Il ne peut pas savoir que c'est sa fille, il ne peut pas savoir son nom, il ne peut pas la connaitre.

Mais il lui dit qu'elle est Titan, et le souvenir de ce cauchemar, celui du tremblement de terre et des ronces, lui revient. Elle pensait que c'était un rêve, de ces rêves qu'on fuit et qu'on veut oublier très vite ; mais elle était Voyante, à cette époque-là. Elle avait attentivement surveillé les arrivées des nouveaux, via son rôle de préfète, en espérant ne jamais voir arriver une Lola à Terrae.

Ça avait suffi pour la convaincre qu'elle avait simplement rêvé. Que ça n'arriverait pas, même si, peut-être malgré elle, elle le souhaitait.

Elle ne veut pas y croire, à tout ça. Mais Aylan lui dit qu'elle est Titan, et il pleure. Il pleure et lui dit que c'est son amoureuse.

C'est la fille dont il lui a parlé, pour qui il a déjà pleuré devant elle. Elle a un hoquet, et les larmes coulent, et coulent, et coulent, et coulent encore. Elle n'est pas heureuse. Elle est pas heureuse, et il faut qu'on la sauve. Elle est pas heureuse, elle est en danger.

—Oh non... Je suis désolée... Je...

Aria attire fermement Aylan contre elle et le serre fort. Elle le serre fort en pleurant silencieusement, les dents serrées. Un geignement presque plaintif manque de lui échapper, mais c'est tout. "Oh non.... Oh non, oh non....."

Elle n'arrive pas à penser à autre chose, seulement au désespoir et l'horreur que cette information lui provoque. Les mêmes pensées tournent dans sa tête, jusqu'à la rendre malade.

Il fait un peu froid, tout à coup, mais elle ne lâche pas Aylan, elle inspire. Reste ferme. Présente. Elle s'écarte et prend ses joues entre ses mains, doucement. Ses yeux plongent dans les améthystes de l'adolescent.

Quelque chose se brise définitivement en elle.

—Je te crois. On va la chercher, c'est promis.

C'est la digue qui contient sa colère.

__–Aylan souffla. Le sang revint dans ses phalanges. Ses épaules se détendirent. Elle avait compris. Pour le moment, il était, enfin, pour la première fois avec une telle intensité depuis longtemps, heureux. Dans les bras d’Ariana, son visage entre ses mains, son regard dans le sien, il était plus proche de la revoir qu’il ne l’avait jamais été.
__–Il aurait voulu en dire plus, tellement plus, lui permettre de tout savoir : Ariana méritait de connaître chaque détail, chaque moment qu’il avait passé avec Lola. Dans quel ordre elle laçait ses chaussures, de quel main elle prenait sa fourchette, à quoi ressemblait chaque trait de son visage maintenant qu’il avait grandi, les dessins qu’il lui arrivait de faire dans sa purée, la forme caractéristiques de ses e à l’écrit.
__–Ça, il pouvait le faire.
__–Mais peut-être préférerait-elle demander tout cela à sa fille en face ; quand elle la verrait.
__–Aylan n’avait pas douté un instant que la réponse d’Ariana pût être autre, mais quand elle lui fit cette promesse, la compression sur sa poitrine cessa. Le nœud dans ses entrailles, qui n’avais cessé de se serrer un peu plus chaque jour après qu’il eût été séparé de Lola, se déliait enfin.
__–« Euh, tu… veux de la glace ? »
__–Il fallait fêter ça, en quelque sorte. Avant qu’elle ne devinsse liquide.

Il s'apaise. Et le voir s'apaiser l'apaise, elle aussi. La rouquine caresse gentiment ses joue, puis ses cheveux. Elle a encore les joues toutes mouillées, elle aussi ; elle ne comprend pas trop ce qu'il vient de se produire, c'est trop étrange. Toutes ses certitudes se sont envolées, et en même temps, sa peur aussi. Elle n'est pas mue par un instinct maternel inné, ce n'est même pas ça ; elle répond seulement à cette envie qu'elle réprime depuis le premier instant, en lui répondant : "Non, c'est mieux comme ça. Tu n'es pas capable de l'élever, ni de la protéger."

Mais elle la regardait, toute menue dans ses bras, et aussitôt, elle l'a aimée.

Ma Luz.

Et cet enfant triste dans ses bras, qui a sans doute vécu l'enfer. Elle le comprend, maintenant. C'est fini, c'est promis. Ça va aller. Elle va faire ce qu'elle peut pour la ramener. Elle ne sait pas comment, elle ne sait pas d'où...

Mais d'abord, ils ont besoin d'un peu de temps. Elle sourit, renifle et s'essuie le visage.

—Non, c'est gentil ! Mange ta glace, elle va fondre. Tu veux un mars ?

Le sucre, c'est un langage qu'Aylan comprend. Elle va vers ses placards et en prend un pour Aylan, et un pour elle dans la poche de sa robe. Puis elle s'arrête, le regard vide. Regarde Aylan.

—Je... vais avoir beaucoup de questions, dans les prochains temps. Mais tu n'es pas obligé de me répondre. Si tu veux pas, dis-le moi juste. Et si tu as envie d'en parler, juste comme ça... tu peux.

Si tu veux parler de Lola...

La rouquine se dirige vers l'autel, joint les mains très fort et ferme les yeux très fort. Puis elle attrape une des photographies, souffle la bougie, ferme la fenêtre. Tina ne va sûrement pas comprendre en rentrant, mais elle peut essayer de lui dire, peut-être. Peut-être.

Elle serre la photographie entre ses mains, animée tant par la colère que par l'espoir. Le mélange risque d'être explosif. Alors il faut qu'elle se mette en mouvement, sinon elle va sûrement fondre à nouveau en larmes. Elle tend la main à Aylan avant de sortir, s'il veut la prendre, la gorge toujours nouée, mais très déterminée. Encore un peu confuse.

—Tu veux bien m'accompagner chez Hideko ? Elle saura sûrement quoi faire.

L'idée ne met pas Aria à l'aise ; Hideko lui fait un peu peur, elle a l'impression qu'elle la pense trop enfantine, trop gamine. C'est sans doute un peu vrai, et sûrement pas sorti de nulle part.

—Ça... Ça te va, si je demande à Nicolas de venir ?

Elle aura besoin de lui. Il comprendra. Il saura quoi faire. Elle ne s'imagine pas traverser ça sans lui. Elle craint encore l'effondrement, elle ne croit pas assez en elle. Ses jambes flageolent, mais elle ne s'arrêtera pas d'avancer. C'est comme si elle avait toujours attendu ce moment.

—Aylan ?... commence-t-elle finalement à mi-voix, en lui tendant son mars. Merci...

__–Aylan sortit un couteau de camping muni d’une cuiller rétractable – évidemment qu’il avait quelque chose comme cela en permanence sur lui –, ouvrit le pot et commença à piocher dedans. Le sucre faisait du bien. Son cerveau pouvait s’occuper à autre chose qu’à pleurer. Ariana revint vers lui avec encore plus de sucre, qu’il accepta bien volontiers.
__–Elle revenait aussi avec des questions. Aylan ne lui répondit qu’un hochement de tête. Bien sûr, qu’elle pouvait lui poser des questions. Est-ce que lui avait des choses à dire ? Quelques unes.
__–« Lola, elle… On était cinq. Il y avait nous deux et puis aussi Miguel, qui a, euh… seize ans maintenant je crois. Et puis il y avait aussi Brad et Liz. Il y avait aussi d’autres enfants mais qu’on ne croisait pas souvent. Lola, c’était… Elle a jamais eu peur. Même Miguel je l’ai vu qui savait pas ce qu’il fallait faire ou qui pensait que quelque chose de très mal allait arriver et puis se faire beaucoup du souci pour nous. Lola elle le montrait pas pareil. Y’a que ceux qui la connaissaient super méga bien qui pouvaient le dire. Elle a un truc bizarre aussi qu’elle fait avec ses doigts quand elle recharge, aussi, pour être sûre que c’est bien enclenché. Et puis je l’ai jamais vu pleurer aussi. Ou alors tu sais, c’est pas des vraies larmes, c’est quand elles coulent mais tu fais pas exprès et ta voix elle change pas et ton visage il reste pareil, tout neutre. Quand elle mange un truc qu’elle aime pas du tout, elle fronce le nez et c’est tout. Elle parlait pas beaucoup aussi ’faut dire… Mais elle regardait beaucoup les gens. Elle vérifie toujours deux fois que y’a bien une balle dans la chambre avant de viser. C’est la plus calme. Quand il fallait rester patient, même Miguel et Brad, les grands, ils faisaient comme elle. C’est jamais elle qui donnait des câlins. Sauf à Liz et un peu à moi, mais tu savais quand elle en voulait un et elle les acceptait toujours. Elle se faisait souvent disputer parce qu’elle prend beaucoup de temps à entretenir son équipement mais c’est elle qui l’a le plus propre. Pis quand t’as besoin d’aide, tu as pas à lui demander, tu lui dis pas s’il te plaît, elle te dit pas merci, elle le fait et pis c’est tout. Elle dort sur le côté, un peu en boule, mais pas autant que Liz. Sauf quand Miguel était là, parce que là on était tous collés à lui sauf Brad et elle dormait toujours à sa gauche. »
__–Aylan ne savait plus trop s’il devait utiliser le passé ou le présent pour parler d’elle. Il ne contrôlait plus vraiment le flot qui s’échappait de sa bouche, c’eût été trop lui demander que d’harmoniser sa syntaxe.
__–Au bout d’un moment, avant qu’Ariana comme lui ne s’écroulassent à nouveau dans les bras d’un de l’autre, elle décida de se mettre en mouvement. C’était une bonne idée. Aylan alla poser le reste de glace au congélateur et prit la main d’Ariana. Il avait presque trop parlé et compensait à présent ; ne répondait que par des hochements de tête.
__–Quand enfin elle le remercia, il la regarda, avec son air à la fois profondément triste et étrangement apaisé. Et pour la première fois, il sourit.
__–« Merci tout pareil. »

Le garçon ne se fait pas prier pour finir sa petite glace. Elle semble adaptée à sa taille, mais le couteau de camping fait d'un coup très étrange, décalé. La rouquine l'observe un instant, puis il acquiesce. Et il parle.

Oh, il a l'air d'avoir toujours plein de choses à dire, Aylan. C'est quelque chose qui fait son charme, et ça lui rappelle un peu elle-même, au fond. Mais elle ne s'attendait pas à un tel déferlement, une telle somme d'informations, une telle précision. C'est tel qu'Ariana pourrait presque imaginer Lola, la sentir, c'est comme si elle était réelle — et au fond, jusqu'ici, n'avait-elle pas toujours été en lutte pour comprendre si elle l'était vraiment, réelle ?

Mais il y a aussi d'autres enfants — oui, des enfants — qui étaient avec eux. Impossible de tout  comprendre, mais l'horreur et la fascination se mêlent : parce que Lola n'a jamais eu peur, parce qu'elle est calme, solide, parce qu'elle ne se plaint pas, parce qu'elle fait, et c'est tout. Elle a l'air un peu éteinte même d'ici, sa Luz. Elle est pas du tout heureuse.

Pendant qu'elle a les mains jointes, Ariana sent sa mâchoire se contracter et les larmes remonter, revenir. Elle les balaie, parce que ce n'est pas le moment, parce qu'il faut être forte, parce que ce petit chou, là, il a pas besoin de voir une adulte pleurer. Il a besoin de voir des adultes agir.

C'est là qu'elle lui tend la main. Qu'elle le remercie. Aylan sourit, et il a ce sourire très doux, enfoui sous la tristesse. Elle n'arrive pas à lui répondre, alors elle lui renvoie un sourire oscillant, qui manque de se fracasser sur le sol. Ses jambes tremblent un peu, mais si Lola n'a jamais peur, elle n'a pas le droit d'avoir peur pour elle, ou d'être triste. Il faut juste qu'elle soit en colère. Que cette colère la porte si ses jambes ne le peuvent plus.
Sa colère, et un peu autre chose, peut-être.

Ariana tend le Mars au garçon puis cherche son téléphone portable, sans lâcher sa main, et commence un message vocal.

—Nicolas… (Sa voix est un peu éraillée.) Je sais pas comment t'expliquer ça, mais... Je vais voir Hideko... tu veux bien me rejoindre là-bas si tu es libre ? Je...

... peux pas faire ça toute seule ?
Son regard coule sur Aylan. Elle est pas toute seule, hein ?

—Mais si tu peux pas, c'est pas grave, conclue-t-elle.

Elle coupe et envoie le message, gorge serrée. Inspire. Sourit. Ils grimpent les marchent de l'escalier, avec Aylan. À un moment donné, un peu avant qu'ils n'arrivent à l'étage du dessus, elle s'arrête.

—Comment tu as su que c'était... ma...

Le grand mystère, pour Aria.

__–Elle n’était en effet pas toute seule. Et je ne dis pas cela que parce qu’Aylan était cramponné à Ariana – et à son mars, la notion de garder une confiserie pour plus tard lui étant inconnue. Nicolas, donc. Le petit Air n’avait finalement que peu interagi avec lui, mais si elle se tournait vers lui avant quiconque pour la soutenir dans une épreuve aussi difficile, ce devait être quelqu’un en qui une confiance totale pouvait être accordé. Il s’en souviendrait.
__–Alors qu’ils progressaient dans les couloirs, Ariana rompit le silence que seul troublait le doux son de la barre chocolatée sous ses dents.
__–« Oh ? Euh… Ben en fait je venais te voir pour, euh… S’en souvenait-il seulement ? C’était à la fois daté de moins d’une heure et distant d’une vie, semblait-il. Je sais plus, mais les photos. Elle a toujours le même menton, les joues aussi un peu, pis la même couleur des yeux. J’crois que ses cheveux sont plus tout à fait de la même couleur, mais c’est p’t’être les photos qui sont juste vieilles. Pis comment tu parlais d’elle. Y’a que les mamans qui parlent comme ça et ont des photos de leur enfant comme si c’était des trésors, non ? »
__–La sienne non, pour sûr, mais si Aylan n’avait pas une expérience très poussée de ce genre de personne, au moins savait-il grâce à Ipiu ce qu’une mère n’était pas.

Nicolas allait d'analyses en analyses, pas forcément en liens entres elles... Il n'avait pas le matériel adéquat pour tous les échantillons, mais ses premières observations étaient notées en avance... Toujours gagner du temps sur ses études était devenu vital, il a eu l'intelligence de le remarquer dès le début de l'année... mais putain, vivement qu'il ait son diplôme en 2024 et qu'il passe à autre chose -à quoi ? bruh on sait pas, mélange préparation/impro totale. En parlant d'impro, son téléphone posée sur la table se met à vibrer... Il ne le met plus en silencieux, même quand il bosse et il a bien raison... Puisqu'après l'avoir atteint à l'aveuglette, remarqué du coin de l'œil qu'il s'agissait d'un message vocal et entendu la voix s'élever, il s'est redressé sur son siège. Il y a une période, après être passé Étoile, où Nicolas avait la sensation d'assister à toutes les étoilisations de ses proches, surtout la Cool Patrol ; ce n'est pas le cas, il avait plus été un soutien après coup, mais c'était la sensation qu'il avait retenue... A chaque fois qu'il passait un cap, la vie balançait ses épreuves pour vérifier qu'on allait tenir le coup et pas foirer encore une fois, répéter le même schéma. Voir si on était toujours capable d'improviser sans se perdre en passant.

Sans aucune délicatesse, il rangea ses affaires en quatrième vitesse et sortit de la salle pour grimper les escaliers. La voix d'Ariana tremblait, hésitante mais ce qui l'avait totalement convaincu qu'il devait tout lâcher et la rejoindre, c'est le fameux "si tu peux pas, ce n'est pas grave" ce qu'il a traduit en "j'ai vraiment besoin de toi" alors forcément qu'il pouvait. Il aurait été emprisonné quelque part qu'il aurait trouvé un moyen de faire le déplacement. Il la repéra dans la dernière volée d'escalier menant au bureau de la directrice... déjà accompagnée. :

-Sunshine... Aylan ?

La surprise n'est pas tant de les voir tous les deux mais de percevoir leur émotion commune. Une profonde tristesse, une urgence, un espoir aussi... Des choses qui se mélangent qui n'avaient aucun sens pour lui puisqu'il n'avait aucune idée de ce qu'il se passait, mais de si tangible et douloureux qu'il ne pouvait pas l'ignorer... Ils avaient tous les deux les yeux rouge, ils pouvaient sentir l'odeur des larmes qu'ils avaient laissé dans leur sillage.

Il ne connaît pas beaucoup Aylan, et la dernière fois qu'il l'a vu, il est entré par effraction dans la maison Williams pour chourrer de la bouffe. Mais c'est un gosse, et s'il se montre sévère quand il fait une connerie, il ne peut pas ignorer sa tristesse. Sa première main vient se poser sur le crâne d'Aylan, l'autre va chercher les épaules d'Aria pour la rapprocher contre lui. Il les tient, un peu penché en avant puisqu'ils sont plus petits que lui... Il les couvre, protège la meute. :

-Ok. Je suis là. Le Loup contient le réflexe de demander un rapport. Nicolas inspire. Vous pouvez m'expliquer sur le chemin ou attendre qu'on soit devant Hideko... Peu importe, je suis là.

La lèvre d'Ariana tremble. Y'a que les mamans qui parlent comme ça. C'est comme si elle n'avait plus d'air, et que tout se mettait à tourner autour d'elle. Elle s'accroche plus fort à son téléphone portable, s'efforce de ne pas broyer la main menue d'Aylan… Ca fait mal.

Aria est pas une maman, elle le sait. Et pourtant, pourtant… Au fond d'elle, il y a aussi un espoir. Un espoir qu'elle ne devrait pas avoir, parce qu'elle n'est pas sa maman.

Les pas derrière elle, qui claquent dans les escaliers et montent à la vitesse de l'éclair, la coupent dans ses pensées. Elle se tourne un peu comme un robot, éteinte, hagarde, les larmes au bord des yeux, la bouche presque encore ouverte dans sa recherche de souffle. Nicolas est déjà là ?

Une inspiration erratique, ses épaules se ratatinent, elle sent qu'elle est à deux doigts de craquer mais elle tient. Elle tient pas pour elle, ni pour Nicolas, ni pour son honneur, au final ; elle tient parce qu'il faut tenir la main du petit d'abord. Elle ne le lâche pas quand Nicolas l'enlace par les épaules, la recouvre. Ca fait mal, ça fait trop mal. Elle voit plus rien, elle pleure un peu encore malgré elle, acquiesce, pince les lèvres, puis se recule, mais garde une main posée sur le bras de son ami. Si elle lui fait un vrai câlin maintenant, c'est fini, elle se relève pas. À la place, elle lève un regard trouble vers le Master.

Je sais pas comment t'expliquer ça.

—Merci… Tu as fait vite…

Peut-être qu'elle aurait dû essayer de gérer seule… est-ce qu'elle aurait réussi ? Elle se sent coupable de mille chose, en colère de mille chose — parce que c'est sa faute — et là, à quelques mètres du bureau d'Hideko, elle est tétanisée.

—On peut en parler à Hideko directement ? Ca te va, Aylan ?

J'ai pas l'énergie de raconter ça plusieurs fois. Je veux juste aller me coucher.
… Mais c'est pas le moment de dormir.

Peut-être qu'Aylan aura envie de lui raconter rapidement, mais elle espère qu'il ne se forcera pas. Elle essaie de repenser à ce qu'il lui a dit, et à l'horreur se succède à nouveau la rage. Ca lui donne la force de faire un signe de tête à ses deux interlocuteurs et reprendre la route vers le bureau, jambes tremblantes, mais résolues. Elle les laisse parler s'ils le veulent. Maintenant, son objectif, c'est frapper à cette porte, parler à la Directrice, et faire en sorte que ce cauchemar s'arrête enfin.

__–Nicolas les prit tous les deux contre lui, sans poser de questions. Cela viendrait plus tard. Aylan avait besoin de tous les contacts physiques qu’on pouvait lui donner pour le moment, aussi se cramponna-t-il à lui, la tête contre son torse. La dernière fois qu’il avait été dans cette position, c’était dans les bras de Miguel. Bien sûr, qu’il fallait le sauver lui aussi. Ils s’étaient fait la promesse de veiller les uns sur les autres avec un soin et une intensité renouvelés si jamais ils étaient séparés, aussi Aylan avait-il toute confiance en son grand frère pour avoir protégé – et être protégé – par Lola.
__–Ariana interrompit ce flot de pensées. C’est vrai qu’il n’était pas au courant. Aylan aurait dû, dans le cas présent, présenter à Nicolas comme il n’avait fait à elle la situation, lui expliquer ce qu’il fallait faire, pourquoi il savait ce qu’il savait. Mais il ne se sentait ni en état d’utiliser sa voix pour une nouvelle auto-hypnose afin de dépasser ses blocages – il avait utilisé son pouvoir de cette manière par instinct, qui sait s’il aurait pu le répéter. Et puis, Nicolas avait bien montré qu’il n’avait pas besoin d’une explication pour les suivre. Comme Miguel, là encore. Il avait assez appris aux enfants à sa charge de ne pas demander de l’aide pour une raison futile, pour ne jamais demander pourquoi quand on requérait son assistance : si on le faisait, c’était que c’était grave.
__–En revanche, Aylan était conscient de deux éléments contradictoires : il devait tout dire à Hideko, Ariana et Nicolas, mais savait qu’il ne le pourrait pas.
__–Du groupe des cinq, Aylan n'était pas celui qui réfléchissait le mieux et savait le mieux agir sous la pression et dans l'urgence. Il ne savait pas quoi faire, or il devait faire quelque chose, c'était la santé de Lola ; des siens qui était en jeu, qui reposait sur ce qu'il savait, il devait faire quelque chose.
__–La solution était évidente.
__–Penser à Lola.
__–Pas pour être triste. L'imaginer, là, à ses côtés, avec son air légèrement renfrogné et déjà lassé de ce qui n'était pas encore advenu. Son expression calme, ses infimes mouvements de sourcils à mesure qu'elle évaluait une situation, le pincement de ses lèvres quand elle songeait aux difficultés à venir et aux problèmes à surmonter, ses roulements des yeux à l'idée de tout ce qui pouvait foirer.
__–Son calme, en fait.
__–Et dans la panique ambiante, son calme encore plus grand.
__–Réfléchis, Aylan.

__–« Euh, oui, mais, euh, il faut quelqu’un d’autre… »
__–Un master Air sonore. Qu’importait la méthode employée : il était absolument impératif que Terrae eût accès à ce dont on l’avait formaté depuis avant qu’il eût su parler à ne jamais leur dévoiler. Si pour Lola, Miguel, Liz et Brad il devait laisser l’un d’eux pénétrer son esprit et faire éclater toutes les barrières qui pouvaient y exister, il n’y avait même pas de discussion à avoir.
__–Mais Aylan pouvait-il leur expliquer sa conclusion ? C’était douteux. Les mots ne lui venaient pas, seul un profond épuisement était là, il s’emmêlait dans le raisonnement qu’il voulait leur servir, les arguments qu’il faudrait utiliser. Expliquer son conditionnement alors qu’il ne connaissait pas le mot lui-même, non.
__–Quitte à utiliser des solutions expéditives à base de magie, autant y aller à fond.
__–Aylan regarda Nicolas droit dans les yeux. Toute émotion, l’espace d’un instant, avait disparu de son visage comme de son esprit. Sa magie se concentrait.

__–« Ạ̉p̠͆p͇̐e͇̊l̬ͪl̩̃e̥͊ ͔ͭR̖̐y̠ͦů̲.͕͂  »

-J'étais dans le coin.

...et il aurait pas été dans le coin il serait arrivé tout aussi vite mais chuuuut.

Il aurait donc des explications plus tard. Ok. Il aurait préféré le contraire mais c'est pas son genre de pousser les autres à se livrer... et vu leur état émotionnel, il valait sans doute mieux ça. Le câlin est bref pourtant ; ils ont besoin d'expliquer, de le dire, d'arranger ce qu'il se passe -quoi que ce soit- mais ça bloque. Il est inquiet... un peu, mais il se force comme toujours à ne pas se faire des idées.

Dans tous les cas, ça passera devant Hideko. Il hoche de nouveau la tête en faisant un petit "Ok" avant que son attention ne soit dirigée vers Aylan qui a besoin de quelqu'un d'autre. ...L'instant suivant, sa voix Sonore vidée d'émotions lui ordonne d'appeler Ryu. ALORS. Premièrement, voir un gamin aussi jeune sans rien pour animer son petit regard c'est ultra perturbant de base... imaginez quand vous êtes Sensitif. Deuxièmement, même si ça ne marche pas sur Nicolas, il ressent un picotement dans sa nuque qu'il gratte brièvement pour faire disparaître la sensation. Il a méchamment l'instinct qui lui titille les nerfs pour bien lui indiquer que cette "demande" était importante, peut-être même vitale. Nicolas a les sourcils épais qui se baissent avant qu'il ne pousse un soupir. :

-Ok je vais demander à Hideko de le faire. Puis il se penche pour le porter d'un bras, l'autre offert à Aria qui le tient toujours. Économise ton énergie.

C'est comme ça qu'ils se retrouvent devant la porte où Aria toquent. Ils entrent et-... well puisqu'il faut commencer quelque part, autant mettre la directrice direk dans le bain. :

-Salut madame Honda ! Alors. Dans l'ordre... Un, est-ce que Ryu peut nous rejoindre ? Deux, oui c'est important. Trois, non je ne sais ce qu'il se passe. Je suis là en soutien émotionnel parce que je sais pas encore sur quoi je dois taper ahah...

Un lundi à Terrae quoi... :

-Sinon ça va vous ?

Mes yeux quittèrent le rapport de mission que j'étais en train de lire pour se poser sur la porte du bureau. Quelques coups assez agités, une ouverture, et... Ces trois personnes qui entrent dans la pièce.

Je refermai le document qui se trouvait devant moi pour porter mon attention sur Nicolas, qui prit la parole en premier. Un léger regard en direction des deux autres accompagnants me fit froncer les sourcils, mais ma plus grande contrariété se manifesta probablement lorsque le Master Tonnerre évoqua l'idée de "taper".

Je reportai mes yeux dans sa direction, faisant un bilan mental des demandes qu'il venait de me faire. Appeler Ryu...? Quelque chose d'important, mais il ne savait pas encore quoi.

J'inspirai doucement pour faire disparaître cette vilaine ride du lion qui s'était installée, et je reportais mon regard sur le trio.

-Je ne suis pas certaine que Ryu puisse arriver aussi vite que vous le souhaiteriez, vu les visages que vous arborez. Il est en train de s'occuper des enfants...

Et le temps qu'il appelle Misao pour lui demander de s'en occuper afin qu'il nous rejoigne, le temps qu'il les dépose... En partant du principe que Misao est disponible. Il ne sera pas ici dans l'immédiat.

Je désignai les canapés installés dans un coin du bureau du menton, et me levai pour aller rejoindre l'endroit, les invitant à en faire de même.

-Est-ce que je peux vous offrir de l'eau ? proposai-je en posant mon regard sur le visage décomposé de la jeune rousse.

Mes yeux s'attardèrent un instant sur le visage de cet enfant si mystérieux, et je m'en détournai finalement pour sortir trois verres et les remplir d'eau, les déposant devant chacun d'eux sur la table basse.

-Je peux appeler Ryu et le mettre en haut parleur, est-ce que cela vous irait ? Ou voulez-vous l'attendre ? Comme je l'ai dit avant, il ne pourra pas être là tout de suite, mais je ne suis pas sûre que l'attente vous fasse du bien. C'est la solution la plus rapide que je peux vous proposer maintenant.

Je pris mon téléphone dans ma main, le posant sur la table en face de moi en attendant leur réponse.

Il faut quelqu'un d'autre… Ariana regarde Aylan quelques instants, sans le lâcher ; il ne l'a pas suivi tout de suite, demande d'abord à Nicolas d'appeler Ryu. L'ordre du Sonore remonte comme un frisson le long de sa colonne vertébrale, elle acquiesce… Nicolas aussi avait acquiescé, tout à l'heure. Ariana presse gentiment la main de l'enfant… quand Nicolas le soulève, la Morphe le lâche par réflexe, parce que ça doit pas être très pratique de marcher comme ça. Ca lui met un coup au coeur, mais elle presse ses deux mains l'une contre l'autre. Baisse les yeux. Aylan sera plus en sécurité dans les bras de Nicolas que les siens, sans doute. Elle grimpe les quelques marches qui les sépare du palier, passe gentiment sa main sur le bras de Nicolas, comme pour le rassurer. Se rassurer un peu, elle aussi. Le contact est bizarre dans sa réalité toute distordue.

La présence de Nicolas lui donne le courage de frapper à la porte… il prend la parole très vite, Aria rentre la tête dans les épaules. C'est sa manière de faire lorsqu'il est en situation sérieuse, ou de mission ; elle reconnait la posture, l'éclat dans le regard, la voix ferme malgré l'humour. Elle presse à nouveau ses mains l'une contre l'autre, nerveusement. Elle dit bonjour du bout des lèvres, mais sa voix s'entend à peine tant sa gorge est serrée. Une partie d'elle aimerait pouvoir se cacher dans un coin de la pièce et laisser Nicolas faire, comme il l'a fait là ; mais il y a des choses qu'elle doit faire seule. Elle essaie de ne pas s'effacer dans un coin, comme elle peut avoir l'habitude de le faire dans ces situations.

Le regard d'Aylan lui redonne un peu de force, puis celui de la Directrice. Le contact du bras de Nicolas, qu'elle a retrouvé instinctivement quand ils sont rentrés, la remet un peu dans le réel.


Hideko Honda est posée, réfléchie, mais surtout plus pragmatique qu'eux. Elle leur explique que Ryu s'occupe des enfants, qu'il ne pourra pas être là tout de suite… Alors Ariana acquiesce, la boule au ventre plus grande encore, bien qu'elle le comprenne. Quelle ironie de la situation... Ça aurait pu aider Aylan pour parler, mais ils se débrouilleront sûrement autrement. Elle n'a pas idée de la difficulté que cela représente d'avoir accès à ces souvenirs, à cette parole-là ; mais peut-être que tout n'a pas besoin d'être dit maintenant. Et en même temps... elle aussi aimerait savoir.

Docilement, la Morphe suit tout ce beau monde jusqu'au coin salon de la pièce et s'y installe, acquiesçant lentement, robotiquement, à la question de la Directrice. La Master la fixe en le disant, elle ne doit pas avoir une tête très engageante. Ca met le ton.

—Oui, merci… répond Ariana pour l'eau, et elle attrape rapidement son verre pour en prendre une gorgée.

Elle ne s'était pas rendue compte à quel point elle était desséchée. Et avantage : elle peut jouer avec le verre en le tournant entre ses mains pendant qu'ils attendent.

—Je crois… que la voix d'un Sonore aide Aylan à parler, arrive-t-elle à prononcer, avant de se tourner vers l'adolescent et prendre sa main doucement. C'est à toi de décider, on peut l'attendre si tu veux. Je peux… Enfin, je peux essayer de vous raconter ce qu'on s'est dit en attendant.

Aria pince les lèvres. Elle inspire, souffle, regarde Hideko. Ca peut pas être pire que de parler et chanter devant tout Terrae, hein ?

—Aylan m'a dit qu'il y avait d'autres enfants et adolescents avec des pouvoirs dans des bases militaires, là où… il était, je suppose. Il a parlé de… de plusieurs autres enfants avec lui, je crois, de qui il était proche. (Elle essaie de se rappeler les noms, mais certains lui échappent. Évidemment, elle pense à Lola.) Et d'autres qu'il ne voyait pas souvent, donc ça veut dire qu'il y en a plus que ça. Il… il a des informations pour qu'on puisse les retrouver, aller les chercher. On... on va bien aller les chercher, pas vrai ?

Elle, elle ne sait pas d'où Aylan vient, mais elle en a une idée, maintenant que tout ça a été dit. Il est de notoriété publique que des initiés n'ont pas encore été retrouvés suite à l'Eclipse, de toute manière, et une base militaire n'évoque jamais rien de bon.

Déjà, on pose le contexte. Ensuite, on pourra parler des détails. Elle presse la main d'Aylan, doucement. Ca va être dur, mais t'es pas tout seul. Je t'aide si tu en as besoin.