Je m'étais promis de réduire ma consommation d'alcool, chose qui était faisable pratiquement tout le temps. Mais une fois tous les 36 du mois, lorsque les émotions et le passé pèsent trop sur la conscience, lorsque ma session chez le psy est trop forte, il y a rechute.
On est le 36 du mois aujourd'hui. Accrochée au comptoir du bar, seule, je bois mon surplus de sentiments. Luna la gérante du bar me ressert un énième verre de whisky avec glace lorsque je lui demanda gentiment.

« Hey Luna! J'ai lu une blague/anecdote trop drôle hier, c'est un mec qui dit qu' il était tellement bourré que quand il a traversé la piste de danse pour aller aux toilettes, il a gagné le concours de danse!  Archi drôle le mec. En tout cas euh merci pour le verre! »

Elle repart servir d'autres clients. Ma chaleur corporelle augmente progressivement autant que le taux de boisson augmente dans mes veines.

« Purée, Arnaud me l'a fait sale aujourd'hui... grommelais-je. »

Bien que la session ne dure qu'une heure, trop de machins se déroulaient. Un processus difficile pour pouvoir aller mieux car la retenue de tout cela n'est que néfaste. Et merde pourquoi je devrais continuer à m'en soucier? BREF, pour ce soir, plus rien n'existera, ni moi, ni la vie en général. L'éthanol rendait l'esprit plus léger, mon cerveau se met en veille pour ne laisser que le pilote automatique.
Plus rien ne comptera ce soir, je suis trop dans les nuages pour réfléchir au final. Je frotte mes yeux, avalant doucement ce liquide qui vient brûler mon œsophage. Je veux juste m'amuser, mais la solitude pèse. Je retrouve et fais des nouvelles connaissances. Pourtant me voilà à me lamenter.

« J'ai besoin d'un poto de bar bordel... Pensais-je.»

Je rigole doucement en repensant à la blague que j'ai sorti tout à l'heure, ouais bon ça va le rire à retardement c'est rigolo hein. L'odeur du narguilé dans la pièce rendait l'atmosphère doux, il m'arrivait d'en prendre lors de mes venues mais ce soir clairement il y avait une flemme. Ma conscience était déjà assez enfumée ce soir.
L'ennui était pesante, mais je voulais pas rentrer et continuer d'être seule. Rien n'attirait assez mon attention pour que je puisse m'amuser un peu pour le moment... LAISSEZ MOI M'AMUSER OU CHAIS PAS LÀ.

__–La soirée est assez tranquille, on a assez de monde pour que ce soit animé mais pas trop que que ça devienne ingérable, c’est bien. Comme le bar propose la fumette, le goûter et le thé, les clients ont tendance à espacer leur séjour sur la journée, plutôt que de ne venir le soir, c’est pratique. Puis ça évite de se faire chier pendant toute l’aprem avant dix-sept heures. Je ressers un whisky à une cliente, qui en a déjà aligné un peu trop pour rentrer chez elle, surtout qu’elle est Japonaise et pas de la constitution la plus épaisse que j’ai jamais vue.
__–Tiens, elle s’adresse à moi.
__–…
__–Ah non mais les Tonnerres bourrés, c’est autre chose. Je la connais pas super bien cette… ben Nana, mais c’est une cliente assez régulière pour que sa tête me revienne. Par contre niveau humour… je suis bonne public, mais peut-être pas à ce point. Enfin, j’en ai entendu des bien, bien pires dans des bars, alors vous savez. Ou venant de moi. Et puis, mieux vaut que les alcoolos fassent des blagues nulles que tentent de me draguer avec leur haleine de bière et leurs mains qui vont un peu n’importe où sauf là où il faut. Et oui c’est moi qui dis ça. Et est-ce que j’ai envie de draguer Nana ? Quelle question, bien sûr que oui. Mais aussi fou que ça puisse paraître, quand on me dit non, je n’entends pas ça comme un oui. Ce qui ne m’empêche pas d’essayer.
__–Et ouais je comprends son coup d’avoir un poto. Quelqu’un qui te porte sur tes épaules et fait en sorte d’éviter que tu boives trop, que tu te fasses du mal et qui est là pour toi si jamais t’as l’alcool triste.
__–Euah. On sait tous comment ça va finir. C’est que, je peux la porter sur une seule de mes épaules, donc à partir de là, je peux l’emmener jusqu’à sa chambre, puis son lit. Ça vaut le coup d’essayer, écoutez. Je me penche vers elle avec un sourire entendu – pour ne pas dire lubrique :
__–« Ho ben écoute, si tu veux un poto de bar, je —

__–– Me porte volontaire ! »
__–Une voix aiguë venait d’apparaître à gauche de Nana, trop bas pour que Luna pusse la voir sans se pencher par dessus son comptoir, pour découvrir une petite fille toute habillée de rose, aux cheveux blancs et yeux violets, qui tirait sur le t-shirt de Nana.
__–Pour une raison qui échappait à tout le monde y compris à Aylan, il avait aujourd’hui décidé de sortir sous les traits de son alter ego ; sa jumelle maléfique. Pour une raison qui n’était pas moins inconnue à l’assistance, aux lecteurs, à la narration comme au protagoniste, elle s’était dirigée vers le bar. Après s’être repus des senteurs familières à ses narines de narguilé et de thé à la menthe, longuement considéré la liste de pâtisseries maghrébines et levantines disponibles et enfin avoir jeté on dévolu sur lesquelles passeraient sous l’épreuve de ses blanches dents, Nyala avait eu le bonheur de constater la présence d’une connaissance en la personne de Nana.
__–Est-ce qu’elle comme Luna allait reconnaître qui elle était ? La perspicacité de la Terre comme la sobriété de la Tonnerre étaient d’un niveau comparable, ce qui lui faisait penser que ce ne serait pas le cas.
__–L’occasion de tester.
__–« Moi c’est Nyala. Et madame, j’veux un zlabia et puis des chamias et un kalb el louz siouplaît. Et un jus de litchi.
__–– Ah, euh. Ouais. Okay, attend gamine, je te sors ça. »
__–Victoire.
__–La tenancière éloignée par cette commande – et sa libido coupée –, Nyala pus se tourner vers la sbire de son jumeau. Elle s’assit juste à côté d’elle – sur le comptoir, elle aurait certes été à la bonne taille pour la regarder dans les yeux une fois sur un tabouret, mais souhaitait être en hauteur, là encore sans aucune raison.
__–« Comment ça va ? Comment tu t’appelles ? Tu bois quoi ? Ça sent super fort ! T’aimes les gâteaux comme ça – elle montra la vitrine d’où Luna retirait ceux que Nyala avait commandé – ? Il faut que tu les goûtes, je t’en passerai des bouts si tu veux ! C’est quoi ton affinité ? T’es fatiguée dis ? Ça a pas l’air d’aller très fort. »
__–Elle lui tapota la tête, comme pour la réveiller.

Tête lourde posée contre ma main, je suis au premier rang pour assister au coupage d'élan de Luna qui tentait de répondre à ma plainte. Une voix de crécelle sonne dans mon tympan gauche. Je me tourne dans sa direction, je ne vois qu'un bar un peu flouté. Il me semble que j'étais saoule mais pas aveugle. Je plisse les yeux mais je finis par me rendre compte que ça vient d'un peu plus en bas, un peu moins haute que le comptoir du bar, une petite fille du nom de Nyala tirait sur mon t-shirt. Elle passa sa commande auprès de Luna qui s’exécuta. Dès l'instant que mes yeux se mettent à clignoter lentement et que mon corps se laisse à moitié dormir, il me faut au moins une minute pour comprendre ce qui se passe dans mon environnement.

« Ah mais Luna att-... »


Bref elle s'est déjà suffisamment éloignée. Tant pis. J'ai déjà oublié ce qu'il fallait que je lui réponde au final. Du coin de l'oeil je vois que que la petite fille s'installe à mes côtés tout en me bombardant de questions. Erreur 404, je commence à faire une dissociation, ne comprenant qu'un mot sur dix, le regard posé sur le comptoir. Ce débit de parole me semblait familier mais j'avais les neurones assez déconnectés pour faire une liaison quelconque.

«  Hein? Quoi? Dis-je en me retournant vers elle. »

Je regarde de haut en bas la petite qui est en attente de ma réponse, les yeux pétillants de vie et de jeunesse.

«  Euh, t'es pas un peu... jeune pour venir dans ce genre d'endroit? »

J'attrape mon verre et laisse une bonne gorgée se glisser dans ma gorge. Ah... que j'aurais voulu une clope accompagnée de mon verre m'enfin je fais pas les règles c'est la priorité au narguilé.

«  Ny-a-la... c'est ça? Moi c'est Nana, enchantée j'imagine? »

Mes yeux s'accrochent au visage de la jeune fille, ses contours me semblent familier à nouveau mais impossible de savoir où. La sensation d'avoir un ouistiti avec des cymbales dans le crâne était trop présent pour permettre une réflexion trop grande. Je me pince l'arête du nez, tentant au moins de me rappeler ce que la jeune fille aux cheveux blancs m'avait demandé. EH BAH ÇA VIENT PAS. EUH. Des gâteaux? Elle m'a parlé de bouffe non? Et de... Fitness? Non. Friture? Fit... AH. Affinité! Hein?

«  Ouais non j'viens pas 'ci pour manger des gâteaux mais c'est gentil j'ai pas très faim... Je suis Électrique! 'Fin Tonnerre hein, et toi? »

J'avais demandé un poto de bar mais je pensais pas que ce serait en version miniature que ça aurait pu possiblement se présenter sur le coup.

__–Ah, les adultes. L’ivresse était décidément quelque chose de fort peu ragoûtant. Elle qui avait connu son acolyte au top de sa forme, la voir ainsi à peine comprendre son flot ininterrompu et ultra rapide de paroles était quelque peu navrant pour Nyala. Qui fronça les sourcils et fit une petite moue fâchée à la question de Nana :
__–« J’ai douze ans, je suis assez grande. »
__–Pour quoi exactement, sachant en plus qu’elle ne mesurait qu’un mètre trente-cinq, difficile à dire. Pour ce qui était de boire de l’alcool, c’était, peu importe l’âge, de toute façon hors de question. L’état de la Tonnerre suscitait à cet égard bien trop d’un mélange de pitié et d’inquiétude à Nyala.
__–« Pff mais siii ’faut que tu goûtes au moins un bout ! Regarde – merci madame ! – ça c’est un zlabia, c’est au miel, attends tu vas voir.
__–– « Madame » c’est ma mère, appelle-moi Luna, gamine. Et dégage de là. »
__–Pour toute réponse au sobriquet infantilisant de la tenancière – sans doute quelque peu agacée qu’une mioche se tînt assise sur son comptoir –, Nyala fit un « hmph ! » et une moue hautaine. Puis, elle saisit dans l’assiette fournie par Luna le zlabia, en arracha un petit bout qu’elle pointa vers la bouche de Nana, jusqu’à l’enfoncer un peu dans sa joue.
__–« Allez, pour me faire plaisir, tu verras c’est super bon ! Et t’es Tonnerre, c’est cool ça, moi je suis Air ! Alors dis, qu’est-ce que t’arrives, t’es triste ? »
__–Blague à part, cela chagrinait quelque peu Nyala de voir sa compagnonne dans cet état déplorable. Elle aurait bien fait une autre connerie avec elle, mais c’était limite si elle ne devait pas l’escorter dans son lit à la place. Les seules fois où elle avait vu des adultes boire, c’était des soldats qui s’en jetaient un après le service – mais ils le faisaient alors à plusieurs et c’était rires et chants – ou des personnes qui souffraient, voulaient et se faire souffrir encore plus et oublier leur souffrance. Par ailleurs, ayant été formée pendant plusieurs années dans la bande saharo-sahélienne, Nyala avait écouté les sermons d’imams et des cheikhs sur les dangers de l’alcool ; sur pourquoi le Prophète avait interdit sa consommation.
__–Mais ces considérations furent interrompues quand les fesses de Nyala cessèrent d’être en contact avec la surface sur laquelle elles étaient posées pour se retrouver sur un des tabourets du comptoir. De sa poigne de titanide, Luna avait attrapé la petite fille comme si elle ne pesait rien et l’avait dégagée de son zinc.
__–« Héééé !
__–– Ça suffit là, J’veux bien être coulante mais j’ai mes limites. »
__–Et sur ce, un autre client l’appelait ailleurs. L’ordre rétabli, elle les laissa là toutes les deux.

Mon interlocutrice confirma son âge, elle n'était pas un peu mais elle était BEAUCOUP TROP jeune pour se retrouver dans un bar. Bien qu'il n'y avait pas d'obligation à servir de l'alcool aux clients qui pouvaient se délecter de la bonne nourriture, il me semble qu'un bar restait un lieu plutôt réservé aux adultes.

« Il me semble qu'c'est encore petit douze ans, parlais-je dans ma barbe. »

Elle était vraiment en train de me parler de gâteau? Définitivement les enfants c'était pas ce que je préfère le plus, je ne possède pas de base la patience de supporter l'écart de maturité et surtout encore moins maintenant. Bien que, Aylan était une exception. Je me demandais comment il allait depuis notre rencontre. Pauvre petit loulou il avait été traumatisé par la fontaine... M'enfin bien que farceur il était assez mature et surtout CALME. Bon sauf quand ils bombardaient de questions mais voilà hein. Est-ce que tous les enfants de cet âge sont aussi hyperactifs? Elle était Air, tout comme mon acolyte d'aventure, c'était une sacrée coïncidence. Décidément, Terrae accueillant des gens de plus en plus jeunes à l'institut, y me semble que je ne suis pas arrivée avant mes 15-16 ans je crois.
Clignant, un peu trop, doucement des yeux,  je me retournais de nouveau vers ma voisine qui était en train de planter son bout de gâteau au miel dans la joue, son... euh... Zabi? Ziba? J'ai déjà oublié. Je soupirais longuement sans répondre sur le coup jusqu'à ce que le gâteau s'envola, tout autant que Nyala qui se faisait réprimander par Luna. J'esquissais un rire, un sourire en coin devant la scène. Elle était vraiment pleine d'énergie, soit tout le contraire de la poivrote de la soirée, moi.
Luna repartie et Nyala déposée sur son tabouret, je finissais enfin par ouvrir la bouche.

« T'es bien surexcitée dis donc, petite. Luna va pas te lâcher de la soirée si tu t'agites autant! »

Petite gorgée pour laisser une pause tout en jetant un coup d'oeil sur la personne concernée qui continuait son service en salle.

« Toi aussi tu es Air et bein... Et t'aimes ça hein? Tu guéris ou tu cries toi? Je connais qu'des crieurs chez les Airs dont un qui a ton âge d'ailleurs. »

Est-ce que je comptais vraiment me confier à une petite fille qui ne comprendrait pas forcément les problèmes d'adultes? Bon après je la connais pas et si elle est ici c'est qu'elle a connu quelque chose de difficile. M'enfin la complexité psychologique et sociale n'est pas la même malgré tout entre nous deux. Et puis merde hein, qu'est-ce que je perds au final? J'en ai un peu rien à foutre hein. Je pris le morceau de z-... du gâteau au miel qu'elle avait gardé en main et le déposa sur ma langue. C'était un gâteau mais sa forme ressemblait à une confiserie. La douceur du sucre donna quelques chatouillements dans ma mâchoire. Attention, je parle de BONS chatouillements, pas ceux qui arrivent quand tu as envie de vomir tes tripes au complet. Je secouais la tête de haut en bas pour approuver son choix de nourriture.

« Mouais c''pas mal! »

Je repris un petit bout de son biscuit sans demander la permission. Le goût du sucre me réconfortait de l'intérieur.

« Chuis triste pour des raisons nulles et stupides... Continuais-je en mâchant. Et comme je m'ennuie et que chuis seule... Bah...'Fin  j'prends une p'tite potion magique pour oublier un peu t'sais, soufflais-je. »

Je lâchais un rire sarcastique en écoutant ma propre explication, attrapant mon verre pour continuer ma descente  :

« Et toi qu'est-ce tu fais ici aussi tard? Tu m'fais penser un peu à un bon ami à moi.... »

__–Nana était certes ivre, mais même dans cet état déplorable, elle risquait fort de deviner la supercherie. Aussi fallait-il que Nyala prît les devants :
__–« Qui a mon âge ? Oh, tu veux parler d’Aylan. Oui, j’l’ai déjà croisé, il est sympa. Comment tu le connais ? »
__–Pour ne pas répondre à une question, le mieux est encore d’en poser une autre.
__–Sinon, Nana accepta le gâteau et le trouva à son goût, bien que son commentaire lapidaire ne fût pas de celui de Nyala :
__–« Arrête c’est pas juste “pas mal” c’est méga trop bon tu veux dire. Pis t’en reprends même. Ça veut tout dire. Tu pourras lui en demander d’autres. Si tu veux je te fais goûter des bouts des autres miens ! »
__–Enfin, si elle voulait du sucre pour se réconforter, elle allait en avoir besoin de plus que des échantillons. Inutile d’être un adulte pour voir que Nana se jetait dans un cercle vicieux. Tout cela lui faisait furieusement penser au Petit Prince et à la planète de l’alcoolique. Celui-ci buvait pour oublier sa honte ; sa honte de boire. Nyala réfléchit. Il était assez clair à ses yeux qu’il lui fallait changer d’air, ce qui commençait par quitter le bar. Nana pouvait assez aisément être entraînée dans des conneries à faire, nul doute que quelque chose de cette espère lui remonterait le moral : c’était le cas pour elle. Avec le sucre, s’activer à emmerder son prochain était une manière qu’elle affectionnait de penser à autre chose qu’à ce qui l’attristait. Qu’est-ce qu’une Tonnerre ivre pouvait bien faire en sa compagnie ? (Il ne fallait certes pas oublier qu’elle était téléporteuse, mais si déjà claire elle était capable des pires catastrophes, Nyala n’osait pas imaginer le résultat une fois dans un état second.)
__–Hmmm.
__–Elle avait une idée.
__–Il arrivait à Nyala de faire un tour sur le parc à voitures à l’entrée de l’institut. (Pour ses étendues de tarmac sans obstacle, idéales pour les pointes de vitesse en skate.) Il y avait là, n’avait-elle pas pu s’empêcher de remarquer, une moto qui n’avait jamais quitté son emplacement, qui était restée immobile depuis son arrivée à Terrae. Cette moto, celle de Luna mais elle ne pouvait pas le savoir, avait donné des idées à Nyala.
__–Elle s’approcha de l’oreille de Nana, comme pour lui confier un secret et utilisa sa voix de Sonore. Ses capacités hypnotiques étaient loin d’être affinées, mais sur un esprit déjà embrumé, qui savait quels effets ils auraient ?
__–« Hé, ça te dit on bouge ? Et tu sais conduire des motos ? Moi oui, tu veux que j’te montre ? »

« Aylan c'est ma petite fripouille d'AMOUUUUR qui voulait qu'on vole des glaces maiiiiis bah le plan a foiré! Pauvre petit loulou il est pas fan d'l'eau! »

Nyala continua de me parler mais j'eus un nouveau moment de dissociation, les yeux fixés sur le comptoir en bois, l'environnement. C'est moi ou il commence à faire chaud dans ce bar? Ou c'est mon électricité qui bouille? Est-ce que même sa bouille ce genre de... élément? J'allais dire liquide. Bon ouais j'sais que c'est des électrons qui vibrent ou je sais pas quoi et c'est lumineux, et c'est dangereux à toucher. Les longues secondes qui me paraissaient être de longues minutes furent coupés par la jeune aiguë de la jeune fille qui me parlait de motos. Ce mot sonna une cloche. Ayant conduit de nombreuses motos et scooters par le passé, Nyala venait de faire ressortir une envie intense qui était depuis longtemps enterré. Conduire longuement sur une bécane était un de mes passe-temps favoris pour oublier n'importe quel chose emmerdante.
Je me retournais brusquement vers elle, les yeux brillants d'excitation.

« Qu'est-c'qu'tu racontes ma p'tite je conduisais des motos t'étais même pas née ÉVIDEMMENT que j''sais conduire j'vais te montrer ! Dis-je en souriant. »

J'avalais cul sec le reste de mon verre, le cognant assez fort sur le comptoir en voulant le déposer. J'interpelle un des employés qui me donne l'addition pour moi et la petite, je dépose sur le comptoir le montant ainsi qu'un beau petit pourboire tout en remerciant la personne.

« Bon par contre j'dois aller pisser avant, accompagne-moi! »

Je pris la petite par le bras, sans lui casser hein, l'entraînant avec moi jusqu'à l'intérieur de la salle de bain des dames, légèrement titubante. Par chance, ça ne semblait pas bondé, je me faufilais dans une cabine avant de faire mes affaires rapidement.
Soulagée, je sors à toute vitesse, petit lavage de main et je repartais avec à mon bras la petite Nyala sans poser de questions. Je l'emmène dehors, avec cette envie compulsive de conduire, et de fumer par la même occasion. Ça doit faire quelques heures que je suis restée à l'intérieur du bar sans une pause clope.
À la seconde où on est dehors, j'allume une cigarette de mon paquet, heureuse et détendu dès la première bouffée mélangée à celle de l'air frais.
Sans me poser de questions sur la situation, je me retourne vers Nyala.

« Bon elle est où ta p'tite bécane là?»

HRP: Je me suis dit que le coup des toilettes ce serait drôle xD

__–« Pas fan d’eau », Nana brillait par sa science de l’euphémisme. À la surprise de Nyala, la technique d’influence de l’esprit qu’elle avait employé avait fonctionné. Était-ce bien charitable d’utiliser ce genre d’artifices pour plier la volonté de son amie, dans le but avoué de lui faire commettre un acte délictueux, en substance un vol de véhicule ? Ce raisonnement se heurtait à deux problèmes majeurs. Tout d’abord, tout semblait bon à prendre pour faire se changer les idées à Nana. Vu son état, la convaincre à l’ancienne, par des arguments non dopés magiquement, n’avait que bien peu de chances de fonctionner. Elle était, selon la petite Air, bien trop mal pour arriver à se sortir de sa déprime toute seule. Nyala n’avait que peu d’idée des ravages de l’alcool, ne les ayant fort heureusement jamais expérimentés elle-même, mais elle pouvait sans difficulté extrapoler et voir en Nana ce qu’elle avait déjà connu chez elle, ou ses proches. Son mal-être requérait une assistance externe.
__–Second problème, Nyala n’avait tout simplement pas conscience qu’elle allait commettre quelque chose d’interdit. Il ne s’agissait que d’un emprunt, après tout. Comme si elle n’était pas assez soigneuse pour rentre ladite moto dans le même état qu’elle l’avait trouvée.
__–Quoi qu’il en était, la résolution de Nana – ou la facilité avec laquelle elle avait été influencée, c’est selon – faisait plaisir à voir. Elle faisait aussi un peu mal au bras, surtout quand celui-ci fut saisi sans ménagement suite au pic d’énergie de la Tonnerre et transporté jusqu’aux toilettes, non sans un « Hééééé ! » ou encore un « Garde mes gâteaux je revieeeeens ! » adressé à Luna.
__–Mais que diable allait-elle faire dans ces toilettes. C’est qu’elle n’avait nul besoin pressant. Et au vu de la qualité de son déguisement – et du fait qu’elle était déjà venue dans un tel lieu, plusieurs fois – elle ne se sentait nullement gênée. Enfin. Quitte à attendre sa comparse, Nyala s’approcha du miroir et inspecta ses cheveux et les quelques touches de maquillage qu’elle avait mis. Rien de très flagrant dans ce dernier cas, mais ce qu’il fallait pour parfaire l’illusion.
__–Sa petite séance à se repoudrer fut interrompue par Nana, qui quand elle eût fini, attrapa Nyala pour l’emmener à l’extérieur. Ne souhaitant à aucun prix couper l’enthousiasme de son amie par un « Non attend ! » qui aurait pourtant été indispensable pour récupérer ses gâteaux, mais ne pouvant pas non plus supporter de les laisser là, la petite Air préféra se concentrer sur sa magie, faire se surélever l’assiette et la diriger vers elle… mais elle se fit interrompre par un bras métallique.
__–« Non mais tu piques pas la vaisselle hein, oh hé oh. Des assiettes faites main que j’ai commandé d’Algérie, ça va pas la tête. »
__–Avec un soupir lassé, Luna mit les pâtisseries dans un sac et propulsa celui-ci jusqu’à Nyala, qui guida la fin de son vol jusqu’à sa main.
__–Son propre trajet s’arrêta avec une fumée de cigarette – commentée par un « Bêêêrk ça pue ! » - et une question sur la suite du programme. Très bien. C’était donc au tour de Nyala d’attraper son amie par le bras et de la traîner partout.
__–« Elle est pas petite du tout d’abord, dit-elle avec une expression boudeuse, c’est une vraie moto de course, tu vas voir ! »
__–Elle lui prit donc le bras – l’autre était occupé à enfourner des gâteaux – et l’emmena jusqu’au parc à véhicules de l’entrée. Là, effectivement, sous une bâche de protection, une Honda CBR 1000, verte et noire, attendait son heure. Elle était manifestement entretenue : Luna – car c’en était effectivement elle la propriétaire – ne l’utilisait plus depuis son accident, mais en prenait tout de même grand soin. C’était, après tout, l’objet le plus cher qu’elle ait jamais possédé, un symbole de son ancienne vie, de ce qui lui restait à combattre et à recouvrer, de la marge de progression qui lui restait à parcourir en temps que personne.
__–Elle serait contente d’être chevauchée à nouveau.
__–« Oh zut alors, mentit Nyala avec une expression de chipie coupable, j’ai oublié les clefs chez moi… Attends, c’est pas grave. »
__–Elle sortit son kit de crochetage et s’affaira sur la serrure. Avec un vrombissement heureux, le véhicule démarra.
__–« Ça marche ! Trop cool ! Je m’accroche à ton dos ou je me mets contre ton ventre ? »
__–Dit-elle, alors qu’elle sortait des lunettes d’aviateur de quelque poche secrète de sa jupe.

HRP : Omg bête de moto j'adore!!! Grave BG.

La petite se met à son tour à m'emporter par le bras.

« Eh ohhh doucement la gamine t'va me faire tomber lò.»

Je me retrouve un peu penchée en avant dans l'élan, je termine rapidement ma clope et la jette sur le côté tout en écoutant la bouderie de Nyala lorsque j'ai dit que la moto serait petite. Je ricane légèrement jusqu'à notre arrivée sur le parking de l'entrée où, effectivement, elle me dévoile sous une bâche une MAGNIFIQUE, une belle Honda comme on les aime. Et la couleur oh la la j'en parle même pas, quelle beauté. Cela me faisait repartir en arrière, l'une de mes premières motos, une Guzzi VW7 2015 noire et grise, un vrai petit bijou de l'époque à mes yeux. Bon j'ai déjà eut quelques motos de courses mais c'est pas toujours mes modèles préférées. Les Harley étaient bien trop chers pour mon budget à l'époque. Honda faisait des motos très agréable à conduire et pas trop large, contrairement aux BMW que je trouvais trop grosse à mon goût.

« P'tain la bécaaaaanne! M'extasiais-je. Tes pieds touchent même pas le sol avec ça c'est bien trop gros pour toi j'sais pas c'est qui ton vendeur mais il a pas les yeux en face des trous hein. »

Je me mets à tourner autour, les lumières du stationnement ne dévoile pas tout mais c'est un bonheur de la voir de plus près, quelle belle mécanique.
Nyala affirma ne pas avoir les clefs et tandis qu'elle faisait je ne sais quoi sur la moto, j'observais l'arrière et le pot d'échappement. Elle était dans un magnifique état genre vraiment WOW.  Elle ne semblait pas trop utilisée, en tout cas la bâche n'avait pas l'air d'avoir été retiré très très souvent quoi.
Le vrombissement soudain de l'engin me fit me relever, Nyala avait allumé la moto, lunettes sur le crâne.

« EXCELLENT OH LA LA, dis-je en me tortillant sur place comme si c'était moi l'enfant. Bon, clairement t'es bien trop petite pour cet engin j'comprends pas comment tu peux conduire ça sans te casser la figure dis donc... »

Mais bon BREF je ne cherche pas midi à quatorze, je m'approche, effleurant du doigt le siège cuivré. Je ne semblais pas voir de casque, mais qu'importe! C'était l'heure de la route baby.
J'attache mes cheveux avec mon élastique resté sur mon poignet, posant mes fesses sur le siège frais.

« Pas envie que tu manges le sol alors tu vas t'installer là, dis-je en reculant, les jambes écartées pour laisser de la place à la petite de s'installer. »

La vibration et le son de la moto ravivaient une flamme dans mon cœur, ça me manquait terriblement de conduire une moto et j'attendais d'être mieux installée physiquement et mentalement avant de m'en procurer une... Je ne pensais qu'à une chose.
Roule.
Roule.
Roule.
Roule.
ROULE.

Dès lors que Nyala s'installa devant moi, je m'empressais d'enfiler le casque resté sur l'une des poignées et retirais la béquille pour lancer l'engin. C'était l'heure de faire un petit tour.

« Tu t'accroches bien hein, affirmais-je en baissant la visière. »

La vue pas tant troublée, j'étais en confiance sur la route. Le village étant pédestre, je prenais les routes plus en extérieures de l'institut, direction le parc à toute vitesse. L'adrénaline réveillait chaque membre, chaque muscle. Le retour au goût de la liberté totale, un énorme sourire sur les lèvres, une soirée, je ne pouvais pas demander mieux.

__–Allait-elle se douter qu’il y avait une embrouille ?
__–Même pas. Comme Brad, son frangin du Centre en quelque sorte, qui était lui aussi Tonnerre téléporteur, Nana avait vu cette moto d’adulte, la petite fille à ses côtés et avait fait un lien, ce qui était hautement improbable tout de même. Mais improbable n’est pas Tonnerre : vessie et lanterne étaient identiques dans leur esprit. Et pour répondre à sa question :
__–« Bah je mets des chaussures compensées ! »
__–Si je puis donner un conseil de santé publique : ne faites pas ça.
__–Sans plus de commentaire, Nyala se cala devant Nana, ajusta ses lunettes, arbora un grand sourire. De la vitesse, sa passion. Cela allait être grandiose. Le vrombissement du moteur, l’enthousiasme tellement intense de sa commère qu’elle saturait l’air ambiant, l’absence de sentiment qu’on faisait quelque chose de tout à fait interdit, tout cela ravissait notre protagoniste. Son plan pour lui changer les idées avait fonctionné, c’était le moins qu’on pût dire.
__–Une dernière consigne avant d’y aller. Calée entre les jambes de Nana, collée contre son torse et les mains sur le guidon, mais sans gêner sa pilote, Nyala était tout à fait prête.
__–« Oui vas-y fonce ! »
__–Et c’est ce qu’elle fit.
__–C’était encore mieux que ce à quoi elle s’attendait. Protégée par le pare-brise et ses lunettes, autant baissée que possible, Nyala était si proche de la route que la sensation de vitesse était décuplée. D’autant plus que Nana n’était pas la conductrice la plus posée qui fût. Le choix de passer par l’extérieur du village lui permit de profiter d’un itinéraire droit et exempt d’obstacles, donc de pouvoir accélérer tout son content. Et Nyala se dit qu’elle allait aider quelque peu. Elle se concentra. Visualisa l’air en mouvement devant elle. Une série de murs, une masse de gelée, dans laquelle elles s’enfonçaient, qui se heurtait à elle, les ralentissait, les agrippait. Elle commença par une légère fente et essaya de l’agrandir progressivement. Nyala n’avait certainement pas les capacités de créer un vide devant la moto, mais au moins pouvait-elle pousser l’air avant qu’il n’atteignît le véhicule, en diminuer la densité. En plus de son profil déjà aérodynamique, la moto put ainsi jouir d’une accélération encore supérieure.
__–Et donc d’un « WHOUUU HOUUUUUU ! » lancé à pleine voix de Sonore. Ce qui, avec le fort incongru son d’un pot d’échappement qui avait bien entendu été trafiqué pour faire un maximum de bruit, était un trouble considérable au calme terraen habituel.

HRP : Trop désolé du retard ;o; Que des trucs de fifous se sont passés dernièrement!

Le cœur toujours battant, le sang est pompée fois mille dans mes artères et mes veines. L'adrénaline me donne chaud. Nyala semblait en profiter au maximum. La moto devint soudainement plus rapide, quelque chose semblait booster l'engin mais sans que je ne connaisse son origine. La voix de Nyala se mit à vibrer au dessus du vrombissement de la deux roues. On était rendu à un stade où je me demandais si on était pas dans une version IRL de Mario Kart à Terrae. Le calme était perturbé par notre balade nocturne. Je continue de foncer non loin des forêts qui entourent l'Institut. La jouissance interne d'être aussi rapide me rendait euphorique. Je ne m'inquiétais pas de me faire attraper, je ne voulais que rouler.
On passe au bord du lac, éclairée par la lune, laissant place à une vue magnifique. Mon électricité commençait à devenir impatience face à toute cette excitation, je levais soudainement le bras pour lancer un mini éclair droit devant pour éclairer un peu plus le chemin, ce dernier explosant en de petites poussières brillantes, tel un mini feu d'artifices.
Je finissais par ralentir progressivement en arrivant au champ de fleurs jusqu'à un arrêt complet. Je laissais la petite descendre de mes jambes et retirait le casque de ma tête.

Levant les bras au ciel, je me laissais aller un bon coup :

«WOUUUUUUUUUUUUUH MERCI TERRAEEEEEEEEEEEEEEEEE! »

Ma voix fit écho tout autour de nous. Par chance, personne n'était dans les alentours pour me crier de la fermer. Fallait que ça sorte, défitivement. J'attapais Nyala dans mes bras et la fit tourner.

« T'AS VU COMMENT C'ÉTAIT INCROYABLE? D'où est-ce que tu viens petit être adorable qu't'es hein?  »

Gros câlin puis je la redéposais par terre. Sinon si je continue elle va finir en frisbee c'est pas le but du moment.

« C'est l'kiff ou pas?! »

L'euphorie continue à faire son chemin dans tous mes membres. Je veux continuer à la ressentir jusqu'à ma mort.

« T'as envie de faire un truc? On continue notre tour? Tu veux aller où?!  »

Une idée soudaine me frappa.

« ATTENDS. Et si... On allait DEHORS genre le vrai dehors?  »

__–C’était effectivement incroyable. Cela faisait longtemps que Nyala n’avait pas été à bord d’un appareil motorisé terrestre, trop longtemps en fait. Les sensations lui avaient manqué et les retrouver furent la source d’un profond ravissement. Aussi fut-elle tout aussi excitée que Nana et la rejoignit dans son étreinte comme dans sa jubilation :
__–« OUI C’ÉTAIT TROP MÉGA SUPER GIGA COOL OUAAAAH ! Et puis en plus j’ai écarté l’air devant nous pour qu’on aille encore plus vite tu l’as senti ??? C’est trop bien en fait parce que y’avait pas d’obstacles alors on a pu aller trop vite ! Le compteur il a dit 100 km/h c’est SUPER BEAUCOUP ! »
__–Entre deux sautillements enthousiastes, vint la suite du programme. Avec une idée de Nana… qui était plus contestable tout de même. Nyala fit une expression franchement exagérée pour montrer qu’elle réfléchissait intensément. Il faut d’abord bien comprendre que la petite Air n’avait pas l’impression d’avoir commis quoi que ce soit de délictueux. Certes, elle avait menti à Nana en prétendant que c’était sa moto, mais celle-ci n’avait pas été volée, seulement empruntée et contrairement à son épisode avec la wingsuit, Nyala ne s’était pas mise en danger vu qu’elle n’avait pas piloté l’appareil. Maintenant, sortir de Terrae était autrement plus condamnable. Si rien de particulier dans les règles de l’Institut ne disaient quoi que ce soit sur le fait d’utiliser une moto ou tout autre appareil roulant ou volant pour se déplacer, elles étaient explicites sur la question de savoir si on pouvait quitter l’établissement. Plus qu’une question disciplinaire, c’était une mesure de sécurité, autant pour Terrae que pour ses pensionnaires. Cela, Nyala, qui était rappelons-le poursuivie par une des plus puissantes organisations terroristes du monde, en était très bien consciente. Toutefois, il était impensable de tuer la bonne ambiance par un retour sur terre imposé à Nana. Il fallait plutôt proposer quelque chose qui serait plus réjouissant, plus intéressant, plus engageant encore qu’une ballade à moto dans Tokyo la magnifique, agrémentée de la douce saveur de l’interdit ; qui rend tout plus savoureux encore.
__–C’était ardu.
__–« Hmmmmmmmmmmmm… Ouuuuuuuaaaaiiiiiiiis… Ou aloooooooooors… »
__–L’embêtant de commencer une phrase sans avoir la moindre idée de comment la finir.
__–« Ooooonnnnn pouuuuuurraaiiiiiiit… Hmmmmmm… Ou sinooooooon… »
__–La technique risquait de ne pas fonctionner longtemps.
__–« OH MAIS OUI JE SAIS ! »
__–Pas du tout, mais l’effet de surprise que cela allait provoquer lui donnerait quelques ô combien précieuses secondes de plus. Cette situation demandait clairement quelqu’un capable de réfléchir. Ah, vraiment, où étaient les Terres quand on avait besoin d’eux.
__–« Je peux savoir ce que vous foutez ? »
__–Fichtre.

__–Oui alors.
__–Bordel de merde attendez que je reprenne mon souffle.
__–Ah non c’est vrai ma narration est pas vraiment diégétique, je peux faire ce que je veux.
__–Ben vous savez quoi je vais même me permettre un retour en arrière pour vous expliquer comment et pourquoi j’en suis arrivé là.
__–Déjà on va expédier le comment, ça va être vite vu. J’ai couru. Personne ne le sait vu que je ne cours jamais, mais je cours très vite. Ben oui non mais ça pareil, tout le monde a l’air d’oublier que je suis une trafiquante de drogues, à l’origine. Ce qui implique de savoir s’échapper quand les flics ou d’autres personnes pas spécialement plus recommandables te courent après. Tout le monde a l’air aussi d’oublier que je pouvais fendre un verre dans mon coude en serrant le biceps, quand j’en avais encore deux. Ou que je continue à faire un peu de sport tous les matins parce que je sais très bien ce que ça implique sur la respiration de fumer comme un pompier et qu’il faut bien compenser quelque part.
__–Le pourquoi, maintenant. Je veux dire, sérieusement les filles ? Vous faites retentir un moteur que j’ai acheté avec de l’argent durement gagné sachant que c’est pas tous les jours que j’avais assez pour me payer à bouffer, que j’ai dorloté et soigné plus que n’importe quoi d’autre y compris mon propre corps – bon ça, ça va pas être dur vous me direz –, que je connais absolument par cœur, de la moindre variation du son, à la moindre cavité, à la moindre imperfection – bien qu’il n’en ait aucune, j’y veille –, une moto sur laquelle j’ai parcouru mille dangers et vous croyez que je ne vais pas la reconnaître en un instant ? Vous savez, on est dans Tokyo, d’accord, mais Terrae est un peu couvert des bruits et mon pot d’échappement trafiqué, non seulement il a été conçu pour faire un maximum de boucan mais alors, c’est pas tous les jours qu’on entend ce genre de son.
__–Et accessoirement.
__–Non mais, je veux dire, à un moment. Quand ta vie c’était la moto. Que tu regardes un plan de Terrae pour la première fois. C’est quoi que tu te dis, à part « là ça ferait une bonne piste » ? Je savais où vous alliez avant même que vous ne le découvriez. Y’a pas besoin d’être télépathe pour anticiper deux imbéciles.
__–Du coup je suis là, adossée à un arbre – en vrai j’en mène clairement pas large – à cracher mes poumons. Je sais courir, sprinter sur… beaucoup de centaines de mètres, mais je le fais clairement pas tous les jours.
__–Ce qui explique pourquoi ma prochaine réplique ressemble plus à un râle épuisé.
__–« Vous fgngngngnnnn… Uuuhhh… Euuuuahhhh… »
__–Ok attendez.
__–« J’vais vous tuer en fait. »

Clairement, je fais une semi moue en voyant l'hésitation de la petite. ON EST LÀ POUR DE L'ADVENTURE VOYONS. Je tape du pieds en fixant Nyala qui fait le tour de ses pensées.

« VAS-Y DIT MOI »

Sauf que ce n'est pas ma copilote qui me répond mais une voix autre. Je tourne tout de suite la tête dans sa direction pour voir Luna, adossée, essoufflée.

« Ahhhh salut Luna! »

Une demi-seconde après, j'eus presque un torticolis en bougeant la tête trop vite dans un va-et-vient quand l'ampoule au dessus de ma tête s'éclairait.

« LUNA?! »

La réalité devint amer sur le coup. Comment ça tuer? En quelle honneur? Jalouse qu'on ait fait un super trip en moto et pas toi?
Sauf que.
Le regard sombre de Luna me donna un frisson dans la nuque PARCE QUE OUI LÀ JE SENS QU'ELLE ME TRANSPERCE DU REGARD C'EST MOI L'ADULTE ICI. La pression, la panique surtout, me fait revenir sur Terre, l'euphorie s'est évaporée et mon taux d'alcool se dissous graduellement, j'ai encore le crâne engourdie mais je sais reconnaître le danger quand il y en a un. Cependant, l'excitation ayant quitté mon corps, c'était les retombées : un mini shutdown via l'alcool embrumait mes pensées.

« Je- »

Je me tourne immédiatement vers Nyala, le regard en panique. Je la fixe et tente de me rappeler ce que Nyala m'avait dit plus tôt.

« Tu- »

Je me gratte l'arrière du crâne rapidement. Mon regard rempli d'incompréhension, je me demande vraiment pourquoi je voulais tant rouler. Je fais des aller-retour de yeux entre la moto et la petite, clairement y a un soucis de taille...

« Luna, y s'passe quoi? Nyala... Tu... Tu m'as menti? C'es une caméra cachée?»

J'avale de travers ma salive, à deux doigts de m'étouffer.

« On a un peu abusé sur le bruit Luna je...euh... Nyala dit quelque chose là!»

J'étais perdue, clairement je serais encore dans mes 18 ans, je me serais tout de suite barrée en me téléportant LOIN.
QUE QUELQU'UN M'EXPLIQUE CE QU'IL SE PASSE.