J'ai un peu forcé sur la dose.
     Heureusement qu’on est… Ah ben non, raté, samedi. Si encore la novice mineure avec qui je partage les dortoirs avait cours, ça n’aurait pas été grave : elle ne m’aurait pas vue complètement déchirée. J’essaie de faire un minimum bonne impression auprès des nouveaux, vous comprenez. Surtout que s’ils se plaignent, ça me retombe sur la gueule.
     Enfin bref, si vous voulez en savoir plus sur ma situation, disons que là je suis allongée à même le sol, dans le couloir des dortoirs. Et comme ces couloirs sont jonchés de terre, une mousse drue me fait comme un délicat matelas. Qu'est-ce que je fous là, me diriez-vous ? Je redescend. En écoutant la pièce. Le vent qui passe par une fenêtre ouverte et fait siffler les feuilles. Les insectes se promener. Les plantes pousser. Quelqu’un taper à la porte.
     Ah merde.
     C’est pas trop le bon moment, là. Mais je ne peux pas vraiment faire la morte. Si quelqu’un vient ici, c’est pour venir me voir moi. Ou Emma, en fait. Mais je ne l’ai pas entendue depuis longtemps, donc elle doit probablement être sortie. Enfin, quand j’y pense, ça ne change rien : s’il n’y a pas de réponse, la personne à la porte va entrer. Et je ne suis pas trop en état pour recevoir. Je n’ai plus beaucoup de dignité, mais tout de même.
     Il va donc falloir que je me lève. Déjà, où est le sol et où est le plafond. D'instinct, je dirais que le premier est sous mon cul. J’essaie donc de me lever, mais… Ben ça ne marche pas. Pourtant, je sens encore mes jambes. Ah, non, oui, je vois. C’est que je ne sens pas que mes jambes. Il y a aussi ce qui les enlace. Ça m'apprendra à dormir contre un plant de lianes. J’ai encore donné libre cours à mes pouvoirs en dormant. Et visiblement j’ai pas piqué la moitié d’un somme. Ça va me prendre du temps pour dégager tout ça… Et l’autre à l’entrée qui pousse la porte. Merde merde merde !
     « Ouais, euh… Y’a quelqu’un, J’arrive ! »

Terrae. Voilà, ça y est, j'y suis ! Quand la gentille jeune femme qui est venue me chercher m'en a parlé, sur la falaise, je n'avais pas du tout imaginé que l'enceinte soit aussi gigantesque. Je pensais à un institut basique, coincé au milieu d'autres bâtiments d'une rue tokyoïte ordinaire... Mais clairement, j'avais tort ! Je viens carrément de débarquer dans une petite ville au sein de la grande, et le tout totalement grillagé - pour notre protection, il paraît, même si je n'ai pas bien compris pourquoi.

L'institut en lui-même est une ancienne bâtisse vraiment immense, il doit y avoir au moins 5 ou 6 étages ! Son ombre englobe toute la cour pavée, et à l'observer ainsi le nez en l'air, je me sens encore plus petite que d'ordinaire - ce qui n'est pas peu dire ! Je serre la sangle de mon sac en bandoulière, un peu anxieuse, avant de traverser la cour d'un pas lent. Il fait plutôt froid, aussi l'endroit est presque désert. J'essaye de me remémorer les directions jusqu'au dortoir que la jeune femme m'a donnée avant de partir. Au bout du couloir de droite directement après l'entrée ; même pour moi ça devrait être facile à trouver !

Une fois devant la porte, que j'espère être la bonne (il y a un écriteau mais c'est du japonais, donc bon...), je frappe quelques coups timides. Pas de réponse. Peut-être qu'il n'y a personne ? Après tout, un samedi après-midi, les gens ont sûrement des choses de prévues. Je frappe une nouvelle fois pour être sûre, avant de finalement ouvrir la porte. Mes yeux et ma bouche s'ouvrent comme des soucoupes quand je découvre la pièce de l'autre côté ; ok alors, je ne dois pas être au bon endroit... Est-ce que c'est la serre ? Une végétation luxuriante pousse de partout et de la terre recouvre le sol, c'est absolument magnifique, on se croirait vraiment dans une jungle ! Une voix retentit soudain depuis le sol, me sortant de ma contemplation avec un cri de surprise.

"AAH ! Il-il y a quelqu'un ?"

Je baisse les yeux vers la source de la voix, et remarque un amas de mousse et de lianes qui bouge. Mais qu'est ce que... ? Je recule de quelques pas, paniquée, avant de voir une tête brune émerger de la végétation. Oh mon dieu, il y a quelqu'un coincé là-dessus ! Je passe la bandoulière de mon sac par-dessus ma tête et le pose près de la porte, avant de me hâter vers la pauvre jeune femme prisonnière. Je m'agenouille près d'elle et commence à repousser les lianes et autres plantes enroulés autour de son corps.

"Est-ce que tout va bien ? Mais qu'est-ce qui s'est passé ?"

Bon, je n'y connais rien en plantes exotiques, mais ça me semble quand même bizarre que la végétation ait pu pousser assez rapidement pour la capturer de la sorte ! La brune a l'air d'ailleurs bien calme et sereine vu la situation...

     Sa réaction me permet de savoir qui elle est et ce qu’elle fout là. N’importe qui d’un peu expérimenté aurait eu une réaction du genre : « on peut pas laisser un Terre seul trente secondes sans qu’il ne change la pièce en une Amazonie miniature », ce qui est un cliché exagéré, il n’y a que moi qui fait ça. Je crois.
     « Alors, ça doit être nouveau pour toi tout ça et visiblement personne t’a prévenu… Enfin en même temps, il y a le savoir et le vivre, hein ? Attend, recule tu vas voir. »
     Quand il s’agit d’impressionner les novices, je peux trouver un peu d’énergie. Puis elle m’a un peu aidé avec ses petites mains. Je concentre ma magie sur le sol autour de moi. Mes pouvoirs s’infiltrent dans la terre, les racines, les tiges, les feuilles. Elles frémissent.
     « Alors, quand je dis « recule », c’est pas dangereux, je dis ça comme ça hein. Du coup pour t’expliquer rapidement pendant que je fais ça, là t’es novice mais t’as compris que t’allais recevoir des pouvoirs en fonction de ta personnalité. Hé ben je suis une Terre Lunaire, ce qui veut dire pour faire simple que je peux contrôler les plantes. »
     Le fait qu’elles m’aient emprisonnées remet un peu en doute cette affirmation.
     « Enfin, je peux altérer leur croissance et décroissance. Comme tu peux le voir autour de toi, je me suis un peu lâchée. Et ça m’arrive de le faire en dormant. Normalement c’est pas un problème, vu que pas beaucoup de gens dorment blottis contre une plante, tu vois, mais moi si. »
     Les plantes commencent à se secouer et à se rétracter. J’essaie d’inverser leur croissance, assez pour qu’elles se rétractent mais pas trop, je ne veux pas les tuer non plus. Au bout de quelques secondes, je sens leur emprise se faire plus lâche et essaie de me relever.
     « Tiens, attrape ma m… Ah non pas celle-là. »
     Ah mais attend. Je baisse mon bras droit.
     « En fait, non. Je peux le faire toute seule. Tu te souviens, je t’ai dit que j’étais Terre Lunaire. Hé bien, à Terrae, on a deux pouvoirs. Mon pouvoir secondaire c’est la super-force, pour faire simple. Je l’oublie tout le temps. »
     En quelques gestes, j’arrive à arracher les lianes qui m’enserrent comme si ce n’était que de la paille. Il faudra que je les soigne ces pauvres petites, mais plus tard maintenant. Me voilà assise en tailleur et franchement pas réveill— oups. J’oubliais que dans mon état je perds un peu le sens de l’équilibre. Et du coup je me suis vautrée et je ne sais même pas dans quelle position. Et il va falloir que j’explique ça à la nouvelle… entre autres choses…
     « Euuah… Si je te donne de la monnaie… Tu veux bien aller me chercher un café ? C’est… tu sors, tournes à gauche et t’y es. »
     Ça va devenir une habitude de me faire servir le petit-déjeuner par les novices. Mais en même temps, ils arrivent à des heures décentes, ces cons, soit celles où je suis complètement indisponible.

Alors que j'aide la jeune femme à se dégager des plantes, je remarque que l'une de ses manches est vide ; ou plutôt, son bras manquant est remplacé par un espèce d'amas végétal. Je me garde bien de faire tout commentaire et l'aide simplement à s'extirper de là. Elle devine que je suis nouvelle, mais la fin de sa phrase ne fait pas beaucoup de sens pour moi. Je recule néanmoins quand elle me le demande, ne sachant pas à quoi m'attendre.

"O-oui je suis nouvelle... Je cherchais les dortoirs, mais je crois que je me suis per...... due."

La fin de ma phrase se bloque dans ma gorge, alors que soudain les plantes autour de nous commencent à frémir et bouger d'elles-mêmes. S'il y avait du vent, j'aurais pu comprendre, mais là ? Instinctivement, je m'accroche à la bandoulière de mon sac... Sauf que j'ai laissé mon sac à l'entrée, je n'ai donc rien d'autre à agripper que ma propre manche.

"Mais que-qu'est-ce que..."

Ma voix est montée dans les aigus, et ma tête bourdonne si fort que j'entends à peine ce que la brune m'explique. Elle parle de Terre et de Lune, mais la seule chose sur laquelle j'arrive à me concentrer est cette végétation vivante autour de moi. Enfin, je sais que les plantes sont des êtres vivants, mais ils ne sont pas sensés bouger comme ça non plus !

Je reste bouchée bée, immobile et les bras ballants, alors que la jeune femme termine de se libérer à côté de moi et passe en position assise. Je parviens finalement à décrocher mes yeux des plantes mouvantes pour les poser sur elle. Ses lèvres bougent, elle me parle, mais le bourdonnement dans ma tête est si intense que je ne l'entends pas. Ma vision commence à se voiler alors que des flashs lumineux apparaissent devant mes yeux.

"Je-je crois que..."

Mes jambes lâchent soudain sous mon poids et je m'effondre avant d'avoir pu terminer ma phrase, inconsciente. Alyona 0-1 Terrae, good start !

     Hé nan, t’es au bon endroit. Pas sûre que ce soit ce que tu voulais entendre, je reconnais.
     Ouh, mais elle va pas me… Ah ben si. Au moins j’ai une petite idée de son affinité : une Terre aurait essayé de comprendre ce qui se passe, sans trop paniquer, une Tonnerre aurait été plus excitée que terrifiée et une Feu se serait énervée que je l’envoie faire mes courses. Je penche pour Air ou Eau, on verra ce que la suite des événements nous dira.
     Par contre, non seulement je me retrouve avec une nana ayant fait un malaise sur le bras, mais en plus je viens de perdre la seule personne qui aurait pu m’apporter mon petit-déjeuner. À part moi-même, mais déjà que tenir debout relèverait de l’exploit, alors me lever. C’est là que je me dis qu’un robot comme ceux de Mitsu me serait bien utile. Mais le pauvre, il ne tiendrait pas une nuit ici. Trop de végétation excitée par mes pouvoirs qui le prendrait pour un support pour plantes. Déjà que ça m’arrive manifestement même à moi.
     Je soupire un grand coup. Et vous passe les événements. Disons simplement que j’ai pas mal galéré à la transporter avec un seul bras et à peine assez de force physique pour traîner mon propre corps. Enfin, heureusement, le contrôle de la terre couplé à celui de lianes pendant du plafond m’a permis de la hisser pour la déplacer. À son réveil, la nouvelle est installée dans mon hamac. J’ai mis ses affaires à côté d’elle et lui ai gardé un croissant et une thermos de thé avec une tasse, sur un plateau maintenu par un arbuste qui sert en quelque sorte de table basse. De mon côté, je suis allongée sur de la mousse à fumer un pétard tout en lisant un bouquin. J’ai préféré opter pour une situation de réveil calme et posée, ça lui conviendra sûrement mieux.

Je sens vaguement qu'on me déplace, mais il me faut un moment avant d'émerger de l'inconscience pour de bon. Je cligne des yeux plusieurs fois et reste immobile quelques instants, histoire de reprendre mes esprits en douceur. Je suis allongée dans un hamac il semblerait, sous une vue de palmiers exotiques ; il y a pire, comme réveil ! Une odeur doucereuse particulière règne dans la pièce, que j'ai l'impression de reconnaître sans réussir à mettre le doigt dessus. Je me redresse lentement, et sens mon sac glisser contre ma cuisse, rassurée qu'il n'ait pas disparu dès mon premier jour ! Mes yeux tombent sur un plateau avec du café et des viennoiseries, que je devine à mon attention, et esquisse un maigre sourire.

"Me-merci... De t'être occupée de moi. Moi c'est Alyona, et toi ?"

La jeune femme brune est allongée à même le sol, et fume une cigarette. Non, pas une cigarette ; l'odeur bizarre vient de là, et soudain ça me revient. Du cannabis. Je n'ai jamais essayé, pas plus qu'aucune autre drogue d'ailleurs... Mais les mannequins sur qui je travaillais en fumaient souvent, entre autres choses... Elles étaient presque tout le temps défoncées, plusieurs m'ont confié que ça les aidait à ne pas manger, et aussi à tenir les longs horaires le ventre vide. Le milieu est beaucoup moins glamour quand on assiste à l'envers du décor, mais j'ai toujours réussi à préserver mon innocence malgré les tentations.

Mais je ne suis personne pour juger, surtout après la façon dont elle s'est occupée de moi, sans même me connaître ! Je prends un moment pour regarder la jungle environnante, et finis par reporter mon attention sur la brune.

"Je crois que... C'était un peu trop d'informations d'un coup. Est-ce qu'on peut recommencer... Plus lentement ?"

J'ai l'impression que la personne qui m'a conduite ici a été un peu trop évasive sur les explications, ou alors c'est moi qui n'étais pas assez attentive... Mais j'ai clairement raté un bon gros morceau important.

     Ah, ça ce passe mieux cette fois-ci. En même temps, quand on est déjà allongé, on n’a nulle part où se faire mal en s’évanouissant de stupeur, et la simple présence de viennoiseries suffit à calmer les esprits. Je lui fait coucou du « bras » droit quand elle se réveille et m’adresse la parole.
     « Luna. Enchantée. »
     Elle regarde avec attention ce que je fume. À son air, elle sait ce que c’est. Enfin, je ne connais pas beaucoup de gens ayant son âge et vécu même un court instant en ville qui ne reconnaisse pas ça du premier coup de nez. Même sans en avoir essayé. C’est pas plus mal que ça ne la dérange pas. Devant l’autre novice, la mineure, j’essaie de ne pas l’exposer à quelque signe de ma consommation, mais là on est entre adultes.
     Recommencer plus lentement, ma grande vu mon état tu m’aurais demandé autrement t’aurais pas été satisfaite. C’est que, je me lève, moi ! Et j’ai dû m’occuper d’elle, ce qui implique pas mal d’efforts. Pourquoi tu crois que je fais la sieste. Parce que je suis une glandeuse et que je la ferais à n’importe quelle heure de la journée. Oui, certes.
     « Mm mm. Alors… Bon… On a dû t’expliquer qu’à Terrae au bout d’un certain temps, tu développes des pouvoirs magiques. En fonction de ta personnalité. J’espère que tu aimes les avions ou la flotte, d’ailleurs. Les miens c’est, bah, t’as deviné je pense. Contrôle de la terre et des plantes. Et super-force mais j’ai clairement trop la flemme de te montrer donc il va falloir me croire sur parole. »
     Petite pause, je me repasse ce que je lui raconte. Juste pour voir si c’est pas trop décousu et compréhensible. Meh, on va dire que ça passe.
     « Okay, et donc quand tu les obtiens, on te place dans une sorte de, euh… d’étage rien qu’à ton affinité. T’as celui des Feux, des Tonnerres, des Eaux, des Airs et des Terres. Et t’y as droit à ton propre appart’. Mais du coup, je vois la question qui te brûle les lèvres à peu près autant que ce thé. Qu’est-ce que je fous ici et pas dans ma baraque chez les Terres ? Hé ben, quand je suis arrivée, ils avaient un creu dans l’arrivée de novices, tu vois. Du coup j’avais tout le bâtiment pour moi toute seule. Et pourquoi échanger, genre… tout ça contre un truc beaucoup plus petite tu comprends ? »
     Après je reconnais que je trouve ça bizarre que la direction n’ait pas encore gueulé. Mais après tout, je ne dérange personne. Il y a une des chambres communes des dortoirs qui est dispo pour ceux qui arrivent, ce qui représente vraiment pas grand-monde. Si elle veut avoir la sienne je peux en aménager une autre pour… merde, comment elle a dit déjà ? Ça ressemblait pas mal à mon prénom mais avec plus de lettres… Bah, je m’en souviendrai bien à un moment ou un autre.
     « Du coup voilà. Je te rassure, tout le monde fout pas le boxon comme moi. T’imagines à quoi ressemblerait l’étage de ceux qui contrôlent le feu, sinon ? Ce serait, keuh keuh… plutôt marrant. »

J'adresse un sourire à Luna quand elle se présente, essayant de ne pas fixer son "bras" végétal de manière trop insistante. Très étrange comme choix de prothèse, mais je ne suis pas sûre que ce soit un sujet de conversation judicieux pour une première rencontre. J'attrape la viennoiserie sur le plateau, que je triture un moment entre mes doigts, avant de déchirer un petit morceau que je porte à ma bouche. Je mâchouille calmement tout en écoutant les explications de la brune. Enfin, calmement en apparence seulement, à l'intérieur de mon cerveau j'ai l'impression qu'une bombe vient d'exploser ! Je prends le temps d'avaler ma bouchée avant de prendre la parole.

"En fait... J'étais un peu distraite quand la jeune femme est venue me chercher, et je pense que j'ai manqué un gros morceau de son explication..."

Je ne vois pas d'autre solution, ça m'étonnerait quand même qu'elle m'ait volontairement laissé dans le brouillard sur un "détail" pareil ! Je ferme les yeux quelques instants et m'applique à réguler ma respiration pour calmer le tremblement de mes mains. La brune interrompt ma méditation improvisée quand elle reprend la parole, et j'ouvre les yeux pour les poser sur elle avec un sourire. Ca ne fait rien, j'aurai tout le temps de méditer plus tard, pour le moment je peux juste enterrer ma tête sous le sable, comme une autruche.

"Mais ça ne fait rien, apparemment j'ai un rendez-vous demain avec une guide pour une session de rattrapage ! Je crois que j'ai besoin d'un peu de temps pour digérer tout ça, donc on peut peut-être parler d'autre chose ?"

J'espère qu'elle prendra la suggestion au vol, sinon je risque de me sentir mal de nouveau ! Ce n'est pas de ma faute, ni de la sienne d'ailleurs, j'ai toujours été un peu longue à la détente, c'est comme ça... Je rebondis donc sur son petit discours à propos des dortoirs.

"C'est sûr que tu as de l'espace, ici... Mais du coup, il n'y a que toi et moi qui partageons le dortoir, pour le moment ? Ca fait looongtemps que je n'ai pas été dans un dortoir commun, on devrait faire une soirée pyjama pour inaugurer notre cohabitation !"

Avec des cupcakes, du punch et plein d'histoires de filles ! Enfin, ça n'a pas trop l'air d'être le genre de Luna, en fait... Mais peut-être que les apparences sont trompeuses ?

     Mm, ça ressemblerait pas mal aux masters de faire un coup pareil. Celui qui m’a amené à Terrae m’a laissé emmener mes affaires toute seule dans les dortoirs. Demander ça à une handicapée, c’est pas ultra sympa, m’voyez. Au final, j’ai fini par trouver quelqu’un en la présence de Tiago et on s’est lancé dans une petite partie de jambes en l’air dans l’heure qui a suivi. Les premières rencontres, c’est jamais très banal. Là, elle se retrouve avec une glandue qui fume des joints dans sa jungle, c’est un autre style. À mon avis, de deux choses l’une : ou c’est une forme de bizutage, ou tout est calculé à l’avance pour que les nouveaux aient le droit à une rencontre bien explosive qui posera le ton pour le reste de leur séjour à Terrae. Venant de personnes qui peuvent littéralement voir l’avenir, ça ne m’étonnerait pas tant que ça.
     « De tout ce que tu veux ma grande. »
     T’as raison de pas me demander à moi de te faire la visite, d’ailleurs. Je veux dire, je pourrais le faire, mais c’est si tu veux commencer à midi, me porter sur une partie du trajet et probablement finir beurrée sans même que tu ne te souviennes comment.
     Une soirée, pyjama. En soi, je vois à peu près le concept. Je pense même que je pourrais le trouver intéressant. Il faut dire, quand je sortais avec des potes, ce n’était pas vraiment le genre d’activités auquel on se livrait. Plutôt faire des courses de moto nocturnes, voler des bières dans une épicerie, se foutre au sommet d’un immeuble, le signer d’un magnifique tag, envoyer de la musique à fond et balancer les canettes vides sur la rue jusqu’à ce que les flics débarquent. Mais encore, un truc plus sage, pourquoi pas je veux dire. Non, le vrai problème est plus dans le choix des termes. « soirée », déjà. Pour moi, une soirée, ça n’a pas vraiment de sens, vu que les jours n’en ont pas vraiment non plus. Je me lève et me couche littéralement à n’importe quelle heure, comme elle peut en témoigner. « pyjama » c’est un autre problème. Je ne mets pas de pyjama, je dors dans mes fringues de la journée. En même temps, je maintiens en bonne santé les plantes qui parcourent mes vêtements grâce à mes pouvoirs et elle a déjà bien compris qu’ils s’activent en dormant, du coup les garder tout le temps sur moi est assez important.
     « Ah, non, il y a aussi une petite jeune, là. Emmanuelle… quelque chose. J’ai pas spécialement l’impression qu’elle m’apprécie ou ait très envie de faire du social, tu vois. On essaie de pas se gêner l’une l’autre. Après, mm… Une soirée… Écoute pourquoi pas… Tant qu’on fout pas trop le sbeul ça devrait le faire. On peut faire ça à nous deux, j’dis pas non, mais si tu veux on peut inviter des gens. Ça te fera découvrir des têtes sympas. »
     ’faudra juste que je pense à planquer mes plants de cannabis quelque part. Je vois à peu près qui inviter en plus. Ariana est pas mal prise en ce moment mais ce serait marrant, Afya qui sait ça peut la botter, et pourquoi pas Mitsuki. Il faut quelqu’un pour mettre de l’ambiance – et ramener des enceintes qui défoncent – et elle entre dans les deux catégories.

Luna n'insiste pas lorsque je lui demande si on peut changer de sujet, et je lui adresse un sourire tout en occultant de mon cerveau tout ce qui concerne les pouvoirs et autres bizarreries de cet endroit - et croyez-moi, c'est difficile étant donné que je suis littéralement assise au milieu d'une jungle !

"Mmh eh bien... Je ne sais pas, parle-moi de toi ? Qu'est-ce que tu aimes faire dans la vie... A part faire pousser des plantes !"

Je lâche un léger rire à ma propre remarque. Je me demande vaguement si elle avait déjà la main verte avant d'arriver ici, ou si elle s'y est mise pour découvrir l'étendue de ses pouvoirs... Mais on a dit qu'on arrêtait de parler de ça ! Il sera toujours temps d'en reparler une autre fois, après tout on va partager ce dortoir un petit moment je suppose. Une fois le choc passé, je suis sûre que je vais être toute excitée à l'idée de devenir un genre de Wonder-Woman !

La brune m'explique ensuite qu'il y a une troisième résidente qui loge ici, une adolescente apparemment, et je comprends à son discours qu'elles ne sont pas spécialement copines - elle a peut-être moins apprécié le coup du dortoir-forêt ? J'affiche un large sourire lorsqu'elle accepte ma proposition de soirée, haussant les épaules après qu'elle me demande si je veux inviter d'autres personnes.

"Oh non t'inquiète, j'avais en tête une soirée calme hein ! On peut peut-être juste rester entre nous pour ce soir ? En incluant Emmanuelle si elle vient plus tard, évidemment, c'est aussi chez elle !"

C'est une ado, je suis sûre qu'elle aime les soirées pyjamas, c'était mon activité préférée à cet âge ! Et au pire si elle ne veut pas se joindre à nous, le dortoir est suffisamment grand pour qu'elle trouve du calme dans un autre coin - ce n'est pas comme si on allait faire la super fiesta non plus hein ! Mais en parlant de ça...

"C'est une bonne idée d'organiser une soirée avec d'autres aussi ! Mais je pense que c'est mieux de demander d'abord si ça ne dérange pas, et puis ça nous laisse du temps pour organiser et inviter des gens !"

Les soirées organisées en dernière minute sont souvent les meilleures, c'est vrai, mais j'aimerais autant éviter de m'attirer des problèmes dès mon premier soir, quand même.

     À part faire pousser des plantes ? Euh… Les étudier, les manger et les fumer. J’aime bien boire, aussi. Voilà voilà. Elle risque d’être un peu déçue si elle veut qu’on discute d’autre chose que de végétaux, mais je vais faire de mon mieux. Essayer de me souvenir à quoi ça ressemble d’avoir des interactions sociales normales. Enfin après je dis ça mais à peine elle déboule que déjà je propose à Alyona une grosse teuf. Nan mais, c’est une idée à garder. Il faudra qu’on en rediscute, que je passe quelques coups de fil, tout ça.
     Puis je ne peux pas lui en vouloir de préférer commencer calmement dans Terrae. Je n’ai toujours pas fini de commencer, moi, à ce titre.
     Cette phrase sonnait mieux avant que je ne la formule. Qu’importe.
     « Écoute, moi ça me va. Par contre si tu veux faire une soirée, le problème c’est que j’ai rien à bouffer. Enfin si, j’ai des légumes, mais ça ne fait pas un vrai repas. Et j’ai rien à boire. À part du jus de fruit. Pas encore pressé. Si tu veux on peut aller se chercher un truc pour aller avec ce que je fais pousser ici, cuisiner tout ça et puis voilà, quoi. Ça me fera sortir et ce sera l’occasion de visiter l’institut. T’en penses quoi ? »
     J’en pense que c’est une idée un peu de merde me concernant. Déjà, j’empeste le cannabis. Mais ça encore, comme je me trimballe avec des fleurs aromatisantes on peut s’en foutre. Ensuite, je sors du lit et je suis pas trop trop en état, mais je ne le suis jamais vraiment et m’activer un peu aura le mérite de me réveiller. Enfin, j’espère qu’elle ne prévoit pas que je vais l’inviter parce que j’ai pas beaucoup de sous, en ce moment. Ma prochaine livraison d’herbe n’est pas avant après-demain.
     Ah et il va falloir qu’elle m’aide à me relever, aussi.

Luna me lance un regard étrange quand je lui demande ce qu'elle aime dans la vie, et elle évite de répondre à la question. Ne me dites pas qu'il n'y a rien d'autre qui l'intéresse que les plantes, quand même ?! J'adore les fleurs hein, mais bon j'aime aussi plein d'autres trucs ! Après, je ne suis peut-être pas un super bon exemple, vu que j'aime à peu près tout et tout le monde...

La brune finit par accepter qu'on fasse une soirée tranquille entre filles, avant de souligner le problème de la nourriture. Effectivement, on ne va pas faire la fête avec des courgettes et des patates crues hein ! Mais il doit forcément y avoir des magasins dans le coin, ou au moins une cafétéria... Je hoche donc la tête en souriant à sa proposition.

"D'accord, c'est une bonne idée ! Après, on n'a pas besoin de faire une visite approfondie non plus hein, on devrait pouvoir trouver ce qu'il faut à la supérette ! Enfin, s'il y a une supérette à Terrae ? Je ne sais pas trop comment ça fonctionne ici je dois dire..."

Déjà, il faut savoir que je m'attendais à débarquer dans une espèce d'école spécialisée située en centre-ville - comme n'importe quelle école en somme - et PAS dans une enceinte grillagée ultra-protégée ! Mais vu qu'on ne peut pas vraiment se balader facilement dans les rues de Tokyo, j'imagine qu'il y a tout ce qu'il faut à disposition intra-muros ? Je commence à regretter de n'avoir rien écouté à mon arrivée quand même, je me rends compte que je n'ai aucune idée d'où j'ai mis les pieds...

"Tu veux y aller maintenant ? T'as l'air un peu... Enfin... On peut attendre un peu si tu préfères, ça ne presse pas ! Tu pourrais me faire visiter le dortoir pour commencer ? Où est la salle de bains ?"

J'aimerais bien me passer de l'eau sur le visage et me rafraîchir un peu quand même avant de sortir... Puis Luna a l'air un peu - beaucoup - dans les vappes, je ne sais pas trop si c'est une super idée d'y aller directement ! Ca lui ferait sans doute du bien de prendre une bonne douche et de se changer elle aussi, mais je ne sais pas comment lui dire ça sans paraître super impolie...

     Une supérette, ça devrait pouvoir se trouver. Ou sinon il y a la cafétéria, mais un dilemme se pose. Les magasins au village sont plus loin la cafétéria est dans le même bâtiment. Mais à cette… heure… quelle heure il est… ah, oui non c’est bon, à cette heure donc il y aura moins de monde à la supérette vu que les gens ont cours et que pour chopper de quoi grignoter, ils ne se retapent pas tout le trajet jusqu’au village. Et donc je préférerais me taper le trajet moi, vu je ne suis pas encore tout à fait du genre à fréquenter beaucoup de monde facilement. Quand on mène un quotidien de noix de saint-jacques, aussi. En vrai, sortir me fera un bien fou. Enfin. Enfin en fait non. Du moins, ça dépend à quelle partie de mon cerveau on demande.
     « Ouais, alors… ‘faut voir ça comme… Euh… Une sorte de village autonome. Du coup tu peux trouver à peu près tout ce que tu veux. Et au pire tu peux te faire livrer depuis le reste du Japon. Même de la bouffe. Ils déposent ça à la grille et t’as un service de livraison interne à Terrae qui te fait le reste du trajet. »
     J’ai jamais essayé, mais Ariana m’en a parlé. Ça impliquerait d’avoir du pognon pour s’offrir le restau à livrer et l’intermédiaire terraen en plus, vous voyez.
     « Par contre ouais on va pas y aller maintenant, il me faut quelques minutes pour me réveiller et… retrouver mes pompes… »
     Visiter le coin serait un bon prétexte pour les chercher, mais si je lui faisais un exposé pièce par pièce, ça ressemblerait à « Donc, là je fais pousser des plantes. Et là, je fais pousser des plantes. Et là… Je fais pousser… des plantes. »
     « La salle de bain déjà, tu sors et c’est à droite. Je l’ai laissée intacte. Pour le reste, là-bas t’as le dortoir d’Emma et partout ailleurs t’as ceux de mes végétaux. Je te demanderais juste de pas entrer dans celui-là – je lui indique celui où je fais pousser mon cannabis –, c’est celui où je range mes trucs persos. Après tous les autres si tu veux te servir en fruits et légumes, même quand je suis pas là hésite pas. Ils sont là pour ça et je peux littéralement en générer à volonté. Comme leurs emplacements changent pas mal il faudra que tu fouilles un peu avant de trouver ce que tu veux. Et aussi, tu pourras choisir une pièce que je nettoierai pour que tu puisses t’y installer. »
     Je lui tends ma main.
     « Mais d’abord manger, si ça t’embêtes pas. »

J'écoute attentivement les explications de Luna tout en hochant lentement la tête. Mmh d'accord, donc en gros Terrae c'est comme une petite ville enclavée dans la grande... Je note le système de livraison avec un sourire ; ça peut toujours servir pour les jours de grosse flemme !

"Ok je vois, merci pour les explications ! Je suis vraiment à la ramasse, c'est dingue ! Je me rends compte que j'ai accepté de venir ici sans rien savoir de l'endroit où je mettais les pieds en fait..."

Le bon sens n'a jamais été mon point fort, mais là pour le coup... J'ai fait fort. Il faut dire aussi que la Master m'a trouvée au pire moment. Si elle n'était pas intervenue, j'aurais vraiment sauté de cette fichue falaise je crois... Autant dire que j'aurais accepté n'importe quelle main tendue sans me poser de questions ! Tout ça s'est passé à peine hier, et pourtant j'ai l'impression que c'était il y a des semaines. Je ne sais pas si c'est à cause de cet endroit et toutes les révélations étranges que je viens d'apprendre, mais je me sens... Pas spécialement mieux, juste déconnectée de mes émotions. Ce qui m'évite de déprimer, donc ce n'est pas plus mal quand même pour le moment !

J'offre un sourire à la brune en hochant la tête lorsqu'elle m'indique avoir besoin d'un peu de temps pour se remettre les idées en place. C'est sans doute mieux, oui ! Elle me fait ensuite visiter le dortoir, qui se compose de plusieurs pièces sans être super grand non plus. Je note la pièce réservée à Emma, ainsi que la sienne, et pointe donc le doigt vers une troisième pièce qui doit être libre.

"Elles font toutes la même taille je suppose ? Celle-là fera l'affaire du coup, mais ça ne presse pas, je n'ai pas encore reçu mes valises de toute façon ! Je dormirai dans un hamac au milieu des arbres avec toi ce soir, hihi !"

En vrai, c'est un peu comme faire du camping, alors autant le faire à fond ! Un peu de dépaysement ne peut pas me faire de mal, c'est le top pour se changer les idées justement.

"Je vais aller me rafraîchir un peu à la salle de bains avant d'y aller, je ne serai pas longue, promis ! On peut passer manger un truc à la cafétéria avant de faire les courses, si tu veux ? Ou tu as à manger ici ?"

Question bête ; nous sommes entourées de fruits et légumes. Mais bon, ça ne remplit pas l'estomac comme une bonne part de gâteau, c'est sûr !

     Je lui envoie un petit sourire quand elle me dit à quel point elle ne s’attendait pas trop à ça. C’est amusant, parce que je ne la pensais pas être du genre à sauter dans l’inconnu sans regarder, m’voyez. J’ai bien entendu lu ce qu’il y avait à savoir sur le sujet avant de me pointer. Pas tout, mais une bonne partie. Et comme je n’ai rien à foutre de mes journées, je me suis assez bien renseignée sur le reste.
     « Toute la m… »
     Attend quoi ?
     Ah, non, okay. L’espace d’un instant j’ai cru qu’elle m’avais proposé qu’on dorme ensemble dans mon hamac. Mais en fait elle veut juste dormir dans un hamac. Ça m’a troublé parce que… Ben y’en a qu’un et c’est le mien. Et aussi parce que c’est plutôt moi qui fait ce genre de proposition aux personnes que je viens à peine de rencontrer.
     « Alors pour ce soir… »
     Tut-tut-tut. Je sais bien que la première chose que j’ai faite en arrivant c’est de me taper la première personne qui passait par là, mais ce n’est pas pour autant que ça doit devenir une sorte de rite de bienvenue.
     Après, en soi, elle est… pas exactement mon type, mais elle pourrait y rentrer. Ça ne fait pas depuis longtemps que j’ai développé un intérêt pour les nanas (depuis mon arrivée à Terrae, en fait) du coup je tâtonne un peu dans le domaine, vous comprenez. J’essaie de définir mes goûts. Une nana blonde qui a l’air d’être une mannequin et a un côté franchement naïf, ça pourrait le faire. Je n’ai pas dit que j’irais jusqu’à essayer, mais qui sait, tout peux arriver.
     « Ouais, j’ai à manger, mais que des fruits, quoi. Et puis ce sera l’occasion de te montrer la cafétéria. Je te retrouve dans le couloir. Si j’arrive à me lever. »
     Et si ce n’est pas plutôt elle qui doit aller me chercher parce que je n’aurais vraiment pas trouvé mes godasses. Il faudrait que je lui en emprunte. Ce qui serait pas mal gênant, mais en même temps elle est du genre à avoir des tas de paires de rechange.
     Non, ça va. J’ai pu mettre mes grolles toute dézinguées aux pieds. Pas de chaussettes, évidemment, mais quelques tiges et feuilles qui dépassent. Et pas de lacets non plus mais deux fraisiers des bois qui se sont entortillés dans les trous. On se retrouve donc effectivement dans le couloir, devant les dortoirs.
     « C’est par là. »
     Je lui indique la direction de l’aile gauche du bâtiment.
     « Ah et au fait, pour ce soir, je n’ai qu’un seul hamac, mais il est bien assez grand pour deux. »
     Petite œillade malicieuse.
     Non mais c’était évident que j’allais faire ça.