Deux vis coincées entre les lèvres, un tournevis qui tenait par on ne sait quel miracle sur l'oreille, une pince sur la table basse et quelques boulons dans une boîte, je m'évertuais à essayer de faire fonctionner ce nouveau prototype que j'étais en train de mettre au point.

Etant enfin parvenue à me tirer de l'état lamentable dans lequel j'avais été pendant un loooong moment (bon après un an il était temps de se reprendre hein !), j'avais décidé -et surtout essayé- de me lancer dans de nouveaux projets. Houston avait démissionné à la sécurité, et même si je me retrouvais seule, j'avais eu la possibilité d'acquérir de nouveaux logiciels qui me facilitaient la vie. On allait pas se mentir, il me manquait carrément, et en plus j'avais quand même deux fois plus de boulot, mais bon, les choses étant ainsi, je n'étais personne pour essayer de me mettre entre lui et Hideko.

Du coup, quand je quittais, j'en avais tellement plein la tête des vidéos et de toutes les caméras que j'avais décidé de me détendre chaque jour en bricolant dans mon atelier. Parce que oui, il n'y a rien de mieux que de bricoler des petites gadgets et des robots, personne n'a l'air de comprendre à quel point c'est apaisant.

Au bout de plusieurs semaines, j'étais tout de même arrivée à la conclusion que, de toute façon, n'ayant plus aucune obligation autre que moi, il était peut-être temps que je songe à mon avenir. Nan mais oui, tout le monde se fait cette réflexion un jour, j'sais bien que c'est pas original, mais bref, voilà où j'en étais. J'avais donc tenté de me lancer dans divers projets, avec l'idée en tête de COMMERCIALISER (et oui messieurs dames !) un véritable produit hi-tech sur le marché international ! La folie des grandeurs touche tout le monde, je sais que j'aurais dû me contenter du Japon pour commencer mais que voulez-vous.

Sauf que je m'étais rapidement rendue compte que j'étais surtout spécialisée dans les technologies terraennes. Vous n'avez pas la moindre idée des difficultés que j'ai éprouvée pour ne pas utiliser un seul réceptacle à cristaux dans mes créations.

Nous en étions donc là : moi, devant la télé (pour le fond sonore bien sûr), tout mon matériel étalé sur la table du salon, Balto allongé dans un coin et Mokona et Modoki qui profitent de leur liberté. J'étais en train d'essayer de terminer mon invention qui allait révolutionner le monde quand un nom prononcé par une journaliste me fit relever le nez de mes branchages.

-Bito ?

Ecarquillant les yeux, je fixais le garçon en COSTUME SVP qui était en train de s'installer pour répondre à une interview. Attendez quoi ? QUOI ?! QUOI ?????!!!!!

Les vis qui pendaient à mes lèvres tombèrent sur la table, et je m'emparai de la télécommande pour augmenter le son. C'est quoi cette histoire ?!

— ... et nous accueillons Monsieur Youri Bito Daisukenojo !

Le présentateur se lève, il tend le bras et la caméra suit son mouvement pour aller se braquer sur le visage de ce jeune homme.

— Bonjour.

Un sourire gêné aux lèvres, Bito arrive sur le plateau. Il salut la caméra, puis le présentateur en se courbant en avant d'exactement 30 degrés... Eh oui faut pas déconner, on est à la télé.

" À LA TÉLÉ BORDEL ?! " Lui répète cette petite voix dans sa tête.

Le présentateur lui rend son salut et l'invite à s'installer sur ce fauteuil en velours rouge corail.

— Bienvenue sur notre plateau Monsieur Daisukenojo. Nous sommes ravies de vous avoir parmi nous !
— Tout le plaisir est pour moi Monsieur Takaashi.
— Appelez moi Taka, comme tout le monde !
— Alors appelez moi Bito, comme tout le monde !

Ils rirent un petit coup et le présentateur enchaina.

— Bito, peu de gens connaissent votre visage... pourtant beaucoup ont croisé la route de vos camions-restaurants qui font fureur au Japon : Les Uzura !
Pourquoi leur avez-vous donné ce nom ?
— Eh bien, tout à commencé avec "Angélique". Elle était bruyante, couinait beaucoup et avait beaucoup de fuite...
— Humm... c'était votre c'était petite amie ?

Bito lâche un petit ricannement.

— Perdu, c'était mon premier camion !
— Vous m'avez fait peur, hahaha !

— Au début, je garais Angélique à un endroit stratégique, près du mont Fuji. Je devais faire plein d'aller retour pour apporter ce qu'il me fallait pour cuisiner, passer souvent la nuit là-bas pour ne pas me faire piquer la place et je devais aussi la planquer pour ne pas me faire repérer par la concurrence. C'était un peu comme mon petit nid.

Les Uzura sont ces petits oiseaux qu'on croise souvent près du mont Fuji, ils se déplacent et font leur nid au sol et le camouflent pour ne pas que les prédateurs le trouvent. J'ai trouvé que ça collait bien avec ce que je vivais, héhé.

— Haha, vos débuts étaient un peu difficiles.
— Oui mais en y repensant, c'était amusant comme aventure.
— C'était il y a 3 ans c'est bien ça ?
— Exact.
— Et en si peu de temps votre entreprise vaut déjà plus de 300 millions de yens...
— *Gloups*
— Vous allez bien Bito ?
— Oui oui, j'ai juste toujours du mal à y croire quand j'entend ce chiffre. Quand la compta' m'a annoncé ça, j'ai failli tomber dans les pommes.

— Hahaha, vous feriez mieux de vous y habituer car l'année prochaine ce chiffre aura peut-être augmenté !

Le jeune homme grimace.

— Et en parlant de chiffre, vous venez de lancer sur le pays votre dixième Uzura. Nous étions à vos cotés ce jour là. Voici quelques images chers téléspectateurs.

Et l'émission continue avec une vidéo sur ce moment.

IL. Quoi. Je. Je.

QUOI. MAIS C'EST QUOI CE DELIRE.

Face à la télé, je laissai tomber tout ce qui se trouvait dans mes mains jusqu'à présent, à savoir une télécommande et un tournevis. J'en revenais pas. Nan mais déjà, LOL, Bito invité sur un plateau télé. En vrai, au début on pourrait juste se dire "hahahaha il a encore fait une connerie !" ou "il est là pour le bêtisier j'suis mdr !" mais non. Non non, il est là car il est interviewé. Le mec est en costard. Le mec. Est. En. Putain. De costard.

ET EN PLUS IL EST PETE DE THUNES.

J'avais clairement envie d'augmenter encore le volume pour être sûre de bien entendre, mais je crois que c'était pas le son qui me posait le plus de problème : c'était bel et bien le contenu de l'information qui me déstabilisait et faisait bourdonner mes oreilles d'incompréhension.

Je clignai une fois des yeux, essayant de revenir à la réalité. L'image de Bito se dessina dans mon esprit, et j'essayais de capter les signes. Mais rien. Rien du tout. LE MEC A OUVERT UNE ENTREPRISE Y A TROIS ANS ET Y'A RIEN ?! ET POURQUOI J'EN SAIS RIEN ?! POURQUOI J'EN AI JAMAIS ENTENDU PARLER ?! WALLAH MAIS FAUT QUE J'ARRETE DE SECHER LES REUNIONS DES MASTERS J'AI RATE TROP D'INFOS EN FAIT.

La vidéo sur le lancement du dernier camion, et je la regardais, hébétée, sans comprendre.

-MAIS DEPUIS QUAND CES FOOD-TRUCKS LUI APPARTIENNENT. JE COMPRENDS ABSOLUMENT PAS, C'EST IMPROBABLE.

Non, c'est pas Balto qui va me répondre, non c'est pas Mokona et Modoki non plus. MAIS EN MEME TEMPS PUTAIN POURQUOI J'AI PAS ETE INFORMEE.

Je pris une inspiration. Ok, faut que je regarde si c'est en direct ou pas, parce que si c'est pas en direct faut que je débarque chez lui, il a des comptes à me rendre.

... Non c'est pas vrai il a rien à me rendre mais j'suis encore trop en état de choc ok.

EST-CE QUE ELFIE EST AU COURANT ?!

De son coté, Bito regarde l'émission sur son smartphone. Affalé sur un banc près de l'entrée de Terrae, un écouteur dans l'oreille... il tire la tronche.

— J'ai vraiment une voix aussi nasillarde ? Marmonne-t-il.

La voix c'est pas trop ça, mais au niveau de l'image qu'est ce qu'il est beau gosse à l'écran !

Et tandis qu'il se reluque toujours, carton plein de matos électronique arrive soudainement dans son champ de vision.

—  Vito, mon ami ! Mon poto ! S'exclame le blond.

Ce gars, c'est Nikkou, un Master Tonnerre qu'il a croisé quelques fois dans les couloirs... et  à chaque fois qu'il s'est montré aussi familier avec Bito, c'était pour l'embobiner.

— C'est Bito...
— T'es occupé là ?
— Ou...
— Super, alors tu peux filer tous ces bidules à Mitsu, c'est une commande qu'elle a passé.
— J'ai pas ...!
— Merci, t'es un frère toi !

Et sans même lui laisser le temps de répondre Nikkou lui met le colis sur les genoux.

— Hey, j'ai jamais accepté !

Mais cet excité sur pattes n'a pas dit son dernier mot. Il sait toujours y faire pour refiler son sale boulot aux autres.

— Tu sais Mitsu t'as toujours préféré à l'autre rouquin...
— HEIN ?!

Bito bondit sur place, puis il reprend comme si cette nouvelle n'avait rien d'étonnant.

— Humm... Evidemment... Je le savais... Depuis notre premier coup d'boule elle est folle de moi... Mais j'ai une femme dans ma vie tu sais. Fait Bito, fier de sortir cette phrase digne d'un vieux feuilleton télévisé.
— Ho...

Le plan de Nikkou est-il tombé à l'eau ? Eh bien non, le jeune blondinet a plus d'un tour dans son sac !

— Mais elle est prête à faire un trouple !
— UN TROUPLE ?!
— Chuuut , moins fort !

Bito plaque ses deux mains sur sa bouche.

— C'est vrai ?! Tu jure ?!

Le blond lève la main droite et croise discrètement les doigts dans son dos avec l'autre main.

— Juré, craché. Mais garde le pour toi, c'est un dossier top-secret de Master.

Ce jour, Nikkou inventa le pire mytho de l'histoire de Terrae... et que ce gros teubé de Bito y crut.

Le Master aurait surement prit moins à faire un aller-retour en se téléportant... Mais ce serait bien moins amusant pour lui. D'ailleurs celui-ci se tourna vers son cher collègue Chris pour tout lui raconter.

— Eh Chris tu veux t'marrer ?

Ainsi Bito se pointe devant chez Mitsu et c'est une fois face à la porte de la maisonnette qu'il se sent une peu stupide.

— Qu'est ce que j'lui raconte moi ?

Il pose le colis et se met à répéter un scénario qui lui passe par la tête.

— Mitsu, je sais que tu me kiff. Mais c'est impossible, mon cœur est déjà prit et tu le sais !
— Ô Bito, comment l'as tu sut ? J'ai pourtant tout fait pour le cacher. Se répond-t-il avec une mauvaise imitation de la voix de Mitsuki.
— Tu n'avais pas les mots, mais ton cœur a parlé pour toi. Je l'ai entendu.
— Ô Bito, tu es si exceptionnel. Fais de moi ta deuxième petite-amie !

Il s'enlace lui-même et appuie par mégarde sur la sonnette.

— Ouais mais non, faut qu'j'en parle à Elfie avant !

J'crois que j'allais jamais m'en remettre. Quand la vidéo de promotion du lancement du nouveau camion de l'ENTREPRISE DE BITO PTN se termina, le présentateur reprit la parole pour annoncer la pub, juste de quoi être déçue quoi.

Je me levai donc du canapé et commençai à marcher -ça c'était surtout parce que j'avais besoin de me vider du surplus d'énergie que je venais d'accumuler surtout. Je pris mon téléphone en main et continuai à tourner en rond, ouvrant le contact d'Elfie pour le refermer, l'ouvrir, le refermer, l'ouvrir... PUTAIN MAIS ELLE EST AU COURANT OU PAS ?! POURQUOI J'AI L'IMPRESSION QUE C'EST GENRE THE BIG NEWS DE LA TERRE ET JE COMPRENDS PAS POURQUOI PERSONNE M'EN A JAMAIS PARLE AVANT ?! Oui j'ai l'impression d'avoir été mise de côté, oui, j'ai l'impression que j'suis au courant de rien et que tout le reste du monde est au courant, OUI JE DEVIENS PARANO.

Je soufflai un coup, et allai appeler le numéro d'Elfie quand la sonnette de la maison retentit et je sursautai. Je m'approchai de la fenêtre du salon, qui donnait sur la porte d'entrée, et tirai discrètement le rideau pour regarder qui venait de sonner. J'écarquillai alors les yeux en découvrant qu'il s'agissait de Bito. MAIS NON. MAIS COMMENT IL SAIT ?! C'EST TROP LOUCHE OMG. MAIS LE MEC EST DEVENU VOYANT EN MEME TEMPS QU'IL EST DEVENU BUSINESSMAN ?!

Je me précipitai vers la porte d'entrée et, me demandez pas pourquoi, j'ouvris la porte hyper rapidement, saisissant le bras du brun pour le tirer à l'intérieur de la maison et refermer aussitôt la porte derrière lui. J'sais pas de quoi je me cache, JE SAIS PAS OK JE PANIQUE.

-Est-ce qu'Elfie est au courant ?!!!

Oui, c'était visiblement la question qui me brûlait les lèvres depuis le début.

Et soudain notre héros est victime d'un enlèvement ! On l'attrape et on l'enferme de force dans cette sombre maison... Il s'apprête à crier "Au viol" mais Mitsuki ne lui laisse pas le temps de l'ouvrir en posant cette ultime question.

Bito écarquille les yeux. Il n'est préparé pour cette situation.

"Putain, elle a dû m'entendre quand j'étais dehors ! Qu'est ce que j'fais maintenant ?!"

— Heu... Eh bien.... Heuuuu... Bégaye-t-il. Non, il n'y a que toi, moi... et Nikkou.

Oui, ils ne parlent pas du même sujet.

— Mais je comprend tout à fait ta réaction, j'aurais réagis pareil à ta place ! Fait-il en posant ses mains sur les épaules de Mitsu. On aurait dû en parler plus tôt. Beaucoup plus tôt... C'est ma faute.

Au départ ils semblent se comprendre, mais la suite va tout changer.

— Te contenter de Ys comme roue de secours pendant toutes ces années... alors que j'étais là, sous tes yeux ! Ca devait être insoutenable ! Et maintenant que je suis pris, ça doit être encore pire !

Il prend la demoiselle dans ses bras quelques secondes et lui tapote le dos.

— On n'en est qu'à nos débuts, ça va être difficile d'aborder le sujet... Mais ne t'en fais pas, je vais te libérer de ce poids ! Avec un peu de chance elle sera d'accord et on pourra former un très beau trouple !!

Et Nikkou ? Nikkou est au courant ? Hein quoi ? Mais attends, comment Nikkou peut être au courant mais pas Hideko ?! J'imagine que s'il est courant, c'est que c'est lui qui a été chargé de l'accompagner hors de Terrae pour l'interview, ou de le briefer, ou je sais pas. Mais pour ça faut bien qu'Hideko soit au courant pour ça non ? P'tin mais une dépression et tout est changé ici ou quoi ?! Pourtant je retourne aux réunions maintenant, j'me défile plus !!! POURQUOI J'ETAIS PAS AU COURANT ?!

Et là, c'est le drame. Parce que je comprends plus rien à ce qu'il me raconte. Quoi on aurait dû en parler plus tôt ? Quoi il comprend ma réaction ? "Beaucoup" plus tôt ? Bon, d'un côté, OUAIS j'aurais aimé qu'il me raconte que quand il est parti de Terrae il est devenu riche, DONC OUI CULPABILISE. Mais j'avoue que je pensais pas que l'agresser allait le faire culpabiliser si vite, du coup maintenant c'est moi qui culpabilise.

Je lâchai Bito quand il enchaîna ensuite sur Ys, et le regardai avec les yeux d'un poisson rouge. Ouais, bon, ok, j'arrive plus à suivre là. Il croit que j'en veux à son argent ? Il croit que j'suis pauvre ? Parce que j'm'en sors pas si mal, hein, surtout que j'ai prévu de vendre mes créations dans le monde maintenant, alors l'argent va rentrer ! Et puis en plus comme j'vole encore une partie des choses dont j'ai besoin, le coût de création est pas si élevé que ça hein...

MAIS DU COUP J'SUIS PAS VENALE. JE COMPRENDS PAS POURQUOI IL ME PARLE DE SON COUPLE COMME CA, J'VAIS PAS LE VOLER, NAN MAIS QUOI.

Et là, c'est la révélation. J'ouvris la bouche, sous le choc, et tardai un peu avant de la refermer, ravalant ma salive avant de répondre.

-Mais qu'est-ce que tu racontes ? Pourquoi un trouple ? Tu racontes n'importe quoi ! J'veux pas de ton argent ! J'suis pas une michto ok ?! Nan mais Bito tu délires omg ! Je te demandais juste si Elfie était au courant que tu avais une entreprise AUSSI GIGANTESQUE OMG.

C'est au tour de Bito d'afficher le fameux regard de poisson rouge.

— Quewa ?

Déjà qu'il a du mal à comprendre, Mitsuki en rajoute avec une belle crise d'hystérie.

— C'était pas ce que tu ... ? Pourtant Nikkou m'a dit que... ! Quel argent ? Mais non je... ! C'est toi qui ... !

Décidément, Bito n'a pas le temps d'en placer une. Alors, il plisse les yeux, ferme sa bouche deux secondes et avance la lèvre inférieur. Il fait la tronche du gars parfaitement dépité... Et il attend que Mitsu termine.

— Haaa... Tu voulais parler de ÇA. Peut-il enfin dire.

Il penche la tête sur le coté pour regarder derrière elle. Il peut apercevoir les images de l'émission où on parle un peu de lui qui défilent sur l'écran du salon.

— Bien sûr que j'lui en ai parlé ! Répond-t-il spontanément.

Après ça, il réfléchit en énumérant une petite liste de ce qu'il a pu dire à Elfie à propos de son job.

— J'lui ai dis que je cuisinais.
Que je gérais une boite.
Que j'allais passer une interview.
Que ça me stressait.
... Et c'est tout.

C'est pas suffisant ?

— Mais ça change rien ! En plus j'ai demandé à mon comptable de me filer un salaire de 300 mille Yen (environ 2300€), comme un employé du bureau normal !

Même si, récemment, le comptable a affirmé qu'il pouvait être payé le triple... Mais ça il ne le détaillera pas.

Et il enchaine sur un autre sujet pour ne pas avoir droit à un autre interrogatoire.

— En fait Nikkou m'a dit de te ramener du matos !

Il rouvre la porte d'entrée qui se trouve juste derrière lui et pointe du doigt le carton plein de babioles qu'il a laissé derrière lui.

"CA", bien sûr que j'veux parler de ça ! Attendez, mais du coup, il voulait parler de quoi lui ? Je fronçai les sourcils en l'écoutant m'énumérer ce qu'il avait dit à Elfie, tout d'un coup plus très intéressée par ça. Nan mais parce que du coup, je comprends vraiment pas, là. Il parlait de quoi ? J'suis perdue.

Bon, j'suis aussi encore choquée, hein. Surtout quand il me balance la paye qu'il se fait, parce que j'comprends pas comment elle peut être aussi faible. Trop de questions dans ma tête, déjà.

J'allais donc lui balancer toutes les questions qui traînaient encore dans ma tête quand il m'annonça que Nikkou lui avait demandé de me faire une livraison. Je passai l'épaule au-dessus de son épaule pour regarder derrière la porte qu'il venait de rouvrir. Ah. Oui. C'est vrai que j'avais fait une commande officielle récemment. J'avais oublié.

-Ah. Ben. Merci.

Et c'est vrai aussi qu'il avait un peu essayé de dire "Nikkou" tout à l'heure quand je lui parlais. Bon, maintenant, les choses sérieuses !
Je m'avançai vers la caisse et la téléportai vite fait bien fait dans mon atelier, la laissant sur l'établis. Je revins face à Bito et refermai la porte.

-T'as pas l'impression d'être un peu mal payé par rapport au succès de tes camions ?! Faut pas que tu te laisses faire Bito, tu vas te faire marcher dessus après !!! Ton comptable est en train de t'arnaquer là ! Tu veux que j'm'occupe de tes comptes à sa place ?

Mais MDR j'suis absolument pas qualifiée pour faire ça !!!

-Par contre tu parlais de quoi tout à l'heure du coup ?

Ouais, j'viens de me rappeler que quand il a prononcé la première fois le nom de Nikkou, il a ajouté un "m'a dit que". Et j'aimerais bien savoir sur quoi repose ce malentendu du coup. Quand même.

Sauvé ?
Non, car Mitsuki a beau être cousin avec le poisson rouge, elle n'oublie pas les sujets qui titillent grandement sa curiosité.

Bito passe sa main derrière la tête avec un rire un peu gêné.

— Non non, t'en fais pas. C'est voulu. Et c'est pas de l'argent perdu, il appartient toujours à la boite !

Mais ce n'est pas la seule raison pour laquelle il se limite à un salaire qui frôle la moyenne. Notre héros a surtout peur que l'argent lui monte à la tête.

— Et ça me permet de pas trop dépenser...

Puis il plisse les yeux en imaginant Mitsu faire de la comptabilité. Il la voit en tenue clichée de femme d'affaire, en tailleur noir, avec une petite paire de lunette qui souligne son regard...
Ça ne lui ressemble pas. Dans l'esprit de Bito, elle fait plus actrice porno que comptable inflexible.

De retour à la réalité, son regard se pose sur les mains de son amie. Elles sont légèrement abimées, à cause d'un coup de tournevis qui a ripé, une soudure ratée, etc...

Non, décidément ça ne lui ressemble pas.

— Tu sais compter au moins ? Lâche-t-il pour la taquiner.

Et le sujet le plus intéressant de la journée revient sur la table : Le trouple !

Une grande question se pose alors dans la tête du jeune homme:
Mitsu est-elle vraiment au courant pour cette histoire de trouple ?
A) Bien sûr, elle joue la meuf qui ne sait pas.
B) Non, Nikkou s'est foutu de toi !
C) Cette teubé a oublié, comme d'hab'.
D) Il faut forcément une réponse D...

Bito attrape son menton entre ses doigts et choisit l'évidence... la réponse A !
Eh oui, car les Masters ne peuvent pas mentir, tout le monde le sait !

— Je vois... Tu veux la réponse tout de suite, eh bien tu l'auras !

Il sort son téléphone, swipe, scroll, tape et le colle à son oreille.

— Allo Elfie, y' a Mitsu qui voulait savoir si t'étais d'accord pour former un trouple...

En fait il n'a pas lancé d'appel, il fait semblant pour mettre la pression à Mitsu.

Ne pas trop dépenser ? Mais on ne peut jamais trop dépenser. Enfin, mon rapport à l'argent est peut-être différent de celui des autres à cause du financement direct de Terrae pour une partie de mes créations, et aux vols que je commets ici et là pour arrondir les fins de mois. Je SAIS qu'il faudrait arrêter, mais CONCRETEMENT, ça gêne qui ? C'est rien, c'est genre juste un morceau de pain ici et là ! Ok, parfois c'est plus, mais c'est bon, ça va, c'est pas comme si je volais Terrae ! Je vole les personnes malhonnêtes qui abusent de leur argent !!! Pas comme Bito, lui il ferait des choses stylées, genre construire une piscine creusée au milieu de la cour. Et tout le monde sait que c'est impossible de voler une piscine creusée. Meilleur investissement en fait !!

J'écarquillai les yeux quand il me demanda si je savais compter. QUOI. Mais il se paye ma tête en fait !!!

-Bien sûr que je sais compter ! Tu m'as prise pour qui ?! J'dois faire des tas de calculs pour mes créations parfois !

NAN MAIS DELIRE APRES AVOIR SOUS-ENTENDU QUE J'ETAIS VENALE, IL ME PREND POUR UNE ANALPHABETE. Enfin non, je sais lire, donc c'est pas le bon mot MAIS VOUS AVEZ COMPRIS.

Après que j'ai emmené tout le matériel à l'atelier, je demandais enfin à Bito de quoi il parlait tout à l'heure. Ma question sembla lui imposer une longue réflexion, car il se prit même le menton entre les doigts, véritablement pensif. Ah ouais. Alors soit il a prévu de me mentir, soit il a la mémoire d'un poisson rouge en fait.

Et puis, se passa sous mon nez quelque chose que je n'avais vraiment pas vu venir. Bito sortit son téléphone après avoir balancé une phrase qui, visiblement, était supposée être lourde de sous-entendus. Puis il appela un numéro, apparemment celui d'Elfie et...

-QUOI ?! MAIS ARRÊTE, STOP !!!

Je me jetai sur lui, montant sur son dos après qu'il se soit détourné de moi pour essayer de choper le téléphone dans ses mains.

-STOP RENDS-MOI CA ! TU RACONTES N'IMPORTE QUOI !!! ELFIE, NE CROIS PAS UN SEUL MOT DE CE QU'IL RACONTE !!!

Et après que je me sois souvenue que j'étais capable de téléporter des objets dans ma main, j'y téléportai le téléphone, et descendis de son dos pour me reculer de quelques pas, regardant l'écran.

-Mais t'appelle absolument personne !!!

Hop ! On esquive en toute légèreté le premier assaut de Mitsuki.

— Ouais je sais, moi aussi je suis étonné... Fait-il, pour donner toujours plus de réalisme à son faux appel.

Puis ce qui ressemble à une bagarre de gosse commence entre ces deux là. Elle lui grimpe sur le dos, lui tente de repousser en plaquant sa main sur la tronche Mitsu.

— Tu va m'lâcher oui ?! Je fais ça pour ton bi...

Et soudain il sent la poitrine de Mitsuki contre son dos.

— How...

Non Bito, tu ne dois avoir d'yeux que pour les seins d'Elfie ! Même si théoriquement tu ne les as toujours pas vu...

— HO ARRÊTE DE ME... !

Et le téléphone disparaît de sa main. Mitsuki l'a récupéré et il lui suffit d'un coup d'œil pour comprendre que cet appel n'était qu'un canular. Mais cette scène suffit à notre héros pour établir une conclusion.

— C'était une réaction typique de quelqu'un qui a quelque chose à cacher... Lâche-t-il en la jugeant du regard.

Il sort alors un petit carnet de nul part (probablement la poche arrière de son jeans) et commence à prendre note.

— Du coup comme je débute dans le domaine... et Elfie aussi. J'ai quelques questions à te poser.

Et il enchaine sans prendre la peine de regarder la réaction de Mitsuki.

— Si on fait un rendez-vous, à trois, on appel ça comment ? Un tête-à-tête-à-tête ?
Dans le lit, celui qu'est au milieu, il fait comment pour recharger son portable ? On fait un roulement des places ? On installe une prise sur le mur ?
Dans la voiture qui s'assoit à l'arrière ? Ou sinon faut prendre une camionnette avec trois place à l'avant...

Tant de questions CRITIQUES auquel il n'a point de réponses.

Le téléphone en main, les yeux rivés sur Bito, je le fixai en attendant des explications. D'OU IL TIRE CETTE IDEE SANS DECONNER ?! Quand il prit son air sûr de lui et balança la pire connerie de la Terre, je tombais des nues. Un sourcil arqué, je le regardai avec mon propre visage qui exprimait un fin "Gné ?". Comment ça je cache des trucs ? Nan mais sans rire, c'est quoi son problème aujourd'hui ?!

Il enchaîna ensuite sans même me demander mon avis sur la question. Nan mais oui parce qu'apparemment, mon avis est obsolète. Genre, c'est déjà acquis que j'suis "ok". Il délire complètement ma parole.

Mes yeux s'écarquillèrent au fur et à mesure des mots qui sortaient de sa bouche. Mais quoi ? Mais qu'est-ce qu'il est en train de raconter ? POURQUOI ON FERAIT DES RENDEZ-VOUS A TROIS ET POURQUOI ON SERAIT A TROIS DANS UN LIT ?!

-Il est absolument hors de question qu'on fasse tout ça !!

Je me retins d'aller lui mettre une claque derrière la tête. J'ose espérer que ça lui aurait remis les idées en place, mais j'ai cru comprendre aussi que c'était pas très civilisé d'agir comme ça. Je pris donc le parti de me contenter de poser son téléphone sur la table fourre-tout de l'entrée.

-Tu peux m'expliquer d'où tu sors toutes ces conneries ?

Nan mais parce que là, je crois que je vais pas réussir à le supporter s'il me sort encore un truc pareil. Dans quelques minutes je vais commencer à avoir des images et OH MON DIEU MAIS VOUS IMAGINEZ CE SERAIT HORRIBLE.

-T'es très bien avec Elfie, j'comprends absolument pas ce que j'ai à faire dans cette histoire ! Ca va pas bien ou quoi ?!

Bito écarquille les yeux une fois de plus.

Décidément, nous avons là une bataille de regards plus hébétés les uns que les autres. A notre droite Mitsuki, championne internationale du GPaCompri. A notre gauche Bito, triple ceinture noire de la naïveté et de la connerie.
Un combat titanesque se déroule sous nos yeux !

Le jeune homme se gratte alors le crâne avec son stylo, celui qui accompagne toujours son carnet de notes.

— Du coup... tu veux vraiment pas faire de trouple... ? Fait-il, un brin plus attentif à la réponse de Mitsu.

— Et du coup... Nikkou m'a dit des conneries... ?

Il marque une pause, regarde son carnet et barre plusieurs trucs qu'il s'était noté.

— Bon... ça fera 2 enfants au lieu de 4. Et une maison plus petite. Marmonne-t-il.

Puis il relève les yeux vers Mitsu.

— Mais imaginons qu'on ai été en trouple, t'aurais pu faire combien d'enfants ?
Eh oui, il faut quand même s'assurer que ses estimations étaient bonnes.
Parce que j'en avais prévu 2 par compagnes... mais il parait t'as les ovaires fragiles.

Oups ! Il vient de dire une connerie de plus là ? Il faut vite rattraper le coup Bito... au cas où !!

— ... 'fin c'est Nikkou qui m'l'a dit ça aussi. Souligne-t-il l'air innocent.

Que. Je.

Sans être capable d'articuler le moindre mot, je regardais Bito reprendre son carnet de note et réfléchir à voix haute. Nikkou ? NIKKOU ???? MAIS IL A FAIT QUOI LUI ?! JE LUI PARLE PRESQUE JAMAIS, D'OU IL SE PERMET DE DIRE DES CONNERIES SUR MOI ?!

Je n'eus toutefois pas le loisir de m'exprimer ouvertement, car Bito revint à la charge, visiblement embêté par cette nouvelle. Je le regardai avec des yeux de poisson rouge, hébétée, avant de déglutir assez difficilement face à sa question, qu'il élucida en reportant une nouvelle fois la faute sur Nikkou. Je détournai le regard et me dirigeai vers la cuisine sans parler. Deux enfants, hein...

L'espace de quelques secondes, et juste quelques secondes, mon esprit divagua vers ce rêve que j'avais fait un jour. Où il y avait Ys. Notre fille... Et ce deuxième bébé dans mon ventre. Et puis ce rêve s'était effrité. L'image était devenue sombre. Ys avait hurlé. Je m'étais réveillée.

Je relevai la cruche d'eau en réalisant que l'eau avant débordé de mon verre, et attrapai maladroitement un chiffon pour essuyer le rebord du plan de travail. Je m'arrêtai dans mon geste, fixant mes mains qui tremblotaient un peu sur le morceau de tissu.

-Zéro. Je n'veux pas d'enfant.

C'est au moins la seule chose que j'ai comprise avec la thérapie. Pas vrai...?

-Désolée de te décevoir, parvins-je à articuler en me tournant à nouveau vers Bito.

Je bus quelques gorgées de mon verre, et le reposai un peu bruyamment sur le meuble de la cuisine.

-Et d'où Nikkou te parle de moi ? C'est une excuse encore ?!