Je ricane quand Erik prend la mouche.

- T'inquiète, t'inquiète ! Je te considère encore comme un adulte à peu près responsable. Je te faisais juste marcher, mais toi tu cours c'est juste trop drôle pour pas en profiter.

Et non, je n'ai pas l'intention d'arrêter. Je commence à me retourner quand il repart en courant, cul nu. Je ne m'attarde pas sur cette vision et me reconcentre sur mon irish qui continue à me fondre sur les doigts.

- Grouille, sinon on va avoir un jacuzzi à la chantilly !

Au moment où je dis ça, Erik réapparaît en courant tel un putain de gremlin bodybuildé. Je me retourne à nouveau en hâte pour le laisser se glisser dans l'eau. Bordel, on prévient avant d'apparaître normalement ! Enfin c'est ni la première fois ni la dernière que je verrais un mec à poil. Mais on appelle ça la décence. Donc je lui laisse l'intimité de rentrer dans le jacuzzi sans qu'un type qu'il a rencontré il y a tout juste quelques heures ne le regarde tel un enfant un peu trop curieux.

Quand il me semble que c'est bon, je me tourne à nouveau vers lui et lui donne son cocktail, qui a encore de la chantilly dessus. J'ai déjà dégommé celle qui recouvrait le mien, sans honte aucune. La remarque d'Erik m'arrache un nouveau sourire.

- J'allais rien dire hein. Mais là, tout ce que je tire de cette info c'est que je comprends à présent pourquoi les gosses du coin sont présents à Terrae - en dehors du fait qu'ils sont nés là, s'entend -. Pauvres petits, avec un voisin comme toi...

Oui je le taquine à nouveau. J'y peux rien, c'est juste beaucoup trop amusant. Je glisse la paille entre mes lèvres et bois quelques gorgées de café. La boisson encore un peu chaude me brûle la langue, mais je m'en fiche. Le goût m'arrache un grognement.

- Putain la tuerie. J'ai l'impression de revenir à Dublin.

Enfin, le Dublin du début d'année. Le moment où je me gavais de bons alcools et où je passais toutes mes soirées en bar ou en boîte à écouter soit de la musique locale soit des tubes rétro à fond les basses. Ouais, le début de ma vie à Dublin était vraiment pas trop mal.

Vraiment le meilleur investissement possible ce putain de jacuzzi. Fuck les boloss qui vivent à l'Institut eheh. Putain ce qu'on est bien dans l'eau chaude qui fait des bulles qui me caressent les couilles. Franchement c'est mieux à poil déso pas déso. En plus l'Irish Coffee est bon. La chantilly a eu un peu chaud mais tranquille, j'ai consommé bien pire j'suis pas trop regardant. Mais c'est clair que la chantilly industrielle ça tient pas la comparaison avec la vraie. Enfin, ce qui compte, c'est le goût.

"Ouais mais les gosses j'suis le premier à les avoir vu à poil, c'est qu'un juste retour des choses. J'rigole intérieurement avant de reprendre la parole l'air de rien. "J'tiens à la vie en vrai. J'vais pas faire le malin devant les masters. Y a pas trop de vis à vis, et si y a des pervers qui me matent depuis la forêt franchement ils ont intérêt à avoir de bons yeux."

Putain faut vraiment que je ferme ma gueule. J'ai avalé de travers merde.

"Je dis pas ça parce que j'en ai une petite hein, juste parce que c'est loin."

En vrai j'me justifie plus pour la blague que parce que j'ai réellement à me justifier. Ça me fait rire, le comique de répétition.

"Et me dis pas que la taille ça compte pas, sinon j'parle de la longueur de tes cheveux. Et toc."

J'le remercie pour le compliment sur mon café, ça fait toujours plaisir, et j'suis pas certain qu'on puisse m'en faire un meilleur dans cette situation là.

"Et pourquoi Dublin du coup ? J'imagine qu'un jeune talent comme toi avait le monde à ses pieds et l'embarras du choix ? Ça te dérange si je m'allume une clope ? J'en ai envie depuis qu'on est dans la pampa tout a l'heure-"

J'me doute de la réponse, que jsuis chez moi, un peu comme quand j'lui ai demandé si j'pouvais entrer à poil, alors je sors une clope, que j'allume sans trop de difficulté malgré la présence d'eau plus ou moins partout, en utilisant mes pouvoirs pour sécher mes mains et l'empêcher de se rapprocher de la flamme ou de ma cigarette. Puis j'en tend une à Camil, si jamais ça l'intéresse.

"Et du coup, t'étais en Irlande avant d'atterrir ici ? Il s'est passé un truc en particulier ? Sans entrer dans les détails hein, te force pas à répondre. J'ai la fâcheuse tendance à être un peu trop curieux, j't'en voudrais pas de m'envoyer chier."

C'est ouf cette manie de merde de poser les pires question que j'ai. Mais j'peux pas m'empêcher. J'suis nul à chier pour faire la conversation j'y peux rien.

J'écoute Erik et le regarde s'étouffer. Ce gars est beaucoup trop divertissant pour son propre bien. Je lui tape gentiment dans le dos en rigolant. Je ris de plus belle quand il me parle de la taille de mes cheveux.

- Haha non mais je vais pas te dire que la taille ne compte pas, même si c'est plutôt ce que je pense ! Mais en effet, mes cheveux ont plus tendance à impressionner que... Enfin bref !

Je vais me taire aussi hein. Je bois quelques gorgées de mon cocktail. Le café se mélange super bien avec le whisky, qui au passage doit être un très bon whisky vu ses notes de fruits, agrume et cacao en arrière-bouche. La chantilly qui s'est mélangée au reste de la boisson adoucit le tout. Bref, un vrai délice.

Je rougis un peu quand Erik me qualifie de jeune talent. C'est très flatteur, et j'avoue que je n'ai pas forcément l'habitude de ce genre de compliment. Je lui fais signe qu'il peut y aller pour la cigarette. Pourquoi Dublin hein ? En vrai...

- Pour être honnête avec toi... Y'a pas vraiment de raison. Je dis en prenant la clope qu'il me propose.

Je n'ai pas fumé depuis longtemps, mais sur le moment ça me manque un peu.

- En vrai, j'ai choisi Dublin parce que je voulais vraiment m'éloigner de ma ville, mais surtout parce que c'est la première offre d'emploi sur laquelle je suis tombé. Et coup de chance, j'ai été pris. Du coup ni une, ni deux, j'ai déménagé.

C'est vraiment tout ce qu'il y a à dire. Je m'essuie les mains sur ma serviette, la clope au bec. Puis je prends le briquet d'Erik et allume celle-ci. Après avoir tiré une longue bouffée, je souffle en regardant le ciel qui s'assombrit. Les questions d'Erik sont respectueuses, et de toute façon ce n'est pas vraiment quelque chose que je garde secret.

- Nah, ça m'embête pas. C'est rien de bien original. En gros, mon père était un ancien militaire dans la US Army. Quand mes parents ont appris que j'étais en chemin, mon père a prit sa retraire anticipée et ils ont déménagé en Angleterre, d'où vient ma mère. Bref. J'ai été élevé là, ma mère m'a fait l'école à la maison jusqu'à la primaire parce que je me faisais virer de toutes les écoles où ils m'ont envoyé.

Je ricane et fais une pause, le temps de tirer une nouvelle bouffée de fumée.

- J'étais une vrai démon il paraît. Quand j'ai été viré de mon école primaire, c'est mon père qui a repris mon éducation, enfin si on peut appeler ça comme ça. C'était plutôt un entraînement militaire. "Sois parfait, tais-toi, obéis"... Ce genre de chose. Puis sont arrivées les punitions physiques. Je te passe les détails, j'ai plus de cicatrices aujourd'hui heureusement. Alors quand j'ai eu l'âge d'entrer au collège, je me suis forcé pour rester le plus loin possible de mon père.

... Et de ma mère, puisqu'elle n'a rien dit durant les années où j'ai enduré les traitements de mon père.

- 'Fin voilà, les années collège-lycée ont été un peu plus reposantes. Comme j'avais eu l'éducation à la maison, j'étais super en avance sur le programme. J'ai sauté plusieurs classes, d'où mon diplôme à mon âge. J'ai pu moins voir mes parents, et quand j'ai pu aller à la fac, j'y suis allé gaiement. Et quand j'ai eu mon diplôme j'ai paniqué. J'avais pas envie de me retrouver à nouveau coincé avec eux, donc j'ai cherché le premier job de prof qui passait, et c'est tombé sur Dublin.

Gogo gadgeto déménagement, et hop direction Dublin.

- J'ai passé un an là-bas, à enseigner en fac. Et même si ça a bien commencé, j'ai fini par me sentir emprisonné dans ma propre vie, ça m'a rendu claustro, j'ai fait une petite dépression et je suis rentré en Angleterre. C'est là que m'a trouvé le Master de Terrae. J'ai sauté sur l'occasion de changer de vie et me voilà. Je conclus.

J'ai beaucoup parlé. Je bois une nouvelle gorgée de café, histoire de digérer l'histoire.

- Tu vois, rien de bien original. Désolé c'était un peu long, mais du coup je ne sais pas si c'est les mauvais traitements de mon père - ah j'ai oublié de te dire, il est décédé début septembre de cette année, c'est pour ça que j'étais rentré - ou alors l'année à Dublin qui m'ont amené ici. Je dis en haussant les épaules.

J'espère que je ne l'ai pas soûlé avec mes histoires. Rha à force de parler ma clope s'est éteinte.

Je me laisse bercer par les remous, la nicotine, l'alcool et les paroles de Camil, me contentant d'hocher la tête ou de ponctuer certaines de ses phrases par un simple "ok". S'il y a bien une chose que j'ai apprise ces dernières années, c'est que poser des questions, c'est bien, mais si on veut vraiment les réponses, écouter et laisser parler, c'est la clé. Bon après, là, je cherche pas spécialement une réponse, la preuve, je lui ai dit qu'il devait pas se forcer ou s'empêcher de m'envoyer chier.

"Mes condoléances, pour ton paternel."

Je suis sincère, pour le coup. Même si c'était la pire des ordures.

"Enfin, pas vraiment pour lui. Mais pour ce que votre relation aurait pu être si il avait pas décidé d'être une merde."

J'écrase mon mégot de cigarette dans le cendrier et en rallume une aussitôt, tapotant l'arrête de mon nez cassé en lui tendant le briquet pour rallumer la sienne.

"Ma mère, le soir où elle est morte. Hésite pas à reprendre une clope si tu veux. Enfin j'veux pas t'inciter à fumer- J'avais pris un ton plus léger pour lui proposer de se servir. -franchement, ce qui compte c'est pas pourquoi t'es là. Pour le moment, en tout cas, ce qui compte c'est ce que tu veux faire. Ce à quoi t'aspires."

Je marque une pause pour terminer mon café. La fin est un poil trop sucrée à mon goût à cause de la chantilly, mais je me suis régalé.

"T'as bien fait de t'éloigner. Dommage que ça ai pas fonctionné plus que ça. Enfin, sans doute que c'était un mal pour un bien, maintenant t'es là, avec ton bagage pas simple, certes, mais t'es là. Dis toi que t'as touché le fond. Mais maintenant t'es entouré, puis tu vas rencontrer des gens, et pouvoir te construire sur des bases saines. Alors comme ça t'étais un petit démon, à l'école ? La chance. Moi aussi ils me prenaient pour un démon."

J'aime pas être trop sérieux trop longtemps, alors j'coupe court aux platitudes qu'il a déjà dû entendre depuis qu'il est arrivé pour faire une potite blague qui me tire un sourire. Une blague de mauvais goût, un peu noire. Comme mes cheveux à l'époque. Mais je peux pas m'empêcher de revenir sur ce que Camil racontait un peu plus tôt.

"T'as bien fait de t'éloigner de tes parents, de la violence. J'ai pas réussi à le faire, perso. Et je regrette. Alors, t'as sûrement des regrets, toi aussi. Mais, s'il te plaît.Ne regrette pas d'avoir pris la fuite. C'était super courageux, d'essayer de te débrouiller par toi même. Je souris, hochant la tête pensivement. J'espère être aussi courageux que tu l'as été, si c'est possible de revenir en arrière..."

Je n'ai jamais aimé la compassion. J'ai l'impression d'être "moins" que les autres quand on compatit pour moi. Mais Erik ne compatis pas. Il comprends. Je l'observe un peu plus en détail, c'est vrai que son nez est un peu tordu. Comme quoi, Yungblud avait raison : les parents n'ont pas toujours raison.*

*:

Je prends le briquet que me tend le grand blond et je rallume ma clope. Lui aussi est passé par là apparemment. Je ne connais pas son histoire mais elle a l'air bien pourrie aussi...

- Merci. Et navré pour ta mère... Enfin pour les coups que t'as pris. Je dis d'un ton calme.

Je réfléchis à ce qu'il m'a dit. Ce que je veux faire... C'est une vaste question. J'ai peur de me retrouver à nouveau coincé dans une vie qui ne me plaît pas, alors pour le moment je vis un peu au jour le jour. Mais je ne peux pas fuir éternellement.

Sa blague m'arrache un sourire, mais je dois plutôt ressembler à un clown triste. Le harcèlement à l'école n'est pas une chose à prendre la légère... Heureusement, il est très atténué à la fac, sinon j'aurais passé plus de temps à régler ce genre de choses qu'à donner cours. Je termine mon café et la note sucrée me réconforte un peu. Erik ne me partage que des indices mais ils suffisent pour comprendre ce qu'il a pu vivre.

- Tu peux pas revenir en arrière. C'est dur, c'est un peu coupant mais c'est la vérité... J'essaie quand même d'adoucir mes propos. Comme tu l'as dit, on est là avec notre bagage pas simple. Maintenant, on peut que aller de l'avant. Si tu as des regrets, il y a plein de choses à faire pour changer ça. Je veux dire, c'est déjà putain de courageux d'en parler, même un peu.

Je fais une pause pour terminer ma clope, que j'écrase dans un cendrier.

- Y'a plein de façons d'avoir du courage. Le tout est de trouver celle qui te convient le mieux. Est-ce que c'est te battre pour les autres, ou guérir de ton passé, ou d'apprendre à pardonner... Aucune de ces option n'est facile, c'est sûr. Mais ça ne peut que t'aider à progresser.

Je hausse les épaules.

- Moi j'ai choisi de parler et de fuir. Le seul regret que j'ai c'est de ne pas avoir pu parler avec mon père une dernière fois. Je sais que c'était pas un connard fini. Il a été élevé d'une façon, et il l'a juste décalquée sur son fils. Mais je peux pas m'empêcher de me dire qu'il devait quand même m'aimer quelque part, vu qu'il s'est occupé de moi. Juste, pas de la bonne façon. Mais si vraiment, il avait eu rien à foutre de moi, il m'aurait juste ignoré.

C'est pour ça que je regrette de ne pas avoir pu lui parler avant sa mort. Pour lui demander, éclaircir ça. Je hausse les épaules et me redresse dans le jacuzzi pour laisser respirer un peu mon tatouage.

- J'ai pas tous les éléments pour te donner les conseils les plus précis, et je ne t'obligerais pas à me raconter. Puis franchement, j'ai aucun droit à te dire quoi faire. Mais ce que je peux te dire c'est que c'est à toi de choisir. C'est toi, le principal intéressé de ta vie. Tu vis avec toi-même, et ça va continuer jusqu'à ta mort. Alors autant prendre soin de toi-même.

Je souris, pour alléger l'atmosphère.

- Puis entre créatures des enfers si tu veux mon avis, t'es pas mal du tout comme démon. Je plaisante d'un ton enjoué.

"Je- ermh. Merci."

Les coups, c'était juste la surface du problème. La face visible. Que tout le monde feignait d'ignorer, en dehors des quelques enfants plus téméraires qui ne comprenaient pas pourquoi ça devait être tabou. Je laisse Camil aller au bout de sa réflexion, et nos deux verres étant vides, je m'attèle à la préparation de deux mojitos. Un classique à base de rhum, j'pense pas pouvoir me tromper en proposant ça au blondinet, En plus, l'acidité du citron verre va bien avec la discussion. Parce que, sans vraiment contrôler, je monte le ton. Pas beaucoup, et je suis loin de crier, mais je me fais plus cassant.

"Frapper quelqu'un, abuser de quelqu'un, c'est pas une preuve d'amour. Ça le serra jamais. Les parents s'en battent bien les couilles de leurs gosses, tant qu'ils leur font pas honte. Nos parents à nous, en tout cas. C'est la seule raison que j'ai trouvé pour expliquer leur violence. Et si je pouvais retourner en arrière, ce qui, je le sais bien, n'est pas possible. Ça serait pour avoir le courage de faire ce que la maman de Tifa a fait à ma place. Sauter à la gorge de cette- de cette- de cette grosse pute. Au lieu d'être recroquevillé à quatre pattes sur le balcon. À ne pas pouvoir la regarder tomber du 8ème étage."

Je me concentre sur ma respiration. Malgré les années, repenser au sacrifice de Misha restait difficile. Enfin. Sacrifice. Je suis pas certain qu'elle ai eu conscience du danger, quand elle a sauté sur maman pour me protéger. Je croise le regard de Camil, et j'y lis une note d'incompréhension, alors même si je me doute qu'il a plus ou moins compris, j'explique rapidement.

"Ma mère, cette formidable veuve, avait quelques problèmes dans sa tête. J'pense qu'on peut parler de paranoïa. C'était maladif. Jusqu'à mon arrivée à Terrae, je n'avait jamais parlé avec une fille. Parce qu'elle avait peur que je me détourne d'elle. J'ai jamais connu mes grands mères. Ou la voisine. J'étais dans une école pour garçons. Et j'étais pas comme eux. Alors j'étais mis à l'écart. Et ça rendait maman triste. Alors maman elle voulait que je leur ressemble. Et comme ça marchait pas, elle me tapait dessus. Elle passait ses nerfs sur moi. Sa frustration, sa colère. Plus ou moins toutes ses envies, aussi. Puis arrive la fac. La fac, c'est mixte. Alors j'avais interdiction de parler aux filles. Et ça me semblait normal. Pire, j'avais peur des filles. Parce que la seule fille dans ma vie, j'étais son enfant, sa chose. Je souris tristement. J'appréhende toujours beaucoup, au début. Puis après j'me dit que c'est des personnes, pas des filles, et ça va mieux. Mais pour draguer omg. L'angoisse. Enfin bref- Un soir, j'ai eu le malheur de parler d'une de mes professeurs. De dire qu'elle avait dit un truc intéressant. S'en est suivie l'engueulade classique, les coups. Puis je me suis enfermé dans ma chambre, et j'ai accédé au balcon pour me fumer une clope sans que ça empeste tout l'appart. Et elle m'a vu en train de fumer. Boum bam pif, mon nez cassé. Le sang. La chienne qui veut me défendre. Pouf, par dessus la balustrade. Et il reste plus que Tifa et moi."

En parlant, j'ai terminé les cocktails et j'en tends un à l'irlandais. Ouais j'fais des raccourcis un peu. Mais eh, j'avais dit que je ferais court et j'me suis loupé, j'raccourcis où je peux. Même si c'est que dans ma tête.

"Par contre, je croyais que j'étais pas ton type, et maintenant tu me trouve pas mal ? J'sais bien que j't'ai montré une nouvelle fois mes fesses en te tournant le dos pour préparer les boissons, mais quand même. Et franchement, on est plus des rejetons de l'enfer que des êtres infernaux. Regarde ta bouille d'ange."

J'sirote quelques petites gorgées avant de reprendre.

"Franchement. T'en fais pas pour moi. C'est pas encore réglé, et j'en fait encore des cauchemars, alors que ça fait quoi, 6 ans que c'est fini. Mais y a du mieux. La preuve, c'est même pas la chose qui me préoccupe le plus en ce moment ! Mais ouais, c'est toujours là, toujours à fleur de peau, comme une blessure qui met trop de temps à cicatriser. Par contre, ça m'empêche pas de vivre. Et ça influence pas mes choix. C'est juste là. C'est tout. J'ai trouvé ma place. Pas encore mon rôle, c'est vrai. Mais je sais que c'est ici que je veux être, à défaut de savoir ce que je veux faire exactement de ma vie."

La virulence d'Erik me surprend et je le dévisage un instant. Quelques questions se heurtent dans ma tête mais je suis plus intelligent que de les poser sans réfléchir. Finalement, je n'ai pas besoin de les poser. Le grand blond me dévoile un peu plus de son histoire et je l'écoute sans l'interrompre. Heh. Et moi qui croyais que j'avais un passé difficile. Enfin, ce n'est pas une course, l'important c'est ce que l'on devient après tout ce qui nous arrive.

Je prends le cocktail qu'il me tend et trempe mes lèvres dedans sans vraiment faire attention à ce que c'est, absorbé par mes pensées. Miam, un mojito. Je savoure ma gorgée et souris à sa remarque.

- Hé, c'est pas parce que t'es pas mon type que je peux pas dire qu'objectivement, t'es pas mal à regarder. Je réplique. Et pour ta gouverne, j'ai même pas regardé pendant que tu étais tourné.

Je peux très bien me contrôler hein. Ce cliché de chaud lapin qui colle aux pansexuels - et aux LGBT tout court d'ailleurs - est tellement daté. J'écoute Erik conclure et un nouveau sourire, plus doux cette fois, étire mes lèvres.

- C'est con, t'es plus âgé que moi, t'es plus costaud, t'es là depuis plus longtemps... Et on vient juste de se rencontrer, mais bordel. Je suis content que t'aies atterri ici.

C'est super niais à dire bordel. L'alcool me rend gnangnan c'est pas possible. Je bois une nouvelle gorgée de mojito. Après le café sucré, l'acidité est doublée.

- Tout à l'heure, je me suis mal exprimé. Non, comme tu dis les coups sont jamais une preuve d'amour. Ou en tout cas j'ai jamais vu quelqu'un cogner son partenaire en mode "Tiens, prends mon amour dans ta gueule !". Je dis sur le ton de la plaisanterie.

Entre gars qui se sont faits cogner, peut-être que la plaisanterie peut passer ? J'en sais rien, mais je tente mon coup. L'ambiance s'est alourdie et je sens que je dérive doucement vers l'état dans lequel j'étais avant d'arriver à Terrae.

- Ce que je voulais dire c'est que pour ma part j'en veux pas vraiment à mon paternel. J'en ai plus voulu à ma mère qui l'a regardé faire sans réagir pendant des année. Enfin, toi c'est pas la même. En plus de te cogner elle t'a privé jusqu'à la fin de choses qui te permettaient de vivre.

Les interactions sociales, sa chienne, un endroit où il se sentait en sécurité... Pas besoin de les énumérer à vois haute. Heureusement qu'il a encore Tifa et qu'il a rencontré Ipiu. Mais assez déprimé !

- Bon ! Assez parlé du passé. Moi je veux que tu me montres comment tu fais tes cocktails. Tout ce que j'ai vu c'est ton dos et tes bras qui s'agitaient telles les tentacules de Carlo dans Bob l'Éponge. Je dis en poussant un peu Erik.

"Nan mais ça je sais que j'suis pas mal à regarder, mais vraiment le répète pas après j'vais prendre la grosse tête. Et j'suis ravi de l'entendre. J'peux vite être gêné, et quand j'suis gêné j'suis gênant. Genre plus que d'habitude."

J'me pose et sirote tranquillement mon mojito avant d'éclater de rire.

"Nan mais par contre ça marchera pas sur moi les compliments hein. J'vois clair dans ton p'tit jeu, j'viens de dire que j'pouvais vite être gêné et tu tentes de m'embrouiller c'est ça ? "

J'lui assène une tape sur l'épaule. Coquin va.

"Et en vrai j'suis bien content d'avoir atterri ici. Et j'espère que tu seras tout aussi content d'être arrivé ici toi aussi, dans quelques années. J'te le souhaite, en tout cas."

J'allais rajouter deux-trois choses mais le ton de la discussion redeviens "sérieux", malgré la tentative d'humour du Novice.

"C'est clair qu'il faut être dans le délire. Ou dans une combi en latex bien moulante. Ça me rappelle une anecdote mais j'ai pas encore assez bu pour ça."

En parlant de boire, hop, une petite gorgée bien fraîche. Ça fait du bien, l'eau chaude ça hydrate trop j'ai peur de rouiller. Je l'écoute parler de ses parents, à nouveau, et j'peux pas m'empêcher de penser que ok, t'as le droit d'en vouloir à ta mère, que c'est normal. Mais lui en vouloir plus qu'au fils de pute qui t'a tapé dessus ?? Nan frère c'est chaud.

"Ptete qu'elle le faisait. Et que tu savais pas. Ou ptete qu'il lui tapait dessus aussi. J'comprends que tu puisses lui en vouloir. Et c'est normal. Mais à part si elle t'ignorait toi, pas juste cette situation, c'est vache de penser qu'elle est pire que lui. Et concernant la mienne. Bah. Comme tu dis, on peut pas revenir en arrière. Et si ça a pu priver certains expériences de saveur, ça en donne tellement plus à d'autres ! J'ai bien conscience de ne pas vivre certaines choses comme la plupart des gens. Mais je m'en moque ! J'peux toujours sourire, rire et malgré quelques nuages qui traînent j'vois toujours le Soleil ! "

J'voulais pas que ça sonne comme une leçon de morale ou quoi, et franchement même moi j'ai des doutes sur la réussite de ce projet. De gros gros doutes.

"'fin j'sais pas ce que t'as traversé, même si sans doute que ça se ressemble un peu. J'devrais pas dire des choses pareilles. 'scuse moi."

Malgré la discussion vachement sérieuse et le sujet un poil sensible, Camil change rapidement de sujet et j'éclate de rire :

"Ok alors ça va te sembler étrange, mais BIZARREMENT j'crois bien que j'ai la ref, pour Carlos. En soit y a pas tant de secret. L'important c'est de connaître les dosages, les mariages de goûts, de saveurs et savoir ce qu'on veut obtenir. C'est beaucoup plus terre à terre et scientifique que magique, au final ! Dans la réalisation, en tout cas. Du coup, c'est beaucoup d'expérience/s, au singulier comme au pluriel."

Bah ouais eh mon con, y a pas de secrets, faut pratiquer !

"S'tu veux on fait un truc pour le prochain ! C'est comme ça que j'ai appris, au début. Va savoir comment j'ai eu ce poste mdr. J'suis arrivé j'y connaissais rien, mais alors vraiment rien du tout. J'crois ils ont eu pitié de moi, le pote d'un pote savait que j'avais peur des meufs et bossait dans une boite gay, où y avait 95% de mecs, puis on m'a formé sur le tas. Le barman et moi on faisait le même cocktail. J'goûtais le sien, il goûtait le mien, et il me disait comment améliorer ce que j'avais fait, et moi je cherchais à comprendre comment il avait fait le sien, et c'était super marrant, au moins les premiers. Après ça devenait un peu plus brouillon, j'dois bien avouer. Mais eh, vu où j'en suis maintenant c'est ptete une technique secrète que j'ai sous-estimé. Acceptes-tu d'être mon padawan pour la soirée ? Enfin, après ce cocktail hein, si je peux préserver mes papilles encore un peu j'suis pas contre ! "

Je rigole avec Erik en essayant d'éviter de renverser mon cocktail en même temps.

- Nah, je dis juste ce que je pense ! Un peu comme toi en fait.

C'est une petite pique mais en vrai c'est agréable de discuter avec un gars qui ne filtre pas ce qu'il pense.

- T'en fais pas pour ça, je suis déjà content d'être ici. Je réponds ensuite à Erik.

Je suis pas un citadin il faut croire, et Dublin n'était vraiment pas faite pour moi. Ici, je rencontre des gens incroyables, il y a de la verdure un peu partout et je m'amuse vachement plus !

Je ne sais pas si c'est justement parce que j'apprécie la spontanéité du grand blond, mais je relance un peu la conversation sérieuse, avec une pointe d'humour. Le but n'est pas d'avoir envie de se noyer non plus.

- Tu as piqué ma curiosité ! On verra si je me souviens de te demander dans quelques verres. Je dis, amusé.

Puis je le laisse parler et l'écoute en sirotant mon cocktail. Je comprends son point de vue, mais j'ai vu mon père agir avec ma mère. Ils dansaient le soir, souvent sur un morceau de blues doux. Jamais mon père n'aurait levé la main sur ma mère. Tout est encore un peu confus, ce que je ressens envers lui, ou envers elle. Pour le moment, j'en veux plus à ma mère d'avoir regardé qu'à mon père pour m'avoir frappé. Mais peut-être qu'en travaillant sur ce passage de ma vie, ça changera. C'est pour ça que mon expression s'adoucit quand Erik s'excuse.

- T'inquiète t'as rien dit de mal. C'est vrai que nos deux histoires ont des similarités. Puis j'aime bien ta façon de penser, c'est chouette.

Eeeet ces dernières phrases niaises concluront ce passage moins plaisant de la soirée ! Heureusement, Erik mord à l'appât. En fait, les cocktails c'est juste une autre forme de cuisine. Créer une boisson alcoolisée c'est comme concocter un petit plat, la cuisson en moins. Bien sûr que c'est scientifique, la seule chose magique dans la cuisine à mes yeux c'est la levure. Et y'en a pas dans les cocktails aux dernières nouvelles. Donc j'acquiesce à ce que me dit Erik et écoute son anecdote qui me fait à nouveau sourire.

- Dis donc ! Je te signale que je suis bon cuisinier, tes papille survivront à la soirée ! Donc ouais, allons-y gaiement. Mais peut-être qu'il faudrait finir de vider nos verres en premier non ?

Sur ces mots je m'attelle à la tâche. Plutôt facile, vu que j'en avait déjà bu les trois quarts. Il va peut-être falloir que je me calme, parce qu'à la vitesse où je les descends, je roule sur le tapis avant minuit. Meh, on se calmera après celui-ci ! Et hop, dans le gosier !

- Ok, j'suis prêt ! Qu'est-ce qu'on fait alors ? Pina Colada, Bloody Mary, Cuba, Libre, Long Island ?

Je connais mes gammes, moi. Non mais !

C'est clair que pour dire ce que je pense j'suis plutôt doué . Genre. Soit je dis rien du tout, soit je dis ce que je pense. Mais j'dois admettre que mentir j'y trouve pas grand intérêt. Bon enfin si, par omission quand je parle pas ça compte un peu, et parfois je mens mais c'est pour des trucs bénins. Genre les "Eh Erik est ce que t'as fait ça ?" d'Ipiu parfois je réponds que oui alors que c'est pas vrai. Mais c'est pas tant des mensonges, plutôt de la légitime défense.

"Tant mieux alors, tant mieux."

Et ouais, c'est important de se sentir bien. À sa place. Ça rend la vie tellement plus agréable, et chouette. Ça n'empêche pas de se chercher, mais ça fait toujours ça de moins à devoir trouver, eh !

Il m'écoute parler de ses parents, et de pourquoi je ne comprends pas son point de vue, mais bon, c'est normal de ne pas comprendre quand on a pas vécu la même chose !

"J'dois bien avouer que ces derniers temps j'veux mettre des grosses mandales à toutes les daronnes des gens que j'côtoie à Terrae. Mais ouais, de toute façon si on fini ici c'est souvent lié aux parents. Ou a leur absence. Enfin c'est pas une généralité non plus. Mais presque."

J'suis mi sérieux mi en train de déconner. Non parce que bon, hein. Y a pas grand monde ici qui a eu une daronne exemplaire. Voire une daronne tout court. Mais là n'est pas -ou plus- le sujet. Maintenant, on parle d'un des rares sujets que je maîtrise mieux que celui d'avoir une mère horrible. L'alcool. Et pas n'importe quel type d'alcool. Celui qu'on trouve dans les cocktails.

"Oui oui mes papilles vont survivre tant que j'ai le temps de les anesthésier avec la fin de ce mojito. Ou ouais nan carrément, un Long island Iced Tea là, que tu me flingue direct la langue avec tous ces alcools. Tu fais un peu trop le malin, j'aime bien. Mais si tu arrives pas à me citer ce que ça contient. TOUT ce que ça contient, on va commencer par un bon vieux Rhum-jus d'orange que tu auras le droit de pimper si tu te sens courageux."

Et puis quoi encore, un Long island ? On est en milieu d'aprem quand même. Mais j'lui laisse une chance, par contre une caisse comme ça ça se mérite. Puis j'ai pas encore terminé mon verre, j'prends mon temps et je connais mes limites. Enfin, surtout, je sais que j'veux pas les franchir tout de suite.

Je profite un instant de l'eau chaude du jacuzzi et sourit, amusé. C'est vrai que souvent, si on atterrit ici, c'est qu'on a eu des soucis dans notre vie. Ça peut être de la maltraitance, une vie dure, ou que sais-je. Je finis par hausser les épaules.

- Tout le monde a un passé, le but c'est d'arriver à vivre avec. Mais je t'avoue que je serais incapable de te dire si mon vide est dû à mes parents ou à mon année quelques peu déprimante à Dublin !

Et au fond, qu'importe ? C'est sûrement un peu des deux. Dans tous les cas, j'ai des choses à travailler sur moi, et ça viendra petit à petit. Je décide de changer de sujet et voilà qu'Erik me met au défi de lui citer tous les ingrédients d'un Long Island ! Il fallait qu'il choisisse celui-ci à me faire réciter... Mais ne sous-estimez pas la mémoire d'un prof ! J'ai retenu tous les courants artistiques, leurs artistes principaux et leurs périodes, alors me souvenir de la composition d'un Long Island, ça ne doit pas être trop dur !

- Atta, laisse-moi un instant... Je dis en mobilisant ma mémoire. Si je me trompe pas, on a de la vodka, du gin, du rhum blanc, du triple sec, de la tequila, du jus de citron et du coca. Par contre pour les mesures, désolé, j'ai pas retenu.

J'ai cité les ingrédients lentement, dans l'ordre dans lequel ils me revenaient. En revanche, il faut que je mette quelque chose au clair...

- Par contre, tu me feras pas boire un Rhum-jus d'orange. Franchement, j'ai jamais aimé ça ! Je dis en fronçant le nez.

Et je suis gentil, je lui dis pas qu'il faudra me noyer avant que j'avale ce genre de boisson, ni que c'est clairement l'engeance du démon. Autant, le jus d'orange seul, c'est super bon. Idem pour le Rhum. Mais mélangé... Erk, ça prend un goût de médicament que j'ai en horreur !

- Rien que pour avoir mentionner cette chose, tu perds des points ! Rhum-coca je peux comprendre... Mais pas avec du jus d'orange, pitié.

Ok je vais peut-être un peu loin... Entre ça et ma gueule, si il me prend pas pour un aristo, j'ai de la chance !

Ah ouais elle devait être sacrément déprimante ton année à Dublin mon reuf.

"Ouais, sûrement un mélange des deux, et peut-être de d'autres trucs. Genre les complexes et tout, par exemple. De toute façon, on est l'addition, et même le produit de toutes nos expériences passées, mais en maths il existe toujours un truc pour repasser dans le positif, peut importe l'équation. Même si en général ça nécessite de repasser par le négatif. Mais - par - , ça fait plus ! La preuve qu'il faut parfois revivre certains traumatismes pour apprendre à vivre avec ! "

Faites ce que je dis, pas ce que je fais, au passage, hein. Mais je me concentre sur la liste des ingrédients du LIIT que me fait Camil, hochant la tête à chaque ingrédient correct.

"Ok... Ok... Ouais... Ok... Ok... Si proche du but, dommage ! Pour le dosage c'est plutôt simple, c'est la même quantité de chaque alcool, un peu plus de jus de citron, mais surtout de la gomme arabique ! Enfin, du sirop de gomme ! L'équivalent de deux doses d'alcool ! Après je sais qu'il y en a qui la mettent pas mais c'est dommage, ça change beaucoup la texture, comme c'est un émulsifiant naturel ! Et tu peux le faire au shaker ou on the rocks. Du coup bon, t'aurais juste pas eu les dosages, ou juste oublié le sirop j'aurais validé, mais là... Désolé mais ça sera rhum orange !"

Je termine mon verre pendant qu'il s'indigne et se plaint de ce qu'on va préparer ensuite.

"Comment ça t'aime pas le rhum orange. Alors qu'il suffit d'un ingrédient supplémentaire pour que ça soit une dinguerie ? C'est facile, d'improviser un truc à partir de rhum et de jus d'orange ! En plus j'ai jamais dit que ça devait être du rhum blanc ! "

En vrai mon ajout préféré au rhum orange, c'est soit du jus d'ananas, soit de la liqueur de banane. Mais c'est parce que j'suis pas fan de grenadine. Et que rajouter plus d'un ingrédient, pour moi on change totalement de recette.

"Rhum-coca ? Nan ça existe pas par contre. Ça apporte vraiment rien de plus que le Cuba Libre. Et de toute façon j'ai pas tout ce qu'il faut pour un LIIT. Long Island Iced Tea, pardon. Enfin, pas à portée du jacuzzi. Naaaan, là j'vais avoir euh- j'ouvre la glacière pour en vérifier le contenu, en plus de ce qui est déjà sur la table - Rhum blanc, sucre roux, du citron vert, de la menthe, du perrier - oui bon ça c'était pour le mojito t'as capté, mais sinon là j'ai euh- jus d'orange, jus d'ananas, jus de raisin, lait de coco, rhum brun, triple sec, curaçao, coca-cola, vodka et- ah oui voilà, jus de canneberge ! "

C'qu'est chiant c'est que j'dois montrer mon cul à chaque fois c'est pas marrant. Genre avec Ipiu m'en fout, parce qu'on a l'habitude de se voir à poil, j'l'aide pour la douche de temps en temps alors ça m'a semblé équitable qu'elle me voit à poil aussi. Puis la nudité et le japon, surtout dans la famille, c'est pas tabou. Mais là avec un mec que j'ai rencontré y a quelques minutes, autant ça me dérange pas d'être à poil, autant lui tourner le dos en étant nu j'aurais ptête dû réfléchir avant... Enfin bon hein, maintenant qu'on y est...

"Est ce que ça t'inspire quelque chose ? Laisse tomber le rhum orange si ça te plaît pas. Et j'te dis rien, j'sais pourquoi j'ai pris tout ça moi ça serait tricher. Puis tu peux laisser libre court à ton imagination. Dis toi que t'as un joker, si j'vois que tu fais de la merde en mélange j'pourrais remplacer un des ingrédients. Mais j'te laisse te démerder pour les dosages. Et le shaker est juste là, mais t'es clairement pas obligé de l'utiliser t'inquiètes. Ou au pire j'le fais pour toi ! "

J'me rassied bien au chaud dans l'eau et en profite pour remplir mon verre presque vide - il reste un peu de sucre et les quartiers de citron verre/les feuilles de menthe - avec de l'eau que je crée magiquement. Et ouais, faut s'hydrater dans la vie les reufs. Sinon on a mal à la tête après !

J'acquiesce à ce que me dit Erik. Eh beh, malgré le début de journée, il dit des trucs plutôt intelligents ! Non, pour être plus sérieux, ce qu'il dit est à la fois vrai et positif. Et j'avoue que j'adhère pas mal à ses idées. C'est pour ça que je me contente d'acquiescer et de sourire.

La discussion s'enchaîne ensuite sur les cocktails et... La gomme arabique ? Mais il n'y en avait pas dans la recette qu'on m'avait donné... Bon je suis bon joueur et je m'incline face au connaisseur. Par contre, hors de question que j'avale un rhum-orange.

- Rhum blanc ou pas, j'ai vraiment trop de mal avec le goût du mélange. Pour moi ça a le goût d'un médicament ! Par contre ouais, un Cuba Libre, ça c'est sympa. Après c'est toi qui m'a demandé de citer les ingrédients du LIIT, comme tu l'appelles. T'aurais pu me demander n'importe quel cocktail que j'ai cité. Je dis en haussant les épaules.

De toute façon il est un peu tôt pour un Long Island. Quoi, le soleil est même pas couché ! On va pas commencer à se bourrer la tronche avec des trucs aussi forts, sinon on va finir noyés dans le jacuzzi parce qu'on aura pas trouvé les marches pour sortir. Je me permets de venir me mettre à côté d'Erik. Non mais parce que si je veux voir la lune, j'ai juste à lever les yeux quand la nuit tombe donc bon...

Je l'écoute me citer ce qu'il a et j'ai tout de suite une idée de cocktail classique, et dont je connais les dosages cette fois !

- Ok, j'accepte ton défi. Avec ce que tu m'as dit je partirais bien sur une Pina Colada. Je dis, en sortant les ingrédients. Rhum blanc, rhum brun, lait de coco et jus d'ananas. Normalement celui-ci je devrais pas le rater.

Et pour cause, j'en ai déjà fait. Bon, c'était qu'une fois, et j'avais pas de shaker sous la main, mais ça doit pas être bien plus dur avec ! J'attrape les glaçons, et les mets dans le shaker. Puis j'y verse dans l'ordre les ingrédients en doublant les dosages pour avoir de quoi en faire deux. Je referme le shaker et reste un instant indécis.

- Eh, tu peux me montrer ? J'en ai jamais utilisé je voudrais pas faire une connerie.

Je tends le shaker au chef, pour le laisser gérer cette partie et me glisse à nouveau dans l'eau en croquant un des bouts de glaçons restés dans mon verre.

"Putain bah si tes médocs ils ont ce goût là t'as bien de la chance, perso les miens ils ont gout de médicament et c'est pas bon. Après j'crois y a un dicton qui dit que moins c'est bon plus c'est bon, un truc du style. J'sais plus qui j'ai entendu dire ça mais j'pense que c'est vrai. T'es sûr ils te filaient pas de l'homéopathique ? Genre les p'tites boules de sucre et tout. Et c'est toi qui l'a cité le Long Island, et en dernier en plus, du coup c'est celui que j'ai retenu, pas de bol ! "

J'ricane et décide de m'immerger à nouveau jusqu'aux épaules, avant de changer d'avis et de sécher mes bras et mes mains pour saisir de quoi me rouler un joint.

"Oh. Ok. Classique effectivement. Dans la "vraie" recette, il n'y a pas de rhum brun, mais c'est pas une mauvaise idée, j'sais que je le fais aussi de temps en temps. tu peux rajouter un peu de citron aussi. Mais j'te regarde te planter et j'corrige après ! "

J'continue de rouler et entends les glaçons s'entrechoquer et heurter les parois en métal d'un shaker. Sans lever les yeux de mon roulage, je prends la parole.

"Première erreur. Pourquoi tu mets les glaçons en premier ? Tu vas galérer pour doser si tu vois pas le fond du récipient. Parce que ça m'étonnerait que tu saches doser à l'œil. Ou que t'ai la mémoire musculaire pour savoir quelle quantité coule quand tu penches la bouteille. Du coup, seconde erreur. Pourquoi tu utilises un shaker si tu sais pas comment faire ? "

Je souris et attrape le shaker que me tend Camil, l'ouvrant pour porter le mélange à mes lèvres, et tousse.

"En vrai, ça va. Mais comme t'as mis deux alcools, faut en mettre un poil moins. Ou augmenter un poil le diluant. Parce que du coup ça attaque un poil plus fort. Enfin c'est pas grand chose. Rajoute un tout petit peu de coco à mon avis. Et quelques gouttes de citron vert. J'aime trop le citron vert. Et j'vais te laisser agiter, hein. Regarde, j'te le ferme. Et j'te l'ouvrirais si tu veux. Mais le truc, c'est de garder le shaker perpendiculaire à tes avants bras, et d'agiter vigoureusement de haut en bas en pliant au niveau du coude, tes épaules bougent pas. Et quand les parois shaker sont givrées, tu prends la petite passoire là- J'pointe du doigt l'ustensile -et tu verse dans les verres."

Joignant le geste à la parole, je ferme le shaker d'un coup de poing et tend le récipient au Novice. Impressionne moi, vas-y ! Par contre EH, VAS-Y MOLLO.

"Wesh wesh mon reuf, tu veux blesser quelqu'un ??? T'as faillit tremper mon collage omg. C'est bien d'avoir de l'énergie, mais là tu vas te blesser ! La vitesse est plus importante que l'amplitude des mouvements ! Est ce que tu fumes ? Si oui j't'en roule un y a pas de soucis."

- Mec, mon père était militaire ! C'est limite si il y allait pas à la morphine. L'homéopathie, ça existait pas chez nous. Par contre les vitamines, ça c'était le kiffe de ma mère, et celles qu'elle me donnait, elles avaient le goût du rhum-orange. Je rigole.

Enfin bon, c'est particulier les vitamines. Sur la boîte c'est marqué "goût orange, pour les enfants !" et en fait au final t'as l'impression d'avaler un cocktail fait avec le cul. En parlant de cocktail...

- Ça doit dépendre des recettes, pour le rhum brun. Il y en a qui mettent de l'ambré, même si personnellement, je préfère le brun avec ses notes de vanille et de caramel.

Et juste après je me fais réprimander une première fois sur les glaçons, juste avant le shaker.

- Si je l'utilise c'est pour apprendre, parce que je suis curieux. Puis si je peux me faire mes propres cocktails plus tard, ce serait cool. Pas faux pour les glaçons cependant.

J'écoute les recommandations d'Erik et lui reprends le shaker pour rajouter ce qu'il suggère. J'ai toujours cuisiné à l'odorat, donc je fais pareil et je sens ensuite le mélange. Oui, en effet c'est mois agressif. Je rends le shaker à Erik qui le ferme avec plus ou moins de délicatesse avant de me le tendre. Il a la confiance le gars, parce que perso je donne pas mes ustensiles au premier venu... Enfin, essayons quand même on est là pour apprendre !

Je me redresse pour ne pas faire trop de vagues dans l'eau, vu qu'il est en train de rouler. Heureusement, la position est assez simple et je m'applique à secouer... Ou du moins je pensais m'appliquer. Troisième réprimande. Ouille, j'ai pas un gros égo mais là ça pique quand même un peu. Moins d'amplitude, plus de vitesse. C'est reparti.

- Non merci, déjà la clope c'était pas une bonne idée. J'avais arrêté y'a longtemps. Je réponds à sa proposition.

Ça faisait déjà longtemps que la clope ne m'avait pas manqué, mais il m'a suffi d'une pour me faire réfléchir à racheter un paquet... Quand les parois deviennent blanches de givre j'arrête de secouer et attrape le petit tamis que m'avait montré Erik. Je trouve en quelques secondes la façon de le caler pour verser le cocktail dans les verres. Je n'ai pas mis de glaçons, vu le froid. Puis il y en avait dans le shaker aussi alors je me dis que ça ira bien. Je plante une tranche de citron sur le côté du verre d'Erik et lui tends sa Pina Colada. Puis je prends le mien et me glisse à nouveau dans l'eau chaude avec soulagement. Je commençais à avoir froid avec ces histoires moi !

- Bon, tu me dis ce que t'en penses. Je suis pas sûr que ce soit très bon. Je dis en trempant mes lèvres dans la boisson.

Le goût est... c'est une Pina Colada digne d'un vieux bar au tréfonds d'une petite ville quoi, le genre qui est meilleur pour sa bière artisanale que pour ses cocktails.