Je souris lorsqu'Afya m'explique que tout est accessible ici. Bien, ça me rassure, j'aime quand même bien avoir mon petit confort hein ! Mais si j'peux me faire livrer ce dont j'ai envie, tout va bien. Mon sourire s'efface pour laisser place à une expression de surprise apeurée quand elle parle d'attentats.

"Euh, quoi ? Un attentat ?! Qu'est ce qui s'est passé ?"

Oulah mais je m'y attendais pas à ça ! Elle a pas dit y'a 5 minutes qu'on était assez safe ici ? Non mais ça n'a pas trop l'air là d'un coup...

On discute ensuite de sujets plus légers, à savoir les clubs et l'opportunité qu'ils offrent de rencontrer de nouvelles personnes. Je manque de m'étouffer avec ma salive quand elle m'apprend qu'elle a été mariée avec le fondateur du club de volley. A été mariée ? Ca veut dire qu'elle est divorcée ou j'ai rien compris ?

"T'es mariée ?! Mais t'as quel âge ?"

Enfin non mais en vrai, elle a l'air d'avoir mon âge, c'est pas si jeune. C'est juste que je ne connais personne de mon âge qui ait déjà sauté le pas... Quand j'y pense, si Nath n'était pas parti en apprenant ma grossesse, on aurait sûrement formé une jolie petite famille... Au lieu de quoi, j'me retrouve toute seule. Je laisse échapper un soupir triste avant de me forcer à sourire. Allez, c'est pas le moment de penser à tout ça...

"Ah ben j'ai pas encore eu le temps de m'ennuyer vu que je viens d'arriver !! Mais j'ai hâte de rencontrer plein de gens, j'aime pas trop passer du temps seule..."

Genre, pas du tout en fait. Mais heureusement j'ai déjà fait la connaissance de Luna dans les dortoirs, au moins je suis sûre de ne pas être seule pour mes premières semaines, et ça c'est cool ! Je hoche ensuite la tête lorsque la brune me propose de marcher.

"Ok ça me va, allons-y ! ... Enfin, après toi hein !"

Je devrais être capable de me repérer jusqu'à la porte d'entrée, mais après...

« Un pauvre homme s’est fait exploser contre le mur d’enceinte de Terrae. Il avait beaucoup d’explosifs, en sans doute beaucoup de peine, ça a fait une grosse explosion. Il y a eu quelques blessés physiques, mais l’arme la plus redoutable d’un terroriste n’est pas la violence, c’est la peur et la désorganisation qu’elle cause. On a passé quelques mauvais jours, mais ça va mieux il me semble. »

Certains garderaient plus longtemps le souvenir de ce traumatisme. L’ivoirienne avait grandi dans un pays en guerre contre lui-même. Si elle avait toujours peur de perdre quelqu’un, elle n’avait plus peur du quotidien.

« J’ai 22 ans, et c’est une longue histoire que je n’ai pas envie de partager. »

Parfois il faut savoir mettre la ola à la curiosité d’autrui. Elle n’est pas prête à parler de ça, certainement plus traumatisée par cette expérience que par l’attentat. A chacun sa sensibilité. Elle avait grandi avec la violence pour voisine, et le mariage pour horizon. Bien que célibataire depuis la mort de leur père, sa mère leur avait toujours vanté les joies du mariages, et avait toujours conditionné leur bonheur à venir à cet acte. Sans doute plus inquiète que ses filles ne soient jamais seule à subvenir à leurs besoins que de leur bien-être réel. Le mariage, si l’on choisissait bien sa moitié, soulageait de la solitude et du poids du besoin. Cela n’avait malheureusement pas été le cas pour sa cadette.

« Okay suis-moi ! » dit-elle en entrainant la blonde dans les espaces verts, qui n’étaient pas tant dégarnis que la saison l’eut laissé présumer grâce au pouvoir des terres.

Mes yeux s'ouvrent encore plus grands - oui, oui, c'est possible - lorsque la brune m'explique son histoire d'attentat. Ah oui quand même, rien que ça ! Pauvre homme, pauvre homme... C'est vite dit, il a quand même décidé tout seul d'aller se faire exploser hein !! Non mais c'est hyper dangereux en fait cet institut ! Note à moi-même de pas trop m'approcher des grilles et du mur d'enceinte hein...

"Eh ben dis donc, ça n'a pas l'air très calme par ici quand même..."

Elle avait presque réussi à me convaincre que je ne risque pas de mourir à chaque instant, mais là pour le coup... La peur est bien de retour ! Oui écoutez, je suis un peu une chochotte hein moi, mais la violence, j'aime vraiment pas ça.

"Ah... Oui d'accord, pas de souci, désolée d'avoir posé la question !! Et on a le même âge en fait, c'est trop cool !"

En fait on s'en fout, mais j'essaye juste maladroitement de rattraper mon pied dans le plat magistral. Ca m'arrive TOUT LE TEMPS de poser les mauvaises questions aux gens, déjà rien qu'hier avec Luna ! Je parle trop je crois...

La brune m'emmène ensuite dehors, où je suis étonnée de voir autant de verdure malgré cette fin d'hiver. Est-ce que le printemps arrive plus vite ici ou bien c'est encore cette histoire de pouvoirs ? Non mais pour comparaison, en Russie à cette saison, à part des arbres morts y'a pas grand chose hein.

"Vous avez des jardiniers super efficaces dis donc, c'est bien joli ici !"

Je passe tout le trajet à regarder autour de moi plutôt que d'essayer de me repérer - parce que j'ai totalement le sens des priorités là, vous voyez ! Mais heureusement, une fois arrivées au village, je n'ai qu'à me retourner pour voir la grande bâtisse au loin derrière nous. Elle sera facile à retrouver, c'est déjà ça ! A priori, on a marché en ligne droite en fait.

"Ah mais c'est quand même plus grand que je ne le pensais !!"

Elle n’est pas sensitive, elle ne se rend pas compte de la crainte de la blonde. Quand on est habitué à un monde violent, la violence ne vous touche plus tant. C’est un fait divers plus qu’un traumatisme unique. Quand ça arrive une fois, c’est un drame, quand ça arrive régulièrement c’est une réalité. On vit avec car on n’a pas le choix, et quand on n’a pas le choix on a tendance à dédramatiser. Sinon on ne peut pas continuer à vivre. Acceptes ce que tu ne peux changer. C’était ainsi qu’elle avait arpenté sa réalité depuis des années.

Elle ne répondit pas sur le fait qu’elles avaient le même âge, elle ne voulait pas continuer à creuser dans la direction de Senri. Le sujet était, pour elle, clos.

« En réalité nombreux terres aident ici, les arbres grandissent entretenus pour la plupart, c’est plus simple que de les tailler. C’est toujours magique de les voir à l’œuvre, ce sont les seuls d’entre nous qui peuvent donner la vie. Enfin, de manière magique. »

Car bien entendu toutes les personnes ici, ou du moins la plupart étaient capables d’enfanter. Du moins, c’était ce que pensait l’ivoirienne.

« On est une petite ville mais avec plein d’activités, vu qu’on a tous des pouvoirs on peut entretenir le parc d’activité sans dépense énergétique, alors pourquoi se priver ? »

La réelle raison, elle le savait, c’était qu’il fallait occuper toutes les personnes qui ressentaient le Vide, et finalement c’était parfois plus facile ainsi. Elle avait cependant assez de tact pour ne pas en parler.

Afya m'explique que les affinités Terre prennent soin des plantes ici, et je la regarde avec des étoiles plein les yeux. Bon, j'ai vu l'oeuvre de Luna, mais sa jungle a beau être très classe, elle est tout de même bordélique et ne rivalise pas à mes yeux avec ces parterres de fleurs bien soignés et ces buissons parfaitement taillés. J'aime les espaces verts bien entretenus ! Et quand tout se fait comme par magie, c'est encore mieux !

"Ce pouvoir a l'air super chouette ! Je viendrai les voir à l'oeuvre à l'occasion... Oh tiens, est-ce qu'il y a une serre ou un jardin floral quelque part ?"

Nous arrivons ensuite au village, bien plus grand que je ne le pensais et surtout, qui a l'air d'offrir absolument tout ce dont on peut rêver. Je peux voir un parc au bout de l'allée principale, bordée de magasins et même d'une salle d'arcades.

"Oui c'est vrai, ce serait dommage de ne pas en profiter !! Du coup... Tu avais mentionné des thermes je crois ? Oh, et est-ce qu'il y a un coiffeur aussi ? J'ai déjà repéré la boutique de vêtements, il faudra que je vienne y faire un tour..."

Le discours de la fille totalement superficielle... Je le suis peut-être un peu dans le fond, mais j'aime bien les jolies choses, c'est comme ça ! Je me rends compte que je trépigne sur place d'impatience, et me racle donc la gorge d'un air gêné en essayant de reprendre une position un peu plus neutre.

"Hum, je ne voudrais pas gaspiller trop de ton temps... On peut peut-être juste faire un tour rapide, histoire que je me repère, et puis je reviendrai plus tard pour explorer convenablement ! On pourrait prendre un café quelque part pour te remercier de la visite ? Enfin, si tu as envie bien entendu !"

La pauvre, elle a déjà perdu toute sa matinée à me regarder m'extasier devant des trucs qu'elle connaît par coeur, elle a peut-être envie de souffler un peu aussi.

« Oui il y a des serres où l’on cultive beaucoup de légumes et de fruits, mais en réalité il suffit de se balader dans le dortoir des terres si on veut voir des fleurs en toute saisons… »

Etrangement, si nombres de terres aimaient avoir un environnement ordonné, il suffisait d’une petite minorité pour que cela déraille et il n’était pas rare de croiser des fleurs exotiques dans n’importe laquelle des fissures (crées par les jeunes titans) de leurs dortoirs. Elle se demanda depuis quand elle n’y était pas allée, sons esprit infléchissant comme souvent sa course vers Akkiko… Mais elle se rappela qu’elle y était allé pas plus tard que la semaine passée y faire le ménage… Ce n’était pas pareil et pourtant, ce n’était pas différent.

« Il y a un coiffeur… » même s’il n’avait pas la moindre idée de comment s’occuper des cheveux de l’ivoirienne. Finalement il valait mieux que ce soit Ariana armée de tutos youtube que cet homme qui s’attaque à la chevelure d’Afya. « Si tu te débrouilles bien, il y a même des apprentis coiffeurs dans les dortoirs. »

Comme dans nombre d’internats, un système économique parallèle s’était mis en place à Terrae. Nombre de jeunes troquaient leurs talents contre ceux de leurs camarades. Ariana pouvait vendre certaines de ses créations ou les échanger. Elle avait vu passer des tableaux, des compositions florales, des biscuits, et énormément d’autres choses…

« Ce n’est pas que je n’ai pas envie mais je vais devoir aller travailler… » répondit l’eau.

Le service du midi approchait et elle y était attendue. C’était l’une de ses nombreuses casquettes.

Je laisse échapper un léger rire à la remarque d'Afya. Vu l'état des dortoirs des novices, alors qu'il n'y a que Luna pourtant, j'imagine sans peine le couloir des Terres être un véritable jardin botanique !

"Il faudra que j'aille y faire un tour alors ! J'aime beaucoup les fleurs, je trouve ça très détendant de s'en occuper..."

Même si ce n'est pas nécessaire avec autant de mains vertes dans les environs, mais c'est plus thérapeutique qu'autre chose. J'ai besoin de me changer les idées en ce moment, et le calme d'un jardin fleuri, ça m'aide.

La brune m'indique ensuite le coiffeur, mais n'a pas l'air très convaincue de son talent. Je hoche la tête avec un demi-sourire sans rien ajouter. Au pire du pire, je peux faire mes cheveux moi-même, étant formée en coiffure, même si c'est toujours un peu compliqué sur soi-même... Mais je n'oserais jamais demander aux adolescentes des dortoirs, je tiens trop à ma crinière pour tenter l'expérience !

"Oh oui, bien sûr ! Il n'y a pas de soucis, j'ai déjà pris bien trop de ton temps ! Merci beaucoup pour la visite en tout cas, je pense que je vais rester ici me promener un peu dans le village pour me repérer..."

J'adresse un petit signe de main à Afya, accompagné d'un grand sourire. Il faudra que je lui achète un cadeau pour la remercier, ou peut-être l'inviter à boire un café une prochaine fois...

"Courage pour le travail, à la prochaine !"