L’hélicoptère s’écrase au sol dans un bruit fracassant, la vitre avant explose sous l’impact alors que des flammes commencent à s’élever rapidement de la carcasse. Je ne sais pas comment il est possible que je sois toujours en vie – mais je le suis. Coincée sur mon siège, dans le cockpit, place passager. Ma ceinture est bloquée, je tire dessus de toutes mes forces pour la retirer, mais rien n’y fait. Je suis prisonnière de cet habitacle qui se remplit de fumée à une vitesse inquiétante. Il fait atrocement chaud, j’ai l’impression de sentir ma peau fondre sur mes os, alors que la fumée pénètre dans mes poumons, m’empêchant de respirer. Je suis en train d’étouffer, je vais mourir asphyxiée – ou brûlée vive. Au moment où je réalise que la situation n’a pas d’échappatoire, les flammes atteignent le réservoir. L’épave explose dans un bruit assourdissant, noyant mon dernier hurlement.

Je me réveille en sursaut. Je crois que j’ai hurlé pour de vrai. Je suis couverte de sueur et j’ai du mal à respirer, comme si j’avais réellement avalé toute cette fumée. J'ai la nausée, je roule sur le dos en fermant les yeux pour essayer de la faire passer. Je ne porte qu’un long t-shirt qui fait office de robe de nuit, mais pourtant je meurs de chaud. Et toujours cette impression d’étouffer à moitié là. Alors je me lève, traverse mon matelas en titubant jusqu’à atteindre le mur de l’autre côté, et la fenêtre. Je l’ouvre en grand, fermant les yeux tout en me penchant en avant pour inspirer une grande goulée d’air.

Et là, je me prends les pieds dans ma couette, trébuche et tombe vers l’avant. Par la fenêtre.

"AH !"

Le cri est court mais intense. Je suis en train de tomber, je vais m’écraser au sol !!! Dans la panique et la confusion, j’oublie tout de mes pouvoirs – mais heureusement, eux ne m’oublient pas par contre, mon instinct prend le dessus et ils s’activent d’eux-mêmes pour ralentir ma chute. Je zigzague dans l’air avant d’atterrir à quatre pattes au milieu de la cour, suffisamment brutalement pour m’écorcher les mains et les genoux sur les pavés.

"Aïe, putain…"

Je me relève en grognant et titube jusqu’à la porte d'entrée. Pire façon de se réveiller, sérieusement. J'pourrais sans doute remonter dans ma chambre par les airs, mais non en fait, c'est mort. Je déambule dans le couloir jusqu'aux escaliers, dans mon t-shirt informe, les cheveux ébouriffés, les mains et les genoux en sang. Je dois faire peur à voir, heureusement qu'il n'y a personne à cette heure-ci.

Je monte la première volée de marches avant de décider qu'en fait, marcher c'est mort aussi. Autant faire bon usage des ascenseurs hein, ils sont là pour ça. En arrivant sur le palier du premier étage, je tourne vers les cages d'ascenseur sans vraiment faire attention, et percute quelqu'un. Quelqu'un de suffisamment grand et bien bâti pour que je rebondisse dessus et me casse la gueule de nouveau - en arrière cette fois, sur mes fesses et non à quatre pattes. Et ça fait mal, j'ai dû perdre plus de poids que je ne le pensais parce que mon derrière n'a clairement pas amorti la chute.

"Aoutch mais putaiiinnnn !"

Oui bon, je sais bien que c'est de ma faute vu que j'ai tourné un peu brusquement sans regarder où j'allais. Mais j'pourrais pleurer là, vraiment.

La plupart des blessés de l’opération se sont remis sur pied, maintenant. Mitsuki et Nicolas ont recouvré leurs pouvoirs, ce qui est une source de stress en moins pour tout le monde. Cela veut dire que les altération des pouvoirs provoquées par le produit injecté par le Centre — de même que les rayons reçus par l’équipe de destruction de la machine anti-pouvoirs — sont réversibles. Aucune trace ne subsiste une fois que la magie revient, progressivement ; mis à part quelques fluctuations d’énergie, qui elles aussi s’atténuent rapidement. Comme si rien ne s’était passé.

Et c’est un casse-tête de plus, car Misao ne comprend pas non plus pourquoi les pouvoirs injectés réagissent différemment, ni pourquoi ils ne restent pas, ni pourquoi ils mettent des temps différents pour revenir à la normale… Bref, voilà quelques temps qu’il se prend la tête à ce sujet, malgré l’aide que peuvent lui apporter ses collègues.

Comme souvent, cette nuit-là, Misao est resté trop tard au labo. Il n’a plus grand-monde qui l’attende, et il lui arrive régulièrement d’être décalé au niveau de son rythme circadien — là où une personne normale essaierait de dormir la nuit, il n’arrive à dormir vraiment qu’aux aurores. C’est donc au milieu de la nuit que Misao referme à clé la porte de la salle de sciences, et se dirige au radar vers l’ascenseur pour monter d’un seul pauvre étage. (Il est fatigué ok.) Enfin, c’est ce qu’il aimerait faire, mais il percute quelqu’un qui atterrit sur les fesses en poussant une exclamation douloureuse. Lui-même a perdu l’équilibre et se rattrape au mur, clignant des yeux.

—Oh putain pard- Pandora ?

Ses yeux font rapidement l’aller-retour entre sa chemise de nuit, ses mains et ses genoux blessés, les larmes dans ses yeux. Il s’accroupit immédiatement et attrape une de ses mains pour en examiner la paume, sourcils froncés d’inquiétude.

—Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Ca va ?

Il y a déjà mille scénarios dans sa tête, pas forcément plus joyeux les uns que les autres ; au moins ça lui évite de penser au fait qu’ils se sont pas parlé depuis littéralement trois ans, après s’être ignorés comme des branquignols dans les couloirs quand ils se croisaient. Enfin, il fait pas trop le difficile, là, y a plus urgent quand même.

Je relève la tête en entendant mon prénom et me rends compte que la personne dans laquelle je viens de foncer n'est autre que Misao. Génial. Il s'accroupit face à moi et prends doucement une de mes mains dans les siennes, examinant ma paume. Je ne dis rien et le regarde simplement faire, les sourcils froncés.

J'regrette beaucoup la façon dont les choses se sont passées avec lui. On avait passé un super moment vers la fin de l'Eclipse, on avait bien accroché - amicalement ou plus, je ne saurais même pas le dire. Mais j'me suis Etoilisée juste après, j'allais très mal et quand on s'est recroisé par hasard dans les couloirs et qu'il est venu me saluer gentiment, je l'ai snobé. Il n'a plus trop essayé par la suite - normal vous me direz. J'ai pensé à aller m'excuser plusieurs fois, mais j'en ai pas trop eu l'occasion - c'est surtout qu'à chaque fois que je l'ai croisé après ça, il était accompagné, et ça aurait juste été gênant. On s'est donc plus ou moins mis d'accord sans avoir besoin d'en parler qu'on allait juste faire comme si on ne se connaissait pas... Et du coup, il a fallu que j'lui rentre littéralement dedans pour qu'on arrive à se parler. Ridicule. Et malaisant.

Je cligne des yeux quand il me demande ce qui s'est passé, revenant au moment présent. Je détourne le regard en haussant une épaule.

"J'suis tombée par la fenêtre. La réception a été un peu rude."

Heureusement que je suis Air, sinon on m'aurait ramassée à la petite cuillère sur les pavés de la cour hein. Le brun me demande ensuite si ça va et je reporte mon regard sur lui, le scrutant en gardant le silence pendant quelques instants. J'pourrais juste dire "oui ça va, merci, désolée de t'avoir foncé dedans" comme une personne normalement constituée le ferait. Mais ce serait un énorme mensonge, et je n'aime pas mentir. Ou j'pourrais être honnête et lui dire "non ça va pas du tout, j'suis au bout du rouleau, j'sais plus quoi faire de ma vie et de moi-même" mais est-ce qu'on peut vraiment être aussi directe avec une personne qu'on a ignorée pendant 3 ans ? Non, clairement non. Déjà que j'suis incapable d'avouer tout ça à mon meilleur ami, alors je réponds simplement.

"J'ai mal."

Aux genoux, au mains, aux fesses. Mais surtout à l'intérieur, en fait. C'est vide et c'est froid et c'est noir là-dedans. Les larmes que j'avais ravalées quelques minutes plus tôt remontent d'un coup, sans prévenir, et je n'arrive pas à les arrêter cette fois. J'ai juste le temps de baisser la tête et ramener mes genoux contre ma poitrine, enroulant mon bras libre autour, avant que les larmes commencent à couler en silence le long de mes joues. J'suis vraiment une énorme merde.


[HRP : olalah j'suis désolée Pando est tellement au bout du rouleau IL VA ÊTRE FUN CE RP]

Tombée… par la fenêtre ? Misao en a presque le souffle coupé.

—Tu… as essayé de sauter ?

C’est con, mais c’est la première question qui l’a traversé. Il savait qu’elle était sur une des missions du Centre il y a quelques mois, et il est familier avec la plupart des Terraens qui y ont participé. Rares sont ceux qui ont supporté ce qu’ils ont vu, ce qu’ils ont fait. Bien sûr, la plupart se remettent, mais… Ouais, il est inquiet. Après trois ans à faire semblant de s’ignorer dans les couloirs, ou juste se faire un signe maladroit en passant, Misao avait évité de lui parler juste avant le départ. Il se demandait si sa présence était malvenue, ou s’il l’avait finalement vexée à ne pas l’avoir rappelée de suite — ou au contraire si elle n’avait souhaité qu’une soirée de distraction, et voilà tout.

Mais bon, l’inquiétude est présente malgré tout.

Enfin, il a p’tetre gaffé, là encore. Pandora se recroqueville et Misao ne sait plus quoi faire. Elle semble contenir des sanglots, puis pleurer d’un bloc. Mais elle n’enlève pas sa main, alors il serre ses doigts entre ses siens, en espérant ne pas lui faire mal.

Que faire…

Il passe sa main dans son dos, mais ne la serre pas contre lui. Il n’aime pas qu’on le serre quand il pleure, alors il a la décence d’attendre un geste, un signe de sa part en face pour réagir autrement. Et il attend.

Il sait pas trop quoi dire, mais il attend que ça passe. Elle n’est pas dans son état normal, c’est une évidence. Au milieu de la nuit, comme ça… Est-ce qu’il faut qu’il appelle un de ses amis ? Il va l’emmener à l’infirmerie, mais il veut d’abord attendre qu’elle se calme. Parler, ça viendra après.

Misao me demande si j'ai sauté. Non, mais je crois que ça aurait pu. Parce que si je suis honnête avec moi-même, pendant que j'étais en train de tomber et avant que mes pouvoirs ne réagissent d'eux-même, j'me suis vraiment vue m'écraser au sol. Et au milieu de la panique et de la confusion, je crois qu'il y avait un peu de soulagement aussi ; le sentiment qu'au final, c'est peut-être la meilleure chose qui puisse m'arriver. Et que de toute façon, je l'aurais bien mérité de crever. Mais faire le saut de l'ange pour se foutre en l'air en tant qu'Air, ça ne fonctionne pas trop bien.

Je n'ai pas le temps de lui répondre que le poids de... Je ne sais pas trop, tout sans doute, me tombe sur les épaules, et je commence à pleurer en me recroquevillant sur moi-même. Et j'me déteste pour ça aussi, de craquer comme ça devant une personne que je connais à peine, de lui infliger ma faiblesse. J'aurais été très mal à l'aise si les rôles avaient été inversés, j'imagine qu'il doit l'être aussi.

Je n'ai pas retiré ma main de la sienne, je sens ses doigts se serrer doucement autour des miens, aussi je m'y accroche. J'ai honte de l'avouer mais je crois que ça me fait du bien, de ne pas être seule dans un moment comme celui-ci. Sa main dans mon dos me fait du bien aussi, même si je lui suis reconnaissante de se limiter à ce contact léger. Je n'ai jamais été très tactile, je n'enlace pas les gens de manière générale - même Allen, dont je suis pourtant très proche. Je préfère les gestes plus modérés, comme cette simple main contre moi.

Je laisse sortir ce qui a besoin de sortir, histoire d'être sûre que ça ne recommencera pas à couler dans 5 minutes. Mais je finis par me calmer, lentement, et relâche la pression que j'exerce sur ses doigts, sans les lâcher complètement pour autant. Je m'essuie le visage de mon bras libre, avant de remonter mes yeux vers les siens. Je suis presque surprise de redécouvrir leur couleur, d'un bleu perçant assez similaire au mien - j'avais oublié.

"Je suis désolée. Je suis juste un peu fatiguée, je ne dors plus très bien depuis... Un moment."

Depuis des mois, depuis la mission - mais je n'ai pas besoin de le dire, je pense qu'il s'en doute. Autant qu'il doit se douter que je ne mange plus très bien non plus, depuis tout autant de temps.

Je lâche finalement sa main et me redresse un peu difficilement, réajustant mon t-shirt pour ne pas en dévoiler trop - même s'il n'y a plus grand chose à voir. Je suis mal à l'aise, je ne sais pas trop quoi dire et garde mon regard sur mes pieds alors que je m'entoure de mes bras, comme pour m'auto-rassurer, me protéger.

"Je vais retourner dans ma chambre. Merci de... D'être resté, je suppose. On peut... On peut juste recommencer à s'ignorer, c'est mieux ?"

Je ne sais pas si c'est une question ou une affirmation. Mais en tout cas je préférerais qu'on oublie juste tous les deux ce qui vient de se passer.

Même s’il aurait voulu connaître la réponse à cette question, une part de lui accepte ce silence. Aucun mot ne lui est dû, aucune parole ; et il serait bien orgueilleux de penser le contraire. Surtout quand l’émotion nous emporte à ce point, il n’est pas aisé de mettre des mots sur ce qui nous traverse. Tout ça lui rappelle des moments particuliers de son existence, à lui aussi ; un peu avant son internement à l’hôpital, quand il a décompensé après les missions visant à détruire les labos et les données des scientifiques à leurs trousses. Ses anciens collègues, là où il a fait ses armes ; là où il a mis les pieds pour la première fois au coeur des intrigues Terraennes, mais de l’autre côté du miroir. Celui qui tient le scalpel.

Pandora, elle, pourtant, fait partie des héroïnes malheureuses de cette nouvelle aventure visant à la protection de Terrae, alors la raison de ces souffrances n’est pas tout à fait la même. La cause, en revanche, lui semble toujours la même, comme une roue qui ne cesse jamais de tourner. Il serait tellement plus aisé d’ignorer les menaces extérieures, mais utiliser la magie à des fins expérimentales ou militaires, c’est une provocation envers Terrae et plus particulièrement Hideko. Même lui se sent touché, à présent, lorsqu’il voit ce que l’on fait de ces recherches. De ces gens. De ces enfants.

Pourtant, ceux qui sont envoyés en mission ne sont pas des soldats, ni des guerriers. Il admire leur force et leur cause, tout en méprisant l’une et l’autre ; tant de souffrance que cela occasionne, et des dégâts collatéraux et des années de cauchemars. Juste pour être autorisés à vivre.

Misao ne lâche pas Pandora, il lui trop reconnaissant d’être rentrée vivante et d’avoir permis à d’autres de rentrer entiers. Et pourtant… ouais. Quel gâchis.

Il sent qu’il respire lentement, comme pour amener Pandora à calquer sa respiration sur la sienne par imitation. Le temps passe, et elle se calme. Un peu. Quand elle lève les yeux vers lui, ils se fixent un peu, avant qu’elle ne parle.

Le Feu acquiesce et l’aide à se remettre sur ses pieds, observant d’un air mécontent ses genoux écorchés.

—T’excuses pas. C’est normal.

Il sait, c’est bon ; il n’a pas besoin de faire semblant de ne pas comprendre, ou de faire le gêné. C’est étrange, maintenant, parce qu’il a l’impression qu’elle essaie juste de s’enfuir à nouveau. C’est un courant d’air qui lui glisse entre les mains. Il prend une inspiration silencieuse, et souffle lentement par le nez.

—Non.

Et lui tend la main à nouveau, sourcils froncés :

—Je t’emmène à l’infirmerie. T'arrives à marcher ?

C’est ferme. C’est pas une question. C’est pas une proposition non plus, mais il lui laisse au moins le choix d’y aller volontairement, avant qu’il ne l’y force. L’infirmerie est ouverte pour laisser accès à la trousse d’urgence, au cas où, et il faut désinfecter ses écorchures au plus tôt. Si elle ne veut pas lui parler, c’est son problème, mais qu’elle ne fasse pas l’enfant. Elle est frigorifiée, vient de tomber — ou se jeter ? — par la fenêtre, et elle espère qu’il la laissera partir se recoucher ?

Après plusieurs minutes de sanglots silencieux, Misao à mes côtés, je finis enfin par me calmer un peu. Et si je ne me sens pas mieux, au moins je suis calme et j'ai l'impression d'avoir les idées un peu plus claires - et une seule envie, celle de m'échapper. Parce que j'ai honte de ce moment de faiblesse, honte qu'il ait assisté à ça. Le nippon m'aide à me relever tout en m'assurant que ce qui vient de se passer est "normal". Non, fondre en larmes au milieu d'un couloir, au milieu de la nuit, ça n'a rien de normal pour moi. Mais je ne dis rien, ça ne servirait à rien de le contredire.

Son "non" résonne dans la cage d'escalier. Non, quoi ? Il ne veut pas qu'on recommence à s'ignorer ? J'ai un mouvement de recul quand il propose de m'accompagner à l'infirmerie. Enfin, propose... Son ton est catégorique - autant que ma résolution à ne pas y aller. Je recule d'un pas alors qu'il tend une main vers moi.

"Je n'en ai pas besoin, ce ne sont que des égratignures !"

Je proteste énergiquement, sur la défensive. Et puis soudain, je comprends. Il pense que je me suis jetée par la fenêtre. Il ne veut pas me laisser repartir seule parce qu'il a peur que je fasse une connerie. J'en ai le souffle coupé, qu'il pense ça me fait l'effet d'un coup de poing à l'estomac. Je relève les yeux vers Misao avec les sourcils froncés moi aussi.

"Je n'ai pas sauté. Je ne vais pas bien, mais je n'ai pas sauté. J'ai trébuché en ouvrant la fenêtre et je suis tombée, c'était un accident. Je suis Air, je te rappelle, si je voulais en finir je m'y prendrais différemment."

Ce n'était sans doute pas la meilleure chose à dire. Je me mords la lèvre en détournant le regard. Est-ce que je serais capable de me faire du mal volontairement ? Je ne suis tellement plus sûre de rien que je ne pourrais pas jurer que non, et cette pensée me terrifie soudainement. Je continue dans un souffle.

"J'ai une trousse de soin dans ma chambre. Tu peux venir avec moi si tu veux. Je veux... Je ne veux pas que quelqu'un d'autre me voit comme ça. S'il te plaît..."

Je relève les yeux vers le brun, mon ton est presque suppliant. Je ne me suis jamais sentie si fragile, si vulnérable. J'ai l'impression qu'une simple pichenette pourrait me faire éclater en mille morceaux. Et j'ai besoin de retrouver la sécurité d'un endroit que je connais, où je me sens bien. Et je crois que j'ai besoin qu'il vienne avec moi, pour me surveiller.

Elle cherche encore à fuir, et ça l’énerve. C’est pas grave de s’ignorer dans un couloir, il peut le comprendre, mais il va pas faire semblant de pas l’avoir vue, pas dans une situation pareille. Qui laisserait une personne seule dans ce type de moment ? Mais elle recule, ouvre grands les yeux, et proteste avec véhémence. Ca attise le dernier nerf solide de Misao, qui est aussi épuisé à cette heure avancée de la nuit. Mais elle comprend toute seule quel est le problème. Qu’il est inquiet. Que c’est pas que les égratignures — mais qu’il faut s’en occuper quand même. Il focalise là-dessus, parce que ça, il peut le contrôler, pas le reste. Alors il reprend une inspiration, serre la mâchoire et la fixe longuement du regard, sans rien dire, parce qu’il sait que n’importe quel mot pourrait immédiatement dépasser sa pensée.

Bon, elle n’est pas partie en courant, c’est déjà mieux que rien. Et elle propose rapidement un compromis… mais elle a l’air confuse. Son air suppliant lui fait détourner les yeux de gêne, d’un coup.

—Je te crois, je suis juste inquiet. Tu as l’air en état de choc, c'est pour ça... J’ai pas envie de te laisser toute seule.

Lui s’en est déjà fait, du mal, alors il ne la jugerait jamais pour ça. Il se rendait invisible pour qu’on lui foute la paix, et disparaissait au coin d’un couloir, roulé en boule dans un coin à faire ses crises de panique un peu délirantes. Ca lui rappelle le moment où Mitsuki est venu le chercher, et ça lui donne le tournis. Misao non plus ne voulait pas mourir, ce jour-là, mais il faisait juste n’importe quoi. Que Pandora souhaite être isolée, à l’abri des regards, il ne peut que le comprendre. … Il est juste surpris qu’elle ne l’ait pas envoyé chier.

—On peut monter, oui. Tu as de quoi désinfecter dans ta trousse d'urgence ? L’infirmerie est vide à cette heure, s’il manque quelque chose je peux aller le chercher vite fait…

Comme il capitule, il appuie sur le bouton de l’ascenseur.

—T’as fait un cauchemar ?

Cette fois, il a oublié de la regarder.

Pendant un instant, j'ai l'impression que Misao va s'énerver face à mon refus de l'accompagner à l'infirmerie. Mais il reste silencieux, me laisse le temps d'analyser et comprendre la situation par moi-même - qui n'est pas glorieuse. Je peux concevoir qu'il s'inquiète, je suis dans un état assez déplorable, je me rends bien compte de quoi ça a l'air... Et même si je ne pense pas mériter sa sollicitude, je pense aussi que j'en ai vraiment besoin, et qu'il serait stupide de ma part de refuser cette main tendue. Donc je propose un compromis, qu'il accepte.

"Je- merci. J'ai tout ce qu'il faut, oui."

Je suis un peu maladroite, je me blesse souvent - des petites blessures qui ne nécessitent pas d'aller déranger les Soigneurs, mais dont il faut s'occuper quand même ; me couper en cuisinant, me faire griffer par mon chat, m'éclater une corde de guitare dans les doigts. Bref, j'ai une trousse de secours bien garnie.

Misao appuie sur le bouton de l'ascenseur, je reviens me mettre à côté de lui, haussant une épaule à sa question.

"Oui. J'en fais souvent, c'est pour ça que je ne dors pas très bien."

Je ne suis pas sûre d'avoir fait une nuit complète depuis mon retour de mission. Mais je n'ai pas envie d'élaborer, alors je n'ajoute rien et retombe dans le silence en pénétrant dans l'ascenseur. Du coin de l'oeil, j'observe le nippon - je dois pencher la tête légèrement en arrière pour voir son visage. Ce qui est étrange pour moi, j'ai l'habitude d'être plus grande que tout le monde, ou au moins de la même taille - mais lui, il doit avoir une bonne dizaine de centimètres de plus que moi. Et il n'a pas changé, depuis la dernière fois que je l'ai vu d'aussi près - pourtant, il n'est pas passé Master, donc il vieillit encore... Je me demande c'est quoi, son secret.

Le trajet me semble bien lent, le silence commence à devenir un peu pesant, aussi je rouvre la bouche alors que nous sortons de l'ascenseur pour nous engager dans le couloir des Airs. Je regarde devant moi, dans le vague.

"Je suis désolée, tu sais. De t'avoir ignoré, je veux dire. J'me suis Etoilisée juste après l'Eclipse, ça ne s'est pas très bien passé, j'étais un peu à côté de la plaque."

Il va penser que j'passe mon temps à être dans le mal, en fait.

"Après ça, chaque fois que je t'ai croisé t'étais avec ta cop- enfin, t'étais accompagné quoi. J'me suis dit que ce serait juste bizarre et gênant de venir te parler, alors j'ai laissé tombé. Mais c'était nul de ma part, pardon."

Au final, je n'en sais rien si c'est sa copine ou non - je l'ai souvent croisé avec la même jeune femme, mais bon. Moi aussi je suis tout le temps fourrée avec Allen, ça ne veut rien dire, et ça a tendance à me saouler que les gens assument qu'on soit ensemble - c'est pas pour faire le même genre de raccourci à propos des autres, hein. De toute façon, que ce soit sa copine ou une amie, la situation aurait été aussi malaisante dans tous les cas.

Nous atteignons finalement ma chambre. J'ai un moment d'appréhension, mais la porte est déverrouillée, ça va - imaginez que je doive redescendre dans la cour puis remonter par la fenêtre, l'angoisse. J'ouvre et invite Misao à entrer. C'est plutôt bien rangé, juste quelques vêtements qui traînent sur une chaise à côté du lit, et mon édredon qui pend à moitié par la fenêtre ouverte. Scar - mon chat - doit être dehors, je ne le vois nulle part. Mes instruments (synthé, guitare et violon), que je n'ai pas touchés depuis la fin de l'année universitaire, sont entassés dans un coin de la pièce. Je fais un geste vague de la main en désignant le canapé.

"On peut s'installer là. Tu veux boire quelque chose ?"

Je propose, un peu hésitante. Je crois qu'à part de l'eau et du café, je n'ai pas grand chose. Je disparais ensuite dans la salle de bain, revenant rapidement avec la trousse de secours.

Comme elle accepte, Misao n’a aucune raison de taper un esclandre au milieu du couloir. Si elle avait refusé, dans tous les cas, il l’aurait soulevée du sol et l’aurait traînée jusqu’à l’infirmerie, d’accord ou pas. Il veut bien avoir de la sollicitude pour son état et son manque d’envie de voir d’autres personnes, mais ce serait criminel de sa part de la laisser rentrer seule. S’il faisait jour, à la limite… d’autres personnes auraient pu prendre le relai, mais là, bon.

Enfin. C’est malaise-land dans l’ascenseur, il ne répond même pas à Pandora, il se contente d’acquiescer à chaque fois. Enfin, jusqu’à ce qu’elle ré-entame la conversation.

Cette fois, il baisse les yeux vers elle et l’observe, avant de faire une légère moue du coin de la bouche et détourner à nouveau le regard. Il arrive pas trop à savoir s’il est content ou embarrassé, mais au moins, ça explique des trucs… Donc c’est pas parce qu’il a fait une connerie pendant la soirée, hein ? C’est. Cool de l’entendre, même s’il s’est bien pris la tête à ce sujet.

—C’est rien, t’inquiète. Je comprenais pas trop, mais je me disais que t’avais peut-être juste pas envie de discuter, donc j’ai pas insisté.

Enfin, elle aurait quand même pu lui dire bonjour, même s’il était avec Saori ; il voit pas trop le problème. … On a déjà eu cette discussion ensemble, lui et moi, et c’est justement parce qu’il voit jamais le problème qu’elle a voulu arrêter leur relation.

—Enfin. C’était ma copine, ouais. Enfin, on est plus ensemble aujourd’hui, ça remonte déjà un peu hein. Dans tous les cas, si on se recroise, t’as le droit de me dire bonjour, je le prendrai pas mal, ajoute-t-il avec un brin de taquinerie, mais le visage un peu sérieux malgré tout. Te sens juste pas obligée.

Puis c’est pas comme s’il était ultra sociable non plus oh, il traîne jamais avec personne, et ils se croisent que quand il est accompagné ? De qui, d’Elwynn au mieux, d’Huo sinon, de Mathéo la nuit ? (Il a une condition qui fait qu’il ne peut sortir que la nuit.) Il arrive clairement pas à voir en quoi ça peut être gênant, il dit bonjour aux gens qu’il connait de loin tout le temps. Sinon il causerait jamais à personne. Au moins… cette discussion aura le mérite de clore certains des questionnements qu’il pouvait avoir il y a un moment, et qu’il avait laissé dans un coin de sa tête.

Lorsque la porte de l’ascenseur arrive au 5e, Misao aperçoit du coin de l’oeil la lumière automatique des escaliers qui est déjà allumée et des bruits de pas descendent du toit — deux personnes parlent à voix basse. Il pose sa main sur l’épaule de Pandora et lui fait signe de s’arrêter une fois en dehors de l’ascenseur, alors que les deux autres Terraens passent à côté d’eux sans tourner la tête. Ils jettent juste un oeil à l’ascenseur vide qui se ferme dans un “ding” discret, avant de continuer leur descente jusqu’aux étages inférieurs. Quand ils sont un peu plus bas, Misao reprend sa main pour la plonger dans sa poche et fait refluer son pouvoir d’invisibilité, avant de s’engager dans le couloir. C’est drôle, quand il utilise son pouvoir sur deux personnes, il a l’impression de pouvoir distinguer la forme de l’autre dans l’espace, un peu comme la sienne lorsqu’il se rend invisible. Comme lorsque la chaleur fait se mouvoir l’air… sauf que rien n’est perceptible au-dehors, simplement à travers ses propres yeux. Etrange comme ses pouvoirs continuent à évoluer, alors même qu’il pensait avoir atteint un palier il y a des années.

Enfin. Pandora ouvre sa porte — elle dort avec la porte déverrouillée ? eh ben, elle a pas peur — et y pénètre. Misao, lui, reste coi devant le seuil un instant, avant de déposer ses chaussures dans l’entrée par automatisme. Ses yeux se posent sur la couette… hm, ouais, elle a l’air d’avoir un peu galéré, là.

—Non merci, t’inquiète pas.

Pendant qu’elle disparaît, il se permet de simplement remettre la couette à l’intérieur d’en tirer les pans autour du lit, sommairement. Il n’aimerait pas qu’on touche au sien, mais ça le stresse trop de voir l’arme du crime pendouiller à l’extérieur.

Puis elle revient avec la trousse, et Misao la rejoint sur le canapé. Il sort le désinfectant, le coton, et aligne tout ce qu’il lui faut sur la table basse. Puis il lui tend la main.

… Ouais, le message c’est “donne ta main, je le fais”.

Le silence est pesant, Misao ne dit rien et j'me demande vaguement s'il est à l'aise dans cette ambiance étrange. Moi pas, aussi je me force un peu à reprendre la conversation, par le premier sujet qui me passe par la tête. Et c'est sans doute plutôt approprié, histoire de mettre les choses à plat quoi - je n'aime pas les non-dits, et même si mes excuses arrivent 3 ans trop tard, au moins elles arrivent. Et elles sont sincères.

"Je crois que j'aurais eu envie de te revoir. C'était juste... Enfin, mauvais timing, quoi."

Je suis la reine du mauvais timing, ok ? Que ce soient mes relations amicales ou amoureuses, ou même juste des crush - ça finit souvent mal ou de façon bizarre et gênante, parce que ça tombe presque toujours au mauvais moment. Je devrais avoir l'habitude à force, mais je crois on ne s'habitue pas à ce genre de chose... J'suis une poissarde, c'est pas pour rien que j'ai adopté un chat noir hein. Bon, visiblement le brun n'a pas eu plus de chance avec sa dernière relation non plus.

"Ah, je suis désolée pour toi. Et franchement... Je ne sais pas ? J'crois que ce serait juste plus facile de recommencer à t'ignorer."

Je me tourne vers lui. Le sarcasme est difficile à déceler vu que mon visage est totalement impassible, mais je crois que c'est une blague. Enfin, je n'en suis pas totalement convaincue moi-même. Je n'ai pas le temps d'ajouter quoi que ce soit, que Misao pose sa main sur mon épaule et me fait signe d'arrêter, disparaissant de mon champ de vision soudainement. Je me rends compte que je ne me vois plus non plus, en fait - pas difficile de comprendre qu'il nous a rendus Invisibles tous les deux. Je comprends son geste une seconde plus tard, quand un couple de jeunes passe devant nous pour rejoindre l'escalier. Il retire ensuite sa main pour la glisser dans sa poche, mais mon regard reste sur lui pendant quelques instants après qu'il soit redevenu visible.

"Merci... Et je n'étais pas sérieuse, hein. Enfin, je crois. C'est juste que... Je n'ai pas l'habitude de me montrer aussi... Aussi vulnérable, devant quelqu'un."

Et j'assume pas trop mon présent statut d'épave. Je ne suis pas quelqu'un de lâche, mais j'ai mes limites quand même - c'est plus facile de faire comme si rien ne s'était passé, après un moment comme celui-ci.

Nous arrivons rapidement dans ma chambre, je hausse un sourcil en voyant le nippon enlever ses chaussures. C'est vrai que je suis à pieds nus, moi - d'ailleurs ils doivent être bien sales. Je profite d'être à la salle de bain pour les rincer rapidement, avant de revenir dans la pièce principale avec la trousse de soin. Nouveau haussement de sourcil quand je remarque que mon invité a refait mon lit. Un peu maniaque, non ?

"Attends, je vais fermer la fenêtre quand même, il fait un peu froid là."

Tant pis pour Scar, il dormira sur le toit. Une fois fait, je viens m'installer sur le canapé, à côté de Misao. Il a déjà sorti plusieurs ustensiles de la trousse de soin, mais il a oublié les pansements - je me penche donc pour les sortir également, dérangeant au passage les produits qui étaient déjà sur la table. Je me tourne ensuite vers le brun et tends sagement mes mains vers lui, paumes vers le haut. Non mais j'ai bien compris que ça ne servait à rien de protester, puis ce sera plus vite fait comme ça - c'est que ça picote ces conneries, je mets toujours une plombe à y aller quand je me désinfecte moi-même.

Elle aurait… eu envie de le revoir. C’est cocasse. Et surprenant, plutôt. Il ne sait pas trop quoi faire de cette information. Effectivement, le timing était mauvais, mais est-ce que ça aurait vraiment été possible autrement à cette période de leur vie ? Entre l’Eclipse et tout le reste. Pour sa part, il est sur une pente remontante depuis avant l’Eclipse, mais celle-ci a causé bien des soucis à certains de son entourage. Il ne peut donc pas faire comme si de rien n’était et ignorer l’information. Tout comme il sait qu’il n’a pas le droit d’ignorer ce qu’elle vient de dire, même s’il ne sait pas quoi répondre.

—Oh, t’inquiète pas pour ça… (Il balaie la question de Saori d’une main, ça le touche moins aujourd’hui.) Ca arrive, les ruptures, tout comme ça arrive, les mauvais timing. Peut-être que cette fois, le timing sera un peu moins mauvais.

Est-ce qu’elle plaisante ? Son visage est tellement lisse, mais la fatigue qui s’y exprime lui fait se poser mille questions, lui aussi. Il lui laissera le temps de le décider à tête reposée, quand ils ne seront pas dans un ascenseur après qu’elle soit passée par la fenêtre, quelques mois après une mission militaire particulièrement flippante, hein… Heureusement, la porte s’ouvre, et Misao les rend invisible le temps que les passants s’effacent de leur champ de vision, et qu’ils reprennent leur route. Pandora se sent forcée de préciser. Lui aussi commence à être gêné, ça y est.

—Tu es pas obligée de te justifier. Si tu veux revenir me parler, tu peux... Si tu ne veux pas, tu n’y es pas obligée. Quant à ce soir… Je ne te juge pas, alors ne te juge pas trop non plus. Mais je crois que je comprends. Je n’aimerais pas forcément non plus.

L’arrivée dans sa chambre se fait plutôt… rapidement. Il n’a pas pu s’empêcher, pour le lit ; il se dit qu’il y a un risque que la couette tombe, et peut-être qu’elle voudra se remettre au lit rapidement après ça. Comme ça, si elle est fatiguée, elle n’aura pas à le faire. Lui-même doit contenir un bâillement alors qu’il s’installe à côté d’elle sur le canapé, une fois qu’elle a fermé la fenêtre… Misao a un moment de bug quand Pandora défait tout son alignement sur la table, mais il les remet juste en place derrière elle sans rien dire. Il a l’habitude de faire ça depuis toujours, c’est presque un automatisme pour lui, alors ça lui traverse à peine l’esprit. Et ça fait longtemps que le bazar des autres ne le dérange plus vraiment, juste il repasse derrière.

Lorsqu’il relève les yeux vers Pandora, elle lui tend les mains, comme une enfant blessée, et il ne peut s’empêcher de sourire en les prenant entre ses doigts. Coton sur le désinfectant, qu’il tient avec une pince à épiler et tamponne sur la blessure, observant de près s’il n’y a pas de petits cailloux ou poussières qui y restent. La lumière lui bute un peu les yeux, mais il est content d’avoir encore ses lunettes sur le nez pour la vision de près.

—Dis-le moi si je te fais trop mal.

Bientôt, il pourra poser le premier pansement.

Je lance un regard dubitatif à Misao, gardant le silence suite à ses mots. Il n'a pas vu de quoi j'avais l'air après mon Etoilisation - mais moi je sais que je suis dans un plus piètre état encore cette fois-ci que la dernière. Alors parler de timing "moins mauvais", ça prête à sourire. Ou à pleurer, je ne sais pas trop. Je hausse ensuite une épaule alors qu'il me dit que je n'ai pas à me justifier, et qu'il ne me juge pas pour mon état de ce soir. Il pourrait, vraiment - et malgré son injonction, moi je me juge. Fort.

"On verra, alors. Si mon ego blessé parvient à surmonter le fait que tu t'occupes de moi comme d'une enfant."

Et là, je suis sensée lui adresser un sourire en coin - mais rien ne vient. Je soupire.

"Pardon. Je devrais arrêter le sarcasme. Je te suis reconnaissante de... D'être là. Tu n'étais pas obligé."

C'est vrai, après tout il ne me doit rien. On a simplement passé une soirée sympa ensemble, il y a des années, c'est tout. Ce n'est pas comme si on était amis, ou qu'il avait un quelconque devoir envers moi - il n'est ni Master ni Préfet. Juste quelqu'un de bien, je suppose.

Nous arrivons rapidement dans ma chambre, et après un bref passage par la salle de bain, nous voilà assis l'un à côté de l'autre sur le canapé, les ustensiles de la trousse de soin étalés sur la table. Je le regarde remettre en place les produits que j'ai dérangé en sortant les pansements, confirmant mes suspicions que Misao est, effectivement, maniaque - et je ne saurais pas trop dire pourquoi, mais ça ne m'étonne pas. Je sens un minuscule sourire étirer le coin de mes lèvres, furtif, à peine une seconde avant que mon visage ne retrouve son aspect impassible. En temps normal, je crois que j'aurais ri, et que je l'aurais charrié.

Le brun commence à désinfecter mes paumes, tendues vers lui. Je réprime une grimace - ça pique un peu, la sensation n'est jamais agréable. Je l'observe faire en silence, il est minutieux, concentré, ses lunettes glissant légèrement sur son nez. Je suis sûre qu'il doit faire la même tête quand il est plongé dans son travail.

"Ca picotte un peu, mais ça va, je devrais survivre."

Encore de l'ironie avec ce ton plat à mourir, il faut vraiment que j'arrête, c'est malaisant. Je reste immobile alors que le nippon applique un pansement sur chacune de mes paumes, puis ramène doucement mes jambes contre ma poitrine pour lui donner un accès plus facile à mes genoux écorchés. Je le regarde recommencer la même manipulation, ses gestes sont tellement mesurés que c'en est presque hypnotisant. Pendant une seconde, je me revois 20 ans en arrière, ma mère s'occupant tendrement de mes blessures d'enfant. Je bats des paupières pour chasser cette image et pose la première question qui me vient à l'esprit, pour briser le silence qui s'était à nouveau installé.

"Pourquoi tu n'es pas parti en mission ?"

Pas de jugement, juste une vraie question. Il est Etoile, il est scientifique, il est compétent. Il aurait pu être un atout.

Misao secoue la tête… Comme une enfant, non pas tellement. Il ne la considère pas comme telle, mais elle est blessée et elle est sous le choc. Enfin, si ça peut lui faire plaisir d’user du sarcasme à son encontre, ainsi soit-il. Au fond, ça ne le dérange pas tant que ça, mais si elle ne fait que ça, il est possible qu’il sente son propre égo se vexer à un moment donné. On n’y est pas encore, alors patience. Alors il acquiesce simplement…

—J’en ai envie. Ne t’inquiète pas.

Pourquoi tout le monde se sent-il forcé de lui poser cette question des obligations, au juste ? Lorsqu’il en a envie, il est là, et lorsqu’il n’en a pas envie, il ne l’est pas. S’il se force, c’est parce qu’il pense que ça en vaut la peine, mais au fond, c’est aussi parce qu’il le veut bien. Il est difficile de forcer Misao à faire quoi que ce soit — sauf quand il ronchonne pour de vrai. Après, pour lui c’est plus une conception de la vie — et chacun est porteur de son propre libre arbitre, de ses propres responsabilités. C’est ce qui lui permet de faire les choix qu’il fait et de les assumer, même lorsqu’il les regrette ensuite. Il y en a des tas, comme ça, à commencer par des erreurs qu’il a faites et dont il devrait faire de réels efforts pour se faire pardonner un jour. Quoique même là, personne ne lui doit le pardon.

—Je suis certain qu’un peu de désinfectant ne te tuera pas, en effet, répond-il sur le même ton, mais avec un sourire.

Alors voilà, il reste là, jusqu’à soigner les blessures de Pandora et lisser proprement les pansements sur ses paumes, sans trop appuyer. Il sourit d’un air satisfait et passe à ses genoux, minutieux. Finalement, il relève ses yeux clair vers Pandora et les cligne un peu, pris de court par la question. Il aimerait pouvoir lui répondre quelque chose de philosophique, mais il lui répond seulement la vérité :

—Parce que je n’en avais pas envie.

Ca peut paraître égoïste, et sans doute que ça l’est un peu.

—Sans doute aussi parce que j’avais un peu peur. Je ne suis pas entraîné pour le combat, je n’aurais pas été d’une grande utilité sur le terrain, surtout pour une opération de ce type. Il fallait quelqu’un qui puisse être opérationnel ensuite pour la récupération des données, et pouvoir observer ce qu’il se passait sur place… offrir des réponses aux personnes en mission.

Il incline la tête finalement reporte son attention sur le genou de Pandora, qu’il termine de désinfecter lui aussi. Il est un peu plus salement amoché, il faudrait quand même passer à l’infirmerie, selon lui… enfin, c’est pas grave, il prend son temps pour que le pansement soit le plus propre possible du coup.

—Pour moi, chacun peut se rendre utile à différents niveaux. Je suis souvent plus utile ici qu’à paniquer en mission. J’ai pu donner un coup de main à l’hôpital à votre retour… (Il pince les lèvres, cette fois, touché.) Et suivre la convalescence de ceux qui ont subi des altérations de pouvoirs. Ca, c’est mon élément, je connais. C’est là où je pouvais me sentir à ma place, et utile.

Cette fois, il lisse le dernier pansement, mais sans trop reculer, il se redresse simplement et regarde Pandora. Elle se trouve pathétique, Misao la trouve seulement fatiguée et triste. Ce qu’elle a le droit d’être.

—S’il y en a de nouvelles, j’irai sans doute. Parce que vous avez le droit de vous reposer, maintenant, et qu’il faut bien des volontaires. Je ne dis pas que je m’en sens capable, mais j’ai envie d’essayer.

Il garde le silence, cette fois. Ce serait sa première mission de terrain en dix ans, en réalité. Le travail avec Tokyo et les universitaires, ce ne sont pas vraiment des missions, pour lui.

—Et toi, pourquoi tu es partie en mission ? Est-ce que tu regrettes ?

Misao applique les pansements sur mes paumes avec douceur, avant de passer à mes genoux. Il relève la tête vers moi d'un air surpris à ma question, et c'est à mon tour d'être surprise quand il me répond avec simplicité qu'il n'en avait pas envie. Il ne se cherche même pas d'excuse ou de justification. Mes sourcils se lèvent, je suis tellement déconcertée que je ne le juge même pas.

Il m'offre ensuite plus d'explications, et je hoche doucement la tête. Ce n'est pas comme s'il était resté les bras croisés sans rien faire non plus - c'était un choix réfléchi pour lui, de rester sur place plutôt que d'être au coeur de l'action. C'est une qualité que je respecte, de savoir où est sa place, de savoir ce qu'on vaut et de connaître ses limites.

"C'est important aussi, le travail d'après mission. C'est pas comme si t'avais rien fait du tout pour aider... Mais c'est marrant, je ne t'imagine pas trop paniquer."

Il a l'air tellement... Je ne sais pas, posé, mesuré. C'est difficile de l'imaginer perdre ses moyens - et clairement, c'est le genre de comportement qui n'aide personne en plein milieu d'une mission, c'était sans doute une sage décision qu'il reste sur place. Misao me demande ensuite pourquoi moi, je suis partie en mission, et je l'observe soigner mes genoux pendant un long moment avant de lui répondre.

"Je suis partie parce que... Terrae est ma maison, tous les gens que j'aime sont ici, et il y avait des enfants à secourir dans cette base. Contrairement à toi, j'aurais pu apporter aucune aide, aucune réponse en restant en arrière... Je pouvais pas juste rester ici les bras croisés, à ne rien faire, à attendre que ça passe... C'est bien beau d'avoir des valeurs, des convictions, mais ça sert à rien si on n'est pas prêt à se battre pour elles, à se battre pour ce qui nous est cher et pour ceux qui ne peuvent pas le faire..."

Foutu idéalisme. Il me demande ensuite si je regrette, et je hausse une épaule en secouant la tête. Peu après mon retour, j'ai dit à ma psy que si j'avais su comment les choses allaient se dérouler, je ne serait sûrement pas partie... Mais c'est faux. J'ai eu de longs mois pour y penser, et maintenant je sais avec une clarté déconcertante que j'aurais fait exactement la même chose, même si j'avais eu conscience des conséquences. Parce que je suis comme ça, que je fais les choses jusqu'au bout - et que j'ai choisi de m'impliquer pour Terrae.

"Non. On a ramené 5 gosses, récupéré un tas d'informations et détruit une des bases principales du Centre, évidemment que je regrette pas d'avoir aidé à faire tout ça ! Juste..."

Mon regard se perd derrière Misao, sur le mur de ma chambre. Mais je regarde bien plus loin, dans l'espace et le temps, mes yeux posés sur un champ de bataille ensanglanté, au milieu d'un désert suffocant.

"Je regrette juste ce qu'on à dû faire pour y arriver. Ce que j'ai dû faire..."

Une larme solitaire roule sur ma joue alors que je cligne des paupières pour chasser les images qui s'accumulent sur ma rétine. J'ai laissé une partie de moi là-bas, dans les décombres.