__–Les Daft Punk, un excellent choix, qu’Aylan commenta d’un sourire et d’un pouce levé à l’attention d’Aéna. (Que ce fût effectivement un choix plutôt qu’une pression sur un titre au hasard, mieux valait laisser le bénéfice du doute dans l’esprit de notre protagoniste.)
__–Concernant la question de sa visiteuse, Aylan eut d’abord deux réflexions. D’une part, qu’il constatait qu’elle s’ouvrait un peu plus, qu’elle prenait la parole pour autre chose que répondre à des questions ou exprimer des peurs, ce qui était un fort bon début. D’autre part, qu’elle semblait avoir intégré, et même, témoignait une certaine envie à cet égard, l’idée qu’elle était désormais terraenne et vivrait dans ces murs. La réponse, toutefois, devait être précise et réfléchie, aussi Aylan prit-il un petit instant pour répondre. Et afin de masquer cela, il ouvrit immédiatement une de ses caisses pour y chercher quelque chose. Il n’avait rien en quête en vérité, mais cela lui donnait le temps de réfléchir de manière naturelle :
__–« Ah attends deux secondes hein ! Non… C’est pas là… Ok c’est pas grave. Ta propre chambre ? Alors, si tu veux en avoir une, oui, bien sûr ! Si tu veux je pourrai t’aider à installer tous les meubles que tu veux ! Et puis tu vois moi j’ai un frigo et tout mais après t’en fais pas, y’a une cafétéria et elle est super bonne en vrai, donc t’en fais pas, tu devras pas non plus tout faire comme les adultes si t’as pas envie ou si tu sais pas. Puis tu pourras venir chez moi et je pourrai t’aider si tu veux ! »
__–Ou chez virtuellement n’importe quel adulte, ou plus précisément chez ses préfets, mais Aéna le saurait en temps utile et elle ne semblait pas être du genre à aller chercher le contact d’elle-même.
__–Sur ces entrefaites, son hôte se précipita sur les chocolats d’Aylan et commença à en dévorer un, puis il sembla qu’il y eut une légère incompréhension…
« Ah non, c’est pas du thé. Enfin, je pourrai t’en faire si tu veux, c’est peut-être pour les grands en Espagne mais dans mon pays nan, tout le monde peut en boire. Mais que demain, parce que t’façons le thé c’est pas bien le soir parce que ça excite. Comme le coca, tu sais. »
__–Enfin, le coca était aussi une boisson de chiens capitalistes, à en croire Miguel… Et les cheikhs d’Al-Qaïda, mais pour des raisons bien différentes. Et à y réfléchir, le chocolat entrait aussi dans cette catégorie, mais passons.
__–« Là c’est juste une infusion à la menthe. Regarde, y’a que des feuilles de menthe et de l’eau et on pourra mettre du sucre si tu veux. »
__–Comme il était à l’autre bout de la pièce, alors que l’eau bouillait, il alla s’asseoir à côté d’Aéna, une feuille dans la main, qu’il lui présenta.
__–« T’as vu comme elle sent bon ? Frictionne-la un peu entre tes doigts et sens. C’est Luna, une amie à moi qui est Terre qui me les a offertes. Elle les a faite pousser toute seule par magie, parce que les Terres ils ont ma magie des plantes et tout. »

Aylan a l’impression d’aimer la chanson que tu as mise au hasard et ça te rassure un peu. Au moins, tu ne t’es pas trompée. Toi, tu ne sais pas trop si tu aimes, c’est un peu particulier, mais tu supposes que ce n’est qu’une question d’habitude que d’écouter ce genre de musique. Tant qu’elle plaît au garçon, ça te va parfaitement.

Tu le regardes chercher quelque chose dans ses grosses caisses, curieuse de savoir ce que c’est, mais tu ne demandes pas, encore trop timide pour poser trop de questions à une personne que tu ne connais pas. Ça ne fait que quelques minutes que tu le connais alors tu ne peux pas dire que tu lui fais confiance et tout. Non, tu préfères te taire même si tu regardes attentivement ce qu’il fouille et ce qu’il peut en sortir. Oh non, il n’a pas trouvé. Dommage, tu voulais savoir toi. Tant pis, il trouvera peut-être ailleurs que dans cette caisse s’il continue de chercher, mais il préfère répondre à ta question.

Lui, c’est sûr, c’est un gentil monstre ! Mais du coup, est-ce que tu as le droit d’être amie avec lui ? Tu espères que oui parce que tu as envie qu’il soit ton ami ! Il est gentil avec toi même s’il a été bizarre au début en rentrant dans la grande salle par la fenêtre plutôt que par la porte. C’est étrange, mais ça semble être normal pour lui en tout cas. Ça fait peur par contre. Les gens ici sont vraiment bizarre ! Bref, il pourra t’aider et ça, c’est trop bien !

- J-je veux u-une chambre comme t-t-toi ! El-l-le est t-t-trop bien !

Ça, c’est dis, tu adores sa chambre et tu veux la même ! Avec encore plus de chocolat parce que c’est ce que tu aimes le plus en guise de nourriture. Ça, ça sera le plus dur à gérer pour toi, si on enlève la présence des monstres. Tu pourrais te nourrir que de chocolat sans aucun problème même si les médecins ne sont pas d’accord à cause de tes petits kilos en trop, mais c’est trop bien le cacao ! Tu veux trop avoir une grosse réserve que tu pourras manger dès que tu en auras envie ! Voui, tu veux une chambre à toi qui sera trop bien !

Le thé pour les enfants ? Tu n’en as tellement pas l’habitude que ça te semble très bizarre. Tu sais qu’ici, les gens viennent de partout alors peut-être que lui vient d’un pays bizarre qui fait que le thé est pour tout le monde, mais ça veut dire que c’est différent partout ? Tu n’as jamais pris cette possibilité en compte, pensant que c’était partout pareil.

- J-j-je v-veux bien g-g-goûter. Ç-ç-ça sent b-bon.

Tu fais comme il te dit en frottant la feuille de menthe entre tes mains pour que tes doigts sentent aussi la menthe et tu aimes beaucoup. L’odeur est trop bien ! Ça fait tout frais. Tu crois que du chocolat à la menthe, ça existe ? Ça se tente comme mélange même si ça doit être bizarre au début. Le fait qu’il te parle de magie te rebute un peu. Tu n’aimes pas ça du tout !

- V-veux pas être m-m-magi-i-cienne !

Mais alors pas du tout. Toi, tu veux être normale et non devenir un monstre. Aylan est la preuve qu’il peut y en avoir des gentils, mais quand même, ce n’est vraiment pas quelque chose que tu veux être. Ça te fait peur, très peur. Tu ne sais pas trop comment ils font pour avoir leur magie, mais toi, tu refuses de le faire ! En même temps, tu viens d’arriver ici et tout ça te semble si spécial, si anormale. Enfin, c’est ainsi que ça se passe ici visiblement…

- J-je v-v-veux p-pas être un-un monstre !

Tu insistes sur le dernier mot, persuadée que la magie, ça fait devenir monstre !

__–La tisane infusait doucement. Dans quelques minutes, elle serait prête. Aylan alla s’asseoir à côté d’Aéna.
__–Un monstre, la magie… Il pouvait voir le lien. Bien des monstruosités avaient été accomplies par la magie. Bien des magiciens étaient des monstres. Mais enfin, Aéna ne pouvait pas savoir cela. Sa peur n’avait pas les mêmes racines que la sienne ; elle n’était qu’une enfant perdue, loin de chez elle, dans un lieu étrange.
__–Aylan posa sa main sur l’épaule de la petite.
__–« T’inquiètes, y’a pas de monstres, ici. Je le sais, j’en aurais vu… Y’a que des gens bizarres, mais qui sont pas méchants du tout. J’suis sûr personne t’a jamais invité chez lui manger du chocolat et boire des trucs quand t’étais triste et que tu pleurais et tout. Ben… Ici tout le monde est un peu comme moi, quoi. »
__–À y réfléchir, peut-être pas exactement.
__–« Enfin, après y’en a pas mal qui auront pas forcément le temps pour t’aider quoi, mais c’est tout en vrai. Je sais pas pourquoi t’es là, mais… C’est pour une raison. Et tout le monde est là pour une raison. Du coup on s’aide tous. Après, tu pourras partir, si tu veux, si ça te plaît pas… Mais j’ai pas envie, t’es sympa et tout, j’aimerais bien que tu restes. »
__–C’est vrai quoi, pour une fois qu’il rencontrait et se liait d’amitié avec quelqu’un de son âge.

Tu sursautes un peu au contact. Ce n’est pas qu’il t’a fait peur, mais plutôt que tu ne t’y attendais pas. Toi, tu le trouves gentil Aylan, un gentil monstre. Peut-être même qu’il pourrait te prouver que la magie, ça ne veut pas dire devenir un monstre, mais ça, c’est encore à un autre stade de relation. Là, juste, tu te dis que tu le veux vraiment en ami !

- T-t-tout le m-m-m-monde est gent-t-til ? I-i-il n’y a-a-a p-p-pas de méch-ch-chants m-m-monstres ?

Il a dis que tout le monde est comme lui. Et puis, c’est vrai. Personne ne t’avait jamais invité à manger du chocolat avant ni à boire une boisson que tu ne connais pas. Si tout le monde est comme lui, ça ne peut qu’être rassurant même s’il va te falloir plus qu’une simple discussion pour en être sûre et rassurée. Le temps te sera un bon ami en attendant que ton papa vienne te chercher. Parce que tu es sûre qu’il va venir quand tu l’auras eu au téléphone pour lui dire que tu veux rentrer !

- C-c’est q-quoi ta rais-son ?

Tu ne comprends pas trop ce que ça veut dire, avoir une raison. À tes yeux, tu es là parce que ton papa ne savait pas quoi faire pour t’aider à calmer cette sensation bizarre que tu as. Tout le monde ne peut pas avoir cette raison parce qu’il y a des adultes, c’est sûr !

- T-t-t-tu v-v-v-veux êt-t-tre m-m-mon am-m-mi ?

Tu bafouilles un peu plus en rougissant fort parce que ça veut dire qu’il serait ton tout premier ami et que ça te fait bizarre de demander ça. Après, tu sais qu’il peut refuser et ça te fait peur alors instinctivement, tu serres un peu plus ta peluche contre toi, comme une barrière, en baissant la tête pour que tes cheveux cachent ton visage. Oh, s’il dit non, tu ne vas pas pleurer, mais tu seras toute triste, c’est sûr !

__–Aylan eut un petit sourire. Cela faisait longtemps qu’il n’avait pas rassuré une plus jeune que lui. Et cette fois-ci, c’était pour de bonnes raisons, c’était pour lui dire que tout irait bien. Et cette fois-ci, ce serait vrai.
__–« Non, il n’y en a pas. »
__–Aéna arriva à la question qu’il aurait voulu qu’elle ne posât pas. Il était, bien entendu, tout à fait exclu de lui dire quoi que ce soit qui s’approcherait de la vérité. Lui raconter une vie à porter les armes, arpenter le désert et la savane, dormir dans des villages occupés, des camps et des bases, ne jamais être loin d’une arme à feu et l’utiliser à plusieurs occasions… Ce n’était pas vraiment racontable.
__–Aylan hésita. D’un côté, il savait qu’il ne pouvait pas lui dire cela, de l’autre, il savait qu’il ne pouvait pas mentir.
__–Et puis, aurait-il su le raconter à lui-même, en vérité ? Les onze années passées dans les griffes du Centre, cela avait été sa vie. Que pouvait-il dire ? Il ne savait pas par où commencer, encore moins comment rendre cela intelligible, ou ne pas terrifier Aéna. Il aurait pu dire qu’il avait été chez des monstres, que Terrae l’avait sauvé et les avait ensuite combattus. Ce ne serait pas faux, mais jamais Aylan n’aurait pu tout à fait dire que ces êtres humains avec qui il avait été étaient des monstres. Certains étaient monstrueux, certes, mais d’autres s’étaient montrés assez amicaux et, en fin de compte, la vaste majorité était indifférente ou devait simplement obéir à des ordres. Elle le faisait sans rechigner, certes, mais aussi sans zèle. Ils n’étaient que des rouages. Bien peu étaient profondément mauvais, ou corrompus, ou monstrueux : ils étaient pour la plupart des victimes d’un système qui les avait capturé dès leur plus jeune âge, ou des employés qui avaient une famille et des enfants.
__–« Tu sais, je crois pas que les monstres existent. J’crois qu’il y a que des gens. Que certains sont sympas et d’autres non. Mais ce sont juste des gens. Disons que j’ai connu beaucoup de gens. Certains très sympas et d’autres qui étaient les pires. Et que, maintenant, j’ai pu m’éloigner d’eux et sauver ma famille. Enfin, presque toute ma famille. J’en ai encore qu’il faut aller chercher. »
__–Il se tourna vers Aéna et lui caressa le dos. Il n’osait pas encore lui faire un câlin, déjà il fallait qu’elle acceptât un contact physique.
__–« Bien sûr que j’veux bien. »

- P-p-promis ?

Toi, tu as très envie de le croire parce qu’il a l’air tout gentil Aylan et que les tout gentils, normalement, ils ne mentent pas. Il ne va pas te mentir, pas vrai ? Tu le regardes avec tellement d’espoir dans les yeux cachés derrière ta frange. C’est la première personne que tu rencontres ici et si tout le monde est comme lui, ça ne peut qu’être un bon endroit. Tu veux toujours en partir, mais l’attente de l’arrivée de ton papa sera moins longue.

À ta question, tu remarques qu’il est long à répondre. Est-ce qu’il y a des raisons qui font mal ? Tu ne sais pas puisqu’en fait, tu n’as pas non plus vraiment compris ta propre question, pas correctement du moins. Pour toi, ta raison, c’est que ton papa n’a pas trouvé de médecin qui t’aide à passer la douleur que tu ressens et aussi ta peur de dormir. La vraie raison est Heinas, le fait que tu l’as vu morte sans le comprendre, sans même comprendre qu’elle venait juste de se suicider sous tes yeux. Non, tout ça, toi, tu ne l’as pas compris, mais c’est bien ça.

- C’est faux ! P-p-parfois, il y a-a les m-m-mons-s-stres s-sous le lit ou-ou-ou dans l-l-les bois, c-c-c’est pap-p-p-pa qui l’a d-d-dis et eux, i-i-ils font s-s-super p-peur.

Bon, le monstre sous le lit, ce n’est pas ton papa qui l’a dis, mais ceux dans les bois, oui, pour te protéger et te faire peur, t’interdisant d’y aller. Enfin, ça, c’était pour les vacances parce qu’à Valence, il n’y a pas vraiment de forêt non plus… Il n’empêche que tu comprends qu’il n’est pas très très bien ton ami alors tu lui fais un gros câlin pour le réconforter. C’est bien comme ça qu’on fait, non ?

- J-j-je v-veux t-t’aider à ch-ch-cherch-cher ta f-f-fam-mille !

Bah oui, les amis, c’est fait pour aider. C’est ce que Heinas t’a toujours dis. Les amis, c’est comme la famille, c’est très important alors il faut aider. Et Aylan est ton tout premier ami alors évidemment que tu veux l’aider. Et puis, avec sa famille entière, il sera tout heureux et c’est important. C’est comme toi avec ton papa quand il va venir te chercher. Tu le relâches et prends un chocolat que tu tends à l’autre enfant parce que le chocolat, ça fait toujours du bien !

__–Aylan se fit prendre dans les bras avec bonheur.
__–« Promis. Pis t’façons je suis là hein, si t’as peur d’un truc tu viens me voir, d’accord ? »
__–Non, vraiment, les impressions de déjà vu se multipliaient. Combien de fois avait-il entendu son grand-frère Miguel dire de telles choses, à lui et aux autres.
__–« Hm, je sais pas… Sûrement qu’ils font peur hein, mais c’est pas forcément des monstres. Peut-être que ce sont juste des gens, ou des animaux, ou des trucs qui sont pas forcément méchants. Tu sais pas tant que tu leur a pas demandé. Si ça ce trouve, ils sont seuls et ils ont peur eux aussi et c’est pour ça qu’ils se cachent dans des endroits sombres où on pourra pas les retrouver. Un peu comme toi quand tu m’as vu à la fenêtre, tu t’es cachée dans un coin, puis j’étais dans l’ombre et tout, mais on était pas méchants en fait. »
__–Sa dernière remarque lui fit avoir un autre sourire un peu triste. Si seulement c’était aussi simple. Il prit le bout de chocolat et le croqua. C’était toujours aussi agréable.
__–« Merci. Oh, la tisane est prête. Tiens, attention c’est encore chaud. »
__–Il retira les feuilles de menthe, qu’il déposa dans un petit ramequin et indiqua sa tasse à Aéna. Lui-même rajouta dans la sienne deux bonnes cuillers de sucre.
__–« T’en veux ? Puis, tu veux dormir où ce soir ? Parce que, il est super tard déjà hein, puis peut-être que t’as pas envie de retourner au dortoir. Si tu veux tu peux dormir ici, t’as vu j’ai deux matelas. »
__–En effet, ils étaient assis sur deux superposés, qui constituaient le corps du canapé.

Oh, alors tu peux compter sur Aylan. Lui aussi, il peut compter sur toi ! Tu vas essayer d’être encore plus forte pour qu’il puisse avoir ton aider quand il en a besoin. C’est peut-être plus compliqué dans ce sens parce que tu es plus petite et surtout, tu restes bien plus faible que lui physiquement. Et même intellectuellement, tu n’as pas toutes les connaissances que lui a ce qui est normal puisque tu es plus petite… Mais tu veux quand même être là en cas de soucis pour lui, parce que c’est ainsi que font les amis, non ? Toi, tu veux être la meilleure des amis ! Genre, la meilleure des meilleurs ! Bon, tu n’as pas d’expérience par contre…

- Toi aussi !

Tu le dis avec tellement de spontanéité que tu ne bégayes pas, le pensant sincèrement. Il va falloir que tu apprennes beaucoup de choses, mais tu veux absolument que tes amis puissent venir te voir quand ils ont besoin, comme toi tu allais voir Heinas !

- J-j-je d-dois demand-der au m-monstre s-s-sous le l-l-lit ?

Oulà, ça ne va pas être simple de faire cet effort, mais comme tu es une petite fille plutôt silencieuse, ça devrait le faire pour arriver à te mettre sous le lit et demander directement au monstre… Mais s’il est méchant ? Genre, vraiment méchant, ceux qui veulent faire du mal. Non, tu es sûre que tu es capable de gérer ça et de te faire grande !

Tu fais un joli sourire à Aylan, le remercie en regardant la tisane. Est-ce que tu vas aimer ça ? Tu ne sais pas, mais ça a l’air d’être bon et puis, ça sent trop bon déjà ! Tu crois que ça existe au chocolat ? Ça serait parfait ! Tes petits doigts tout potelets viennent toucher la tasse par curiosité et oui, c’est très très chaud. Plus qu’à attendre que ça refroidisse un peu.

- V-voui ! T-toi auss-ss-ssi tu aim-mes le s-s-sucre ?

La meilleure des choses au monde, le sucre. Juste après le chocolat. Ça, ça ne bougera jamais de sa première place alimentaire. Tu prends le temps de réfléchir un peu à sa proposition. Ta première nuit ici, avec ton premier ami, ça peut être une bonne idée, non ? Tu lui fais donc un sourire tout timide parce que c’est quand un peu dur pour toi de répondre.

- T-tu v-veux bien ? C-c-c’est m-m-ma prem-mière nuit i-c-c-ci.

__–« Bah ouais tu peux… Bon après chez moi y’a pas de monstres sous le lit hein, ils pourraient pas se cacher dessous, t’as vu, parce que y’a pas de sommier. Puis bah, si t’as vraiment peur, comme c’est imaginaire, t’as qu’à prendre un truc imaginaire pour te défendre, comme… je sais pas moi… Ton loup par exemple ! »
__–Il montra la peluche d’Aéna.
__–« C’est méga féroce un loup, il te protégera mieux que beaucoup d’adultes. »
__–Pour revenir à la tasse, Aéna semblait apprécier le breuvage, ce qui emplit Aylan d’une certaine satisfaction : il ne doutait pas qu’il savait bien la faire – ce n’était pas comme si c’était particulièrement compliqué –, mais il était toujours heureux de voir que ce qu’il préparait avait du succès.
__–« Oui, j’aime trop ça, ah ah. D’ailleurs ’faudra qu’on se brosse les dents, hein ! Parce que bon c’est nul d’avoir des caries, quand-même. Je suis sûr j’ai une brosse neuve de rechange, t’en fais pas. Puis ouais bien sûr que tu peux rester chez moi, pas de soucis. Demain j’ai cours par contre, du coup je vais devoir me lever tôt, sinon y’a ma copine qui va venir me chercher et j’veux pas trop l’embêter. »
__–Et puis, même si Lola était fort gentille, il lui arrivait d’entrer sans trop de ménagements. Et puis, elle était aussi quelque peu terrifiante, par moments. Non, vraiment, ce n’était pas une excellente idée que de la faire rencontrer une Aéna déjà retournée par tout ce qui l’entourait à l’Institut dans des telles conditions.
__–« Mais t’inquiètes hein, t’façons chez moi c’est pas compliqué. Là t’as le frigo, où t’as du lait, t’as des yaourts, t’as plein de trucs. Et juste à côté les caisses là, je mets toute ma nourriture dedans. Tu pourras prendre ce que tu veux pour ton petit déjeuner, si tu te réveilles après moi. T’as du chocolat stuveux. Ou sinon, tu pourras juste aller à la cafétéria, t’sais c’est là où on s’est rencontrés quoi, puis t’auras des adultes qui te donneront ce que tu préfères. Je ferme jamais la porte, donc en vrai si tu veux passer chez moi, tu fais comme tu veux, d’accord ? J’veux juste pas que tu touches à mes outils qui sont sur la bâche bleue là-bas, parce que y’en a qui coupent super fort. Et aussi que tu me demandes avant si tu veux utiliser mon ordinateur. J’pourrai te créer une session mais par contre je suis sous Linux, après je pourrais faire tourner sous une version qui ressemble à Windows 11, si… »
__–Il interrompit son monologue. À dix ans, il était rare que des enfants connussent les différents systèmes d’exploitation.
__–« Enfin bref, le plus simple c’est que tu me demandes parce qu’il est pas facile à utiliser, quoi. »

- M-m-mais i-il est t-t-tout p-petit.

Il est juste assez gros pour faire la taille de ton torse entier alors ce n’est pas d’une taille assez grosse pour faire peur à un monstre, quelque soit le monstre. Il faudrait un vrai loup ou un long géant, t’en es sûre. Tu crois qu’Aylan a des problèmes avec la grosseur des objets ou qu’il imagine les monstres tout petit ? Peut-être, mais ça serait étrange. Quoi qu’il a l’air d’avoir peur de rien ce qui t’intimide un peu parce que tu le trouves trop cool ! Toi aussi, tu veux ne plus avoir peur du tout, mais ça, c’est assez compliqué, surtout en ce moment. Tu crois que si tu restes souvent avec lui, il te fera perdre toutes tes peurs ? Mais tu ne veux pas le déranger…

- Voui ! Ç-ça fait m-mal des c-c-caries.

Comme probablement tous les enfants, tu en as déjà eu et tu ne veux pas en avoir d’autres parce que tu as super mal avec des caries. Et comme le dentiste te fait super peur, tu ne dis rien et tu souffres en silence jusqu’à ce que soit au point de ne plus pouvoir manger de chocolat ce qui veut dire que c’est déjà dans un état catastrophique. Enfin bon, tu n’es pas contre un brossage de dents pour ne plus avoir de caries dans ta vie de gourmandes.

- T-t-t-ton am-m-mour-reuse ?

Tu prends la tasse qui a un peu refroidis dans tes mains pour venir y tremper tes lèvres. C’est vrai que c’est bon quand même. Avec la dose de sucre qui a été mise dedans, ça ne peut en être autrement de toute façon. Tu vas en profiter autant que possible. Et puis, c’est encore un peu chaud pour toi.

Tu écoutes avec attention tout ce qu’il te dit pour demain matin. Le frigo pour le petit déjeuner sera parfait, mais tu ne veux pas le dévaliser alors tu risques de ne pas oser piocher dedans, comme d’habitude. Au moins, c’est sûr que tu ne vas pas toucher à ses outils. Tu vas probablement regarder un peu par curiosité, mais tu ne veux absolument pas qu’il regrette de t’avoir gardé cette nuit. Tout sera comme ce soir, sans aucun changement que tu pourrais faire. Aylan peut te faire confiance et tu comptes bien lui prouver. Et puis, si tu te fais sage, ça restera ton ami et tu tiens beaucoup à ça car même si c’est un monstre, c’est un très très gentil monstre.

- Promis ! J-je t-t-touche à ri-rien d-du tout.

Mais tu regarderas, c’est tout. Toi, petite Aéna, tu seras plus sage que sage, c’est sûr. Bon, tu n’as rien compris à son truc de Linux ou Windows, mais tu te dis que c’est une raison de plus pour ne rien toucher.

- T-t-tu rép-pares les ob-bjets cass-ss-ssés ?

__–Aylan aurait bien un commentaire à faire sur l’inanité qu’il y avait à établir une relation entre la taille et la dangerosité – après tout, il avait lui-même tué plus de personnes qu’il n’y avait de phalanges dans cette pièce –, mais il se ravisa de le formuler en ces termes.
__–« Oh bah euh, oui il est pas trèèès grand, mais c’est un loup, il doit être super courageux quand-même hein. »
__–Aéna lui posa d’autres questions. Ou plutôt, elle mit le doigt sur quelque chose, qui lui fit avoir un petit sourire gêné et se rosir ses joues :
__–« Euuuh, oui, c’est mon amoureuse, c’est ça voilà, ah ah. »
__–Il fallait simplement qu’elle le sût. Si ce n’était pas déjà le cas. Qu’ils se l’avouassent, disons. Qu’ils comprissent ce que cela pouvait bien signifier, à tout le moins.
__–Les tasses se vidaient doucement. Aylan avait quitté sa chambre parce qu’il la trouvait trop vide, trop silencieuse. Peut-être que c’était lui, qui avait besoin d’une présence rassurante, autant qu’Aéna de son doudou ? Il ne pouvait pas l’exclure.
__–« Hmm, ouais, j’en répare, puis j’en fabrique aussi ! Par exemple, euh… »
__–Ses grenades fumigènes ? Son grappin ? Son kit de crochetage ? ses versions piratées de manettes de jeu ? Que prendre en exemple…
__–« … Mon skate ! Tu sais pour changer les roues et puis entretenir le revêtement et tout quoi. J’aimerais bien avoir une machine à coudre et puis un fer à souder et une imprimante 3D et une meilleure perceuse mais booon c’est des sous tout ça quoi. »
__–Une fois les thés consommés, Aylan prit les tasses, les plateaux, lava les premières et rangea les seconds. Il demanda ensuite à Aéna de bien vouloir se lever et tira le matelas du dessus.
__–« Voilà ! Tiens, t’as ta brosse à dent qui est là… Puis t’as des draps et une couverture qui est là… Tu peux me prendre des oreillers hein, j’en ai toujours plein mais je les utilise pas tous pour dormir. Oh et euh, si tu veux pas dormir dans tes vêtements, je peux te prêter un jogging et un t-shirt si tu veux. Bon ils seront trop grands mais c’est pas grave pour des pyjamas. Tu pourras juste aller te changer dans les toilettes puis voilà. »
__–Aylan réfléchissait aussi vite que possible. De quoi est-ce qu’une enfant pouvait bien avoir besoin pour dormir… Forcément, lui ne serait pas allé au lit sans Lola dans ses bras, Miguel près de l’entrée, Liz à portée de vue, Brad probablement assommé et un pistolet sous l’oreiller, mais ce n’était pas un référentiel idéal.
__–« Ah bah si attends. »
__–Il alla chercher une grosse maglite, dont la taille était comparable à celle de l’avant-bras d’Aéna.
__–« Voilà, si tu veux te lever pendant la nuit ! ’faut juste que tu mettes le réglage sur la puissance minimale, comme ça. »