Si je pouvais j’aurais arraché les yeux d’Afya. Cette connasse se croit au dessus de tous. Elle m’sort par les trous de nez. Elle a de la chance que je sois gentille et que je ne l’ai pas collée plus longtemps. J’hésite vraiment à parler d’elle en salle des masters, son comportement est au mieux malhonnête. Au pire dangereux, si elle décide de manipuler des gens avec des mauvaises intensions. Je comprends qu’elle ait voulu aider un ami, mais ça n’excuse en rien son comportement. Elle m’aurait énoncé les choses correctement j’aurais agis en master de Terrae putain.

Enfin, en parlant d’agir en master de Terrae, j’attends Minoru ce matin. J’ai pas donné d’heure précise, aussi j’m’attends à ce qu’il débarque à tout moment. La ponctualité nipponne est malheureusement malmenée par un décompte lancé sans heure de référence. Je suis presque certaine que ça va l’avoir angoissé… J’y avais pas pensé avant. J’me sens particulièrement crétine. Enfin, c’est fait c’est fait… Et puis si faut il ne va pas se pointer et j’me fait du mourront pour rien.

N'empêche que je sais pas ce que je vais faire faire à deux personnes en plus. J’en avais besoin que d’une pour faire de la re-mise en rayon. C’est de plus en plus compliqué pour moi de le faire. Pousser le chariot est compliqué, faire léviter le fauteuil pour pouvoir ranger des livres… ça me demande beaucoup d’énergie, et si je vais vers le mieux d’après les médecins, c’est très théorique d’après moi…

En attendant je vérifie les plannings, vois comment j’vais pouvoir les ajouter, les tâches qui ont été mises de côté depuis un moment, et celles que je pourrais leur déléguer pour qu’on s’en sorte mieux avec Selvi.

Suite de ce RP.

Quand on ne peut pas être ponctuel, on s’invente une règle. Pour cette fois, il avait décidé de prendre l’heure de début de ses examens et d’y ajouter très littéralement 48 heures, puis de vérifier si cela était cohérent avec les horaires de la bibliothèque, qu’il connaissait évidemment par cœur. Il en avait déduit que cela le faisait arriver peu de temps après l’ouverture, soit une heure qui semblait acceptable.

Bon, évidemment... Régler à moitié la question de l’horaire ne l’avait pas empêché de paniquer pour tout un tas d'autres choses. Après la nuit beaucoup trop longue qui avait suivi la discussion avec la Master, le coucher de la veille avait été assez compliqué. Sa petite journée au lac lui avait fait un bien fou, mais n’avait pu rendre qu’un peu moins anxiogène la perspective de se confronter à nouveau au monde. Il fallait qu’il aille à la bibliothèque le matin, au psy le midi, au bureau des professeurs l’après-midi… Et voir Karen, un jour ou l’autre…

Parce que, ouais, au milieu de tout ça, sur le chemin même du village, le long duquel il marmonnait déjà les mots qu’il allait répéter à la Master, il venait d’apprendre que l’accouchement de Karen avait lieu en ce moment même… avec un peu d’avance. L’envie l’avait titillé (euphémisme) de tout lâcher et de se précipiter à son chevet, mais puisqu’elle semblait déjà être accompagnée, il se résolut à attendre le moment où elle voudrait bien le recevoir et que lui aurait une face plus… présentable et stabilisée à lui présenter (parce qu’il n’était évidemment pas question qu’elle ait vent de quoi que ce soit). Ainsi se contenta-t-il pour l’instant de lui envoyer un « Bon courage et félicitations par avance. Quand tu seras reposée, est-ce que je pourrai venir te voir ? » en anglais, dont il n’attendait pas de réponse dans l’immédiat, puis se reconcentra sur son objectif enfin en vue : la bibliothèque.

Si passer un après-midi au lac l’avait fait échapper à toute la morosité de son quotidien, le lieu de toutes ses révisions arrivait presque à égalité avec sa chambre en termes de capacité à l’y replonger. En ouvrant la porte, il fut donc aussi peu étonné que rassuré de se sentir happé par une pression étouffante et nauséabonde. S’il s’aventurait trop loin entre les rayons, il croiserait sans doute le même genre de fantômes que celui qui hantait son bureau. Ceux-là lui redemanderaient s’il avait refait tous ses exercices et s’il les connaissait par cœur, avant de leur reprocher son oisiveté affolante.

Pour le peu santé mentale qu’il avait réussi à préserver, il était donc préférable qu’il ne les croisât pas. Il se rapprocha, d’un pas plutôt pressé, de l’accueil, derrière lequel il put rapidement apercevoir la Master qu’il avait rencontré 48 heures plus tôt. Il attendit sagement — et nerveusement — qu’elle détourne la tête de ce à quoi elle était affairé, avant de se présenter.

« Bonjour, je suis Saikawa. Minoru Saikawa. J’espère que je ne vous dérange pas et que je ne suis pas en retard. Vous m’avez dit de venir… »

Il ne finit pas sa phrase. À vrai dire, les journées étaient si emmêlées dans son esprit qu’il avait bien de la peine à savoir pour quoi exactement il devait venir, après tout ça. Peu lui importait, de toute façon : il aurait tout fait, pour peu que ça rende l’air plus respirable.

Ah, c’est vrai qu’il ne s’était pas présenté. J’avoue que j’ai cherché son prénom dans les fiches d’emprunt de la bibliothèque. C’était pas si compliqué, on n’a pas des masses d’arrivées en ce moment… Et c’était le seul qui avait un nom qui pouvait coller.

« Bonjour Minoru, je t’attendais ne t’inquiètes pas. »

En même temps t’avais toute la journée pour arriver… Donc ça va, t’es clairement à l’heure et j’vais pouvoir être productive sur la fin de journée. Peut-être. Lui ila pas l’air beaucoup plus en forme qu’il y a deux jours, mais au moins son nez est réparé ! Il a retrouvé figure humaine.

« Du coup moi c’est Ipiu Raspberry, mais tout le monde m’appelle Ipiu, je suis en charge de la bibliothèque. »

C’est de moins en moins vrai vu mes soucis de santé, si à un moment j’étais hyper utile car capable d’abattre un travail administratif (et vidant de tout sens ma vie), maintenant c’est plus mitigé. Je gère plus réellement que les trucs chiants, les finances, l’enregistrement des nouveaux bouquins, les réparations… J’touche plus du tout aux projets de partenariats… J’fais quasiment plus de mise en rayon ni de service client. J’porte plus non plus de projets, et j’ai beaucoup de mal à suivre avec précision tout ce qu’on publie dans le journal…

« Du coup je voulais te proposer un job à mi temps à la bibliothèque. Ça te botterait ? »

Etre en charge des finances, c’est savoir qu’on a de quoi engager un temps partiel de plus… Et avoir préféré pendant des années coller des élèves pour les faire taffer et investir cet argent dans des livres…

Ipiu Raspberry. On n’était jamais sûr avec les noms étrangers, mais ça sonnait comme le mot framboise.

Il avait toujours un peu honte de lui faire face. Honte qu’elle ne puisse jamais voir en lui autre chose que le gamin qui avait pleuré en public pour des histoires bêtes. Quelle que soit la maturité et la docilité qu’il lui affiche, c’était déjà trop tard pour faire bonne impression.

Il lui fallait du courage pour être là. Il lui en faudrait encore plus pour la voir régulièrement. Surtout dans un lieu aussi angoissant.

Alors il hésita. Même s’il était aussi excité par cette opportunité de combler le vide que lorsqu’elle lui en avait parlé la première fois.

« En quoi est-ce que ça consiste, exactement ? »

Pour retarder un peu la décision, il posa quelques questions. Comme il se l’imaginait, travailler en bibliothèque impliquait beaucoup plus que de s’occuper des livres et répondre aux questions des usagers. La plupart des tâches seraient nouvelles pour lui : il avait bien eu l’habitude de participer à l’entretien de son école, et avait même rejoint brièvement certains clubs qui eux-mêmes avaient leurs préoccupations administratives, mais pour le reste, il avait fui tout engagement qui le détournerait des révisions. Non pas qu’on lui ait laissé autre choix que de les fuir, à l’époque.

Après les questions générales, il aurait été logique d’en poser sur les horaires et les conditions. Les cours à Terrae n’étaient pas très chronophages, mais s’il voulait travailler plusieurs heures par jour en plus de ses révisions, il lui faudrait…

« D’accord, alors ça m’intéresse. »

Toutes les questions logiques, il décida de les éviter. Il avait le sentiment que ce serait le seul moyen de faire ce qu’il avait envie. Même si ses envies n’avaient vraiment aucun sens ces derniers temps.

« Enfin, si je peux d’abord essayer quelques jours… »

Quelques jours, ce serait assez pour redevenir celui qui était avant. Ou l’enterrer pour de bon.

Il se sent flippé de venir ici, et je me demande si j’aurais du lui confier un autre travail. Peut-être s’occuper des animaux quand on est pas là ? J’en sais rien, ça me semblait pas être si mal de lui occuper les mains et l’esprit dans un endroit qu’il connaissait et qui le mettait en PLS. J’avais déjà calmé ses inquiétudes pour lui permettre de réviser sereinement, comme je le fais souvent avec les terraens à la bibliothèque afin qu’ils ne se laissent pas déborder par leurs émotions. C’est pas grand-chose, mais si tout le monde pouvait ressentir le même calme que moi quand j’entrais ici à mon arrivée, je trouve ça super cool.

J’aurais peut-être du en parler à Sylvia, mais j’ai pas vraiment eu l’occasion de le faire avant de lui faire la proposition. Faut dire ça avait été spontané, j’avais pas réfléchi plus loin et que cette solution me permettait de garder un petit œil sur lui… Il avait vraiment des émotions violentes hier, et j’me suis dit qu’je pourrais au minimum essayé de l’apaiser jusqu’à ce qu’il fasse le tri dans ses problèmes.

« Oui bien sûr. »

De toute manière je sais pas s’il faut que je lui propose un temps plein pour le couper des cours totalement, ou un mi temps en plus pour simplement lui permettre de poser son cerveau et de se concentrer sur une tâche annexe… Putain faut vraiment que je demande de l’aide à Sylvia.

« Tu te sens prêt pour commencer quand ? »

Maintenant.

C’était ce qu’il avait envie de lui répondre. Et quelque part, il était presque déçu qu’elle ne lui ait pas imposé de commencer tout de suite, au moins pour la matinée. Pour le laisser partir avec moins de doutes, et surtout lui laisser moins de temps pour douter.

Comme il n’allait pas lui dire en face, il chercha un chemin détourné.

« Quand c’est possible… Enfin, je n’ai rien jusqu’à midi, si vous avez besoin d’aide… »

Entre les deux, ce n’était clairement pas Ipiu qui avait le plus besoin d’aide. Il ne pouvait pas trouver un moyen de se convaincre du contraire. Ni ignorer que c’était un peu lâche, de parler comme ça, alors qu’il suffisait de réfléchir deux secondes pour se douter qu’elle avait surtout imaginé cette histoire de recrutement pour l’aider, et donc qu’il n’y avait à ce stade plus aucune raison de faire semblant pour le cacher.

Mais même en acceptant une main tendue sur un coup de tête, et même en voulant changer — ou plutôt en se laissant l’opportunité de le faire —, ça ne venait pas… aussi vite.

Ok. Donc maintenant. J'capte qu'il a pas spécialement envie d'être seul et livrer à ses pensées, ok. J'imagine que je vais devoir faire des fiches pour qu'il puisse s'y référer cette nuit. Faut pas se mentir, jusqu'à présent on était les dernières arrivées avec Selvi, et comme on avait progressivement pris la main sur la bibliothèque en faisant de plus en plus de tâches, et en révolutionnant un peu tout, on a jamais eu besoin de former qui que ce soit.

Quand je colle quelqu'un, je lui file un chariot et j'lui dis "tu ranges tout ça dans ce rayon" et ça lui laisse pas le choix que de ranger par ordre alphabétique. C'est pas compliqué. Seulement, lui si j'le prends, j'le forme et actuellement, il est pas en capacité de retenir toutes les subtilités de la base de Dewey.

"Du coup si t'as le temps aujourd'hui j'ai un chariot rempli de livres à remettre en rayon, tu pourrais commencer à le trier par rayon ?"

Vu qu'il vient régulièrement à la bibliothèque, il devrait s'en sortir sans réelle formation pour la remise en rayon. J'lui ferais des fiches pour comment on entre les nouveaux livres dans le logiciel de gestion, c'est pas hyper intuitif, on a un truc en libre service qui date de l'âge de pierre, mais auquel on a implanté quelques fonctions... Faut aussi que je lui montre comment on couvre un livre, et comment on adapte les étiquettes, comment on répare... Bref, les trucs qui me bouffent du temps. La logistique derrière j'continue de gérer. J'lui ferais pas faire du service usager pour l'instant, pas le moment.

Il n’avait pas fallu le lui dire deux fois.

« Je m’y mets tout de suite. »

Jusqu’à se retrouver devant le chariot dont il était question, Minoru avait relativement confiance en lui, et en sa capacité à faire n’importe quoi. Ou plutôt, le travail lui-même lui avait paru bien trivial en comparaison des angoisses qu’il devait affronter pour être ici.

En découvrant la pile de livres, il n’en fut… Plus si sûr. Évidemment, il connaissait à peu près les rayons, mais dans une période on ne peut plus propice à voir des ouvrages aller et venir d’un étudiant stressé à un autre (il savait de quoi il parlait), il n’était pas anormal de se retrouver avec une pile abondante. Qui plus est, il fallait pour chaque livre retrouver non pas seulement sa catégorie générale, les trier par étagère précise où ils apparaîtraient pour que leur ordre coïncide et que l’on puisse les ranger de gauche à droite facilement… Peut-être même Ipiu voulait-elle qu’il sépare les livres selon l’accessibilité de leur rangement pour qu’elle sache en un coup d’oeil quel livre elle pourrait ranger, ce qui voulait dire qu’il n’avait pas le droit à l’erreur en estimant l’étage précis…

Alors qu’il pensait à comment il allait faire le tri le plus efficace possible pour répondre aux attentes de la Master, l’adolescent se mit au travail. Il parut au début faire quelques aller-retours pour vérifier par lui-même l’ordre des rayons — et gribouiller quelques notes dans un coin au passage —, jusqu’à rester pleinement dans le coin qu’il s’était aménagé autour du chariot. Il travailla comme cela plus d’une heure en silence, faisant de son mieux pour ne déranger ni Ipiu ni les autres usagers.

Le résultat fut… Exactement ce qui se passe, quand quelqu’un d’extrêmement perfectionniste avec une estime de lui misérable se lance dans une tâche nouvelle. Il avait voulu quelque chose d’inutilement compliqué, y avait passé inutilement trop de temps, et n’en avait produit que quelque chose de passable, qui l’avait convaincu qu’il était peut-être incapable de travailler en bibliothèque. Il avait pu échapper à ses angoisses, seulement pour en trouver de nouvelles.

Après avoir séché discrètement une larme, il était revenu voir la Master, désolé et abattu, avec un « J’ai fini… » amer en bouche.

Outch.

Ouai.

Je devrais l’aider ?

Nan, j’capte rien à son système de classement. En même temps, je suis pas certaine qu’il capterait le mien, alors je le laisse faire, j’vois que ça l’angoisse. J’observe de loi, voir ce que je pourrais lui proposer comme aide, si j’interviens maintenant il pensera qu’il peut pas le faire seul, alors que fondamentalement, si. C’est pas compliqué et il a assez trainé ici, il connait les rayons et comment ça fonctionne… Juste il se prend la tête de ouf, au lieu de faire des piles approximatives par rayon… Il est en train d’essayer de ranger par étagère… Il prémâche le travail de ouf, mais c’est pas obligatoire, on n’a pas assez de retours par jour pour que ce soit réellement intéressant.

Il a pleuré ? Ok. Il a les yeux rouges. Bravo Ipiu tu gères. T’aurais du intervenir avant au lieu de regarder de loin.

« Merci ! Tu t’es pris la tête, je t’en demandais pas tant ! Ce sera bien plus facile pour la personne qui rangera ce soir, j’espère qu’elle te remerciera. »

Non, je vais pas lui faire ranger maintenant. Un peu ok, trop non. Et il faut qu’il me reste quelque-chose à faire faire à Afya ce soir. Si tout est fait, j’devrais la mettre au coin, et franchement ça me saoule déjà de la voir, alors la voir rien faire.

« Je suis pas douée pour partager le travail et expliquer les choses désolée, j’ai pas été hyper claire et du coup t'en as fait plus que ce que j'attendais de toi. Je te ferais des fiches process pour que ce soit plus simple. Enfin, demain on les lira ensemble et tu me diras ce que tu en comprends comme ça j’pourrais éclaircir le tout et ce sera plus facile. »

Il avait réussi à démarrer la journée d’un pied. Mais il avait suffi d’un petit échec pour rouvrir des plaies.

Elle essaie d’être gentille.

Il avait envie de lui faire confiance. De la prendre au mot et de s’en servir comme pansement, pour se dire que ce n’était pas si grave. Ça aurait dû être facile, avec son aura, et avec cette complicité désagréable qu’elle partageait avec lui.

J’aurais le temps de ranger les livres, mais elle ne me le propose pas, ça veut dire que je suis inutile…

Mais ça jaillissait. Et tout d’un coup, lui qui ne savait plus rien se trouvait envahi par une obstination à faire de tout élément de la situation une arme à s’enfoncer dans le coeur. Il avait tout juste la lucidité de s’en rendre compte, mais pas le courage ni la force de les combattre. Alors même cette clairvoyance momentanée, il trouvait un moyen de s’enfoncer avec et d’en faire la lentille par laquelle il découvrait toute sa faiblesse.

« Il y a autre chose que je peux faire ? »

C’était dur de ne pas fuir, là, tout de suite. Vraiment. Dur de se dire qu’avant de glisser dans le Vide et d'avoir aussi mal, il y avait eu un petit moment de douceur et d’oubli, dans lequel il avait juste pu faire autre chose, et que c’était à ça - à cette pauvre heure qui le remplissait à peine - qu’il fallait s’accrocher. Et dur aussi, de s’avouer que s’il partait comme ça, il ne reviendrait peut-être même pas le lendemain pour lire ses fiches.

Boudu, que c’est compliqué les ados. J’vous jure, ça part dans tous les sens, il serait tonnerre que ça ne me choquerait pas… Mais non, c’est juste un ado. Entre réconfort et autoflagellation. Je sens que si je le renvoie maintenant, il va aller se foutre en boule dans un coin et attendre que ça se passe ? Ou alors il va aller sauter du toit de l’institut ? J’en sais rien, il m’a montré qu’il pouvait être impulsif et j’ai l’impression que si je le lâche, j’déteste ça. Les responsabilités.

« Alors, si tu veux faire le tour des rayons et récupérer les livres abandonnés là où ils devraient pas l’être… ça donnera plus de taf pour la personne collée ce soir et ça m’arrange… »

Ok on improvise.

J’avais pas spécialement prévu de tâches pour aujourd’hui, j’comptais encore le laisser tranquille. Pourquoi j’suis aussi conne moi ? Bien sûr qu’il allait demander de quoi lui occuper les neurones. J’suis vraiment teubé.

Bon, attends il risque de vouloir vérifier TOUS rayons, de CHAQUE étagère. Il va pas comprendre la demi-mesure, j’en suis certaine. Il va refaire comme pour le rangement du chariot : trop.

« Tu récupères que les livres qui dépassent, qui sont pas rangés dans les étagères, s’il y a quelques échanges au sein d’un même rayon on s’en occupera plus tard… »

Enfin, ça t’occupera plus tard. Ouai, faire classer des livres c’est une bonne idée de chose à déléguer. Attends.

« Tu peux prendre ce charriot-là, il est vide ? »

Heureusement que Minoru n’était ni sensitif, ni télépathe. Il pouvait raisonnablement croire qu’Ipiu avait, même si ce n’était que pour des broutilles, réellement besoin d’une aide, et qu’elle n’inventait pas les tâches qu’elle consentait à lui donner. Ce faisant, il put être réellement soulagé lorsqu’elle lui expliqua sa nouvelle demande, même si ce n’était qu’un léger rayon de soleil dans sa tempête.

« Je m’en occupe tout de suite. » lui répondit-il sans entrain explicite, mais avec un sérieux teinté de plus de motivation que de crainte, quoique la première eut la fragilité d’une bulle de savon et la seconde la vivacité d’un torrent.

Il prit en main le chariot, puis décida d’un plan de route qui le ferait passer à peu près partout, en minimisant le dérangement pour les utilisateurs, en particuliers ceux que les examens avaient contraint à un bachotage intensif. Les appréhensions de la Master furent vite fondées : il ne lui fallut pas plus d’un rayon pour constater un qu’un livre avait été manifestement mal rangé, et se sentir obligé de le ranger rapidement à sa juste place, quelques mètres plus loin. S’il pouvait éviter du travail supplémentaire à la personne qui viendrait ce soir en faisant un petit détour, ce serait une bonne chose, non ? Par le même raisonnement, il rectifia trois autres erreurs un peu plus loin, puisque les bons emplacement étaient de toute façon quelques mètres plus loin sur son chemin.

Une vingtaine de minutes plus tard, il revint vers la bibliothécaire, poussant un chariot qui comportait une douzaine d’ouvrages. À cela, il aurait fallu ajouter une demi-dizaine supplémentaire, qu’il avait discrètement remis à leur place en passant, parce qu’il aurait été trop bête de les amener jusque là alors que le bon emplacement pour les ranger était sous son nez.

« J’ai fini… »

Il n’estimait pas avoir fait un si bon travail ; cependant, Ipiu lui avait formulé une demande claire, et il était certain qu’il ne restait plus de livre sorti d’une étagère ou déposé en vrac au milieu des autres. Il pouvait difficilement s’empêcher de penser aux erreurs de classements — il devait y en avoir qu’il n’avait pas perçu — ou au fait qu’elle ne lui faisait confiance que pour les tâches les plus faciles.

« Est-ce que je peux faire autre chose ? »

Mais même si ce n’était que pour une bulle de savon, il serrait les dents et essayait d’avancer, pas à pas.

J'ai géré, je lui ai trouvé une occupation simple mais efficace. Top. Donc moi en attendant je fais quoi ? Et si je faisais une partie de démineur ? Stardust ? Franchement, un truc pour me féliciter de mon ingéniosité ! J'ai réussi à improviser deux tâches consécutives, j'me sens vachement maligne !

Par contre, va falloir que je trouve autre chose à lui faire-faire ? Comment on fait ça ? Faut que je demande à Selvi... Faut aussi que je lui annonce qu'on a un nouveau... Enfin, quand ce sera définitif. Je soupire toute seule dans mon coin.

Je commence à noter sur une feuille les tâches qu'on peut faire ici, et je vois celles qui sont délégables.
- Ranger : remettre les livres en rayon + vérifier que tout est à sa place dans les rayons.
=> ça il l'a déjà fait.
- Réparer les livres
=> délégable mais faut que je lui montre comment on fait.
- Enregistrer les nouveaux livres
=> On en a huit cartons dans la réserve, ça peut-être une bonne idée, mais faut que je lui montre comment on couvre et comment on crée les codes barres dédiés, comment on les enregistre. Si on avait un logiciel un peu plus récent j'pense qu'en rentrant uniquement l'ISBN on s'en sortirait.
- Conseil usagers : choix de livres, guidage dans les rayons.
=> Pas pour le moment, le mettre au contact du public mauvais bail je pense.

Il est déjà là ???? Mais j'lui ai trouvé une tâche il y a trente secondes !!!!! Ah. Non, ça fait un moment déjà.

"Faudrait que tu penses à aller manger... Tu reviens demain en début d'aprem ? Faut que j'ai le temps de préparer quelques fiches pour te faire faire des trucs plus compliqués."

Penser à aller manger… Il aurait pu lui dire qu’il leur restait un peu de temps, ou qu’il pourrait se débrouiller plus tard, mais il avait compris le message. Juste au comment où il commençait à sentir qu’il se débrouillait, il le laissait sur sa faim, entre déception que ça ne dure pas plus et soulagement qu’on lui propose de revenir le lendemain.

Cela étant, rien que cette réaction suffisait à répondre à l’un de ses doutes. S’il restait sur sa faim, c’était qu’il allait revenir.

« Demain, à 14 heures ? »

Par contre, cette fois, il était assez en état pour s’épargner l’angoisse d’avoir à inventer un horaire.

« Et… »

En parlant d’horaire, s’il devait revenir, c’était peut-être l’occasion de les poser, ces fameuses questions trop logiques pour ne pas être évitées.

« Merci… »

Ou peut-être pas tout de suite, en fin de compte. Il ne savait pas à quel jour il les remettait, ou quelles décisions exactement il devait avoir pris avant.  

« Enfin… Je ferai de mon mieux. »

Mais puisqu’il reviendrait, il avait encore le temps de trouver le courage qu’il lui fallait, pour réfléchir à l’avenir.



Suite par ici

Ce coup-ci il ne laisse pas ses horaires au hasard… J’hoche la tête, en fait, j’m’en fout du temps qu’il bosse, j’pense que je vais juste lui donner des missions qu’il pourra faire à peu près en deux heures, mais j’vais pas lui dire de les faire en deux heures. J’lui dirais juste qu’il pourra partir quand il aura terminé et le laisser s’organiser. J’suis absolument pas certaine de ce que je fais, mais j’ai l’impression qu’il faut lui donner un cadre pour le rassurer, mais le laisser assez lâche pour le bousculer. Il est clairement trop rigide pour sa propre subsistance.

Il me remercie. Je souris, s’il me remercie c’est qu’il sait à quel point je suis une boss extraordinaire. Tout est dans le sourire waterproof ? J’lui souris donc. Dis pas merci trop tôt, il y a des jours où tu ne pourras plus me saquer. J’suis pas de tout repos, et j’le sais. Enfin, j’vais peut-être pas le faire fuir après l’avoir tout juste recruté.

« Merci à toi de nous apporter ton aide ! »

Franchement j’me sens Aaronesque en disant cette phrase. Comprenez par là que je suis ravi d’endosser le rôle d’adulte responsable qui aurait dû être le mien depuis longtemps. LOL. Crédibilité ? proche de zéro, mais bon, j’suis master quand même. C’est une preuve que j’ai atteint l’âge adulte… Non ? Non. Ok, autant pour moi. On va faire comme si c’était le cas.

« A demain ! »

J’lui demande pas qu’il vienne propre et après avoir mangé, j’sais qu’il fera le maximum alors que j’lui demande le minimum.