J'étais dans la douche depuis quoi... 30 minutes ? L'eau chaude me réchauffait le corps et l'esprit. Je n'avais pas envie d'en sortir, mais il allait bien falloir éventuellement. J'arrêtai le jet et fut accueillie par la froide température de la salle de bain en sortant. Je m'empressai de me couvrir d'une serviette. Je m'essuyai vite fait, la laissai tomber au sol, puis me plantai devant le miroir.

Mon regard fut attiré par la blessure sur mon bras droit. Le cicatrisation n'était pas encore terminée, donc j'avais encore des points de suture bien visibles. Je passai mes doigts dessus, comme je le faisais souvent. Je ne savais pas trop pourquoi. Puis, je pris mon sèche-cheveux et ma brosse pour me coiffer. J'avais besoin de retouches : on voyait des cheveux noirs sur le haut de ma tête. Bah, ça pouvait attendre à plus tard.

Depuis la mission au Centre, je ne travaillais plus. Je me reposais. Je dormais énormément, jouais à des jeux vidéo, écoutais la télévision... Et j'attendais de me sentir mieux. Au début, mon cerveau n'avait pas tout de suite capté la gravité de ce que j'avais vécu. Pendant les cinq premiers jours, lorsque j'y pensais, c'était comme si je regardais un film. Que ça ne m'était pas réellement arrivé. Pas à moi.

Il finit par réaliser. Et depuis, je passais des journées interminables et des nuits occupées par des cauchemars. Les images des corps mutilés et calcinés me revenaient à l'esprit. C'était en partie de ma faute. J'avais tué des gens. Ah et aussi, j'aurais pu y passer. Parfois, j'avais l'impression d'entendre de nouveau les détonations des mines et des grenades. Les tirs des mitrailletes aussi. Foutue imagination.

Je reçus un message de la part de Pandora. Elle me proposait d'aller boire un café avec elle. Tiens, je voulais justement prendre de ses nouvelles. J'avais été occupée par 1) ma guérison, 2) essayer de ne pas perdre la tête et 3) être parano à cause de l'ex de Bito. J'acceptai sans hésitation. Je m'inquiétais pour elle. On se côtoyait au travail et je l'aimais bien, mais nous n'étions pas vraiment amies. Depuis la mission, par contre... Je me sentais soudainement beaucoup plus proche d'elle.

J'enfilai un pantalon noir et une chemise blanche avant de me maquiller vite fait. En attendant que ce soit l'heure, j'écoutai de la musique et parlai avec mes parents. Quand ils avaient appris que j'avais enlevé des vies, ils avaient flippé. Ils se faisaient du souci pour ma santé mentale. Avec raison. Parlant de ça, c'était étrange que je me sente dégoûtée d'avoir tué, mais en même temps, je ressentais un certain niveau de... satisfaction. C'était pas contradictoire ?!

J'arrivai au café avant Pandora. Je me posai près de la porte et jetai un oeil aux réseaux sociaux. Après quelques minutes, j'aperçus la jeune femme au loin. Elle s'approcha et me sourit faiblement. Je fis de même.

— Salut, oh pas de souci c'est pareil pour moi... Je suis contente de te voir aussi. Je vais euh... pas super bien, j'vais pas te mentir. Et toi alors ?

Vu sa tronche, elle ne devait pas péter la forme non plus.

Pandora était dans un état similaire au mien. Elle s'exclama qu'en rentrant, elle avait dû étudier pour des examens. Ouf, pas sympa comme retour. M'enfin, dans son cas ça semblait plutôt être une bonne chose, vu ses mots ? Ça lui avait occupé l'esprit. Mais, à bien y réfléchir, ça avait juste repoussé l'inévitable.

— Pareil... Peu importe ce que je fais dans ma journée, mon cerveau revient toujours sur la mission. Et ça, ça aide pas, dis-je en pointant ma blessure et mes points de suture.

Elle ajouta que c'était en partie pour qu'on puisse discuter de ce qui s'était passé qu'elle avait proposé cette sortie. Elle avait du mal à parler de la mission à des gens qui n'y avaient pas participé. Ouais, je comprenais le sentiment... Puis, on décida de rentrer à l'intérieur pour continuer notre conversation. J'allai aussitôt au comptoir pour commander un mocha et une amandine. Ça me ferait du bien d'ingérer du sucre tout en parlant de ce sombre sujet.

Une fois servies, on s'installa à une table. Je pris une gorgée de mon café avant de continuer :

— Pour reprendre là où on en était... J'en ai parlé à mon petit ami et mes parents, mais je leur ai pas dit tous les détails. Juste avant de partir, j'ai eu une grosse dispute avec eux... J'ai peur que si je leur dit tout, ils seront encore plus inquiets lorsque je repartirai en mission... Parce que c'était... intense, déclarai-je avant de soupirer.

Lorsque je mentionnai ma blessure, Pandora me demanda comment la guérison progressait et si je risquais de garder des effets secondaires à long terme.

— Me faire recoudre a fait un mal de chien, mais là ça va, ça guérit. Ils ne m'ont pas parlé de séquelles, alors j'imagine qu'ils ne pensent pas que je vais en avoir. Je crois que ça va juste me laisser une grosse cicatrice.

Une fois à l'intérieur, je lui révélai m'être disputée avec mes parents et avec Bito lorsque je leur avais annoncé que je partais en mission dangereuse. Et en revenant, je leur avais fait un topo. J'en avais plus dit à Bito, puisqu'il était aussi Terraen. Quant à mes parents, déjà je ne pouvais pas être hyper spécifique, j'étais restée vague.

L'Air me questionna sur la raison de mes embrouilles avec eux et elle devina facilement par elle-même que c'était parce qu'ils voulaient pas que j'y aille. Elle ajouta qu'elle n'était pas certaine que, en sachant ce qui allait se produire, elle aurait participé à la mission ou non, et s'interrogeait sur ma perspective.

— Oui, ils étaient totalement opposés à ma participation. C'était pas facile, car je ne voulais pas qu'ils s'inquiètent, mais je devais le faire. C'était ma décision. C'était important pour moi... Alors non, je ne regrette pas.

Moi, je serais partie même en sachant le déroulement. Secourir des enfants et soutenir mes proches en échange d'une cicatrice ? Ça en avait valu le coup. Pour ce qui était des conséquences sur mon mental... Je n'avais pas trop le choix de passer par là pour devenir plus forte, non ?

— Tu as l'impression de ne plus être la même personne qu'avant... dans quel sens ? lui demandai-je, soucieuse.

Je me sentais changée par cette expérience, mais j'étais toujours... moi. J'étais curieuse de savoir ce que cette affirmation signifiait réellement.

Pandora avait raison, il y avait bien un point positif à ma blessure : j'allais avoir d'une cicatrice badass. « Ah, ça ? C'est quand j'suis allée me battre contre des types avec des mines, des grenades et des mitraillettes, pépère ». Hahahah... Qui sait, peut-être que d'ici quelques années, ça ne ferait pas remonter une tonne d'émotions négatives et je serai capable de blaguer à ce sujet.

Lorsque j'expliquai à Pandora que ma participation à la mission était trop importante pour me laisser influencer par l'avis de mes proches, elle s'exclama qu'elle comprenait et je hochai la tête à ses mots. Exactement ! Elle ajouta qu'elle me trouvait courageuse et qu'elle espérait que ça ne m'avait pas causé trop de problèmes.

— Tu m'enlèves les mots de la bouche. Terrae est ma maison et je devais agir. Il était hors de question que je ne fasse rien. Et je sais que j'ai de bonnes compétences.

Je soupirai.

— C'était notre première grosse dispute, à moi et Bito. Il m'a dit des choses affreuses sur le coup de l'émotion et on ne sait pas ni parler ni vu pendant longtemps. Heureusement, on a réussi à se réconcilier à mon retour. Avec mes parents, c'est encore tendu...

Puis, je lui demandai des précisions sur son ressenti. Le mal nécessaire, hein... Elle savait que nous avions fait ce qui était juste, mais elle avait du mal à accepter les actes que nous avions dû commettre. Hum... Ouais, elle aussi, c'était plutôt contradictoire.

— Je vois... Je pense que ça va nous prendre un moment avant d'arriver à digérer tout ça. Moi, j'ai toujours cru au mal nécessaire. Il y a tellement de gens horribles dans ce monde, je trouve qu'on a pas vraiment le choix. J'me dis qu'ils l'ont cherché et que le monde est mieux sans eux. Mais le fait d'avoir tué... L'acte... C'est fou qu'on puisse mettre fin à une vie aussi facilement. En quelques secondes. Pouf.

Ça me fit penser que moi aussi, je pourrais mourir à tout moment. Oui, j'avais des pouvoirs et je savais me battre, mais je n'avais pas une résistance aux blessures supérieure à quelqu'un d'ordinaire. Si je recevais une balle dans la tête, qu'un missile me frappait, mon histoire s'arrêtait là.

Quand je révélai à Pandora que ma participation à la mission avait causé ma première grosse dispute avec Bito, elle me demanda pourquoi il ne m'avait pas accompagné.

— Bito ne se bat pas.

Ça, il l'avait clairement exprimé le soir où nous avions commencé à sortir ensemble. Je souhaitais devenir Master et lui, pas du tout. D'ailleurs, pusique j'avais déjà parlé plusieurs fois de mon désir de me battre pour Terrae, ça m'avait encore plus énervé qu'il ne respecte pas mon choix. S'il avait parlé de ses inquiétudes avant, nous aurions pu prendre le temps d'en discuter. Mais juste avant la mission au Centre, ce n'était pas le bon moment.

Mon interlocutrice exprima alors son agacement par rapport au fait qu'il ne m'ait pas supporté. Effectivement, ça avait été vil de sa part, sans compter les insultes qu'il m'avait balancés.

— Oui, ça m'a mis en colère et ça m'a blessé. Mais il s'en veut beaucoup et je lui ai pardonné.

Puis, je partageai avec elle mon ressenti sur l'après-mission, différent du sien. Elle s'exclama que ça l'avait effrayé d'utiliser ses pouvoirs de la sorte. Pour attaquer, et non de façon positive comme elle avait l'habitude de le faire.

— Hum... Est-ce que tu as pensé au fait qu'au final, tu les as aussi utilisé pour protéger ? Pour emmener les enfants à Terrae et pour qu'ils soient en sécurité.

Elle avait des craintes par rapport à la reprise de l'entraînement et me demanda si je l'avais déjà repris dans mon cas.

— J'ai recommencé à courir la semaine dernière. J'ai une technique spéciale qui me permet de courir à grande vitesse que je développe depuis que je suis initiée. Mais à part de ça, non.

Oui, ça n'avait pas été facile pour Bito non plus. Ça n'excusait pas ce qu'il m'avait dit, mais ça l'expliquait. Je comprenais qu'il devait avoir eu très peur. Moi aussi, s'il partait se mettre dans une situation dangereuse, je serais terrifiée. Je me demande comment je réagirais... Je serais certainement émotive, mais quels seraient les mots qui sortiraient de ma bouche ?

À ma remarque, Pandora haussa les épaules. Elle s'exclama qu'elle y avait déjà pensé. Peut-être que mes mots ne changeraient rien à son état, mais je pouvais toujours essayer. Je songeai que, au moins, elle aurait pu partager tout ça avec quelqu'un qui avait vécu la même chose.

— En tout cas... Je suis contente que tu aies été à mes côtés, Pandora. Tu as vraiment été exceptionnelle. Et grâce à toi, grâce à nous, ces enfants ont un avenir meilleur devant eux.

Puis, on passa au sujet de l'entraînement. À part courir, je n'avais rien recommencé. L'Air déclara qu'on méritait du repos et me demanda avec qui je m'entraînais d'habitude.

— Ça, c'est sûr. La plupart du temps, je m'entraîne avec Mitsuki. C'est ma mentor. Sinon, en dehors de mes pouvoirs, bah comme tu sais, je fréquente le F. club. Je me pratique avec Aria, entre autres.

Évidemment, j'aurais préféré que nous n'ayons pas à faire tout ça. J'aurais préféré que ces enfants ne soient pas maltraités et utilisés. J'aurais préféré que le Centre n'ait pas autant de moyens pour essayer de nous arrêter et de mettre fin à nos vies. J'aurais préféré que Pandora n'ait pas besoin de tuer, et que son mental n'en paie pas le prix. Toutefois, je ne le dis pas à voix haute. Je crois bien qu'elle le savait. J'avais été heureuse de l'avoir eu à mes côtés compte tenu des circonstances.

Pandora me remercia de mes mots et déclara que j'avais également été formidable, ainsi que nos deux autres coéquipiers. Notre équipe était la seule chose qu'elle ne regrettait pas. Ses paroles frappèrent un peu plus fort que prévu : j'avais les yeux mouillés. Peut-être parce que je travaillais si fort pour devenir une personne sur laquelle on peut compter ?

— Merci Pandora. Ça signifie beaucoup à mes yeux.

Honnêtement, même si je savais que j'avais été utile, je ne pouvais m'empêcher d'être légèrement déçue de ma performance. J'aurais peut-être pu trouver un moyen de me protéger de la chute de glace et comme ça, elles n'auraient pas été ralentie par moi. Et à l'intérieur du bunker, quand une bombe avait retentie, je ne savais vraiment pas quoi faire. J'avais dû me contenter d'être celle qu'on protégeait. Mais bon, je tentais de me rappeler que si c'était un ami qui se sentait comme ça, je lui dirais que c'est impossible d'être parfait et qu'une équipe, c'était là pour t'épauler et combler tes lacunes. C'était irréaliste de penser que soi-même, on pouvait tout faire.

Lorsque je mentionnai que Mitsuki était ma mentor, mon interlocutrice s'exclama qu'elle ignorait que je la connaissais. Elle ajouta que c'était vraiment quelqu'un de chouette et que s'entraîner avec elle devait être intense.

— Tout à fait ! J'adore Mitsu. C'est toujours intéressant d'être en sa compagnie, que ce soit pour discuter ou pour s'entraîner. T'as un mentor, toi ?