__–John toucha. Il retira sa main aussitôt. Il ne voulut plus toucher, mais continuait à regarder avec grand intérêt ce qui ce passait.
__–Cela plus les recommandations de sécurité de Minoru, achevèrent de faire oublier cette idée à Karen.
__–« Ouais non, mauvais plan. »
__–Roooh pas drôle.
__–Cela n’aurait de toutes façons pas fonctionné ; seules les personnes dotées de la magie terraenne pouvaient l’utiliser sous sa forme cristalline. Karen prit donc le cristal Eau et l’observa sous tous les angles.
__–« Bon alors j’en ai juste utilisé une fois lors d’un entraînement… j’vois viteuf comment ça marche mais euh, l’eau c’pas pareil quoi… »
__–Elle serra John un peu plus fermement, par réflexe. Celui-ci semblait impressionné par l’éclat de la pierre et la concentration de sa mère. Boyce, quant à lui, avait trouvé un nouveau sujet d’étonnement et d’amusement en la présence d’une fourmi sur son doigt, dont il considérait les propriété nutritives et décida de les mettre à l’épreuve… jusqu’à ce que sa mère retînt son bras.
__–« Hop hop hop petit gars, on mange pas les insectes. Tu peux le surveiller steup ? Pas obligé de le porter hein, juste qu’il mette pas n’importe quelle dégueulasserie à la bouche quoi. »
__–Sur ces entrefaites, elle activa le cristal. Il disparut dans sa main et fut remplacée par un filet d’eau qui coula de sa main… mais ralentit. Remonta, même. Karen ouvrit la main et le liquide forma une boule. Et elle regarda Minoru droit dans les yeux avec un sourire.
__–« Attrape. »
__–Et elle lui lança, d’un geste simple.

Voyant Karen hésiter, Minoru essaya de la rassurer :
« J’en ai fait plusieurs au cas où, donc ce n’est pas grave si ça rate une ou deux fois…»

Trois fois, même. Voire quatre si il consommait ce qui lui restait d’énergie pour la journée dans la création d’un dernier cristal. Ou cinq s’il revenait le lendemain… Alors qu’il ruminait mentalement sur la façon d’optimiser sa production, avec un regard vers Karen semi-inquiet et semi-enthousiaste, sa phrase suivante le ramena à la réalité.

« Euh, o-oui. »

Minoru avait clairement plus envie de la regarder elle et de ne pas manquer une miette la magie — sa magie — qui allait se manifester au creux de ses mains, mais il n’en aurait pas pour autant laissé un enfant risquer de se mettre en danger. Surtout après avoir réussi — pour son plus grand soulagement — à éviter une autre sorte de danger à son frère jumeau.

Il essaya donc maladroitement d’attirer l’attention de Boyce, d’abord en approchant sa main, puis en tapotant doucement son avant-bras avec le bout de son doigt. Dès que le regard du petit fut vaguement tourné vers lui, il essaya de l’appeler une fois pour le faire remonter jusqu’à son visage, sur lequel l’attendait ce qui pourrait être qualifiable de grimace magique, c’est-à-dire un assortiment aléatoire de déformations faciales animées de façon tout aussi aléatoires. Minoru aurait eu honte de l’admettre, mais c’était de loin la chose la plus facile à faire avec son pouvoir de Morphe, au moins pour l’instant.

Cela étant, parce que c’était assez facile pour ne plus lui demander de se focaliser complètement là-dessus pour y arriver, il avait réussi à garder un œil sur Karen, à laquelle il ne pouvait cacher sa fascination que parce que son visage était devenu indéchiffrable. Ça fonctionnait !

…

Par contre, distraire un enfant et attraper une boule d’eau qui lui était soudainement envoyée en même temps était… Un peu compliqué à exécuter. Coupant son attention du bambin et sa magie au passage, Minoru la redirigea pleinement vers la balle liquide qui lui arrivait. Manquant de peu de totalement la louper, il la réceptionna de manière déformée, puis, après avoir repris son calme, forma à nouveau une sphère d’eau qui semblait plus coller au creux de sa main que flotter au-dessus, le tout près de Boyce pour essayer de maintenir son attention avec.

« Tu veux que j’essaie de la renvoyer.. ? demanda-t-il, avec une confiance relativement proche du néant en sa capacité à réussir un exercice qu’il avait déjà tendance à échouer lors des entraînements.

__–Boyce réagit au contact par un regard un peu perdu et étonné, qui se planta sur le visage de Minoru. À cet âge, les enfants savent déjà regarder droit dans les yeux et à ce petit jeu, Boyce était un expert. Quand le visage de son parrain se mit à, euh… À faire des trucs méga stylés de fou ? À changer, le bébé le regarda avec attention et se mit à s’esclaffer, ce qui attira l’attention de sa mère.
__–« Han trop bizarre ta tête là. ‘faudra que tu refasses, il kiffe. »
__–Et sur ce, revenons au lancer.
__–Alors déjà il est trooooop content Minoru c’est abusé. En même temps ouais imagine c’est comme si… OH PUTAIN MON GARS.
__–… Qui a-t-il ?
__–FAUT TROP FILER UN CRISTAL SENSITIF À MINORU.
__–… Pourquoi donc ?
__–BAH POUR ME CLONER T’ES CON OU QUOI.
__–… Doux Jésus, tout sauf ça. Je je vais passer cette navrante suggestion pour décrire plus avant leur jeu de balle avec de l’eau. Comme s’ils avaient quatre ans, les deux jeunes gens s’amusèrent donc à se lancer et rattraper la sphère liquide. Karen répondit bien entendu « Bah ouais grave vazy mon gars. », réceptionna le projectile, le renvoya, redit un « allez fais passer ! » avec un enthousiasme certain, lui renvoya, répéta sa demande d’un « go ! »… mais au moment où l’eau quitta les mains de Minoru, son expression changea d’un coup. Elle sentit que son contrôle sur l’élément de son compagnon avait disparu. Dans une tentative malhabile d’esquiver, ce fut ce pauvre John, toujours à moitié dans les bras de sa mère, qui finit éclaboussé. Il signala son ennui en répandant toujours plus d’eau, qui coulait de ses yeux, son nez et sa bouche à la fois.
__–Ouais il chiale quoi. Non mais le pauvre aussi !
__–« Oh merde ! Désolé mon chéri, ça va aller… Tinquiètes hein, c’est que de l’eau, ça fait pas mal. Une phrase adressée autant à Minoru qu’à John. Tu vois, t’as rien du tout. Maman va t’essuyer, t’en fais pas. Voiiilà. »
__–Elle sortit des mouchoirs et commença à éponger. De son côté, Boyce, attiré par les pleurs de son besson, marcha jusqu’à lui pour voir ce qui ce passait.
__–« Bon ben mon gars, ça marche de fou tes cristaux, c’est top, par contre ouais, chaud de jouer avec avec les deux, là. ‘faut vraiment que je me trouve quelqu’un pour les garder ou je sais pas quoi… »

Au moment où il eut le go de Karen, Minoru prit une profonde inspiration, ferma les yeux un instant, puis essaya de concentrer son attention sur la boule qui stationnait sur sa paume. C’était… curieux, comme sensation. Non seulement elle avait été produite avec son énergie alors lui-même n’était même pas encore capable de créer de l’eau aux entraînements, mais il pouvait sentir cette incongruité un peu… physiquement ? Non, physiquement n’était peut-être pas le terme. Mais il savait que c’était un morceau de lui, et en même temps que c’était différent.

Bien qu’il aurait adoré se concentrer dessus pendant des heures et expérimenter autour des possibilités qui lui étaient offertes, Karen attendait. Il tâcha donc de fixer la forme de l’eau, dans son esprit et dans la matière même, jusqu’à la sentir assez ferme pour pouvoir bouger la main sans risquer de la “perdre” ni de ne pas pouvoir la relâcher (ce qui arrivait le plus souvent ; l’eau restée collée à son corps ou se relâchait brusquement en le quittant). Comme s’il manipulait une vraie balle, le bras de Minoru prit un petit élan, puis tenta enfin le lancer. Observant anxieusement la trajectoire, le japonais relâcha brusquement la pression lorsque Karen la réceptionna, en un seul morceau. Pour tout aussi brusquement sautiller de joie intérieurement, avec autant d’envie que d’appréhension à l’idée de recommencer.

Et. Définitivement, en la voyant manier sa magie si facilement, il commençait à se dire qu’elle aurait fait une meilleure Eau que lui ne l’était depuis trois mois. Même s’il n’aurait pu s’agir que des cristaux, elle semblait tellement plus… à l’aise, et…

Pas le temps d’y réfléchir, elle renvoyait.

Bien que craignant à nouveau de voir son énergie le lâcher, il s’y accrocha tant qu’il le pouvait. Cette fois, il parvint à réceptionner la balle sans l’étaler sur sa main, et à garder assez sa forme en tête pour se passer de la phase de préparation dont il avait eu besoin à peine plus tôt. Il retenta donc le même geste, cette fois un peu plus confiant dans sa stabilité.

Quand Karen lui expédia une troisième fois, il l’attendait déjà. Ça commençait à tirer sur ses réserves, mais puisque la joie compensait pour l’instant, il pouvait tenter de la lui renvoyer quelques fois de plus, quitte à finir épuisé après…

Et l’incident arriva.

Paniqué par les pleurs du bambin, Minoru rompit toute concentration, bafouilla un « «D-désolé » que la blonde n’entendit probablement pas, puis, après avoir réalisé la situation, approcha rapidement ses doigts de la joue du petit ; le temps de la caresser, l’eau s’en était revenue vers ses mains, où elle reforma une petite sphère. Il l’écoula dans le verre d’eau qu’il avait précédemment préparé et, enfin, profita de l’accalmie pour relâcher d'un coup toute sa concentration — et tous les muscles qu’il avait crispé sans trop s’en rendre compte.

Quant à ce que Karen disait, il ne savait trop quoi lui répondre. Évidemment, il lui aurait bien proposé de les garder, mais il avait bien vu qu’il était incapable d’utiliser ses pouvoirs tout en surveillant ne serait-ce qu’un seul des jumeaux.

« Il n’y a personne de ta famille qui peut… » commença-t-il à marmonner, sur le ton d’une banalité — car c’était bien ce que les mères faisaient en général, supposait-il — avant d’effacer la fin de sa phrase. Hélas, une phrase prononcée à l’oral ne s’efface pas, donc il dérapa malgré tout. Sa gêne revint donc au galop sitôt qu’il s’en rendit compte, et s’exprima par une nouvelle excuse noyée dans quelque mimique.

Cela dit, quitte à y être, c’était une vraie question. Il ignorait encore pourquoi Karen était à Terrae et pourquoi personne ne l’avait accompagnée si loin de son pays natal, mais… Était-ce bien raisonnable — responsable, même —, d’être toute seule avec deux enfants à l’autre bout du monde, alors qu’elle pouvait rentrer chez elle et avoir du soutien autour d’elle ? Surtout si son objectif n’était pas que d’être une mère, mais de s’accrocher à l’école et de faire des études ; ce n’était pas en vivant comme elle le faisait qu’elle allait pouvoir obtenir quoi que ce soit. Sans parler du fait qu’elle risquait de compromettre aussi l’avenir de ses propres enfants.

Il n’avait pas envie de parler de lui, mais… C’était un peu troublant, de ne rien savoir d’elle et de ses décisions, et en même temps d’en être si proche.

« «Tu… t-tu veux vraiment élever tes enfants à Terrae ? E-Enfin… Ce n’est pas vraiment l’endroit le plus… Peut-être que si tu rentrais… »

Et hop, les pieds dans le plat.

__–Comment il est trop heureuuuuux Minoruuuu ! En fait c’est marrant parce que, il réfléchit vlà trop à tout, panique vlà trop à tout, sauf quand Karen réussit à attraper la balle. Ou quand lui la rattrape. Quand il doit plus réfléchir, en fait.
__–Ta conclusion ?
__–‘faut qu’il prenne de la weed.
__–Navrant. Je propose de passer à la suite.
__–Ok mais je gère quand-même. Bah la suite, ben en vrai John sent le contact de Minoru, puis ouaaah magiiiie il est plus mouillé ! Bon enfin il chiale quand-même, mais entre la disparition d’un coup comme ça de ce qui l’emmerdait, le contact avec son parrain qui est sympa et tout et sa daronne qui lui fait des câlins, puis qui prend Boyce pour qu’ils soient côte à côte, ça va quoi, il arrête vite.
__–« Cimer mec. Il va mieux. Hein tu vas mieux, John ? Tiens. »
__–Elle lui tendit une tétine qu’il attrapa et suça goulûment. Naturellement, Boyce voulut la sienne et la reçut donc. Tout à fait calmés, les deux jumeaux commencèrent à s’assoupir dans les bras de leur mère.
__–Pendant ce temps, Minoru…
__–Euh… Tu cherches la merde là p’tit gars, j’approuve pas…
__–Karen soupira et regarda ses enfants. Elle essaya d’être calme. De rester calme. Elle les regarda longuement. Leur présence l’apaisait autant qu’elle les apaisait eux. Elle réfléchit à la question, n’y répondit pas de suite.
__–Parce que oui, elle peut réfléchir avant de l’ouvrir.
__–« C’est mes gamins ou mes parents, en fait. J’suis sûre ils pensent je suis morte, je me suis faite buter quelque part, j’en sais rien. Ça fait… j’sais pas, un peu moins d’un an que j’suis à Terrae ? Je les ai pas contacté depuis. J’peux pas, en fait. Après, j’pense que ouais, si je leur disais en mode, « ah au fait je suis toujours en vie et j’ai eu deux mômes hors-mariage alors que je suis mineure après m’être faite violer à une teuf et c’est pour ça que je me suis tirée », ouais, j’pense qu’ils seraient juste contents de savoir que je suis en vie, tu vois ? Ils m’en voudraient pas trop pour… bah le reste. Mais ça va durer combien de temps, en fait. Même pas une heure. Allez, ouais. Même pas une heure avant que, « bah ok maintenant tu rentres, t’es la honte de la famille, t’es une déception sur toute la putain de ligne, t’es, genre, le déshonneur quoi, t’es une grosse salope de tes morts, puis t’as raté ta vie parce que bah les études c’est enterré c’est bon, puis personne va plus vouloir se marier avec toi, puis on va te le rappeler tous les jours de ta putain de vie, mais on est tes darons tu rentres maintenant ». Mais c’est mort ce plan en fait. Ils ont cru ou quoi. »
__–Jusqu’ici, elle n’avait d’yeux que pour ses enfants. Là, elle les planta dans ceux de Minoru :
__–« Si j’refous les pieds à Fayetteville un jour, c’est un un flingue pour leur faire sauter le caisson. »
__–C’était cela qu’aurait dû faire son frère, pensa-t-elle, mais ne voulut-elle pas formuler.

Dans le long et froid silence qui suivit sa question, Minoru eut le temps de regretter au moins quinze fois de l’avoir posée et d’envisager à peu près autant de réponses plus ou moins probables.

Quand Karen ouvrit la bouche, ce ne fut pourtant pas pour le libérer de ses supplices, mais pour se lancer dans une tirade encore plus glaçante, qui sembla comme lui couper le souffle pendant deux plus froides longues et plus froides minutes. Il n’avait pas les mots pour commenter la… situation de l’américaine, et pas plus pour la penser.

Elle voulait vraiment… Ses parents…
Plus important, elle a dit qu’elle s’était fait… Donc ses enfants…

« Oui je vois… » commenta-t-il seulement pour meubler le silence que son effroi avait laissé, regard baissé vers les jumeaux dont l’innocence était aussi apaisante que tragique.

L’instant d’après, ses lèvres s’entrouvrirent pour bafouiller quelque excuse. Enterrer l’histoire vite fait bien fait, tant qu’ils pouvaient encore repartir sur une légèreté et ne plus jamais évoquer quelque sujet de cet ordre.

Mais de toutes les émotions qui le traversaient, ce n’était ni vraiment l’envie de s’excuser, ni la gêne, qui l’envahissaient le plus. Il était plutôt… Non, heureux n’était pas le mot… joyeux non plus…

C’était autre chose qu’il n’aurait pas su expliquer. Peut-être même plusieurs choses qui s’entremêlaient pour créer cette sensation particulière et forte, d’être dans un moment doux et inspirant malgré toute la peine et la peur qu’il lui imposait.

Est-ce qu’elle m’en voudra si…

« Tu penses vraiment qu’ils… (il hésita encore quelques secondes, puis osa finalement enchaîner :) Enfin… qu’ils ne comprendraient pas… que ce n’est pas ta faute… ? »

En prononçant ces derniers mots, il se sentit soudainement envahi par une pointe de culpabilité qui lui déchira le cœur et le fit baisser la tête vers ses propres jambes.
Avait-il bien le droit de demander ? Il savait qu’il avait pensé d’elle la plupart des choses que ses parents semblaient lui reprocher. Et même maintenant… Il continuait, peut-être, de penser qu’elles risquaient d’être vraies.

__–Voilà voilàààààà.
__–Comment on rebondit face à ça, hm ?
__–Bon en vrai c’pas cul. Là Karen a balancé tout ce qui devait sortir, ça va vlàààà mieux, elle souffle un grand coup. La vérité elle aurait presque envie de lui dire merci et tout, même s’il a rien fait. Enfin, justement, quoi, il s’est pas barré en courant et il a pas essayé de changer de sujet de façon nulle.
__–« Ben… »
__–Ouais puis elle pourrait lui parler de Brad, tiens.
__–Non ?
__–Naaaaaaaaan. Quand-même pas.
__–« Bah en fait. Non. Parce que c’est de la leur. »
__–Sauf que là problème mes potos, c’est que jamais de la vie Karen elle est juste capable de comprendre assez des trucs de gauchos genre, la pression sociale et tout, pour l’expliquer. Donc on va juste balancer sa haine sur eux, après ils le méritent, mais ça reste pas ouf.
__–Du coup baaah. On change de sujet. Puis ça va le soulager Minoru en vrai.
__–« Eeeeeeeenfin bref. J’vais pas te parler de mes problèmes, ils me gavent assez comme ça, c’pas pour qu’ils te saoulent toi aussi en vrai. Azy t’as d’autres cristaux, viens on teste d’autres trucs. Tu sais faire quoi encore, raconte. »
__–Et sans impliquer les plus jeunes, cette fois-ci, si possible.

Parce que c’est de la leur.

Peu importe dans quel sens il essayait de retourner ses mots, il n’avait pas la moindre idée de ce qu’ils pouvaient dire. Déjà parce qu’il n’était pas gaucho non plus, mais aussi parce qu’il était encore à quelques lieux d’admettre qu’on pouvait reprocher quelque chose à ses parents. Après tout, il lui aurait fallu pour cela admettre qu’il détestait les siens aussi, avec toute la peur que cette colère lui inspirait.

Le changement de sujet fut donc le bienvenu, en même temps qu’il lui pinça un peu le cœur. Ainsi, quand bien même il avait essayé de lui glisser un « Ça ne me saoule pas… C’était moi qui avais demandé… » pour au moins lui suggérer le fond de sa pensée, il avait plus clairement rebondi sur son enthousiasme pour ses autres cristaux.

Après tout, il avait aussi hâte qu’elle les essaie.

« Je ne les maîtrise pas vraiment, alors je ne sais pas à quel point les cristaux vont fonctionner, mais, pour faire simple, il y a d’abord ça… »
Il rejoua le désordre avec lequel il avait attiré l’attention de Boyce.
« Et puis je peux aussi… »

Cette fois, il regarda quelques secondes Karen droit dans les yeux — bien plus directement qu’il n’avait l’habitude de le faire — puis essaya de titiller le pouvoir de Morphe qui l’habitait. Bien qu’il n’apprécie pas tout à fait ce mode d’interaction, il avait fini par accepter l’idée que c’était ses émotions, et plus particulièrement son envie, qui, s’il les assumaient, lui permettaient de revêtir le visage d’un autre.

Il ne lui fut alors pas difficile d’emprunter le visage de Karen. Le résultat, quoi que plus abouti que ses premiers essais, était encore assez étrange ; n’ayant pas appris à changer les couleurs et ayant toujours les cheveux courts, le résultat ressemblait autant à Karen qu’à une version féminine et un peu plus occidentale de Minoru. Ou à leur enfant s’ils avaient le malheur d’en avoir un un jour.

Réalisant que cela risquait d’être gênant, il reprit son visage initial d’un coup.
«  Pour prendre un visage, c’est plus facile de regarder la personne en même temps, ou de bien… l’avoir observée. (il détourna légèrement le regard, craignant qu’elle n’y cherche un sous-entendu) Peut-être que comme c’est mon pouvoir, ce sera peut-être plus simple si tu essaies de ressembler au mien. »

C’était une simple réflexion, mais à y penser, il ne pouvait nier qu’il était particulièrement curieux de voir à quoi il ressemblerait, en blond, si tant était qu’elle ne maîtrise pas son pouvoir mieux que lui.

«  Et pour l’autre… Je ne sais pas trop comment je fais, ça vient naturellement… » termina-t-il.

__–Waaaah sa magiiiie le feuuuu, Boyce mate le visage de Minoru qui part en vrille, ça le fait méga marrer encore. Genre de vrai et tout, il explose de rire. Et bah, ça détend pas mal. Même Karen sourit. Hé ouais.
__–Puis holà, ça change d’ambiance. Minoru la fixe. Boyce le fixe lui.
__–Si on prend en considération le fait que Minoru était du genre à adopter un regard plutôt fuyant que pénétrant, c’était rare. Bien assez pour attirer tout de suite l’attention de Karen, comme de ses enfants, curieux de ce qui allait se passer. Et puis, l’espace d’un instant, celle-ci se reconnut dans le visage de Minoru. Au début, elle se concentra sur les traits qu’elle reconnaissait être les siens, quoique pas tout à fait. Elle se surprit et s’amusa de se voir ainsi, puis s’étonna des subtiles différences entre ce visage et sa propre physionomie, puis comprit : elle ne s’était jamais vue que dans un miroir. Son visage, à l’endroit, lui était en fait presque étranger. C’était une perspective tout à fait inédite sur elle-même, qui ne pouvait être capturée autrement que par des photographies, que Minoru lui livrait là.
__–Oh bah non il arrête ! Pas drôle. Enfin, déjà pour les mômes c’est pas mal, ils sont tous les deux pliés de rire. Et alors, autant Boyce c’est pas dur, autant John, c’est vlà plus rare.
__–« C’est. Excellent. De fou mon gars. Genre, c’est le méga feu. Tu m’imites trop bien c’est abusé. Vous aimez bien quand vot’ parrain il fait des dingueries avec sa tête, vous, hein ? »
__–En revanche, l’explication du comment était peu satisfaisante.
__–Bah aussi va expliquer comment je fonctionne. C’est chaud les pouvoirs écoute.
__–Ah, ça, la question de savoir ce qui t’animes – à part enquiquiner le monde – et t’agit – à part la sottise – est un mystère. Elle contenta néanmoins Karen, qui prit le cristal, l’inspecta sous tous ses angles, puis fixa Minoru.
__–« Okay allez l’essaye. Détourne pas le regard hein ! J’veux pas qu’ça foire. »
__–Elle l’activa et sentit ses traits s’altérer, sous le regard attentif de John et Boyce. C’était… difficile à décrire, comme avoir des fourmis sur la peau, comme un massage, comme se faire frictionner, mais par une main qui n’imprimerait aucune force, par des palpations pourtant puissantes. Le résultat… Ressemblait plus à du Jean Dubuffet qu’à Minoru. Au moins, ses cheveux avaient-ils changés de couleur pour un brun fade.
__–« Bon ben, j’ai clairement pas ta maîtrise encore mon pote. Mais déjà c’est ouf que j’y arrive en vrai. T’sais quoi, la prochaine fois qu’on s’revoie, je te file des cristaux à moi, okay ? Puis ‘faut qu’on fasse ça plus souvent, t’en dis quoi ? »

Être ainsi acclamé par un public composé d’une des personnes qu’il appréciait le plus dans sa triste vie et aux deux petites rayons de soleil qui en illuminaient les contours eut évidemment un effet immédiat sur Minoru. Bien que n’y ayant réagi que par un «  C’est pas grand chose… », il était évident que cela l’avait tant ravi qu’il avait le feu aux joues.

C’était paradoxal. Il savait que cela ne représentait rien, et que Karen ne s’extasiait que parce que c’était de la magie. Mais malgré tout, elle lui donnait l’impression d’avoir réussi quelque chose et de pouvoir se satisfaire de l’imperfection du résultat, plus que toutes les fois où il s’était acharné pour des examens sans y trouver autre chose qu’un répit avant le prochain.

Évidemment, voir Karen le fixer et l’entendre lui demander de ne pas détourner le regard alors qu’il avait plus que jamais envie d’enfouir la tête dans le sol, était une certaine épreuve.

Il la releva, seulement car il ne voulait rien manquer du premier contact de la blonde avec sa magie.

C’était un spectacle aussi curieux que fascinant, tant lorsqu’il sentait une énergie qui était la sienne effleurer un autre être que lorsqu’il voyait cette face qu’il connaissait si bien s’animer à son contact. Comme lorsqu’elle avait si aisément éjecté l’eau, elle semblait encore une fois approcher le morphisme d’une façon totalement différente de la sienne, quoi qu’elle ait eu comme lui du mal à saisir les traits du premier coup.

À défaut de rire du résultat (c’était qu’il n’osait plus rire devant elle depuis un certain évènement), il en sourit légèrement, puis lui offrit un compliment sincère :

«  Pour un premier essai, c’est vraiment impressionnant. »

Et quant à ses propositions, qui étaient tout ce qu’il n’aurait osé lui demandé, elles firent à nouveau bouillir son visage et retentir ses yeux d’excitation.

«  Oui ! »
Puis car il craignait que son enthousiasme soit trop enfantin, il se para d’une fausse modération :
«  Enfin, ce serait une bonne idée pour s’entraîner… »

Il chercha d’autres arguments à jeter dans le bain pour y noyer le poisson, mais c’était déjà bien assez difficile de ne pas lui sauter au cou avec ses idées et ses envies.


Deux jours plus tard, ils s’étaient revus dans le parc qui se trouvait au milieu des commerces de Terrae. Avec la fin du printemps qui ouvrait le bourgeon des cerisiers et la rentrée des classes imminente qui rendait précieux les derniers jours de repos, l’endroit fourmillait de visiteurs, quoique bien peu en comparaison des parcs de Tokyo en cette même période de l’année.

Flâner ainsi n’était évidemment pas dans les habitudes de Minoru, mais puisqu’il avait toujours besoin de fuir le désordre sa propre vie et que Karen l’avait appelé pour une expérience qui s’annonçait bien plus excitante que de tourner en rond dans sa chambre, il n’avait pas réfléchi plus de deux secondes avant d’attraper ses affaires et de se précipiter à l’extérieur… Pour ne pas dire qu’il était sorti avant même d’y réfléchir.

Tester les pouvoirs de Karen. Depuis que l’idée avait été évoquée, il n’avait cessé de chercher à anticiper la sensation dans sa tête et préparé toutes sortes de scénarios, qui allait de l’échec total à toutes sortes de découvertes qu’il anticipait, à commencer par, évidemment, la nature des sentiments de Karen envers lui… Non pas que lui-même sache quel qualificatif apposer à l’affection qu’il ressentait pour elle. Entre deux égarements dans son imagination, il s’était également repassé en boucle les évènements de la dernière fois (comme il le faisait toujours, mais il le fit encore plus que d’habitude), tant les plus gênants que les plus heureux, et s’était surpris en voulant imiter l’utilisation que Karen avait eu de sa propre magie à faire quelques progrès soudains. Ainsi avait-il, le matin-même où il la retrouva, observé pour la première fois quelques mèches blondes tombant sur son visage, et même réussi à s’approcher d’un miroir pour jouer avec ce nouveau résultat.

C’était… Bon, il ne se l’était pas avoué ainsi, mais il s’était surpris à trouver ça cool, de ressembler un tout petit peu plus à la population moyenne de Terrae.

Évidemment, il n’en avait rien dit à Karen, et s’était contenté d’apparaître devant elle avec son air habituel de petit japonais banal et coincé, qui buvait de l’eau au bar et mangeait autant de platitudes qu’il en racontait tout en appréciant pudiquement l’instant.

Il eut un moment une absence, où il songea que cette situation était tout sauf ce qu’il aurait imaginé un an plus tôt, alors qu’il bourrait déjà les cours pour ne prendre aucun retard à la rentrée.

Puis il focalisa à nouveau son regard sur Karen, puis sur ces pierres à l’éclat doré dont il reconnaissait la nature…

__–Ouiiiiii on va revoir Minoruuuuuu hihihihihi !
__–Je ne sais pas ce qu’il peut bien y avoir de si excitant à cette perspective.
__–Oui bah normal, après pour n’importe qui d’autre, juste le fait qu’elle a eu un gros sourire toute la matinée, pis qu’elle a bieeen préparé ses cristaux, et que même les gamins ils avaient l’air super contents ! Non enfin. J’suis le sensitif. Ils l’étaient. J’sais juste pas si c’est parce que Karen a balancé son bonheur comme ça et qu’ils ont été atteints… bah par moi quoi, ou parce qu’ils ont capté quand elle leur a dit qu’ils allaient revoir Minoru.
__–J’pense quand-même c’est la première option, mais on va dire la seconde parce que c’est vlà plus meugnon.
__–Si par mignon tu veux dire navrant, je ne peux qu’acquiescer. Toujours était-il qu’en ce bel après-midi de printemps, fort ensoleillé et qui était rendu encore plus ravissant par la chute des fleurs de cerisier, Karen alla retrouver Minoru, poussette en mains. D’aucuns pourraient s’étonner de croiser deux mineurs, dont une mère, dans ce véritable établissement de perdition qu’était le bar de Luna, mais à la vérité, outre les frasques de chacune des employées et la terrasse réservée aux fumeurs comme aux majeurs, il était un lieu fort fréquentable. Il y avait même cet insupportable petit Air qui venait y prendre des limonades, comme d’autres jeunes gens.
__–Elle s’assit à ses côtés et commanda deux jus de tomate : un pour elle et un pour faire découvrir ce breuvage à ses marmots.
__–« Salut mon pote ! Alors, ça va tranquille ? Tiens, mate. »
__–Elle sortit ses cristaux de son sac à main. C’est qu’elle avait longuement travaillé dessus et ce fut donc non sans joie qu’elle les aligna sur la table. Il y en avait quatre : deux affinitaires et deux affiliés. Ils ne ressemblaient pour le moment qu’à de petites amandes jaunes… qui furent instantanément remarquées par la tenancière du lieu :
__–« Hé ben, mon couple préféré. Salut Minoru, ça va comme tu veux ? Dites, les jeunes, j’sais reconnaître un cristal Tonnerre quand j’en vois un et là, quatre, hm, ouais c’est mort en fait. Vous savez qu’on a une salle d’entraînement pour ça ? »
__–Karen répondit à cette rustre par une moue désobligeante :
__–« Non mais, c’est bon quoi, on va pas le détruire ton bar avec ces petits machins, hein.
__–– Tu m’fatigues… Allez en terrasse sur la table du fond là, tu devrais emmerder personne. »
__–Elle les encaissa et les regarda partir.
__–N’empêche, clairement elle parlait pas à Karen pareil qu’à Minoru. Pis évidemment, notre connasse nationale elle a pas pu s’empêcher de balancer des commentaires de merde :
__–« Non mais tu le crois ça, l’autre infirme droguée qui nous dégage, sans déconner quoi, elle se prend pour qui en fait. Bon bref là, tu veux commencer par quoi ? »

«  C’est… On est… p-pas exactement…  »

Chaque interaction que Minoru avait avec Luna rajoutait un élément de plus à la liste des raisons qu’il avait d’angoisser chaque fois qu’il la croisait. Il l’appréciait, c’était indiscutable, mais… hm… Cette tendance qu’elle avait à associer un ton léger, presque excentrique, à l’autorité qu’elle exerçait naturellement, était aussi étrangère au jeune japonais qu’elle était stressante.

Et puis là, en l’occurrence, il avait cette réaction de personnage de manga qui ne sait plus ou se mettre, entre l’envie de clarifier à Luna qu’il ne s’agissait de rien de tout ça, la brève réalisation que c’était probablement normal que leur relation renvoie une telle image, la gêne que cela représentait, la soudaine satisfaction lorsqu’il remarqua que Karen ne niait pas en bloc, puis la culpabilité d’y avoir pensé et, enfin, la rationalisation.

Vous n’avez rien compris ? Lui non plus. Toujours est-il que lorsqu’il revint sur terre, il se vit marcher vers la terrasse.

«  On devrait peut-être aller en salle d’entraînement… Enfin, ce n’est pas sûr que ça marche seulement, mais elle a raison… » balbutia-t-il pour tenter de se rattraper, quand bien même il n’avait lui-même pas très envie de casser leur petite scène intimiste par un décor scolaire et une foule plus intimidante que celle du bar.

« En.. en tout cas… (il regarda à nouveau les cristaux)  Ce serait peut-être plus simple de commencer par l’affinité… »

Il n’en savait trop rien, à vrai dire. Il ne se sentait aucune affinité particulière avec le tonnerre, si ce n’était pas — avec le feu — l’extrême inverse de tout ce qu’il était mais trouvait, simplement, plus facile d’en anticiper les effets. C’était comme choisir entre gagner un doigt et gagner un nouveau sens : il savait ce qu’il ferait du premier, alors qu’il ne pouvait pas imaginer un seul instant comment le second bouleverserait sa vision du monde. Puis, quitte à se rater au début, autant que ce soit sur ce qui l’intriguait le moins.
C’était mal se douter de ce qui allait se passer, mais ça, ce sera pour le prochain post.

__–« Pas exactement », c’est pas « on est pas du tout » ! Non mais alors, si c’est le bordel chez Minoru, j’vous raconte pas chez Karen. Comment ça, « pas exactement » ? Ça veux dire quoi ? C’est genre, il pense qu’ils sont un peu, à moitié, viteuf comme ça en couple ? Non parce que, elle nie pas, il nie pas, s’passe quoi en fait ???
__–Rien mdr.
__–Putain de coincés de leurs morts.
__–Quoi qu’il en était… Le jeune Minoru voulait donc commencer par l’affinité, une perspective salutaire, vu qu’elle retarderait la démultiplication des imbéciles qu’aurait provoqué le cristal d’affiliation.
__–« Allez, le tonnerre, c’est tipar. Tiens. Alors, juste ’faut faire gaffe, hein, regarde. »
__–Karen joignit ses deux mains en prière. Minoru put entendre un crépitement et apercevoir une lueur blanche entre les doigts de sa camarade. Elle sépara ses paumes et apparurent des petits éclairs, qui tressaillaient et bondissaient d’une paume à l’autre. Il n’y en avait que quelques uns, mais elle les fit s’accentuer, se multiplier, avec les sons répétés de craquements qui les accompagnaient. Son visage, fort concentré, était baigné dans une lumière blanche et bleue. Et Karen ferma les poings, ce qui interrompit le spectacle d’un coup sec.
__–« Essaye, mais mon conseil, c’est de pas générer des éclairs vers rien. Toujours vers, genre ton autre main, ou je sais pas quoi. Parce que sinon… »
__–Elle pointa son doigt vers le sol, généra son énergie électrique et tira un petit éclair sur un gravier. Celui-ci fut projeté au loin et il y eut à sa place un petit impact noir, signe clair qu’une puissante décharge d’énergie et de chaleur avait frappé cet endroit.
__–Attirés par les petits sons de tonnerre, qu’ils avaient appris à aimer, Boyce et John s’étaient accoudés à leur poussette et jetaient des regards fascinés sur ce qui ce passait. Minoru avait un public.

Il va sans dire que Minoru avait religieusement suivi la petite démonstration de Karen, essayant tant par ses yeux que par sa magie de capter cette petite énergie qui circulait dans l’air. Et… non, on ne parlait pas ici de cette espèce d’ambiguïté romantique, qui de toute façon était là depuis bien plus longtemps, si elle n’avait pas précédé leur initiation.

Outre l’émerveillement tout à fait manifeste que suscitait la scène (il avait certes déjà vu des Tonnerres utiliser leurs pouvoirs, mais c’était une Tonnerre dont il était proche, ce dans tous les sens du terme, alors ça faisait son effet), ce furent aussi les idées et les réflexions en tout genre qui fusèrent dans son esprit, quoi qu’il ne sut pas les aligner en mots (son expression s’étant déjà perdue dans un «  C’est impressionnant » béat). Il se fit notamment la remarque que là où son affinité à lui était centrée sur le contrôle d’une eau qui existait déjà dans son environnement, le Tonnerre était avant tout quelque chose que Karen générait, ce qui devait expliquer pourquoi elle avait naturellement su créer des petites balles d’eau et les envoyer. Enfin, ça et la différence de talent…

Après avoir légèrement sursauté quand elle eut propulsé le gravier, puis levé la tête pour voir si Luna venait les engueuler, il se répéta mentalement les conseils de Karen, puis attrapa fébrilement l’un des deux petits cristaux.

« Je vais essayer de faire pareil… » marmonna-t-il en plaçant la pierre entre ses deux paumes puis en les refermant dessus, dans la même position que l’américaine.

Il inspira, puis ferma légèrement les yeux pour se concentrer. Il sentit le cristal réagir à sa magie, s’activer.

Puis.

D’un coup, une énergie complètement nouvelle l’envahit. Elle prit la forme d’une décharge douce et fugace, qui remonta de ses mains à sa tête comme un frisson puis parut se diffuser dans l’ensemble de son corps. Elle amenait avec elle une euphorie purement surnaturelle qui court-circuitait ses habituels tourbillons internes pour l’emporter dans une excitation rare, sinon inouïe.

Il n’aurait eu aucun mot pour décrire cette impulsion soudaine et toutes les promesses qu’elle lui soufflait, lors de ces courtes secondes.

De l’extérieur, on vit un petit éclair coincé entre ses doigts, une minuscule lumière qui s’était éteinte sitôt allumée. Mais autour de lui, ses bras transis avaient hérissé leur poil, et sa façade, elle, quoi qu’elle ne s’en soit pas rendu compte, avait été embarqué dans cette décharge émotionnelle soudaine, tant par des expressions qui en avaient fait le récit que par son pouvoir de Morphe, qu’une telle réaction avait animé d’un élan soudain. C’était avec un visage qui ressemblait plus qu’il ne l’avait jamais fait à celui de Karen et des cheveux blonds brillants qui paraissaient flotter autour, que Minoru regardait, béat et survolté, ses mains où le petit cristal avait disparu.

« C’était… »
Il parvenait à peine à parler, mais sentait un flot de paroles affluer dans sa gorge.
« C’était incroyable ! le fit-il s’exclamer. J’étais comme… ! Enfin… J’ai senti… Euh.. Dans mes mains.. Il y avait… ! Et puis j’ai… Je n’arrive pas à… »

Pour tenter de reprendre ses esprits, il pressa ses mains contre son visage. C’est là qu’il se rendit compte qu’il était légèrement différent de d’habitude. Incapable, dans un tel état, de cerner la forme qu’il avait prise, il sursauta un peu, se passa les mains partout comme il le faisait au tout début, toucha ses cheveux, perçut comme une minuscule décharge qui les fit s’envoler, tenta de les aplatir d’un coup. Il remarqua alors qu’il venait de réaliser d’un coup son envie la plus récente, et par la même en déduisit que la personne dont son pouvoir avait emprunté l’apparence était probablement…

Il paniqua d’un coup, et avec cette émotion bien plus habituelle fit revenir le naturel au galop.

« D… Désolé… C’était… J’ai dû activer mon pouvoir en même temps que le cristal… et… comme c’était le tien… sûrement… »

Une partie de lui mourrait d’envie de trouver un miroir ou de demander s’il avait aussi les yeux verts, mais ça aurait laisser sous-entendre qu’il était content de la situation.

« En.. en tout cas, c’était une expérience intéressante. »

Et ça, c’était pour garder sa réserve malgré sa puissante envie de réessayer tout l’après-midi pour se gaver de cette sensation grisante... Ou d’aller supplier un Master pour qu’il fasse de lui un Tonnerre, mais il savait que c’était impossible.

__–Moooooooh elle rougit !
__–Peuh, il fait chaud, c’est tout.
__–T’en es sérieusement réduit à là ? Non après pour Karen, connasse oblige, c’est un peu étrange. J’veux dire, elle a l’habitude d’être une petite princesse à qui on balance des compliments à la volée comme ça. Normalement elle le montre pas quand on lui dit ces trucs, ça va quoi, elle sait qu’on essaie de la séduire, ’faut pas qu’elle tombe dedans direct.
__–Sauf que là, ça la méga touche. P’têt parce que pour une fois, c’est super honnête.
__–Quoi qu’il en était… Karen observa avec attention les moindre gestes de Minoru. Il singeait ses mouvements avec une précision et une concentration tout à fait remarquable. Et… il eut une utilisation bien personnelle de l’électricité, pour dire le moins.
__–Ah bah ça. Karen le regarde en mode yo wtf frère, pis pas tellement à cause de c’qu’il a fait (même si c’est stylé, hein, j’avoue), mais plus parce que, yo. Minoru ? Qui montre, genre. Des émotions ? Fortes et positives et tout, là comme ça ? Mais kécho en fait.
__–« Ah bah putain mon gars, j’vais t’en filer plus souvent des cristaux, hein. »
__–C’eeeeeeest sa manière à elle de lui dire qu’elle le kiffe.
__–Viteuf triste qu’il enterre tout ça sous toute sa réserve et son anxiété et je sais pas quoi. Karen était super méga heureuse de le voir heureux, pis là, bah. C’est retombé comme un truc nul.
__–Elle eut, en effet, un petit sourire triste.
__–« En tout cas, t’as super bien réussi à reproduire mes yeux. J’savais pas que tu les aimais autant. »
__–Ouuuuuuuuuuuuuuuuuuuuh mais c’est que ça monte d’un cran ! Elle rougiiiiiiit !
__–« Breeeeeeeef, on passe aux cristaux sensitifs ? »
__–Pire changement de sujet du monde mdr.
__–Je subodore que tu dis cela en référence à son caractère abrupt et soudain, qui coupe court aux mièvreries insupportables ?
__–Ah nan, juste que partir sur le sensitif pour esquiver le sujet de ce qu’on ressent c’est bien un truc de Karen ça, tellement c’est con.
__–… Je suis contraint et forcé d’opiner.
__–Karen prit donc un cristal affilié et le tendit à Minoru.
__–« Bon là, euh, chaipas trop comment te faire la démo. Essaie juste de, euh… Ptdr y’a trop de manières de dire ça de façon si niaise et elle va prendre la pire. T’intéresser à ce que j’ressens ? Gagnééééééé ! ’fin genre… C’comme si tu captais des ondes radio ou je sais pas quoi, tu vois ? »
__–Alors, pour mon futur poto qui va s’pointer, là, – si tant est qu’Eelis choisit cette manière d’exprimer le pouvoir, après tout, il y en a bien d’autres et tous sont plus intéressants et supportables – c’quoi cette histoire d’hélice ? Bref j’disais, là évidemment Karen ressent un max de curiosité, pis y’a, hmmmmm, t’sais, ces petits trucs au fond ! Ce petit truc qui fait tout chaud partout, même s’il est pas super fort parce qu’elle le nie méga bien, le fait qu’elle l’aime et qu’elle est méga heureuse de passer du temps avec lui. Pis à l’opposé, bah elle est un peu, genre… déçue, tristoune quoi, qu’il s’éclate pas plus dans sa vie.
__–Bref allez là, j’veux voir la suite !