Alors statistiquement, si. Si t’es dans un cursus où on te répète à quel point tu es au dessus des autres, tu finis par le croire. Donc statistiquement, si tu fais une grande école t’as plus de chance de vouloir écraser les autres et d’être un connard… Mais il est au-delà de cet argument. Je fronce les sourcils, essayant de lire ses silences.

Si aller à la fac ne fait de personne une mauvaise personne… Dans ton cas ça ferait une personne malheureuse… Pauvre gamin, j’suis certaine qu’on lui a lavé le cerveau à l’eau de javel. Il est épuisé. Il ose même pas se rebeller alors que ma réponse l’a mis brièvement en colère. Je soupire.

« C’est pas la bonne question. »

Enfin, si c’est une bonne question. Mais c’est pas forcément celle qui te fera avancer. Puis franchement, j’ai la flemme de te faire un cours en trois parties. C’est chiant rébarbatif et… Il faut que tu prennes consciences que t’es pas juste bon à cocher des cases pour contenter les autres. T’as le droit d’être en colère et si le calme que je t’envoie t’aide à garder la tête froide, il ne te coupe pas des tes autres sentiments. La bonne question ce serait une équation coût bénéfices, où tu te rendrais compte que peu importe le temps investi pour combler des besoins qui ne sont pas les tiens, ne comble définitivement pas tes besoins à toi.

« La bonne question serait : pourquoi j’me sens comme une merde et qu’j’arrive à rien depuis des mois ? »

— Et c’est quoi, la réponse ?

Il ne pensait pas avoir besoin qu’on lui dise pourquoi il allait mal. Il était défaillant de base, et on l’avait mis dans une situation où il ne pouvait qu’échouer à nouveau. Il était entouré de personnes trop différentes pour le comprendre et d’attentes trop élevées pour les atteindre, avec pour seuls alliés des pouvoirs ni ne pouvaient ni le rapprocher vraiment des autres, ni lui donner les ailes qui pourraient l’amener là où il voulait aller. Ceux qui voulaient le pousser en avant lui faisaient mal, ceux qui voulaient l’inciter à laisser tomber aussi.

— Et aussi… ce qu’il faut faire…

C’était peut-être plutôt ça, la bonne question.

"Le Vide."

La réponse est facile à trouver... Mais entraine des tas de questions. J'aurais peut-être pu dire que c'était la dépression, mais j'ai aucune compétence sur ce versant-là. Par contre, je sais ce que c'est que de se réveiller avec un uppercut du Vide en plein ventre. Cette sensation que rien n'aura plus jamais de sens, cette incompréhension de soi-même et de ce que l'on est devenu. Cette incapacité à redevenir la personne qu'on croit-être, et ce défaut d'adaptation continu.

"T'as pas de formule magique pour l'faire disparaitre, le temps aide, les pouvoirs aident, un psy peut t'aider. Tu peux essayer de l'ignorer..."

Et j'pense que t'as été très bon à ça pendant super longtemps, mais là t'as dépassé ta capacité de résilience. T'es bien loin, de ce que tu voudrais toi, et trop proche de ce que voudraient que tu sois les autres. C'est moche quand même.

"Mais il disparaitra pas tout seul. Le plus simple c'est encore de chercher à l'comprendre."

Ou d'être sensitif et de pouvoir te couper de tes sentiments ahahahah. Bon, certes je sais que ça ne marche pas... Mais ça aide à soutenir l'absence quand on ne ressent plus d'anxiété ou de colère à son sujet. C'est artificiel, ça revient au galop, mais ça donne l'impression que la vie n'est pas si nulle que ça pendant quelques temps.

Il savait qu’elle avait raison.

De tout ce qu’elle lui avait dit depuis le début de cette entrevue forcée, c’était indiscutablement ce qui résonnait le plus. Ce qu’il pouvait le moins débattre ou contredire. Et ce qui lui donnait un peu plus d’espoir que de raison d’en vouloir - ou de s’en vouloir.
Il avait essayé de faire ce travail sur lui, d’ailleurs. Il n’avait refusé aucun rendez-vous, essayé comme il pouvait de parler même lorsque l’exercice lui était extrêmement désagréable. Il s’était accordé quelques loisirs, avait donné le temps à une amitié, et…

Avait tout laissé tomber à l’approche des examens.
D’un coup, il se sentit comme au premier jour, quand Chrys lui avait demandé depuis quand il n’avait pas mangé. La réponse qu’il s’était apprêté à donner avait paru d’un coup si évidente qu’il s’était brusquement retrouvé envahi par la honte.

Il avait cherché à comprendre, c’était certain. Cherché à agir, aussi, c’était indiscutable. Mais… il ne pouvait vraiment dire qu’il avait directement cherché à attaquer le vide. Il l’avait contourné, avait trouvé quelques pansements à mettre dessus, n’acceptant que des choses qu’il pourrait facilement jeter.
La vérité était qu’il ne l’avait pas plus compris que réellement combattu, mais il faudrait encore un peu de temps, avant qu’il en arrive là. Pour ce qu’il en pensait, son Vide était purement une faille personnelle, un échec symptomatique de son incompétence, à dépasser avec plus de travail et d’efforts. C’était une des raisons pour lesquelles il se sentait complètement coincé par une situation où il devait faire plus avec moins d’encadrement et de ressources qu’il n’en avait jamais eu.

— C’est pas simple, je trouve…

Ignorer l’était beaucoup plus, en tout cas. Et vu le sentiment d’égarement, de souffrance et d’échec qu’il côtoyait quand il essayait de réfléchir à ces sujets, il ne savait pas si c’était vraiment moins désespérant que de s’accrocher aux mêmes objectifs, même s’il avait déjà vu où ça le menait.

Il voulait lui demander des garanties, des méthodes, des métriques et des délais. Se doutant qu’il n’obtiendrait rien de tout ça, il soupira discrètement, alors qu'il avalait sa dernière gorgée.

Qu’est-ce que je dois faire, maintenant ?

Cette matinée avait relancé tous ses doutes et en avait créé plein d’autres, mais ne l’avait laissé que vide, démuni, nauséeux, épuisé et honteux. Est-ce qu’il devait radicalement changer toute sa vie à partir de ce jour ? Si oui, vers quoi ? Est-ce qu’il devait seulement refaire comme avant, en laissant moins de côté ce qu’il avait volontiers abandonné ? Est-ce qu’il devait courir pour passer cet examen quand même ? Attendre plus tard ? Ne plus jamais y aller ? Qu’est-ce qu’il le ferait réussir et devenir quelqu’un de bien et d’heureux selon ses propres critères ?

Il avait abandonné l’idée que qui que ce soit lui donne la réponse à toutes ces questions, aussi insupportable que soit cette perspective. On lui disait aussi qu’il ne fallait pas les ignorer, qu’il fallait comprendre…  

Et il en avait marre. Mais alors. Tellement. Jamais il n’avait autant senti l’envie de tout foutre en l’air, de tous les côtés possibles. Et de dormir pendant plusieurs années après.

Alors il reposa délicatement sa tasse. Essaya de sourire un petit peu, sans trop en faire pour ne pas être outrageusement faux.
— Je vous remercie pour votre aide…
Il tourna la tête.
— … Et pour le chocolat. Il était bon.
Il n’en avait pas senti le goût.
— J-.. Je dois passer à l’infirmerie. Je pourrai y aller seul maintenant.
Ce n’était qu’à moitié une excuse. Son nez n’avait fait que gonfler. Du sang avait même coulé par moments. S’il n’y avait eu tout le reste, la douleur en aurait été insupportable.

Enfin, elle l’était. Mais quand tout l’était…

HRP:

Il répond pas de suite, il réfléchit, il intègre il process. C’est pas si évident de se rendre compte de ce qu’est son vide. C’est pas évident de le résoudre, et quand on le résout, on résout pas tout. On se rend compte qu’on n’est plus tout à fait la même personne qu’avant, et faut aussi l’accepter… Je lui laisse le temps de digérer, parce que j’vois sur son visage que ça a fait mouche chez lui. Bon, j’ai fait mon taf s’il commence à se questionner. J’vais pouvoir le laisser tranquille, le rendre à Norah et Sylvia, et suivre l’histoire de loin.

Non, c’est pas facile de se reconstruire. D’apprendre à se connaitre, avec ses faiblesses et ses forces. Connaître tes insécurités, et les accepter. De savoir que tu seras jamais parfait, peu importe combien tu essaies, mais que tu dois quand même faire de ton mieux, parce que sinon tu peux plus te regarder dans une glace. D’accepter ses contradictions au quotidien pour former un tout à peu près cohérant.

« C’est jamais simple de changer. »

Les angoisses reviennent dans son regard, les questions, les incertitudes. Ralala, j’aurais mieux fait de me la fermer. Il avait retrouvé un peu de calme, et maintenant il veut se barrer.

« Ouai, faut que t’ailles à l’infirmerie on est d’accord. »

J’vais pas le nier, il a un pif qu’on dirait un paf. Possible qu’il se soit cassé le nez, funfact j’ai vu des airs se casser volontairement le nez pour en changer la forme… A priori c’est pas si douloureux que ça… P’t’être que je pourrais tester ? Enfin, bref, c’est pas ça le souci.

« Par contre j’ai besoin d’un assistant, je t’attends dans 48h à la bibliothèque, tu me diras si ça t'intéresse. »

Hors de question que tu fasses comme si rien ne s’était passé. Hors de question aussi de te laisser seul dans ta gadouille.

Faire comme si rien ne s’était passé, il en avait certainement eu l’intention. Pas tout de suite, sûrement, il fallait que ça redescende. Peut-être pas non plus tant qu’il y aurait des examens, il fallait que disparaisse la cause. Mais le courage de faire ces choses qui n’étaient pas simples, il ne l’avait pas trouvé, ou pas assez, et ne savait même pas où le chercher.

Alors, c’était con et paradoxal, mais la proposition d’Ipiu le rendit, d’un coup, joyeux à manquer d’en pleurer. Après s’être autant senti perdu et démuni, après avoir résisté puis craqué, après avoir cherché à contourner puis cherché à affronté puis cherché à s’en rendre malade, après la solitude et le nihilisme, le moindre petit truc qui pouvait lui raccrocher à quelque chose lui semblait comme l’oasis au fin fond du désert. Des tâches à exécuter, des personnes à contacter, un service à rendre et des heures à consacrer : d’autres en auraient eu peur ou auraient fait le calcul, lui voulait, sans plus de réflexion, s’y noyer jusqu’à n’avoir le temps de rien faire d’autre. C'était une mauvaise idée, mais pas pire que d'aller demander à Luna si sa proposition de joint tenait encore (à ce stade, il y avait pensé, elle aurait peut-être moins de réserve que la sensitive), et y renoncer aurait été pire encore.

— E… Euh, o-oui. Je v-viendrai.

L’oasis ne fait pas oublier la route qu’on a traversé pour l’atteindre, alors il ne posait pas plus de questions. Pour l’instant. Ces 48 heures, ce serait tout un temps dont il aurait bien besoin, avant d’y réfléchir pour de vrai. Un temps pour panser ce qui pouvait l’être et faire dormir le reste.
Puis juste après, un temps pour s’enrouler en boule sur son lit en pensant à tout ce qu’il avait osé dire à Afya, puis à une Master, et à l’apparence pitoyable qu’il lui avait montré. Il allait plus que jamais vouloir faire comme si de rien n’était, mais ça allait être... difficile.


Du coup, j'imagine qu'on a trois suites à ce RP : le solo Afya-Ipiu, un retour par ici pour la suite du RP avec Afya, et un potentiel nouvel RP avec Ipiu (à moins qu'on décide ça en off).