Le soleil a dépassé le zénith quand je pose enfin les pieds devant les grilles, à l'intérieur de l'institut. Les seules choses qui m'accompagnent sont un sweat-shirt à capuche noir troué aux manches et au bas, un vieux jogging noir et un sac à dos usé. Dans celui-ci se trouvent une tenue de rechange, un téléphone et l'étoffe de Mama que j'ai lavé avant de partir.

J'ai encore du mal à comprendre comment tout a pu s'enchaîner si vite : le dernier match, la garde-à-vue/anniversaire, l'interdiction de combat, le retour dans les favelas et l'arrivée de l'homme étrange qui m'a proposé de le suivre à Terrae. Ce qui est sûr c'est que le fer froid sous mes mains est bien réel. L'air qui se condense en buée devant mes lèvres aussi.

Plus par curiosité qu'autre chose, j'essaie de pousser les immenses grilles. Bien sûr, à part des bruits métalliques, rien ne se passe. C'est évident qu'ils ne vont pas laisser cet endroit libre d'accès. Je laisse retomber ma main et me retourne vers l'espace ouvert de l'entée. Il y a quelques arbres, un bâtiment... Je frotte mes mains l'une contre l'autre dans l'espoir de me réchauffer. Il fait bien moins chaud ici, et si l'homme m'a avertie, je n'ai rien d'autre que ce que je porte. Même si j'avais quelques sous, j'ai préféré les garder pour mon arrivée. Je sens l'enveloppe de papier dans ma poche...

Où dois-je aller ? Je fais quelques pas, pas très sûre de la direction à prendre. Tous ces changements font beaucoup à digérer. Mama me manque, mon coach me manque, mon pays me manque. Et je sens que les larmes montent.

"Oh non, rien de grave j'espère ? Il n'y a pas de souci, prenez bien soin de vous surtout ! Oui, oui, vous pouvez me rappeler quand ça ira mieux pour décaler le rendez-vous, pas de problème. Au revoir !"

Bon, eh bien il semblerait que mon après-midi vienne de se libérer... C'est malin, si j'avais su, j'aurais pris mon maillot de bain pour aller me prélasser aux thermes ! J'en laisse toujours un ici au cas où justement, mais je l'ai utilisé plus tôt dans la semaine et il doit encore passer à la machine - oui, malheureusement en cette saison, j'ai pas mal de rendez-vous qui s'annulent à la dernière minute... Grippe ou mauvaise chute sur le verglas, ou parfois juste la flemme de sortir dans le froid, j'imagine !

J'enlève ma blouse blanche et mes chaussons pour les troquer contre une longue doudoune rose et des bottes en fourrure beige, attrape mon sac à main et ferme la porte de l'institut, pour braver moi-même le froid de cette fin de février. Autant j'aime le coeur de l'hiver, la période des fêtes et la neige - mais en ce moment il fait juste gris, venteux et froid. C'est nul. Je frissonne en me mettant en route vers l'institut d'un pas vif.

Arrivée aux abords de la cour, je remarque une figure encapuchonnée, plantée là avec un vieux sac sur le dos, l'air perdu. Je m'approche un peu et suis surprise de voir des traits féminins se dessiner - vu la taille et la carrure, de dos, je pensais qu'il s'agissait d'un jeune homme ! J'agite le bras pour attirer son attention mais reste à une distance raisonnable.

"Hey... Tout va bien ? Vous avez besoin d'aide ?"

Elle doit avoir sacrément froid avec son petit pull à capuche là ! Je me demande si c'est une nouvelle - son sac à dos n'est vraiment pas très grand, et je ne vois pas d'autre bagage.

Je pensais que j'étais seule et je me préparais à verser quelques larmes, quand des pas se font entendre. Je cligne vite des yeux pour chasser mes larmes, et fourre mes mains dans mes poches en remettant en place mon masque maussade.

Pourtant, au fond, je suis bien soulagée que quelqu'un soit là. Sinon, je ne sais pas où je serais allée. Je pense que j'aurais fini par rentrer dans le grand bâtiment, plus par froid que par envie... Mais pour l'instant la solitude me serre la gorge. Alors quand une voix féminine et plutôt douce se fait entendre, je ressens un gros soulagement.

En me tournant, je découvre une jeune femme toute petite et toute menue. En voilà une qui se serait faite manger toute crue chez moi. Mais je ne suis plus chez moi... Ou plutôt je n'ai plus de chez-moi. Avec la maison de Mama rasée, j'aurais fini à la rue à dormir sur des bancs et à mendier pour manger. Haha quelle vie pour une ancienne star de MMA ! La jeune femme qui m'a interpelée me demande si ça va, et à nouveau mes yeux et mon nez me piquent.

Oui...

Un murmure, à peine audible. Rien qu'un mot étranglé dans ma gorge. Quelle honte ! Je tousse avant de reprendre.

Ouais ça va. Je viens d'arriver alors je sais pas trop où aller.

Mama disait toujours qu'avouer son ignorance n'était pas honteux, qu'en le faisant on ne peut qu'apprendre. Alors bon, autant se lancer. Ce n'est pas une crevette comme elle qui pourrait me faire le moindre mal. Je reste tout de même ébahie par la technologie de la puce qu'on m'a mis à l'oreille, qui traduit ce que me dit la jeune femme en doudoune rose. Pour moi c'est de la magie pure !

La jeune femme se tourne vers moi, et mes yeux s'agrandissent légèrement de surprise quand je découvre son visage. Pas qu'elle ne soit pas jolie, au contraire d'ailleurs, mais sa peau... J'ai déjà vu ça, sur une mannequin noire qui travaillait à l'agence de ma mère - je ne me souviens plus du nom, mais c'est un genre de maladie de la peau hyper rare. J'essaye de reprendre une expression normale rapidement, je n'ai pas envie de la mettre mal à l'aise ou de paraître impolie !

Elle a l'air... Triste, mais comme elle me confirme être fraîchement arrivée, j'imagine que ça n'a rien d'étonnant. On est tous un peu cabossé en arrivant à Terrae. Je lui offre un sourire bienveillant et m'approche d'elle, un peu plus à l'aise.

"Oh, d'accord ! Est-ce que... Tu attends quelqu'un ? On ne t'a pas donné d'information concernant ton arrivée ?"

Franchement, cet endroit est génial, mais l'organisation autour de l'arrivée des nouveaux laisse grandement à désirer ! La Master qui était venue me chercher m'avait juste laissé quelques vagues indications pour trouver les dortoirs avant de me planter - heureusement que Luna et Afya étaient là pour m'expliquer les choses et me faire une petite visite guidée. Je n'avais pas encore eu l'occasion de rendre la pareille, mais il semblerait que ce soit mon tour à présent d'endosser le rôle d'accompagnatrice.

"Si tu veux, je peux te guider jusqu'aux dortoirs ? J'étais justement en train de remonter vers l'institut ! Tu vas attraper la mort si tu restes dans ce froid de canard avec cette tenue !"

Fouillant dans mon sac, je sors une écharpe en laine beige que je lui tends avec un nouveau sourire. C'est mieux que rien, au moins pour protéger sa gorge du vent le temps qu'on rentre.

Je vois bien les yeux de la jeune femme s'agrandir en découvrant mon visage. Je lui en veux pas, ça fait toujours cet effet-là la première fois. C'est pour ça que je garde ma capuche, comme ça moins de gens voient mon visage. Mais elle a le mérite de se ressaisir super vite et j'avoue que je lui en suis reconnaissante. Mais je suis seule dans un endroit inconnu, et même si elle me sourit, rien ne me dit qu'elle me veuille du bien. Du coup je reste plantée là, à la dévisager pendant qu'elle me pose des questions. J'en oublie presque de répondre tant la situation me semble encore irréelle.

Non... J'ai personne à attendre. On m'a juste dit de trouver les dortoirs pour poser mes affaires. Le gars qui m'a accompagnée a dit "une fois dos à la grille, continue tout droit jusqu'au premier bâtiment". J'explique en haussant les épaules.

Et la petite blonde propose tout de go de m'accompagner. Me tend une écharpe en me disant que je vais attraper la mort si je reste ici... J'hésite à prendre l'écharpe. J'ai pris une douche la veille, mais mes vieux vêtements sont tout abîmés, et avec le voyage... Sa bonté me touche beaucoup. Finalement, je me décide à tendre la main. En attrapant le tissu beige, je remarque à quel point ses mains sont petites à côté des miennes.

Merci...

Mon ton est un peu timide. Je retire ma capuche le temps d'enrouler l'écharpe autour de mon cou et de mes tresses. L'étoffe chaude et douce me fait l'effet d'un nuage. C'est tellement agréable que je me surprends à y fourrer le nez en fermant les yeux un court instant. Mes épaules se détendent, et quand je relève la tête, mon regard s'est adouci. Ce n'est pas un sourire, mais c'est le mieux que j'ai à offrir à cet instant.

Je m'appelle Tori.

Je me présente par politesse, et une question me brûle les lèvres. Cette petite chose blonde me fait des sourires et m'aide comme si j'étais n'importe qui... Comme si j'étais une connaissance. C'est déroutant, je pourrai la briser en deux rien qu'avec une main, mais elle est là, à prendre soin de moi.

Je ne te fais pas peur..? Finis-je par demander d'un ton à la fois défensif et plein d'espoir.

Une légère moue se dessine sur mes lèvres alors que la jeune femme confirme que non, à priori personne n'est là pour la prendre en charge - c'est une manie de larguer les gens aux grilles avec une semi explication, il faut croire !

"Ah ben, exactement pareil que quand je suis arrivée, tiens ! C'est dingue que le protocole d'accueil soit toujours aussi nul, ils devraient avoir l'habitude quand même !"

Ou alors c'est une super technique secrète pour lancer les nouveaux dans l'arène d'entrée de jeu, les obliger à aller vers les autres pour demander de l'aide, à communiquer - ou se dépatouiller seuls, aux choix.

La brune semble hésiter quelques secondes avant de saisir l'écharpe que je lui tends et de l'enrouler autour de son con. Elle se détend un peu, me remercie puis se présente. Je souris de plus belle et tends ma main vers elle en répondant.

"Enchantée Tori, moi c'est Alyona ! Tu arrives d'où ? Un pays un peu plus chaud, j'imagine ?"

Je lâche un léger rire en désignant sa tenue. D'ailleurs, je remarque que son pull est déchiré à plusieurs endroits, pas très propre. Et elle n'a qu'un petit sac à dos... J'ose à peine imaginer son histoire, ses origines. J'ai vite compris que, comparé à la majorité des pensionnaires ici, j'ai eu une vie facile et très privilégiée - jusqu'au Vide, évidemment.

La question de Tori me prend par surprise, je hausse les sourcils... Avant de paniquer un peu intérieurement.

"Euh, non ? Enfin, je-tu... Tu vas pas me taper, hein ? Hahaha..."

Je ris un peu jaune quand même. Ok, j'ai des pouvoirs, mais si elle décide de me casser en deux, je ne ferai pas long feu. Je ferme les yeux quelques secondes, regarde dans la brume de mon cerveau - non, mon futur proche ne semble pas emprunt de douleur. J'ai toujours du mal avec mes dons de Voyante, mais j'ai quand même fais quelques progrès - suffisamment pour voir le futur proche et les incidents qui me concernent directement. Je me détends et souris à nouveau, avant de pointer mon doigt vers le bâtiment.

"Allons-y ! Et pour répondre à la question... Intimidée, un peu, mais peur non. Tu sais, si je devais avoir peur de tous les gens qui plus forts que moi, je ne sortirais jamais de ma chambre hein !"

J'ai appris à me servir d'autres armes - la serviabilité, la compassion, la gentillesse. Et puis franchement, je crois que je fais trop pitié avec ma carrure de mouche pour inspirer à quelqu'un l'envie de me frapper.

Voir cette petite blonde toute menue râler m'arrache un sourire. C'est à la fois mignon et impressionnant. D'après ce qu'elle dit, elle doit être là depuis un moment déjà... Mais je me contente de hausser les épaules. J'aurai très bien trouvé le dortoir seule si j'avais dû. Mais même si ça me fait mal de l'admettre, je suis bien heureuse d'être tombée sur cette jeune femme.

Je serre la main d'Alyona en faisant attention à ma force et m'efforce de ne pas rougir quand elle désigne mes vêtements. Je me doute que son rire n'est pas moqueur mais ça fait quand même mal. Quand je suis sortie de garde-à-vue, je ne suis même pas retournée chercher mes affaires dans l'appartement que le coach m'avait prêté... J'avais gardé le vieux pull que j'avais sur moi à ce moment et ayant passé un certain temps assise dans les gravas de la maison de Mama, mes vêtements reflètent un peu tout ça. Résultat, j'arrivais dans un accoutrement sale et troué, avec aucune possession en dehors de mon sac et son contenu.

J'arrive de Rio... Là-bas il faisait presque 30° quand je suis partie.

J'ai répondu d'un ton un peu brusque et je ne peux pas m'empêcher de m'en vouloir. La pauvre n'a rien fait de mal. Mais je suis toujours sur la défensive, prête à faire ravaler ses paroles à n'importe qui. D'ailleurs en parlant de ça... Je lui ai fait peur avec ma question. Et la culpabilité se fait plus forte.

Non, bien sûr que non je ne vais pas te frapper !

Mon ton est à la fois outré et horrifié. Elle n'a rien fait pour me mettre en colère, je ne frappe pas gratuitement la plupart du temps... Enfin... Un flash de souvenirs me percute comme un train à pleine vitesse. La rage, mes coups de plus en plus forts, la fille étendue face à moi... Est-ce que je me connais si bien que ça..? Alyona pointe le bâtiment en face de nous et me sort de mes pensées. Je me mets en marche en restant bien à la hauteur de la jeune femme.

Je vois ce que tu veux dire... La peur peut bloquer les gens. Je suis désolée que ma question ait sonné comme une menace, c'est juste que... Souvent les gens sont un peu inquiets quand ils sont avec moi...

"Inquiets", c'est un bel euphémisme pour dire qu'ils n'osent pas s'approcher. Enfin, elle non plus n'osait pas au début. De nouveau morose, je remets mes mains dans les poches de mon jogging, touchant l'enveloppe contenant mon dernier salaire pour me rassurer.

Tori me serre la main, sa paume est gelée - et deux fois plus grande que la mienne ! Je remarque qu'elle a aussi une tache plus claire à ce niveau-là, et je me demande si c'est pareil sur tout son corps. Sans doute. J'esquisse une nouvelle moue quand elle m'annonce un peu sèchement venir du Brésil - la pauvre, il va lui falloir un petit temps d'adaptation au climat nippon !

"Ah oui, ça doit te changer ! C'est dommage, tu as raté la neige, c'est le seul truc cool en hiver... Mais d'ici quelques mois, les cerisiers seront en fleurs, tu verras c'est super beau !"

Je pointe en direction des arbres qui bordent la cour, encore nus et tristes à cette époque de l'année. Ils ne fleurissent pas très longtemps, mais ça vaut vraiment le détour ! Nous nous mettons en route vers l'institut, et la jeune femme s'excuse de m'avoir fait un peu peur, confirmant qu'elle n'a aucune intention de me faire du mal. Je hausse les épaules avec un petit sourire.

"Oh non, t'inquiète ! J'ai l'habitude des gens plus imposants que moi - il n'y a littéralement que ça de mon point de vue, hihi !"

Puis Luna doit faire son gabarit, et c'est une vraie crème - et Pandora aussi est super grande, sans parler de Tiago ou Baxter. Bref, c'est mon quotidien de fréquenter des gens qui pourraient littéralement me briser comme une brindille. Mais ça ne m'effleure jamais l'esprit à vrai dire, au contraire je me sens protégée en général. Et puis, je le verrais venir si quelqu'un essayait de m'attaquer...

Nous arrivons rapidement à l'entrée du bâtiment, et je m'arrête après avoir passé la porte, près du panneau d'affichage principal.

"Alors, ici c'est le hall principal, à gauche au fond du couloir, il y a le dortoir des garçons et la cafétéria - mais nous du coup on va prendre à droite, vers le dortoir des filles. Les communiqués importants sont affichés juste là, sur le panneau. Il y a aussi des petites annonces si tu cherches un job, ou si tu veux rejoindre un club, ce genre de choses..."

J'essaye de ne pas lui balancer trop d'informations d'un coup non plus, sinon elle ne va rien retenir ! Et en parlant d'informations...

"Est-ce que... On t'a déjà un peu parlé de l'institut en lui-même, en fait ? Les... Spécificités de cet endroit ?"

Je tourne volontairement autour du pot pour ne pas prononcer le mot "pouvoirs" - non mais, si elle n'est pas encore au courant, ça fait un choc quand même ! Je sais que Terrae a fait la une des journaux à plusieurs reprises, mais si elle vient d'un endroit défavorisé ou qu'elle ne s'intéressait pas à l'actualité, elle a pu passer à côté. Le Master qui l'a emmenée ici lui a normalement fait un topo, mais on ne sait jamais hein.

Je me détends en voyant qu'Alyona n'est pas vexée par mon ton. À la place, elle me parle de neige et de cerisiers en fleurs. La neige, je ne l'ai vue qu'une fois à l'occasion d'un voyage pour une compétition de MMA. C'était beau mais vraiment glacial. Je ne suis pas déçue de l'avoir ratée ici. Le froid n'est vraiment pas mon truc... Je suis du regard la direction que pointe la jeune femme. Les arbres sont noirs et un peu menaçants sans leurs feuilles. Je me demande à quoi ça ressemblera quand ils seront en fleur.

Nous nous mettons en route vers le grand bâtiment et Alyona lâche quelques phrases avec un rire. Je me doute qu'elle essaies de me faire sourire, mais je n'ai pas vraiment le cœur à ça. J'essaie cependant, pour ne pas la mettre mal à l'aise. Je sens les traits de mon visage se tordre, et je suis immédiatement sûre que ça ressemble plus à une grimace crispée. J'abandonne et reprends mon air maussade en pensant à ce qu'elle a dit. C'est vrai que même dans les catégories de poids moins lourds que moi, les filles étaient rarement aussi petites. Et quand c'était le cas, elles étaient deux fois plus épaisses.

Nous passons la porte du bâtiment et je me sens déjà mieux dans la chaleur de l'intérieur. Un dernier frisson me secoue du bas du dos jusqu'aux épaules. J'écoute ses indications qui me permettent de me repérer un peu. L'endroit est grand, avec des murs épais. L'air est tiède, de quoi être à l'aise en portant un pull. Je note l'emplacement du panneau d'annonce. Si je veux pouvoir m'acheter quelques vêtements chauds, il va vite falloir que je trouve un travail. Puis Alyona me pose une nouvelle question et je pose à nouveau les yeux sur elle.

Mh... Il a parlé d'une histoire de vide, que c'était la raison de la venue des gens ici. Et il a aussi parlé de pouvoirs. Cinq je crois : feu, tonnerre, air, eau et terre. Mais il pouvait tout à fait se fiche de moi avec ça. Conclus-je en haussant les épaules.

Je ne veux pas qu'elle me prenne pour une folle avec cette partie des explications que j'ai reçu. J'étais tellement déboussolée que ça pouvait très bien être une blague qui me serait passée au-dessus de la tête. Je me sens toujours paumée, mais avec Alyona à mes côtés pour me présenter l'endroit, ça va un peu mieux. En parlant de ça...

Tiens, maintenant qu'on est à l'intérieur ça ira... Merci. Dis-je en retirant l'écharpe de mon cou.

Quoi qu'à bien y réfléchir...

Tu, euh, tu veux peut-être que je la lave..? Elle a sûrement un peu pris la poussière... Désolée.

Me voilà à nouveau embarrassée par mes vêtements. J'ai l'impression d'être complètement décalée dans ce décor tout propre.

Tori n'a pas l'air très ouverte à la conversation, mais je ne m'en formalise pas trop et continue à lui pointer quelques détails du paysage dans la cour, avant que nous n'arrivions à l'intérieur. Je lui dresse un plan sommaire du rez-de-chaussée pour qu'elle puisse s'y retrouver, puis aborde finalement la question sensible - que sait-elle de Terrae, au juste ? Je retiens un soupir de soulagement quand elle mentionne le Vide, les pouvoirs - ouf, je ne sais vraiment pas comment j'aurais abordé le sujet sinon ! Elle n'a pas l'air convaincue cela dit, aussi je lui adresse un léger sourire gêné.

"Non non, il ne s'est pas fichu de toi..."

Je soupire légèrement. Est-ce que je suis vraiment la personne la mieux placée pour lui expliquer tout ça ? Non, sans doute pas, mais bon. La jeune femme me tend mon écharpe, me sortant de mes pensées, et je tends la main pour la reprendre.

"Oh non, t'inquiète pas pour ça ! ... Est-ce que tu voudrais la garder, en fait ? Il va encore faire froid pendant quelques semaines... J'en ai plein de toute façon, celle-ci ne me manquera pas ! Cadeau de bienvenue ?"

Je propose avec un léger sourire, avant de la conduire au bout du couloir, vers le dortoir des filles. J'ouvre la porte, l'endroit est très différent de mes souvenirs - mais en même temps, Luna l'avait transformé en jungle à l'époque où je suis arrivée ! Il a retrouvé son état d'origine, impersonnel et un peu froid, une rangée de lits avec table de nuit et bureau, et une petite salle de bain au fond.

"Et voilà le dortoir ! Tu peux prendre n'importe quel lit, tant qu'il n'y a pas déjà des affaires dessus quoi. C'est juste temporaire, le temps que... Tu t'adaptes un peu et décides si tu veux rester ? Après l'Initiation, tu auras ta propre chambre."

Mmh oui, l'Initiation, les pouvoirs... J'ai un peu évincé le sujet tout à l'heure.

"L'Initiation, c'est quand tu reçois tes pouvoirs en fait. C'est... C'est un peu compliqué à expliquer. Je... Oh, mais attends ! J'ai une brochure explicative dans ma chambre en fait. J'peux aller la chercher pendant que tu t'installes si tu veux... Ou alors tu peux venir avec moi, c'est comme tu préfères, c'est un peu plus confortable dans ma chambre ! J'ai du thé et un canapé."

C'est mieux que de s'asseoir sur un des petits lits ici - mais si elle veut se poser un peu et prendre une douche, je comprendrais aussi.

Je lance un regard surpris à Alyona. Comment ça, il ne s'est pas fichu de moi..? Il me faut quelques instants pour capter tout ce que ça implique et me ressaisir, et entre temps, nous sommes arrivées dans le bâtiment. Je décide de lui rendre son écharpe et la conversation change, me laissant avec des questions plein la tête. C'est alors qu'elle me propose de la garder.

Tu es sûre..? C'est qu'elle a l'air... Précieuse. Dis-je, incertaine.

J'allais dire "elle a l'air de coûter cher" mais je me suis retenue sans vraiment savoir pourquoi. Je garde donc son écharpe à la main pour la suivre en direction du dortoir. Celui-ci est assez classique, des lits, des armoires, des tables de chevet... Et une porte au fond, sûrement celle des douches. Je n'ai pas de souci avec la cohabitation, mais l'atmosphère austère du lieu me donne le cafard à la place. Même dans l'endroit où j'allais vivre, je ne me sentais pas chez moi... Je m'exhorte intérieurement à être patiente avec moi-même et prends une grande inspiration. Ce que me dit Alyona tape juste. Est-ce que j'ai vraiment envie de rester..?

Je pose mon sac sur un lit vacant avec un soupir et pends l'écharpe de la petite blonde à la tête du lit. Je regarde l'étoffe de laine et décide que, si après un mois ici, je ne me sens toujours pas à ma place, je repartirai. Un mois d'essai, c'est une bonne période. Ça me laisse le temps de faire des rencontres et d'explorer un peu plus... Quitte à faire cette initiation dont parle Alyona. D'ailleurs la jeune femme me propose de monter dans sa chambre pour en parler.

J'avoue... Tu m'as eue au thé et au canapé. Dis-je en me déridant l'espace d'un instant. Et puis j'aimerais beaucoup que tu m'explique un peu ces pouvoirs et comment ça fonctionne ici.

Je lance un regard à mon sac et hésite un instant à le prendre, puis décide de n'en sortir que mon téléphone, qui va rejoindre l'enveloppe dans la poche de mon jogging. Personne n'irait piquer des vêtements usés et une étoffe encore un peu tâchée. Ainsi équipée, je décide de suivre Alyona dans les couloirs.

Est-ce que tu sais si il y a des jobs proposés sans diplômes ici ? Demandé-je en marchant.

C'est probablement la première chose qu'il faudra que je fasse après m'être installée alors je préfère me renseigner... Tant que ça n'implique pas d'écrire ou de lire trop vite, je devrais pouvoir le faire.

Je hausse les épaules avec un sourire à la question de Tori.

"Oh bah, c'est juste de la laine hein, pas du fil d'or !! Mais oui, c'est cadeau, ça me fait plaisir, tu vas en avoir besoin si tu dois ressortir !"

Je ne saurais même pas dire si cette écharpe m'a coûté cher ou non - je ne suis pas très douée pour gérer mes sous, je ne regarde pas à ce que je dépense en général. Je gagne ma vie correctement, vu que l'institut de beauté fonctionne bien, et en plus mes parents insistent pour m'envoyer de l'argent tous les mois, donc je ne manque vraiment de rien.

Nous arrivons aux dortoirs, que la brune inspecte en silence avant de se choisir un lit, où elle dépose son sac. Je la laisse apprivoiser l'espace quelques instants, avant de lui proposer de m'accompagner jusqu'à ma chambre pour lui parler du fonctionnement de Terrae plus confortablement - et avec une brochure explicative, ça sera beaucoup plus pratique ! Je suis soulagée qu'elle accepte, surtout parce qu'elle a esquissé un demi-sourire, le premier que j'ai vu illuminer son visage.

"Ca marche, suis-moi !"

Nous retournons dans le couloir, et je nous dirige vers les escaliers, que je commence à grimper tout en expliquant.

"Il y a un ascenseur, mais ma chambre est au 2e donc on peut monter à pieds. Au premier étage, il y a les salles de classe et la salle commune, et puis le reste c'est les chambres ! Et le bureau de la directrice tout en haut, mais bon. C'est pas une bonne nouvelle si tu y es convoquée, en général !"

Je lâche un petit rire à cette remarque - j'espère qu'elle n'est pas du genre à s'attirer des ennuis ! Je ne suis jamais montée au 5e, juste une fois pour mon Initiation justement. Je hoche ensuite la tête à la question de Tori.

"Oh oui, il y a plein de boutiques au village, de la restauration, des salles de jeux et tout ça, ils recherchent souvent des employés ! A part pour travailler à l'hôpital, je pense qu'il n'y a pas vraiment de qualifications nécessaires... Tu faisais quoi avant d'arriver ici ?"

Le cadeau d'Alyona me touche beaucoup. Elle ne me connaît que depuis quelques minutes et surtout j'ai l'air de tout sauf d'une personne de confiance. Mais elle m'offre quand même l'écharpe. Et puis de la laine ! C'est quelque chose que je n'aurais jamais pu m'offrir par le passé.

Merci beaucoup... Je dis, un peu émue.

C'est je pense à ce moment-là que je décide que quoi qu'il arrive, je ferais tout pour protéger ce petit bout de femme. Sa générosité, sa simplicité et sa gentillesse sont une chose tellement peu courante à mes yeux qu'il me semble évident de la protéger. En accord avec moi-même, je sors du dortoir et suis Alyona dans les escaliers. Deux étages ne risquent pas de me tuer.

Je retiens ce qui se trouve dans les étages quand elle m'en fait la présentation. La directrice a l'air d'être quelqu'un d'impressionnant, si il faut craindre l'idée de finir dans son bureau... Et d'un autre côté j'aimerais bien rencontrer la femme qui gère cet endroit.

Comment s'appelle la directrice ? Demandé-je. Il y a des cours pour jusqu'à quel âge ici ?

En venant ici, je n'avais pas du tout en tête l'idée de suivre des cours, mais la psychologue que j'ai vue en arrivant m'a conseillé de prendre des cours de soutien... Autant se renseigner alors... Puis je pense aux jobs et je pose la question à la jeune femme qui monte les escaliers près de moi. Elle me donne quelques pistes et j'acquiesce doucement. Puis vient la question fatidique. Je baisse les yeux, hausse les épaules comme si ce n'était pas important.

Je... j'étais combattante de MMA. Dans les poids mi-moyens.

Je n'ose pas en dire plus, l'idée qu'elle ait pu entendre parler du scandale de mon dernier combat me tord le ventre d'angoisse. Je ne sais pas pourquoi, mais je n'ai pas envie de la décevoir. Avec qui que ce soit d'autre, j'aurais dit ça avec fierté. J'aurais défié quiconque se serait moqué. Mais pas avec elle. Alors j'attends une remarque de sa part en m'efforçant de garder en place mon expression neutre.

Nous continuons la visite, et j'explique à Tori ce qui se trouve aux différents étages alors que nous empruntons les escaliers.

"Madame Hideko Honda. C'est la première personne qui a ressenti le Vide, et reçu des pouvoirs, il me semble... Elle est gentille hein, mais c'est juste qu'être convoqué dans son bureau, c'est synonymes de problèmes !"

Que ce soit parce qu'on a fait une bêtise, ou qu'il y ait de mauvaises nouvelles venues de l'extérieur... Enfin bref, ce n'est pas bon signe en général. Je hausse ensuite les épaules à la question de la brune, incertaine.

"C'est des cours niveau collège et lycée... Mais j'imagine que tu peux les suivre quand même, si tu en as envie ? Ou demander des cours particuliers dans certaines branches si tu ne veux pas suivre tout le cursus. Enfin, je t'avoue que je ne me suis jamais renseignée sur le sujet, mais ils sont plutôt accommodants ici !"

Nous arrivons au couloir des Eaux alors que Tori m'explique qu'elle était combattante de MMA - c'est un genre de boxe ça, ou un sport de combat en tout cas, non ? J'en reste bouche bée et me tourne vers elle avec de grands yeux arrondis.

"Oh wahw ! Je comprends mieux pourquoi tu disais que les gens ont un peu peur de toi du coup !! Ca doit être trop bien d'être forte et de pouvoir se défendre toute seule !"

Ou défendre les autres, aussi. Moi je ne sers clairement à rien en cas de bagarre - c'est d'ailleurs pour ça que je ne participe que très peu aux missions... Ma force physique inexistante, mais aussi mon mental pas du tout d'acier - je panique vite et je perds tous mes moyens, je suis un fardeau plus qu'autre chose en fait.

Nous arrivons finalement devant ma porte, que je déverrouille avant de l'ouvrir, invitant la jeune femme à entrer avant moi dans la chambre. Les murs sont peint en rose pâle, décorés de photos de mes amis et de ma famille, ainsi que de posters de ballerines et danseuses étoiles. D'un côté de la pièce, mon lit recouvert de peluches, ma garde robe et une coiffeuse remplie de produits de beauté. De l'autre côté, le coin "cuisine" (enfin, c'est juste un micro-ondes sur un mini-frigo et quelques étagères murales hein), une table avec deux chaises, et un petit canapé beige faisant face à la télévision.

"Bienvenue chez moi ! C'est pas très grand, mais c'est cosy. Fais comme chez toi, je t'en prie !"

J'indique d'un geste le canapé pour qu'elle s'y installe, alors que j'enlève mes bottes et ma doudoune. Ah, il fait quand même bien plus agréable ici !

J'écoute Alyona et retiens dans un coin de ma tête le nom d'Hideko. Au moins si je tombe sur elle, je saurais qui elle est. Même si je suppose qu'elle ne doit pas régulièrement de balader dans l'institut. Puis la petite blonde réponds à mon autre question. Je hausse les épaules.

Je n'en ai pas trop envie, mais il paraît que j'en ai besoin... On m'a conseillé de suivre des cours de soutien. Dis-je d'un ton détaché.

Comme si j'avais envie de me retrouver à nouveau attablée avec quelqu'un pour m'apprendre comment conjuguer les verbes et multiplier les chiffres. Mama n'a pas eu la patience, je ne pense pas que quelqu'un veuille de moi.

Après ça, arrive le moment redouté où j'avoue à Alyona que je suis une ancienne combattante. Je manque de rater une marche quand la jeune femme réagit d'une façon totalement différente de ce que j'avais anticipé. Je suis emportée dans une succession d'émotions. D'abord le soulagement : elle n'a pas entendu parler du scandale que j'ai causé. Je me doute que ce serait un hasard total si elle l'avait su : mis à part les médias dédiés à ce sport, l'histoire n'a pas fait tant de bruit... Mais cela n'empêche pas le soulagement de m'étreindre. Puis ce sentiments laisse place à quelque chose d'étrange. Ses compliments me touchent et m'intimident mais me rendent aussi un peu fière de ce que j'ai été. Je sens mes joues chauffer.

Merci... Je n'étais pas si forte mais je suppose que je sais me défendre...

Sur ces entrefaites nous arrivons à la chambre d'Alyona. J'entre en regardant autour de moi. Il y a beaucoup de rose, c'est coquet et très féminin... Je ne peux pas m'empêcher d'adorer sa décoration. Elle est à l'image de la jeune femme : délicate, mignonne et féminine. J'aimerais tellement être comme ça.

C'est très joli. J'aime beaucoup. Est tout ce qui sort de ma bouche.

Pourtant en mon fort intérieur, je couine de joie de me retrouver immergée dans cet univers adorable. J'imite la jeune femme et me défais de mes baskets et de mon sweat-shirt. Dessous je porte un débardeur, et il fait assez chaud ici pour que je n'ai pas froid. Puis je m'assois dans le canapé, tout au bord et toute droite. Je me sens comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, je ne veux rien salir, rien casser. Mais la curiosité me ronge.

C'est toi qui a décoré ? J'aime beaucoup les couleurs. Dis-je.

Et les posters de danseuses, et les peluches. Surtout les peluches. Elles ont l'air tellement douces. J'essaie d'imaginer la sensation que ça fait de vivre dans cette chambre, et je me sens apaisée. L'ambiance me fait presque oublier d'où je viens et pourquoi je suis là.