Voilà, c'est officiel, tu es ici pour de bon... Aller Aéna, un petit sourire ? Non, tu ne veux pas. Les gens d'ici sont bizarres et sûrement méchant. Tu ne veux pas leur parler non plus. Ce que tu veux, c'est ton papa et ta sœur. Et puis, le dodo, c'est mal. Et si tu ne te réveillais jamais ? Ça fait peur tout ça alors pas de dodo pour toi même si tout le monde semble bien dans leur lit. Il faut aussi prendre en compte le décalage horaire. Ici, il est 22h passé, mais chez toi, il est encore 16h. Ce qui veut dire que tu as faim, c'est leur du goûter.

Tu es là depuis peu, mais on t'a fais faire le tour des endroits importants. Même si tu n'as rien dis et probablement pas écouté grand chose, les larmes aux yeux durant toute la visite, tu as retenu une chose. La cafétéria. C'est l'endroit où on mange ! Et toi, tu as faim. C'est donc pour ça que tu t'es dirigée par là. Bon, ça a été compliqué puisque tu t'es perdue en route, mais tu as trouvé, enfin ! Alors, tu n'as par contre aucune idée de comment trouver du chocolat. C'est donc en silence que tu entres dans la pièce, ta peluche dans les bras. Oh oui, ton doudou loup ne va pas te quitter, c'est ton protecteur.

Tu observes lentement les tables et les chaises. Désert. Heureusement, tout le monde dodo. Tu veux pas voir les gens bizarres d'ici. Du coup, tu avances vers les endroits où on sert les gens. En tout cas, tu penses que le genre de grand comptoir, c'est pour ça. Sauf que t'es trop petite, même sur la pointe des pieds. Triste, tu as des larmes qui montent, mais tu as une idée. Une chaise ! Tu vas en prendre une, mais c'est lourd et t'as pas beaucoup de force alors tu la traînes. Au revoir discrétion. Tu fais un bruit monstre. Est-ce qu'on va te fâcher si t'es ici ? Tu montres rapidement dessus pour chercher ton précieux chocolat. Échec.

En serrant fort ton doudou, tu cherches comment trouver ton chocolat. Tu sais pas, tu connais pas les lieux toi. Alors tu pleures, te sentant toute seule. Tu veux vraiment les bras de ton papa. On t'a dis qu'il était loin donc que tu pourrais lui parler au téléphone, mais t'as pas de téléphone toi. Tu veux lui parler maintenant ! Ça n'aide pas à calmer ta tristesse, te blottissant contre la chaise en pleurer silencieusement, la peluche absorbant tes larmes. Pourquoi tu peux pas avoir ton papa et ta sœur ? Tu comprends pas, tu es toute perdu, vraiment, et tu as peur. Tu veux ton chocolat !

__–La nuit porte conseil, dit-on.
__–Aylan n’avait jamais vraiment été d’accord avec cette idée.
__–Peut-être cette nuit moins que bien d’autres. Nous ne reviendrons pas sur les nombreux soucis qui peuvent hanter un jeune garçon de douze ans, quand sa famille qu’il croyait morte lui est rendue et qu’il est aussi heureux de les revoir qu’il est triste de constater qu’ils ne sont plus tout à fait les mêmes et qu’il doit réapprendre à interagir avec eux. Que ce fût sa biologique ou celle de cœur, elle lui donnait bien des peines autant que des joies, qui parfois venaient le hanter, comme un silence.
__–Il n’y avait aucun bruit, dans la chambre d’Aylan.
__–Il en eut assez.
__–Il prit ses casques, son ordiphone, s’habilla de sa tenue intégralement noire de cambrioleur avec pour projet de déambuler dans l’institut, peut-être dehors. Qui sait, à la lumière des étoiles et du dernier quartier de lune avant la nouvelle, l’air de la fin du printemps et le doux bruissement de la ville, parviendrait-il à trouver le sommeil.
__–Restait à savoir par où sortir. L’entrée aurait été un choix évident, mais il n’était pas le seul à affectionner les promenades nocturnes. Or, Aylan n’avait envie de croiser personne. Surtout pas un adulte, qui aurait été soucieux de voir un enfant se promener à cette heure tardive.
__–Alors, il prit son grappin, le fixa à sa fenêtre déjà ouverte et commença à descendre en rappel.

__–Alors qu’il allait atteindre le rez-de-chaussée, qu’il passait à côté des fenêtres de la cafétéria, Aylan interrompit sa descente et jeta un coup d’œil au travers du carreau.
__–Il perçut du mouvement.
__–Une autre enfant, recroquevillée contre une chaise, à serrer sa peluche et vider ses glandes lacrymales.
__–Un adulte, Aylan n’aurait nullement souhaité en rencontrer un, mais une plus jeune que lui, qui semblait en proie à quelque détresse… Il sentait qu’il était de son devoir d’intervenir.
__–Il affermit donc sa prise sur sa corde pour ne pas glisser, sortit de sa poche son nécessaire de crochetage, en dégaina avec les dents une lame, s’en servit pour jouer avec le loquet de la vitre et la poussa, dans un silence total. Puis il rangea son instrument, descendit jusqu’à poser les pieds sur le rebord. Il y avait à présent une silhouette noire, cagoulée, penchée à la fenêtre, qui observait.
__–« Salut. »
__–Dit-il, assez fort pour être entendu, mais sans crier.
__–« Ça va ? T’avais faim ? Tu veux de l’aide ? »

Voilà que tu pleures sur cette chaise depuis bien cinq minutes, incapable de bouger ou juste de penser à autre chose que le fait que tu veux ton papa et ta sœur. Heinas te manque horriblement, tu ne sais pas du tout comment faire pour ne plus avoir mal comme ça. Tu veux ses bras, tu veux sa chaleur, tu veux ses paroles rassurantes. Là, elle t’aurait consolé en deux secondes parce qu’elle est trop forte pour ça. Sauf que personne ne t’a expliqué pourquoi elle ne se réveillait pas de son dodo éternel. Personne n’a voulu que tu assistes à la cérémonie qu’ils ont fais. Ton papa a refusé de t’expliquer parce que tu es trop jeune, mais comment tu fais toi, pour comprendre, si on ne te dit rien ? Et voilà que tu pleures encore plus, sanglotant toute seule alors que tout le monde dort tranquillement. Eux, ils ne devraient pas avoir le droit de se réveiller !

Et puis une voix. Tu relèves difficilement tes yeux, voyant une forme toute floue à travers tes larmes. Pourquoi tu ne peux pas être seule ? Tu te mords la lèvre en te disant qu’elle va partir, mais non, il faut une réponse. Sauf que toi, tu ne veux pas répondre. Tu veux être dans ton lit, dans ta maison, avec ta famille. Tu essuies quand même tes larmes avec ta peluche parce qu’il faut que tu vois quand même un peu cette personne. Mauvaise idée puisque tu pousses un cri de peur incontrôlé. C’est un méchant ! Te voilà tétanisé en voyant un méchant.

Il n’a pas de visage, il est tout noir. Tu le vois à peine. Il ressort juste grâce à la lune et aux étoiles. Tu n’oses pas bouger. Tu fais comment maintenant ? Tu es apeurée de voir ça. C’est un cambrioleur ! C’est bien comme ça qu’on appelle les gens qui entrent dans les maisons la nuit, non ? Pourtant, les adultes de tout à l’heure ont dis que tu étais en sécurité ici. Ils ont faux ! Ici, il n’y a que des monstres et des méchants tout en noir. Il n’a même pas de visage ! Tes larmes se remettent à couler de plus belle alors que tu n’arrives pas du tout à parler. C’est un méchant, c’est sûr ! Lui, tu devrais le fuir, mais tu n’y arrives pas. Voilà que tu n’arrives plus à bouger du tout. Peut-être qu’il va t’ignorer et partir loin d’ici ?

__–Aylan resta là un petit moment, à scruter l’intérieur de la cafétéria.
__–Pas de réponse, peu de mouvements. La petite était sûrement surprise. Aylan n’arrivait pas à voir ses expressions faciales, dans cette pénombre. Il essaya de se souvenir où était situé l’interrupteur et généra une sphère d’air, qu’il envoya traverser la salle. La pression fut assez forte pour presser le bouton. Cela fait, Aylan constata que l’enfant était bien plus jeune que lui et semblait effrayée.
__–Il devait y avoir quelque chose de louche dans la salle, qui la terrifiait, en conclut-il.
__–D’une autre puissante brise, il décrocha son grappin puis le rattrapa, enroula la corde, toujours juché sur la fenêtre, puis descendit. Arrivé au sol, il inspecta les environs. A priori, rien ne semblait louche.
__–« Ça va ? J’m’appelle Aylan. T’es en danger ? Ah mais t’es nouvelle, je te reconnais pas. T’inquiètes pas hein, c’est bizarre ici mais y’a personne qui te veut du mal. »
__–La forme noire et dotée d’un grappin aux pics acérés qu’il était pouvait faire douter de cela. Et puis, même si notre protagoniste voulait rassurer cette petite, il savait bien que des choses étranges pouvaient se produire partout, même ici. Un morphe ivre et changé en ours ? Deux Feux dont la discussion se serait, comme toujours, envenimée ? Attaque du Centre ? Dans le doute, il préférait ne pas baisser sa garde. La priorité était de sécuriser la pièce et de protéger la petite, puis investiguer la situation et si besoin, prévenir les masters.

La lumière, soudaine, fait sursauter encore plus la petite que tu es. Là, c'est sûr, il va te voir ! Il t'a vu et te regarde, te faisant trembler comme une feuille. Et puis, c'est lui qui a allumé la lumière ? Comment il a fais ? T'as entendu un petit bruit de bouton qu'on enclenche, mais tu es sûre que ce n'était pas de son côté. Il y a une deuxième personne ? Oh non, tu aurais dû rester dans ton lit, c'est ta punition de vilaine petite fille. Ton papa te gronderai s'il te voyait faire alors c'est normal que ça se finisse mal.

Tu as fermé fort les yeux quand la lumière a été allumée. Déjà, parce que ça t'a fais mal et aussi parce que ça a amplifié ta peur. Du coup, tu as maintenant mal aux paupières à force de fermer comme une idiote. Tu les rouvres pour le fixer de derrière ta frange. Le méchant parle ! Et il veut être gentil ? Non, il se moque de toi, il est forcément méchant. En plus, il est tout noir et il a un truc qui fait peur à la main. Et il s'approche. Il est encore loin, tu peux fuir comme un lapin, mais il est déjà trop proche. Surtout que tu ne contrôles pas tes jambes toujours immobiles. Il a dis que personne ne te voulait du mal, mais tu ne le crois pas. Lui, c'est un méchant monstre méchant ! Oui, c'est encore pire qu'un méchant monstre ou un monstre méchant. Et puis ce sont deux choses parfaitement distinctes dans ta petite tête de gamine de 10 ans.

Aylan, c'est son nom, celui du méchant monstre méchant, dis que c'est bizarre ici, mais il n'a pas idée de ce que toi, tu vis ! Tout le monde est bizarre ici ! Jusqu'à ce lieu qui n'a pas de chocolat. Il y a tout de même plus urgent...

- T-t-t-toi... T-t-t'es m-m-méchant!

Tu as pris tout ton courage pour réussir à parler alors que tu n'arrives même pas à bouger.

__–Rien à signaler.
__–Si la petite avait peur de lui, c’était qu’elle n’avait pas peur d’autre chose, de considérablement plus effrayant. Aylan put donc souffler, ranger son grappin dans son sac, retirer sa cagoule – c’est qu’il faisait chaud, là-dessous –, ébouriffer ses cheveux aplatis par le vêtement et s’intéresser à l’autre présence dans la pièce.
__–Un instant.
__–Peur de lui ? Aylan la regarda avec un air surpris. Cela n’avait tout bonnement aucun sens à ses yeux. Il était venu pour la protéger, parce qu’il s’inquiétait, parce qu’il avait senti le besoin urgent de venir en aide à une personne qui montrait tous les signes de détresse. Aussi se gratta-t-il la tête et ne put-il répondre qu’un :
__–« Bah non ? »
__–Ce n’était, nonobstant, pas la première fois qu’il avait affaire à une enfant apeurée et plus jeune que lui. Celle-ci devait avoir l’âge de Liz… Qui était perdue on ne savait où, dans les griffes de terroristes, à subir ce que lui, Miguel et Lola avaient subi. Cette pensée lui fit avoir un pincement. Liz, qui était arrivée bien après lui au Centre. Il y a longtemps, maintenant. Aylan essaya de se souvenir comment il avait fait avec elle.
__–Il se pencha – se mit en squat à la slave, pour être précis –, à bonne distance. S’approcher d’un coup l’aurait juste fait reculer encore plus, voire fuir. Il la regarda. Ne fit aucun geste, encore moins de gestes brusques. Parla doucement :
__–« Hé, ça va, j’suis gentil hein. Puis tu ressembles un peu à ma meilleure amie. Regarde, on a presque le même âge je parie. J’ai douze ans. Et toi ? »

Mais... Tu ne sais pas quoi faire alors tu bouges toujours pas, ta peluche loup bien contre toi. Il fait peur, vraiment très peur. Et puis il dit que non, ce n'est pas un méchant, mais il ment, tu en es persuadée ! Les gens n'entrent pas par les fenêtres et ils ne sont pas tout en noir. Surtout que lui, il a allumé la lumière tout d'un coup. Tu ne sais pas comment, mais tu es sûre que c'est lui. Ça peut être personne d'autre puisque tu n'entends pas d'autres gens dans ton dos. Après, tu es tellement fixée sur l'autre devant toi que tu pourrais ne même pas t'en rendre compte.

Oh, il a juste 12 ans ? Mais il a que deux ans de plus que toi. Il ne peut pas être si mauvais que ça après tout, non. Heinas disait que les méchants pouvaient être jeunes, comme les enfants à l'école. Bon, toi, tu n'as pas eu de problème, mais tu as bien vu que certains ont des tendances à être méchants avec les autres. Au moins, ta timidité et ta tendance à être invisible aux yeux des autres t'ont sauvé de ça. Après, ce n'est pas vraiment le problème du moment.

- Di-di-dix ans...

Tu es toute petite, vraiment toute petite dans ce monde froid d'adulte qui te fait super peur. Est-ce que tu penses que tu pourras t'habituer ? Non, parce que tout le monde est un monstre ici, tout le monde ! Ils n'ont pas voulu que ton papa vienne avec toi. Lui, il a dis que tu devais y aller alors tu y es allée, mais toi, tu voulais qu'il vienne pour te rassurer, t'aider. T'es toute seule maintenant...

- J-Je veux r-rentr-trer chez m-m-moi...

__–Dix ans, c’était fort jeune pour être séparée de ses parents et emmenée plus ou moins de force dans un nouvel endroit étrange duquel on ne pourrait plus vraiment repartir. C’était à cet âge là que Lola était arrivée au Centre. Aylan eut une expression un peu triste. Elle voulait rentrer chez elle. Il n’y avait pas de quoi s’en étonner.
__–« Euh… C’est un peu tard pour ça… Puis c’est un long voyage, tu dois être fatiguée, mieux vaut y réfléchir demain, tu crois pas ? »
__–Aylan ne pouvait pas, en son âme et conscience, lui dire que c’était impossible. Et il n’aurait pas su lui-même expliquer pourquoi il valait mieux qu’elle restât. Il aurait pu lui parler de la magie, des gens qu’il aimait et avait rencontré ici, mais cela n’aurait fait que pâle figure face au désir de retrouver les siens et son foyer. Il fallait se reconnaître vaincu : c’était avec les masters, non avec lui, qu’elle devait avoir une discussion, cette petite.
__–En attendant, il fallait changer de sujet.
__–« Comment tu t’appelles ? T’es venue ici parce que t’avais faim ? Tu veux manger un truc ? J’peux t’aider hein, je sais cuisiner et tout. »
__–Lui qui était parti pour se promener à l’air libre, voilà qu’il allait nourrir une novice et la raccompagner aux dortoirs. Enfin, se dit Aylan, peut-être qu’elle voulait un peu de calme et de solitude, ce que les dortoirs, à dire vrai, ne prodiguaient pas vraiment. Des fillettes de dix ans étaient mêlés avec des femmes de trente-cinq. C’était certes une solution très temporaire, presque d’urgence, mais elle n’en restait pas moins un premier contact avec Terrae plutôt âpre, surtout pour quelqu’un de manifestement aussi terrorisé.
__–Il faudrait bien qu’elle allasse se coucher, bien entendu, le plus tôt serait le mieux, mais… Aylan soupira. Oh, après tout, sa chambre était bien assez grande. Il pouvait en outre lui laisser pour la nuit et aller chez sa mère.

Y réfléchir demain ? Mais pour toi, avec le décalage horaire, c’est compliqué. Tu n’es pas fatiguée et tu as si peur de dormir que même avec ça, tu ne veux pas dormir. Toi, tu ne veux pas faire un dodo éternel alors tu préfères rester éveillée même de force, juste par sécurité. C’est important de faire attention à ça. Les autres, ce n’est pas grave s’ils s’endorment éternellement, c’est plutôt bien même, parce que ce sont toujours des monstres. Il est encore tôt pour ton corps et ton esprit. Il va te falloir quelques jours le temps de t’habituer au Japon et à ses heures de décalages par rapport à Valence.

- J-j-j’ai p-pas somm-m-meil.

Ton nom ? Mais c’est un inconnu, tu ne peux pas le lui donner si rapidement. Il n’a pas l’air méchant, mais rien ne dit que c’est la vérité. Aylan a l’air même prêt à t’aider pour trouver du chocolat. Peut-être que si tu lui donnes ton prénom, il voudra bien te montrer où ils mettent le chocolat ici ? Comme ça, tu pourras revenir en chercher souvent et avoir une réserve que tu cacheras dans ta valise pour qu’on ne puisse pas te la prendre. Oh, ça, ça semble être une très bonne idée, tu en es persuadée !

- Aéna. J-je v-v-veux du ch-ch-chocol-l-lat. P-pour l-l-le goût-t-ter.

C’est plus ou moins l’heure du goûter cher toi alors peut-être que ça serait bien si tu pouvais en avoir, du chocolat. Et puis, ça ne peut qu’aider à ton moral qui est plus bas que terre. Tu espères sincèrement qu’il va t’aider et qu’il va t’en donner. Il a dis qu’il avait douze ans alors il ne va pas dire comme les adultes, non ? Les adultes, ils ne veulent plus que tu en manges chez toi, mais lui, il est comme toi, il est jeune. Tu essuies tes larmes avec ton doudou en le regardant avec espoir.

__–Pas sommeil. Cela pouvait avoir plusieurs causes : la chaleur, le stress, le décalage horaire. Ne l’ayant encore jamais vue et considérant son état, il ne fallait pas un effort d’imagination très considérable pour deviner ce qu’il en était.
__–Aylan voulut lui répondre que ce n’était pas bien grave, qu’après quelques jours cela irait mieux, que son corps s’ajusterait au différent fuseau horaire, mais il s’en abstint. Il n’était pas sûr qu’elle eût pu accepter l’idée qu’elle allait rester ici. Du moins, pas pour le moment. Aussi se contenta-t-il d’un :
__–« Oh t’inquiètes, c’est pas grave ça, moi non plus t’façons. »
__–Elle finit par donner son nom. Aéna, cela ne lui disait rien, mais Aylan avait compris qu’elle parlait espagnol. Il fit une rapide projection de la mappemonde dans sa tête, partit de l’hypothèse qu’elle n’était pas d’Amérique latine et, effectivement, en déduisit que pour elle, c’était l’heure de la collation plutôt que du coucher.
__–Et puis, après tout, il aurait bien pris un petit quelque chose lui-même.
__–« Ouais, pas de soucis, j’vais te trouver ça. Ici ils ont des tablettes dessert, j’suis sûr j’en ai vu… Mais c’est du chocolat noir quoi, c’est pas très intéressant. Par contre si tu veux j’en ai chez moi ! J’ai du Crunch, des Kitkat… C’est pas loin en plus, on prend l’ascenseur et on y est. Puis on sera tranquilles, alors que là, si un adulte vient il faudra lui expliquer pourquoi on pique dans les réserves et tout. Ça te dit on fait ça ? »
__–Il se leva doucement et tendit la main. Sa promenade nocturne était tout à fait condamnée, mais, finalement, ce n’était pas si mal que ça d’avoir un peu de compagnie.

Lui aussi vient d’un autre pays ? Ou alors il a juste pas sommeil, c’est possible aussi. Tu l’observes un peu plus maintenant que tes yeux sont moins humides. Il a les cheveux tout blancs ? Ah non, un peu plus blond que tu ne l’as vu aux premiers regards. C’est vrai qu’ils sont très clairs quand même. Tu ne savais pas que ça pouvait être aussi clair quand même. Oh, et ses yeux. Ils sont bizarres, ils ne sont pas normaux. Ils sont violets. Comment ça se fait que ça soit comme ça ? Bah oui, toi, tu connais le bleu, le marron, le vert, le gris ou des petites nuances de tout ça, mais pas de couleur aussi originale. Il est vraiment bizarre, Aylan.

Tu lui fais un petit sourire tout timide, à moitié caché par ta peluche et tes cheveux qui sont devant ton visage. Et oui, les tiens sont supers longs, atteignant facilement tes fesses quand ils sont détachés et ils le sont en permanence. Tu viens les coincer derrière tes oreilles même si ta frange cache tes yeux pour te protéger. Elle est très bien ta frange en plus, c’est pour te protéger des autres et puis, c’est bien pour regarder en toute discrétion. C’est ce que tu aimes, être toute discrète, même pas remarquée des autres.

Tu regardes sa main un court instant avant d’accepter de te lever pour venir prendre sa main de la tienne, petite et potelet. Tu es encore hésitante, mais il a du chocolat chez lui alors autant le suivre. Il a raison, si un adulte arrive, il ne va pas être content, il risquerait même de vous punir, alors aller dans sa chambre, c’est mieux. Ce n’est pas bien de suivre un inconnu, mais c’est exceptionnel, parce que là, tu as vraiment envie de chocolat.

- V-v-voui. M-merci.

Parce qu’il est gentil et il est rassurant en plus. C’est vraiment ce dont tu as besoin là, tout de suite, maintenant.

__–Elle sourit. Aylan le lui rendit. Cela partait bien.
__–Aéna répondit à son invitation, ce qui rassura notre protagoniste sur ses capacités à inspirer la confiance. Par ailleurs, cela signifiait que cette petite n’allait pas rester seule et il aurait été fort ennuyé de laisser une enfant à son propre sort, que ce fût dans ce bâtiment ou dans sa tête. Après tout, s’il n’avait pas toujours été l’aîné en âge, il l’avait souvent été en expérience : premier arrivé au Centre, premier arrivé à Terrae, il jouait là un rôle qu’il avait déjà répété et connaissait bien.
__–En un sens, c’était rassurant.
__–La main d’Aéna était un peu chaude. Aylan attendit encore un peu qu’elle s’habituât au contact, puis commença à l’emmener vers la sortie.
__–« On y va. T’inquiètes pas si on croise des gens. »
__–Le cas échéant, il lui ferait comprendre qu’il pouvait se coller à elle. Cela rassurait Liz, il n’y avait aucune raison que cela ne fonctionnât pas avec Aéna.
__–À vingt-deux heures, il y avait encore du monde dans les couloirs, certains qui revenaient ou allaient en soirée. Aylan et Aéna eurent droit à quelques regards, mais qui ne témoignaient pas d’une curiosité particulière. S’ils passaient dans le rayon d’un sensitif, celui-ci pouvait percevoir le trouble qui agitait Aéna, mais à l’assurance, la gentillesse et au calme qui émanaient d’Aylan, il y avait de quoi conclure qu’il n’avait pas de soucis à se faire. Et puis, tout l’Institut s’était depuis longtemps familiarisé à le voir lui, vagabonder à toute heure. Pour une fois qu’il le faisait à pied et non en skate ou en courant, c’en était assez reposant pour que personne ne dît rien.
__–À la sortie de l’ascenseur, Aylan guida Aéna dans le couloir des Airs jusqu’à chez lui. Ce n’était pas le plus calme : on pouvait notamment entendre les amateurs de musique en diffuser, des brises, souffles, vents et bourrasques s’échappaient périodiquement de sous les portes, en ouvraient ou fermaient certaines, charriaient parfois papiers ou poussière.
__–Enfin, ils arrivèrent devant une porte. Aylan la poussa.
__–« Voilà, j’habite là ! Installe-toi où tu veux. »
__–Il n’y avait chez le petit Air que deux pièces ; une immense qui servait à tout et la salle d’eau et des commodités. Le sol de la première était intégralement recouvert de tapis aux motifs variés et sans rapports entre eux, avec deux matelas empilés d’un sur l’autre, constellés de coussins et couvertures, qui formaient une sorte de canapé improvisé en plus d’un lit. Devant celui-ci, une étagère basse entourée de matériels électroniques divers et sur laquelle reposait les deux écrans et la tour d’un l’ordinateur. À la base de l’écran, on trouvait trois cadres à photos. Sur la plus grande, une petite dizaine d’adultes en tenues militaires, devant un avion de chasse. Une inscription avait été écrite sur la photo, en anglais. L’autre représentait une enfant rousse d’environ six ans (la photo était vieille et un peu usée, elle avait bien vécu) et la troisième un adolescent latino, tatoué, à l’expression vacharde, mais amicale.
__–Les deux seuls autres meubles que celui voué à son ordinateur étaient le réfrigérateur et une autre table basse située contre un mur, où étaient disposés une bouilloire et un micro-onde. En dépit de cette apparente simplicité de l’intérieur, le lieu ne ressemblait en rien à un squat glauque. Tout au contraire : c’était très propre, très bien rangé. Aucune affaire ne traînait, en témoignait les diverses caisses en plastique, placées contre les murs. Proche de la fenêtre, plusieurs plantes, dont de la menthe, pendaient du plafond. Les murs étaient ornés de divers posters tirés de jeux vidéo et de films, ce qui, avec les tapis, renforçaient le caractère coloré et bariolé de la pièce. Il n’y avait pas de lampe, mais une installation à base de bandes à DEL, collées sur deux côtés opposés du plafond. Aylan prit une télécommande et les alluma. Elles diffusèrent une lumière tamisée et orangée, assez faible, adaptée à la soirée.
__–Pour compléter le tableau, ajoutons qu’un bon quart de cette tente de touareg en intérieur était occupée par une épaisse bâche bleue recouverte de tout un assortiment d’outils, où là aussi rien ne traînait, n’était en désordre ou mal entretenu. Des pièces de rechange pour son skate, qui trônait sur un présentoir accroché au mur, du matériel électronique démonté et divers autres projets de bricolage étaient stationnés là, en attente de complétion.
__–On se déplaçait chez Aylan à genoux, pieds nus, rien n’étant prévu pour la station debout dans cet appartement. Fort rares étaient les manipulations qui requéraient de lever sa main au-dessus du mètre. Aussi Aylan ôta-t-il ses chaussures, qu’il laissa sur un paillasson d’intérieur et posa-t-il son sac, contre l’entrée.

Tu te fais toute discrète durant le voyage jusqu’à la chambre de Aylan, te cachant derrière lui quand il y a du monde autour de vous, comme si tu n’étais même pas là. Vraiment, tu es la discrétion même. Etant plus petite que lui, même si ce n’est pas d’énorme non plus, tu peux te cacher à ton aise pour disparaître un peu mieux. Le regard de ces monstres te fait peur alors tu serres fort la main de Aylan dans la tienne, de peur qu’il s’éloigne et te laisse toute seule ici, perdue dans ce bâtiment que tu ne connais pas du tout. Là, actuellement, c’est le seul lien que tu as pour te repérer et avoir du chocolat. Ça reste quand même le but de ta sortie de ce soir, il ne faut pas l’oublier.

Par contre, le couloir des airs te fait extrêmement peur, plus que les regards, ta main dans celle du garçon devenant toute moite en réaction. Tout ce qui n’est pas normal te fout la trouille totale alors sentir et voir ça, c’est le pire que tu peux avoir à l’heure actuelle. Tu as bien envie de te caler dans un coin pour ne plus y bouger, mais tu suis Aylan qui a l’air parfaitement assuré dans l’endroit où vous allez. Heureusement, ça te rassure un petit peu de le voir aussi calme. Ça t’aide à ne pas craquer et juste pleurer de nouveau. Ça serait dommage, tu viens d’arrêter.

Te voilà devant chez lui. Tu hésites fortement avant d’entrer dans son antre, tes yeux s’illuminant énormément en voyant l’intérieur de son appartement. C’est tout coloré, c’est si beau ! Tu ne pensais pas que ça pouvait être aussi bariolé dans la maison de quelqu’un. A croire que ce garçon aime beaucoup être original. Bah oui, partout où tu as été jusqu’à présent, c’était classique en soit. Tu te perds à regarder partout pour tout voir. Ta curiosité fait que tu oublies momentanément ta tristesse et que tu rentres dedans. L'avantage, c'est que tu n'as pas mis tes chaussures donc même pas besoin de les enlever.

Tu n'oses pas trop bouger au début, trop impressionnée par tout ce qu'il y a ici, mais tu te dis que tu peux au moins aller sur le genre de canapé quand tu le vois ôter ses chaussures. Tu y vas, regardant juste Aylan pour t'assurer que tu en as vraiment le droit. Une fois sur le canapé, tu n'y bouges plus, mettant ta peluche contre toi avant de ramener tes genoux à toi et de poser ta tête dessus, les enserrant. C’est calme et ça fait du bien, vraiment beaucoup de bien de se poser à un endroit en sécurité. En tout cas, tu le vois comme ça toi. Maintenant, tes yeux ne quittent plus le jeune garçon, l’observant derrière ta frange.

- C-c-c’est t-toi q-qui a f-fait la d-écor-ration ?

Tu aimes beaucoup. Toi aussi tu veux une chambre avec plein de couleurs. Ça met de la joie et c’est trop bien ! Vraiment, tu adores et ton petit sourire timide le prouve bien, que tu aimes cet endroit qui te met plutôt à l’aise. Il est original, mais il est vraiment plaisant.

__–Il était vrai que, à bien y réfléchir, visiter un couloir d’initiés n’était pas idéal pour une novice apeurée. Cela dit, l’autre possibilité pour accéder à la chambre d’Aylan requérait d’escalader les murs, ce qui était une option à exclure. Cela dit, peut-être qu’avec un baudrier et un treuil électrique, Aylan aurait pu la hisser sans qu’elle eût à fournir quelque effort ? Et se hisser lui, à l’avenir. Si dé-escalader était facile, remonter l’était sensiblement moins.
__–Il se promit d’y réfléchir.
__–Enfin, pour le moment, il avait d’autres soucis autrement plus urgents, comme s’assurer que les règles de l’hospitalité étaient suivies à la lettre. Aylan lui indiqua le canapé-lit, sur lequel elle s’assit sans se faire prier. Il sourit. Elle semblait déjà plus à l’aise.
__–« Oui, j’ai tout fait ! Enfin presque tout, la machine à laver et le frigo ils étaient trop lourds j’ai demandé à des gens de m’aider mais c’est allé vite. Tiens, si tu veux y’a mon ordi là, genre si tu veux écouter de la musique, regarde. »
__–Il prit une souris bluetooth, ralluma ses écrans et indiqua un fichier sobrement intitulé musique, qui contenait une foultitude de fichiers .mp3, dûment piratés, reconnaissables à l’icône de plot de signalisation de VLC. Le bureau numérique d’Aylan était à l’image de sa chambre : impeccablement rangé. Chaque piste était classée par album et auteur dans un sous-dossier, affichée sous forme de liste détaillée indiquant interprètes, style, année de sortie et autres informations utiles. Il y avait du Daft Punk, du Alestorm, une quantité considérable de bandes originales de films et de jeux vidéos.
__–Mais ils n’étaient pas là pour ça ; plutôt pour se sustenter en plaisirs sucrés. Aylan se dirigea donc vers une de ses caisses à provisions. (Aucune n’avait d’étiquettes pour rappeler leur contenu, mais le petit Air connaissait par cœur leur contenu en fonction de leur placement, aussi n’avait-il nul usage d’un système de notation dans ce cas là.) Il en sortit un assortiment de tablettes : le Crunch et les Kitkat promis, mais aussi des produits typiquement japonais. Il sortit au passage un plateau à pieds dépliable, le plaça non loin d’Aéna et y disposa ses réserves.
__–« Tu veux boire quelque chose ? J’peux te faire une tisane à la menthe si tu veux. »
__–En tout cas, il s’en ferait une pour lui. Aylan sortit sa théière, mit de l’eau à bouillir et alla cueillir quelques feuilles.

Tu regardes l’ordinateur, mais ce n’est pas vraiment ton truc. Tu sais t’en utiliser sans problème, tu prenais celui de ton père, mais tu préfères les cahiers et crayons de couleur, c’est bien plus agréable selon toi. C’est sûr que tu ne seras jamais une hackeuse dans cette vie. Ce n’est décidément pas ce que tu préfères, mais peut-être que tu pourras faire un vrai joli dessin à Aylan qu’il pourra accrocher à son mur, avec plein de couleur pour aller avec tout ce qu’il y a ici. C’est une idée qui te prend et tu espères sincèrement l’avoir encore en tête demain matin. Enfin, si jamais c’est un cadeau qui peut plaire à ce garçon. Tu n’en es pas sûre par contre…

Bref, tu t’approches de l’ordinateur pour cliquer sur un truc au hasard. C’est sur Daft Punk que tu tombes, mais ça te va. Tu ne connais pas, mais tu aimes bien ce que tu écoutes actuellement. Et puis, si c’est sur son ordinateur, c’est que ça lui plaît et vu qu’il est gentil, tu estimes que c’est le plus important. Ce n’est peut-être pas un monstre ni un cambrioleur en plus, puisqu’il a une chambre ici. Enfin, ça ressemble plus à un appartement et c’est si plaisant d’être ici. Il n’a que deux ou trois ans de plus que toi, tu ne sais plus trop, et il a déjà droit à un lieu comme ça.

- M-moi aussi, j-j’aurais d-droit à une chamb-bre ?

Tu es un peu plus rassurée donc tu bégayes un peu moins même si ce n’est pas encore ça et que tu retournes bien vite sur le canapé pour t’y blottir avec ta peluche bien contre toi. En plus, tu as parlé, de toi-même en premier, c’est beaucoup venant de la petite timide que tu es. N’empêche que si tu as un jour le droit à une chambre, tu veux absolument que ça ressemble à ça. Tout plein de couleur partout, ça serait génial ! Tu crois que Aylan serait d’accord pour te la décorer ? Ça serait encore mieux ! Au moins, ça te donne un petit sourire malgré tes yeux tout rouge d’avoir autant pleuré.

Yeux qui s’illuminent quand il met à côté de toi toute sa réserve. Toi, tu ne vois que le chocolat qu’il t’y met et que tu prends avec timidité. Un kitkat que tu ouvres pour le manger aussitôt, comme si on allait te le voler. C’est que ça fait du bien de manger du chocolat… Tu hésites un peu avant d’en prendre un deuxième pour ne pas lui enlever toutes ses réserves. C’est qu’il a l’air d’en avoir des tonnes, mais quand même… Tu regardes avec envies tout le reste avant de relever les yeux à sa question.

- L-l-le t-thé c’est p-p-pour les gr-gr-grands.